Life is a circus || Jane

Life is a circus

La soirée était déjà bien avancée. Zee venait toujours juste de quitter le Grand Theater de Star City après y avoir donné une représentation. Même si, children friendly oblige, ses shows ne se terminaient jamais après minuit, le temps de discuter avec son staff, de ranger un peu, de se changer et de se remaquiller de manière un peu moins voyante, il était déjà une heure du matin quand elle sortit du taxi qui l’avait amenée dans le centre-ville. Comme chaque fois, elle ne pouvait simplement pas se contenter de rentrer seule dans sa chambre d’hôtel, à contempler ses murs. Elle avait besoin d’évacuer la pression, l’adrénaline, et de ne pas tout de suite se repasser le film de son spectacle pour y déceler ses erreurs, ses hésitations, ce qu’il fallait changer, ce qui avait merveilleusement bien fonctionné. Tout cela, elle le ferait demain midi, en se levant, en prenant son petit déjeuner à une heure indécente avec, elle l’espérait, une bonne gueule de bois, avant de remonter sur scène le soir même pour sa seconde date à Star City. Elle ne connaissait pas grand-chose de cette ville. Quand elle tournait avec son père, il refusait de la laisser s’aventurer seule dans les endroits où ils se produisaient, parce qu’elle était alors une adolescente un peu trop remuante et probablement trop naïve, aussi. Finalement, le jour où elle lui avait désobéi, le jour où, après un show, elle avait fait le mur pour aller se faire payer des verres dans un bar de New York par un obscur sorcier anglais, avait scellé son destin et modelé sa vie pour toujours. Alors, peut-être qu’il avait eu raison à l’époque de vouloir à tout pris la garder sous sa coupe. Mais à présent, elle était adulte, et seule. Et rien ne pourrait l’empêcher d’aller se jeter quelques cocktails dans le bec, si possible dans un bar où il se passait quelque chose, n’importe quoi, parce qu’elle n’était pas d’humeur pour la drague.

Suivant les conseils du chauffeur de taxi, qui avait l’air d’avoir l’habitude de véhiculer des bourgeoises touristes dans le centre-ville, elle poussa la porte d’un bar-restaurant pas dégueu du tout, d’où s’échapper de la musique et le tintement caractéristiques des verres que l’on trinque. L’ambiance était tamisée mais bonne, pas guindée. Et il y avait une scène, ce qui voulait dire que quelque chose allait effectivement se passer. Groupe de musique, numéro de stand-up, effeuillage, elle était partante pour tout. Même pour du karaoké, c’est dire. Elle dédaigna les tables et se dirigea vers le bar derrière lequel un type bien habillé l’accueillit d’un de ces sourires chaleureux et en même temps complètement distants dont seuls les barmans avaient le secret. Elle lui renvoya son propre sourire professionnel – large et factice –, et ces politesses silencieuses échangées, chacun se détendit de son côté du comptoir. Zee se percha sur un des tabourets hauts et commanda un manhattan, avant de se tourner vers la salle pour observer un peu le décor et la faune. Son regard ne cessait de revenir sur la scène, éclairée mais vide pour le moment, et pourtant, il y avait une impression d’anticipation dans la salle. Son instinct d’artiste lui disait qu’elle avait vu juste. « Qui est-ce qui se produit, ce soir ? C’est la première fois que je viens ici. » Le barman répondit sans cesser de préparer d’autres cocktails. « Je préfère vous laisser la surprise. Elle va vous étonner. » Zee accueillit la nouvelle avec un sourire ravi. Faire monter l’attente, c’était la base de tout bon spectacle.

Finalement, les spots changèrent d’intensité, une rumeur se leva dans la salle, signe que les choses sérieuses allaient commencer. La magicienne se saisit de son verre et s’adossa au bar, un coude sur le comptoir. Une silhouette apparut sur scène, sous un tonnerre de cris et d’applaudissements. Effectivement, elle avait l’air connue dans le coin, peut-être même dans toute la ville. Zee la regarda avec intérêt, et avant même que le numéro commence, elle écarquilla les yeux. Nom d’Hécate… Celui qui avait dit un jour que le monde était petit avait probablement émis l’affirmation du millénaire. Le monde était petit. Et les gens que l’on rencontrait des années et des années auparavant pouvaient réapparaître dans votre vie sans prévenir et sans raison. Zee avait rangé Jane dans un coin de sa tête pendant tout ce temps et n’avait jamais pensé qu’un jour elle la reverrait, et pourtant elle était là. Et cela lui faisait plaisir, bien sûr, parce que cela voulait dire que sa vie avait changé, au moins un peu. Mais cela piquait sa curiosité, aussi. Les hasards comme ça, il ne fallait pas se contenter de les regarder passer. Elle se tourna vers le barman. « Pourrez-vous lui offrir un verre de ma part, une fois qu’elle aura fini son numéro ? Merci. » Oh, elle ne devait pas être la première à faire ça. Mais au moins, ses intentions n’avaient de lubriques. En attendant, elle se tourna de nouveau vers la scène pour pouvoir profiter du spectacle.

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"Louder than sirens Louder than bells Sweeter than heaven And hotter than hell ♪" Ajoutant un peu de fard, corrigeant ton rouge à lèvre sombre, tu détaillais les quelques photographies accrochées au miroir à diodes de ta loge. Pour quelle tenue opterais-tu en pour ton entrée ? Il y avait là une jolie panoplie d’idées mais tu n’arrivais pas à te décider. Beaucoup seraient envieuses de cette capacité à constituer une tenue simplement avec la pensée : tu pouvais avoir tout ce que tu désirais. Malgré que ce soit factice, pour ton public ça ne faisait aucune différence. Tu admirais tes yeux en parfaisant ton trait d’eye-liner, t’avais tout d’une grande artiste même si tu venais à peine de devenir la coqueluche de Star City, et ça te suffisait. La scène basiquement était tout ce que tu savais faire professionnellement : tu n’avais -pour des raison évidentes- ni diplômes ni expériences dans autre chose que le cirque. Les gens qui s’étaient occupés de ton enlèvement auraient au moins pu prétendre que tu étais partie faire don de ta personne dans un pays reculé pendant toutes ces années, mais il aurait été bien difficile de faire avaler qu’une fillette avait décidé de ça d’elle-même. Jane, en scène dans 5 minutes. Ton boss posa les mains sur le dossier de ta chaise, te renvoyant un sourire admiratif dans la glace. Tes yeux étaient farés d’un jaune lumineux, tes joues poudrées en rose, un look extravagant de poupée que tu observais à travers tes faux cils. Une crinière d’un rouge profond terminait d’achever la palette de couleur : J’arrive. Finalement tu saisis la brochure coincée dans la moulure du miroir. Tu visualisais ce body qui criait le cirque en soupirant : t’y revenais toujours finalement. Chaussant tes hauts talons et un fedora noir, tu fermas les yeux en laissant ta tenue d’origine se transformer, se parer de couleurs et de sequins. Un coup d’œil à ton reflet, qui te fixait avec ce même air distant et impassible comme d’ordinaire. Lui aussi se métamorphosa en un sourire en coin fier, et en levant le menton tu habillais tes oreilles de boucles scintillantes : fin prête. Le plancher ne résista pas à résonner en bruits sourds tandis que tu vins te dresser de toute ta hauteur face aux rideaux de scène. Tu en attrapais les pans en prenant une inspiration… puis les écartais. La foule siffla, applaudit, et tu lui offris un sourire sincère. Ceux dont tu avais le secret : éblouissants. Tu achevas de traverser le long podium pour prendre la pose dans ta tenue pailletée. Un projecteur se braqua sur toi, tu ponctuas cette courte présentation d’une révérence avant de faire demi tour. Derrière toi, une longue barre de métal était sortie du sol et c’est devant elle que tu te positionna après avoir fait valser ton chapeau dans l’assistance. Tu t’en saisis d’une main, et en faisant le tour ta tenue passa en vert, puis en bleu. Les premières transformations, mêmes minimes enclenchèrent les premières réactions du public. Puis, tu te hissa sur la barre pour commencer tes acrobaties. C’était peut être ça le secret de ton spectacle, ou pourquoi une danseuse de pole dance comme toi trônait sur cette scène appréciée de la haute, plutôt que dans un bar malfamé bourrée d’alcooliques misogynes. Être gracieuse plutôt qu'athlétique, sensuelle plus que vulgaire, mystérieuse sans être secrète, peu pudique mais de façon respectable. Bien sûr, son pouvoir faisait son petit effet, alors que sa peau se transformait en une matière brillante, comme couverte d’une multitudes d’écailles aux couleurs de paon. Nouvelle pirouette, les écailles devinrent des diamants, sa tenue un ensemble noir. Tête en arrière en écho à la musique, tes cheveux prenaient une teinte mauve. Tu prenais du plaisir à ainsi charmer l’assistance, mais ta concentration était extrême, les pas et les jeux de jambes réfléchis, les basses de la musique dévorant ton cœur à grandes bouchées. C'était ce genre de frisson, d’adrénaline qui te faisais vibrer irrémédiablement. Jane, toi, tu dansais jusqu’au bout, dans des tenues toujours plus affriolante de moins en moins couvrantes. Tu t’amusais oui, à tournoyer, agiter les chevilles. Chaque soir ta chorégraphie était différente, tes transformations aussi, et c’est le cœur battant que tu ressentais l’assistance et pré-programmais ce dont ils pouvaient bien avoir besoin. Voulaient-ils rire ? S’émerveiller ? S’émouvoir ? Ou bien étaient-ils désireux ? Une aura différente régnait dans le public et pour une raison qui t'échappait, tu te sentais bien. La scène avait parfois du mal à te faire oublier ta haine et ta rancœur mais ce soir tout allait bien. Tu ne savais pas si ça allait durer, alors tu fermais les yeux en espérant profiter de cette quiétude et c’est une fois les deux pieds à terre, reprenant ton souffle que tu ouvrais les bras face au public. L’assistance se pâmait et c’est avec un rire que tu te saisis du micro que t’apportais un serveur en bas de scène, tu t’en saisis : Merci à tous, je suis Belladonna, tu fis la révérence une nouvelle fois. Tu étais fière, d'avoir construit ce public qui commençait à se masser régulièrement. Ta célébrité venait tout juste de se confirmer, et, pour le meilleur comme pour le pire, il fallait désormais faire avec. Tes yeux croisèrent, quelque part dans la nuée d’hommes, de femmes, de serveurs... une paire d’yeux bleus. Il n’en existait qu’une comme ça et tu le savais : Zatanna. Un bond en arrière de plusieurs années te traversa de part en part et tu retournas en coulisse, un peu retournée. Cela ne te rappelais pas une super époque, mais il fallait que tu ailles la retrouver. Jane ? appela son assistant maquillage depuis le couloir derrière la scène. Y a un verre qui t’attends au bar. Tu es beaucoup trop gentil Phil, t’amusais-tu en revêtant un jean et un t-shirt blanc, tes cheveux avaient pris une teinte brun albâtre, ils étaient lissés avec une frange droite. Pas moi, une jeune femme qui te l’offre. Une femme ? C’était pour le moins inhabituel, de toute façon t’avais soif et voulais retrouver Zatanna, voir si elle était comme dans tes souvenirs, du moins le peu qui t’en restais. *** Tu adoptais une apparence autre, passais inaperçue même auprès de ton boss qui arpentait les coulisses à ta recherche. Débarrassée de ton maquillage des yeux, tu te faufilais parmi les tables jusqu’au bar : Est-ce que le spectacle t’as plu ? demandais-tu avec un rire. Sans doute que la principale concernée ne te reconnut pas, en effet tu arborais un visage fin aux yeux étirés sombres. Tu t'excusais avant de faire retrouver à ton visage tes traits originaux et tes prunelles vertes. Ça fait bien longtemps, Zatanna.

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Zee avait assisté à beaucoup de spectacles dans sa vie, de toutes sortes, d’une grande variété de performeurs différents. L’art de la scène était infini, un chaudron éternel d’idées bouillonnantes pour émerveiller le public, car c’était là le but premier de n’importe quel artiste, fût-il danseur, acteur, magicien, artiste, musicien ou n’importe qui d’autre. Déclencher une réaction auprès du public et surtout, une réaction positive. Zee elle-même ne vivait que pour ça. Elle adorait son métier, bien plus qu’elle adorait la contrepartie qui allait avec ses pouvoirs : sauver le monde, sauver des gens… C’était très bien, mais elle n’aimait pas ça, elle le faisait parce qu’il le fallait, parce que c’était inévitable. En revanche, son vrai métier, l’illusionnisme, la prestidigitation, elle l’adorait. Jamais elle ne s’en était lassée, jamais elle n’avait refusé de faire ou de voir un spectacle. Ces moments où le public retenait son souffle, où des dizaines, de centaines de personnes laissaient échapper un soupir en même temps, où des milliers d’yeux s’écarquillaient dans un seul mouvement, où l’on pouvait littéralement sentir leur cœur battre, voir s’arrêter… C’était une sensation indescriptible. Et en cette seconde, dans cette salle, c’était ce qu’elle ressentait parmi les spectateurs qui regardaient le show de Jane. Elle-même, à plusieurs reprises, ne put s’empêcher de sourire, de se redresser soudainement, de serrer les poings, d’applaudir. Il y avait la performance physique, bien sûre, qui était impressionnante, loin de l’image dégradante que seuls les hommes pouvaient imaginer, mais il y avait aussi la performance artistique, visuelle, esthétique. En magie de scène le transformisme était un classique parmi les classiques, mais Zee y avait peu souvent recours. Et elle se régalait de voir ce que faisait Jane. Et elle sentait que les gens, comme toujours, ne voulaient pas croire que ce qu’ils voyaient était réel, qu’ils se raccrochaient au fameux « truc ». Oui, c’était un truc, que la couleur de es cheveux ou de son costume change ainsi au gré de ses arabesques. Ou peut-être pas ? Et c’était là, dans ce doute qui faisait battre leur cœur, que se trouvait la beauté de leur art, à toutes les deux.

Une fois le show finit, Zee se retourna vers le barman pour lui demander un autre verre, et attendit patiemment, espérant que Jane allait répondre à son invitation. Et soudain, une jeune femme aux traits inédits l’aborda, et la magicienne eut une seconde d’hésitation avant de comprendre à qui elle avait affaire. Alors que Jane reprenait son apparence, la magicienne esquissa un sourire. « Oui, ça m’a plus. J’ai trouvé ça extraordinaire, et bien plus agréable à regarder que tes anciens numéros… » Du temps où Jane faisait partie de cet horrible cirque. Eh bien, pas la peine de faire comme si ni l’une ni l’autre n’était au courant de ça. Parce que oui, cela faisait longtemps, et cela remontait à une époque où Jane n’était pas si libre de ses mouvements. Du moins Zee espérait-elle que sa situation avait changé. « En tout cas, on dirait que tu aimes ce que tu fais. Cela se voit sur scène. J’en déduis que tu es exactement là où tu veux être… ? » Une manière un peu détournée de savoir si Jane était enfin libre. La magicienne but une gorgée de son cocktail, puis se tourna vers la jeune femme pour lui faire face. « Je suis en ville pour un spectacle, et je passais là complètement par hasard. Est-ce que tu y crois, à ce genre de coïncidence ? » Elle en riait presque.

Cela aurait été trop loin de dire que toutes les deux étaient amies. Elles ne se connaissaient pas tant que ça après tout, mais cette rencontre, aussi brève avait-elle été, avait grandement marqué Zatanna. Elle avait détesté abandonner Jane, détesté quitter ce cirque sans avoir pu faire quoi que ce soit pour y mettre un terme, autre que le brûler du sol au plafond, ce qu’elle ne pouvait pas se permettre de faire, bien entendu. Et elle n’avait honnêtement aucune idée de comment Jane allait vivre les prochaines années, aucune idée de comment elle se tirerait de cette situation dans laquelle elle semblait engluée. Alors oui, c’était une bonne surprise de la voir ici ce soir. De voir que les gens venaient l’admirer pas seulement parce qu’elle était bizarre, mais parce qu’elle était une artiste. Oh, comme les années avaient passé… Zee avait l’impression qu’une vie entière s’était écoulé depuis leur rencontre, et voilà qu’aujourd’hui, leurs chemins se croisaient de nouveau. Quant à savoir si c’était pour le meilleur ou pour le pire, c’était une autre histoire, mais Zee sentait que cette histoire-là, justement, allait commencer à s’écrire ici et maintenant, dans ce club.

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"Louder than sirens Louder than bells Sweeter than heaven And hotter than hell ♪" La perçoit-elle ? Ton expression change subtilement, tes yeux se font moins brillants et la commissure de tes lèvres s'affaisse à l’évocation du cirque. Une nostalgie qui te laisse un goût amer tandis que tu te souviens de ce que c’était de performer là bas. De n’avoir rien, aucune choix, pas même celui de ressentir de la tristesse. T’étais, en ce temps là, rien de plus qu’un corps sans essence, conçue pour être joyeuse du matin au soir et divertir la galerie. Une grande maison de poupées, dont tu avais été la plus maniable. La matière grise baladée dans du chimique jusqu’à devenir de la barbe à papa. Tu demandais un verre au barman, qui déposa un grand thé glacé sur le comptoir. Officiellement, tu ne buvais plus, et au travail ton boss avait veillé à ce que ta cure s’applique religieusement. Tu remerciais Zatanna quand le barman t’informa de l’intention de ta vieille connaissance à te l’offrir. Pinçant la paille entre le pouce et l’index, tu te penchas sur ton verre pour en boire quelques gorgées. Tu venais à peine de sortir de scène après tout, il fallait t’hydrater un maximum pour éviter de faire faiblir ta transformation actuelle : Si je suis là où je veux être ? Comment lui dire que tu ne savais rien faire d’autre que ça ? Que tu n’avais de souvenir d’enfance pour savoir exactement ce que tu disais vouloir devenir dans le futur ? Tu te contenta de lui adresser un sourire audacieux en buvant. Je suis en ville pour un spectacle, et je passais là complètement par hasard. Est-ce que tu y crois, à ce genre de coïncidence ? Je ne crois pas que tu puisses être le genre de personne qui laisse faire le hasard, toi et tes tours. Jane rit, relaxée par la fatigue, ravie de voir cette jeune femme et son air enjoué. Après tout, c’était grâce à elle que Jane avait et son déclic, ce spasme douloureux qui t’avais meurtri le ventre derrière ta vitre tandis que tu repoussais la magicienne en lui affirmant tout sourire qu’il n’y avait aucun soucis et que tout allait pour le mieux, que c’était la ta digne place. Une expression passa sensiblement vite sur le visage de Zatanna, et tu l’interpréta presque aussi rapidement : Je n'étais pas moi-même en ce temps-là, tu n’aurais rien pu faire. J’espère que tu ne te sens pas coupable, il n’y a vraiment pas de quoi. Tu te passais la main dans les cheveux en souriant humblement : Puis j’ai vu que tu as pu venir en aide à beaucoup d’autres, et ça me suffit. Tu n’étais pas une personne qui regardait beaucoup la télévision, ni ne lisait les journaux, mais internet et les réseaux sociaux s’occupaient de ton éducation actuelle. T’y avais passé tant de temps pour rattraper ton retard en terme de vie quotidienne que tu arrivais quand même à te tenir au courant. Zatanna était une héroine émérite désormais, et avec une bande d’autres comme elle ils veillaient à maintenir un certain équilibre, et tu respectais ça, tant qu’ils ne mettait pas le pied dans tes affaires. Mais comment pourraient-ils être au courant ? Croisant une jambe sur l’autre, tu décrivis un petit cercle avec ton poignet pour remuer le contenu de ton verre : J’aimerais beaucoup revoir un de tes shows, j’avais vu une rediffusion TV mais j’imagine qu’en vrai ça doit être autre chose. La magie qui faisait le succès des tours de Zatanna t’avais toujours fascinée, et tu t’étais souvent demandée ce qu’elle aurait pu t’apporter dans ta quête de vérité, à la recherche d’un passé perdu, mais le moment était mal choisi pour recouvrer les bouts manquant de ton existence. Tu ne voudrais te souvenir de tes parents que lorsque ceux-ci vivraient dans un monde débarrassé de ravisseurs d’enfants sans scrupules. Tu détaillais le visage qui t’avais toujours paru infinimment tendre de Zatanna. Vous étiez à la fois très différentes et très semblables, et c’est ce qui t’avais poussé à l’apprécier à l’époque où ce que tu pouvais aimer ou non étaient définis à l’avance. Est-ce que vous étiez dans des camps opposés désormais ? C’était une bonne question. Toi chez les criminels et elle chez les héros, tout allait vers une impossibilité d’être amies, mais tu ne l’entendais pas de cette oreille. Tu respectais profondément l’artiste, la femme et l’héroïne, et de toute façon tu avais toujours fais fi des codes : Pour être honnête, te rencontrer à l’époque ça aura été mon déclencheur. Sortir de tout ça… ça a commencé parce que tu m’auras fait prendre conscience, dans un coin de mon crâne que quelque chose merdait. Tu acquiesçais, comme pour confirmer tes dires, sirotais ton thé froid et reposais ton verre. Pour le reste de la soirée, le bar-restaurant passait de la musique à bas volume, les gens finissaient leur repas, d’autres, plus tardifs venaient prendre un verre. Puis, dans une heure, on enlèverait les tables pour laisser entrer les fêtards. Cet établissement ne dormait le matin, et ça te confortait dans un sentiment de sécurité agréable. Ce que tu redoutais le plus semblait être le silence, cet absence de sons cumulé au noir de la nuit. Alors, aussi tard que voudrait t'accompagner ta magicienne, tu resterais : Alors, merci, et… levons nos verres à ce genre de coïncidence ? A ces mots, tu tendis le tien pour trinquer.

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Zee sourit à la remarque de Jane. Aussi étonnant que ce soit, Zee croyait plus au hasard qu’au destin. Le destin supprimait toute forme de liberté et elle n’appréciait pas plus que ça ce concept, alors qu’elle avait vu des hasards extraordinaires se produire sous ses yeux, pour le meilleur ou pour le pire. Et parfois oui, avec un peu de magie, il était possible de s’approprier la coïncidence pour en faire quelque chose de déterminé. En l’occurrence, ici, il n’était question que de l’un de ces hasards dont la vie avait le secret, le résultat de la somme de toutes leurs petites actions, à Jane et à elle, depuis le jour où elles s’étaient rencontrées. Un jour pas si heureux que ça, et la magicienne vit que la jeune femme y pensait aussi. Elles n’avaient pas la même version de l’histoire, forcément, parce que Zee n’avait finalement fait que passer dans cet horrible cirque, sans comprendre ce qui s’y jouait, sans se savoir ce que Jane et les autres y subissaient. Mais Jane semblait savoir ce que Zee avait à l’esprit et cette dernière secoua doucement la tête. « Peu importe, tu n’as pas à me remonter le moral à ce propos. C’est toi qui en as bavé, là-bas, pas moi. » Cela aurait été un peu indécent de sa part de pleurnicher sur son sort face à la véritable victime de cet endroit cauchemardesque. « J’espère juste que ce cirque a brûlé du sol au plafond et qu’il n’en reste que des cendres. » Elle disait plus cela pour elle-même que pour Jane tant elle avait encore des frissons, des années après, en repensant à cet endroit.

Elle sirota son cocktail doucement, remerciant Jane d’un hochement de tête quand celle-ci parla de ses spectacles. Dans sa tête, elle pensait déjà à Solveig, sa manager-PR-babysitter. Elle était sûre que ce que faisait Jane lui plairait, et quant à Zee elle-même, elle se disait qu’elle aussi reverrait avec plaisir une de ses performances. Entre artistes, il y avait toujours de la curiosité et le désir d’explorer l’univers de l’autre. Elle reposa son verre et pencha la tête sur le côté. « Pour être honnête, à l’époque, je n’ai pas compris ce qu’il t’arrivait. L’aurais-je su que je n’aurais probablement pas pu t’aider malgré tout. Je ne maîtrisais pas aussi bien la magie psychique qu’aujourd’hui. » Ce qui voulait dire qu’elle ne la maîtrisait pas du tout parce qu’en vérité, même aujourd’hui, cette magie spécifique, qui touchait à l’esprit des gens, à leurs volonté, à leur souvenir, à leurs émotions, elle la craignait et s’en servait si peu qu’elle avait encore beaucoup de progrès à faire. Par le passé, elle avait essayé des gens – ou de les mettre hors d’état de nuire – avec sa magie psychique, et cela avait été une des plus grosses erreurs de son existence. Son père disait toujours qu’elle serait une élève toute sa vie, et que la magie sans contrôle était la chose la plus dangereuse du monde, et comme toujours, aussi énervant que ce soit, il avait raison. Elle leva son verre avec sourire pour trinquer avec Jane.

Son regard se promena sur l’établissement, qui ne semblait pas près de s’arrêter de tourner. « Tu travailles ici, alors, ou bien tu fais des tournées dans tous les clubs de la ville ? Ou du pays ? » Il était facile de passer à côté des carrières underground, dans ce milieu. Zee avait parfaitement conscience d’être l’équivalent d’un blockbuster de cinéma, dans sa partie, quand ce que faisait Jane aurait pu être qualifié d’indé. En tout cas, elle semblait à son aide, ici, ne serait-ce que dans ses rapports avec le barman. Zee ne s’attendait pas à voir débouler un patron sadique et esclavagiste – mais en vérité, tout pouvait arriver. Sauf que cette fois, elle ne s’en irait pas, si c’était le cas. « Tu sais, s’il y a bien une chose que je ne sais pas faire et que je ne fais pas, c’est danser. Mais j’ai toujours adoré les numéros de transformisme. C’est une part importante de la prestidigitation old-school, que plus personne ne pratique dans le milieu. » Elle regarda Jane avec intérêt. « Sauf que bien sûr, toi, tu fais ça de manière tout à fait extraordinaire. C’est un pouvoir impressionnant que tu possèdes. » Et Zee se demandait si Jane avait d’autres tours dans sa manche, comme tout bon magicien qui se respecte.

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"Louder than sirens Louder than bells Sweeter than heaven And hotter than hell ♪" Les odeurs d'alcool, de transpirations étrangères et les cliquetis des verres que le barman manipulait t’assommaient un peu. Seulement, l’évocation d’une fin méritée pour le cirque de ton passé suffit à te secouer. Ne t’en fais pas pour ça répondis-tu du tac au tac, sans réaliser à quel point ça pouvait paraître louche. Ça faisait des mois que t’y pensais, depuis qu’on t’avais rendu la mémoire, depuis que tes anciens compagnons de cellule et toi vous réunissez ponctuellement. Chaque fois il manquait quelque chose, et tu ne savais pas encore alors que bientôt Darkseid allait vous l’offrir, cette chance. Paradoxalement de tout le mal qu’il pourrait produire il causerait ta vendetta, ce premier geste de véritable revanche entraînerait tous les autres, comme les maillons d’une même chaîne, donnant l’impulsion à l’attraction sordide de ton existence. Un manège aux airs de farce mais qui ne donne pas tant envie de rire. Tandis que Zatanna te parlait de sa magie, tu réalisa que tu ne savais bien, en fait, de quoi elle était capable. Ça t’intriguait, pas nécessairement innocemment, peut être pourrait-elle t’aider à récupérer ce bout de vie qui te manquait encore, même si le télépathe avait prétendu qu’il était impossible d’accéder à ces souvenirs effacés. Ta cervelle est un ordinateur qui a pris la flotte. Il fonctionne, a accès à internet mais son contenu malmené ne paraîtra sans doute jamais plus. Vous trinquiez ensemble avant de laisser la conversation dériver vers des thèmes plus légers : On m’a proposé quelques contrats dans de grosses villes, pour faire des premières parties, avouais-tu, pas peu fière. Le succès ne t’avais pas encore tant sourit en ce temps là, et encore un peu paumée de toute façon tu n’aurais pas su gérer cet engouement. Ton joli minois marquerait les esprits deux ans plus tard pour te pousser dans les bras du mannequinat, mais à ce moment là tu essayais simplement de vivre. Mais je suis bien ici pour le moment, articulais-tu cigarette pincée entre les lèvres, essayant désespérément de l’allumer avec ton briquet à sec. Tu es flattée, qu’une artiste comme elle apprécie tes performances et ton art. Après tout, danser c’est tout ce que tu sais faire -et si on considère que la maniement du katana en es une déclinaison, c’est doublement ton domaine-. Tu avais appris à accepter ce pouvoir malgré qu’il se soit imposé dans ton corps, comme un étranger avec qui on se débat, une chose que l’on repousse mais qui persiste à nous coller et finit par se mêler pleinement à notre chair. Merci à toi, fis-tu en t’inclinant théâtralement, la clope entre l’index et le majeur. Je pourrais t’apprendre, je suis sûre que ça pourrait finir par te servir ! Un sourire s’affiche sur tes lèvres. La brunette aux yeux bleus ferait un carton en danseuse, t’en es persuadée. Son charme naturel n’est pas pour rien dans son succès. Tu l’as admiré dès votre première rencontre, cette femme, et les mots qu’elle prononce alors te rendent fière de ce que tu es, pour de vrai. Dans sa bouche, ils n’ont pas la même sonorité que les recruteurs ou les charmeurs, ils sonnent bruts et authentiques, comme autant de pierres précieuses. Cependant, pudiquement tu n’ajoutes rien : En parlant de pouvoir, tu pourrais…? demandais-tu en désignant ta cigarette tristement éteinte. Tu avais l’espoir qu’elle puisse t’aider. Fumer était autorisé dans l'établissement, et d’ailleurs une légère brume envahissait l’espace, rendant les lumières colorées diffuses, les silhouettes indécises, et finalement tout co-existait dans une ambiance presque surnaturelle. Ça me plairait bien, qu’on se revoit pour parler de spectacles, d’artistes et de numéros. J’tenvie, tu as l’air d’en connaître un rayon, et savoir tout faire. Tu te corrigeais : sauf danser du coup. Tu riais. Plus sérieusement avoir des conseils ne me ferait certainement pas de mal. Tes yeux pétillaient, ce qui arriverait bien plus rarement par la suite. Vierge de tout crime, tu réfléchissais pourtant déjà beaucoup à celui qui allait suivre. Désireuse de cendres, de flammes, tu attendais patiemment de savoir si Zatanna allait allumer ta cigarette, de la même façon qu'elle avait pu réveiller tes certitudes de vengeance. Elle n'était pas comme les autres héros, avait une posture moins tranchée et la malice de ceux qui savent que le mot justice a plusieurs saveurs. Tu as senti que tu pouvais lui faire confiance et ça ne t'aurait pas dérangé de construire quelque chose qui ressemblais un tant soit peu à un lien.

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Avec un sourire, Zee s’exécuta. Sans bouger, elle dit simplement « ueF ! » et une minuscule flammèche apparut au bout de la cigarette de Jane. Le dire, c’était une habitude dont elle ne pourrait jamais se passer. Non, en fait, c’était pire qu’une habitude, c’était un handicap : John l’avait endoctrinée, et le mot n’était pas trop fort, elle le savait maintenant qu’elle était adulte et capable de repenser à son père sans être aveuglée par l’amour et l’admiration qui l’aveuglaient quand elle était enfant. Il avait toujours eu peur qu’elle se fasse du mal avec la magie, l’avait toujours encouragée à faire attention, à utiliser la raison, lui avait méthodiquement imposé un nombre incroyable de barrières, de fusibles, de sécurités qui entouraient et emprisonnaient sa magie et dont elle ne pouvait plus se défaire. Jamais elle n’utiliserait ses pouvoirs librement, mais à la décharge de John Zatara, il avait raison, dans une certaine mesure. La magie était dangereuse, et les pouvoirs de Zatanna étaient surréalistes. Alors, entre autres choses, il lui avait appris le coup de la magie à l’envers. C’était devenu une béquille, un focus qui lui donnait l’impression de contrôler ses pouvoirs. Si elle ne le faisait pas, elle hésitait, ou pire, elle avait peur de ce dont elle aurait être capable. Maintenant, elle savait que sa mère aurait détesté la façon dont son père lui avait enseigné la magie. Maintenant, elle savait aussi à quel point son père avait raison, et elle savait le mal qu’elle avait commis avec cette foutue magie. En attendant, il était faux qu’elle avait besoin de prononcer ses sorts à haute voix pour que la magie fonctionne, mais c’était vrai dans la mesure où elle ne pouvait pas s’en passer mentalement parlant. Elle avait dit « feu » et si son sort avait uniquement dépendu de sa voix, alors elle aurait pu mettre le feu au club tout entier. Mais c’était plus compliqué que ça, évidemment. « Hm, je te trouve optimiste. Quoique j’obtiens des scores plutôt respectables à Just Dance. » Enfin, il faut dire que la seule personne contre qui elle avait jamais joué était un Anglais mal embouché et peu motivé qui n’avait fait ça que pour lui plaisir.

Quoiqu’il en soit, elle dansait dans des clubs, où c’était facile d’oublier qu’elle dansait, justement, bien ou mal, mais quant à se produire sur scène, devant un public, en gardant captif les spectateurs, ça non, jamais elle n’aurait pu faire une chose pareille. Elle préférait rester sagement dans sa catégorie. Son regard se promena de nouveau sur la salle et se posa sur la scène avant de revenir à Jane. Mystérieuse jeune femme qui semblait vivre une seconde vie, comme si la précédente avait complètement disparu. C’était un peu inquiétant, bien sûr, mais Zee lui laissait le droit d’avoir des secrets, évidemment. Peu lui importait, réellement, ce qu’il était advenu de ce cirque, si ce n’était qu’elle espérait qu’il n’existait plus. Puis un sourire se dessina sur ses lèvres. « J’aime bien cette idée, ça me plaît. Cela fait longtemps que j’aimerais me produire dans des salles plus petites, ou des clubs comme celui-ci. C’est dans ce genre d’endroit que j’ai commencé ma carrière, à San Francisco, voire dans des endroits moins reluisants. Je termine ma tournée dans une semaine, mais ensuite, j’aimerais bien me produire dans quelques lieux plus underground. Qu’est-ce que tu en dis ? » Quand elle s’enthousiasmait pour un projet, elle avait tendance à faire des raccourcis. Bien sûr, elle ne demandait pas à Jane des conseils sur comment gérer sa future tournée, et elle s’en rendit compte et ajouta aussitôt : « Avec toi, je veux dire. On pourrait s’associer pour quelques dates, et si ça se passe bien, finir sur une salle plus grand public, si tu cherches de la visibilité. » Cela lui permettrait, qui plus est, de garder le contact avec Jane, qu’elle avait retrouvée par hasard, c’était un signe, non ?

Déjà, elle pensait à Solveig, sa manager intransigeante. Elle ne dirait pas non, mais passerait des jours à chercher des renseignements sur Jane, et si elle n’en trouvait pas, elle se déplacerait pour assister à plusieurs de ses performances, puis elle accepterait, bien sûr. Zee la connaissait bien, et savait que Solveig la connaissait, elle. Ce duo prenait déjà forme dans sa tête, parce qu’il y avait tellement de possibilités ! « Je parle d’une vraie association. Pas toi faisant la première partie de mon spectacle, mais un spectacle en commun. » Avec Jane qui serait partie prenante du show de Zee, et Zee… ugh, elle n’était vraiment pas sûre de savoir danser, mais elle savait qu’elle trouverait des façons ludiques – magiques – d’accompagner le show de Jane et de le mettre en valeur. Elles pouvaient tout à fait chacune faire ce qu’elles faisaient de mieux, mais ensemble, et de manière artistique, intégrée en un seul spectacle.

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"Louder than sirens Louder than bells Sweeter than heaven And hotter than hell ♪" 2015 avait été pour toi l’année de tous les changements. Tu n’étais pas simplement devenue plus forte, plus assurée et plus meurtrière : tu étais également entrée dans la lumière des projecteurs et Zatanna n’y était pas pour rien. Tu souriais quand cette dernière évoqua sa propre carrière qui te parut bien étincelante au vu du chemin parcouru. Alors, quand elle proposa de te faire participer tu t'enthousiasmais derechef : Ouais, j’adorerais ça. Tu eus bien envie de trinquer une deuxième fois. Tu avais dans l’idée d’être l’amorcement du spectacle mais c’est alors que ta vieille connaissance insista sur ce point précis, devançant toute pensée : Je parle d’une vraie association. Pas toi faisant la première partie de mon spectacle, mais un spectacle en commun. Avec un sourire pensif tu fit pivoter ton tabouret vers la salle, prenant une dernière gorgée de ton thé glacé. Il y avait tellement de manières de faire briller ce duo atypique que tu en oubliait presque de répondre : Je suis sûre que ça peut faire quelques étincelles. On est tellement différentes ! Tu te pencha un peu vers elle : Mais je suis sûre que mon public saurait apprécier ta silhouette de diva, tu hochais la tête à ces mots, complètement sincère mais aussi pleine d’humour. Même si le spectacle ne reposait pas uniquement sur ça, tu n’étais pas dupe quand à l’aspect sexy que le show devait évoquer. Bien sûr, y’aurait matière à le rendre plus soft, en faire plus un spectacle de prestidigitation ça me sortirait de ma zone de confort ! Tu retins un soupir en repensant à cette image de toi-même que tu avais intégrée avec le temps. Non seulement avec le cirque et ton rôle d’attrape-mâles malgré toi, mais aussi avec ce travail que tu avais obtenu grâce à ton apparence première. Tu savais que tu étais plus qu’un corps mais parfois tu avais besoin de confectionner sans, d’accorder tes violons, de réintégrer le fait que tu étais une artiste et que tu pouvais faire des choix. C’est avec envie que tu lorgna sur les bouteilles décoratives du fond de bar, soudainement attirée par l’idée d’effacer toutes ces pensées. Etre une femme en ce bas-monde avait toujours été à la fois un don et une damnation. Combien de temps est-ce que tu restes ? Je pensais à ton premier cours de danse. La musique dans la salle changea subtilement, les basses résonnèrent un peu plus tandis que plus de danseurs se massaient sur la piste comme en écho avec tes dires. Tu terminais ta cigarette avant de l’écraser sous ta chaussure usée. Tu la jetais dans une poubelle calée au bar tout en parlant : Je te serais super reconnaissante de me faire découvrir la grande scène. Et ce serait un honneur de la partager avec toi,et si je peux au moins faire un truc en retour dis-le moi. Tu consultais ta montre sans précipitation, il se faisait tard mais t’avais absolument pas sommeil : Si tu fais encore une représentation en ville je viendrais te voir. Ça me laisserait le temps de parler de ce projet à mon patron, et à la sortie je t’emmènerai manger une glace. Tu réalisais que ça pouvait paraître enfantin, dégradant au pire, et tu te rattrapais comme Zatanna avait pu le faire : J’adore les glaces, et y en a au bord de mer qui sont formidables. A ces mots tu te levais, tu t’étirais de tout ton saoul. Vous aviez toutes les deux besoin de repos et ce même si cette rencontre était inespérée. Tu sortis ton téléphone malmené par ta brusquerie les soirs de beuveries. Prenant son numéro dans l’optique de programmer proprement plus tard. 2015, c’était l'époque où tu te permettais de rêver à pleins de choses, d’optionner un avenir, d’avoir des projets… Toutes ces utopies que tu abandonnerais un peu plus tard aveuglée complètement par la vengeance et le goût du sang sale. Avoir des envies à combler avait longtemps été impossible mais dès lors que tu avais gagné ta liberté tu n’avais pas su gérer correctement : d’où le tabac et l’alcool. Le seul travers dans lequel tu n’étais pas tombée c’était les hommes, qui t’attiraient mais avec que tu peinais encore à ne pas considérer comme des ennemis. Zatanna, j’étais on ne peut plus ravie, si tu n’étais pas si peu tactile tu l’aurais même prise dans tes bras. Il te tardait de concrétiser cette association, peut être que la magicienne te montrerai d’autres aspects de la vie que tu n’avais pas encore eut l’occasion d’explorer, de comprendre ou de connaître.

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Si Zee avait cru pendant une seconde que Jane allait refuser, qu’elle allait lui rire au nez en lui disant que son idée était complètement ridicule, elle fut aussitôt rassurée. La jeune femme semblait sincèrement intéressée par cette idée. Et il n’en fallait pas plus pour que la magicienne lâche la bride à son imagination. Bien sûr, sa marque de fabrique était la magie de scène old-school, telle que la pratiquait son père, et telle qu’elle ne se pratiquait plus beaucoup, ce qui expliquait aussi peut-être le succès de Zatanna. Couper de femmes en deux, lancer des couteaux les yeux fermés, faire apparaître et disparaître objets, animaux et spectateurs, léviter, sans parler de tout ce qu’elle ajoutait à ses shows de pure magie, sans se priver : tout cela avait bien peu à voir avec la magie dite moderne. Les tours de cartes et les caisses transpercées par des sabres n’intéressaient plus vraiment la nouvelle génération, ce qui en soi ne dérangeait pas Zatanna. Pour elle, l’art, et donc la magie, s’exprimait sous de nombreuses formes. Et pour le reste, eh bien, tout n’était toujours, et à jamais, qu’une question de mode. Si en ce moment, les gens appréciaient de voir des illusionnistes user de lasers, de technologies judicieusement adaptées au spectacle et ainsi de suite, grand bien leur face. Mais Zatanna n’était pas tout à fait comme son père non plus. Elle essayait toujours d’ajouter de la nouveauté, et s’inspirait facilement de ses voyages, de ses rencontres ou même de cette même nouvelle génération de magicien. Et ce qu’elle voyait en Jane était un mélange des deux. Elle représentait un art millénaire de la prestidigitation et en même temps une touche résolument moderne et, oui, sexy.

Elle éclata de rire à la remarque de la jeune femme, et hocha la tête avec véhémence. « Plus soft, c’est vrai. Mes spectacles sont pour toute la famille, même si en vérité les enfants voient ce genre de chose avec les yeux de l’innocence, mais on ne voudrait pas mettre des parents mal à l’aise. » Elle avait déjà envie d’y réfléchir, de penser à une scénographie nouvelle pour accueillir les performances de Jane. L’atmosphère changea dans le club et elle se redressa en même temps que la jeune femme sautait de son tabouret. « Ma dernière représentation en ville sera dans trois soirs, au grand amphithéâtre de la ville. Tiens, garde ça. » Elle tendit la main vers Jane et une petite carte apparut entre ses doigts : un pass VIP pour son prochain spectacle. « Tu pourras rentrer avec ça, et ensuite, viens me retrouver dans ma loge. On ira discuter de tout ça calmement. J’ai été ravie de te recroiser moi aussi. » Elle adressa un dernier sourire à Jane avant de la regarder s’éloigner dans le club, pour retourner à sa nouvelle vie, une vie dont Zee ignorait tout, mais elle comptait bien apprendre. Quant à elle, elle acheva son verre, laissa quelques billets sur le bar, ramassa son sac et s’en fut. Elle avait hâte de jeter quelques idées sur un bout de papier, et aussi d’évoquer cette idée avec Solveig et aussi Andrew, qui l’aidait pour toute la scénographie. Même si, bien sûr, avant de concrétiser quoi que ce soit, ce serait Jane qu’il lui faudrait convaincre pour de bon.




C’était le clou du spectacle. Autrement dit, le moment qui devrait attirer l’attention du spectateur et se fixer dans son esprit, comme un clou planté dans un mur attire l’œil. En magie de scène classique, les tours se faisaient en trois temps. La préparation, l’illusion et la conclusion, le moment qu’elle préférait le plus étant le milieu du tour. Il s’agissait de faire monter l’attente du public. Au cours de la préparation, il se faisait une idée de ce qu’elle allait faire, souvent floue, incomplète, parfois réaliste. Alors, l’attente montait. L’angoisse, même, parfois, quand le tour leur semblait dangereux. Moment suspendu dans le temps, cette seconde avant qu’elle ne révèle la conclusion, qui alors ravissait les spectateurs, mais elle, elle préférait ce moment où elle les tenait, ce moment où ils retenaient leur souffle, juste avant la révélation. La corde enroulée autour de sa cheville n’allait pas tarder à lâcher, et elle ne s’était toujours pas débarrassée des chaînes et de la camisole qui emprisonnaient ses mouvements. Tête en bas, elle pouvait voir le tapis de sabre qui attendait sa chute. Un fil de plus se brisa dans la corde et elle chute de quelques centimètres par à-coups, ce qui arracha une exclamation en chœur aux spectateurs. Voilà ce qu’elle adorait. Elle savait ce qu’ils pensaient. « Est-ce réel ? Ou bien un coup monté ? Ce n’est pas dangereux, elle sait ce qu’elle fait. Mais si, pour une fois, elle n’y arrivait pas ? » Elle se retenait de ne pas sourire. La tension était à son maximum, et soudain, la corde lâcha, en même temps qu’un jet de fumée envoyait de la brume sur la scène pour cacher sa chute, et que le public, cette fois, criait. Mais tout n’était qu’illusion. Et préparation. C’était un peu triste parfois de penser cela, mais c’était aussi ce qui faisait de la magie de scène un art. De l’imagination, de la réflexion, et beaucoup, beaucoup de travail. Elle réapparut une seconde après avoir chuté, bras levés vers le ciel, sur le devant de la scène, indemne et vêtue d’une robe noire et brillante complètement différente de sa camisole. Applaudissements, cris de joie, saluts…

Vingt minutes plus tard, Zee était dans sa loge, en train de se démaquiller, un bandeau humide autour du front pour repousser ses cheveux et la rafraîchir en même temps. Elle attendait Jane. Elle espérait que la jeune femme était venue. Et qu’elle avait apprécié le spectacle. Qu’elle avait pu s’imaginer sur scène, avec de la musique, de la lumière, tous les effets modernes, et tous les accessoires imaginables. Elle était presque nerveuse. Puis on frappa à la porte de sa loge et elle se leva, vêtue uniquement d’une paire de collants noirs, sans chaussures, et d’un tee-shirt trop grand avec écrit « équipe technique » dans le dos. Elle ouvrit la porte et sourit à Jane. « Je suis contente que tu aies pu venir ! Tu me dois une glace, si je me souviens bien. Je n’en ai pas pour longtemps, et on pourra partir d’ici. Bienvenue dans l'Olympe, le domaine des dieux, installe-toi où tu peux ! » Oui, elle faisait de l'ironie, vu l'endroit. Petite, la pièce était remplie de costumes, d’objets tous plus bizarres les uns que les autres, servait aussi de salle de stockage pour tout est n'importe quoi et de vestiaire pour les techniciens. Plutôt que l'Olympe, ça ressemblait à la Cour des miracles. « Alors, tu ne t’es pas trop ennuyée ? Il y a toujours beaucoup d’enfants le week-end, alors je dois adapter un peu mes numéros. » Et à moins d’être un fan hardcore de magie de scène, comme Zee, il restait une chance pour que tout cela soit chiant à mourir, pour un adulte.

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"Louder than sirens Louder than bells Sweeter than heaven And hotter than hell ♪" Jane, dans ta longue veste militaire tu arpentais l’allée mal éclairée des coulisses, juchée sur tes baskets compensées. Un cliquetis accompagnait chaque pas, tandis que la chaînette accrochée à ton pantalon valdinguait et que ta main manucurée à la va-vite tripotait la carte en plastique VIP. Tes cheveux ce soir là étaient relevés en une longue queue de cheval débordante d’ondulations. Ces derniers ainsi que ton visage demeuraient les tiens pour l’heure. Tu souhaitais demeurer telle que tu étais devant ta vieille connaissance. Les seuls artifices que tu t’étais permise d’arborer c’était ce chatoyant fard à paupière doré et ce t-shirt suggestif de motarde en bikini. Oui tu devais l’avouer, en voyant tous ces bambins dans la salle et leurs parents indignés t’avais rabattu ta veste systématiquement. En attendant le début du spectacle t’avais eut bien des difficultés à réprimer un fou rire. Une minute plus tard tu découvrais la tanière de Zatanna, emplie de bric à brac farfelu à souhait. Heureuse de la revoir mais toujours aussi peu tactile, tu n’engageais ni poignée de main ni aucun élan ne te parvins, à regret. Tu souriais : bien peu de gens parviennent à être sexy -objectivement- dans une tenue comportant un chandail de travail : Alors, tu ne t’es pas trop ennuyée ? Il y a toujours beaucoup d’enfants le week-end, alors je dois adapter un peu mes numéros. Si je peux être honnête, commentais-tu tout en t’asseyant avec élégance sur un petit tabouret qui traînait, caché sous un carton. Je n’ai pas pu défaire mes yeux de toi. Tu avais toujours été trop franche, animée par cette impossibilité toute personnelle à édulcorer tes pensées. Les filtres, tu n’avais jamais vraiment appris à t’en servir et tu avais trop peu côtoyé l’autre pour te targuer adaptée à la société contemporaine. Ennuyée ? Au contraire tu t’étais énormément amusée. Zatanna avait réussi à te faire rire, taper dans tes mains en rythme, faire pétiller tes yeux et tambouriner ton coeur. Au final, t’avais rajeunie, assise entre les enfants, prise d’une folie candide, toute adaptée au grain de malice de son show. Elle t’avait rappelé pourquoi tu avais aimé à un certain point de ta vie, travailler au cirque. Bien sûr, il ne s’était pas fêlé ce souvenir de toutes les choses odieuses que vous enduriez, et t’avais pas eût tout ta tête ni le plein contrôle lors de tes performances. N’empêche que, la personne que tu étais alors avait vu naître une envie inquantifiable de devenir artiste. Juste pour faire ressentir aux autres cet étincelle de magie, cette poudre palpitante d’illusion qui vous coupe le souffle et vous fait oublier le reste. Non, vraiment, tu compris pourquoi elle avait tout ton respect, depuis votre rencontre en plein champ de bataille pour toi, en frustrante désolation pour elle : Dès que tu seras prête, je t’emmène. Mon glacier va tellement t'abasourdir que tu ne te souviendras plus comment rentrer. T’avais plongé la main dans une caisse pour en sortir un objet que tu ne savais définir et que tu regardais avec inquiétude :  Qu’est-ce que cette chose, Zee ? murmurais-tu pour toi même avec un soupir. Oui, la jeune femme était bien étrange, mais d’où la collaboration évidente qu’il devait y avoir entre vous. *** Arpentant les fin fonds d’Orchid Bay, traversant la soirée avec enthousiasme, tu racontais à la magicienne ce qui te plaisait dans Star City. Certes, c’était davantage les circonstances qui t’avaient menées à planter ta tente dans le décor, mais il y avait aussi cette multitude d’endroits pour s’amuser ; des bars, de jolis restaurants, une patinoire, une galerie et bien sûr la plage. Déjà en ce temps là tu lorgnais de ce côté avec un sentiment mitigé d’admiration et de peur panique. Même si tu n’y mettais pas encore les pieds, la voir de ta fenêtre faisait de ton petit appartement un dangereux leitmotiv qui t’entraînait parfois des années en arrières. Juste pour ne pas oublier. Bien sûr tu lui parlais aussi de son spectacle et de tout ce qui tu y avais trouvé de captivant, ce qui se poursuivit jusqu’à ce que vous entriez dans le petit glacier. Tu aurais bien voulu l’y conduire autrement mais tu n’étais alors qu’une simple piétonne, pas encore équipée de ta jolie moto rapide comme la foudre. Ni le vendeur ni sa propriété ne payaient de mine, ils ressemblaient trait pour trait à un petit diner passé par les âges, mais tu aimais entendre la petite cloche retentir à chacune de tes entrées. Vous vous installiez à une table pour consulter les cartes et choisir un parfum tandis qu’une serveuse vous rapportait de l’eau : Quelles étaient tes idées concernant notre...association ? demandais-tu alors, curieuse de savoir, de voir à travers les yeux de l’artiste face à toi. Il fallait voir comment combiner leur univers mais aussi leur façon de bouger sur scène. Promis, je te ferais tourbillonner, pensais-tu pour toi-même à l’attention de Zatanna, qui avait l’air contre l’idée de danser. Perso j’aurais bien vu une thématique de créatrice et sa marionnette, énonçais-tu, à chaud, dans un genre d’illumination. Oh, euh, toi tu serais la créatrice, un genre de Dr Frankenstein, et moi je serais la chose, tentais-tu d'expliquer. Les illusions que tu pourrais créer, peut être tout autour d’une performance de ruban ? Ou de pole-dance si c’est assez child-friendly, réfléchissais-tu en un haussement d’épaule, tout en consultant les parfums qui décoraient à foison la carte pailletée de l’enseigne.

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Elle en entendait depuis toute petite, des compliments, Zee, et à force elle aurait pu finir par s’y habituer, par devenir blasée ou par ne plus y croire. C’est que, la plupart du temps, il s’agissait de politesse ou de paroles qui cachaient d’autres intentions. Les enfants ne mentaient jamais, la plupart des adultes qui venaient la complimenter étaient honnête également. Et puis il y avait la cohorte d’élus, de grands noms de la haute ou du showbusiness, de politiques, voire de criminels qui avaient fait de la flatterie un art de vivre. Et bien sûr, ça ne concernait pas que ses talents. Comme toutes les femmes, elle avait entendu la gamme complète des chaudes félicitations et autres compliments de la part de ceux qui pensaient qu’une femme n’avait besoin que de cela dans une vie. De beaux yeux. Une belle femme. Une grâce naturelle. Envoûtante. Bla. Elle préférait cent fois les cris extatiques et les mots maladroits des enfants, et les paroles étonnantes comme ce que Jane venait de dire, parce que c’était parfait. Non pas que Zee voulait uniquement que les yeux ne se détachent pas de sa personne, mais c’était là l’essence même de la magie de scène. Tout le secret tenait dans cette unique petite chose : il fallait tout faire pour que le spectateur ne vous quitte pas des yeux. Et ainsi vous permette de faire vos petites tricheries et tromperies d’une main, d’une autre ou des deux, sans que le public s’en aperçoive. On appelait ça l’imposture, ironiquement ou non. Elle se retourna et gratifia son invitée d’un grand sourire. Elle non plus, quand elle avait vu Jane sur scène, elle n’avait pu détourner le regard. Il fallait croire qu’elles partageaient un destin, toutes les deux.

Elle passa derrière un paravent pour se changer rapidement, leggings en cuir à enfiler et à retirer au chalumeau, un débardeur gris ultralarge sur un débardeur noir moulant, un blouson cuir. Elle attacha rapidement ses cheveux en queue de cheval et en réapparaissant, vit que Jane tenait un masque blanc à coutures sombres sur les yeux et la bouche, ce qui pouvait ressembler à l’accessoire préféré de Freddy Kruger, mais en vérité, une fois dans le noir, les parties les plus pâles du masque brillaient pour former des expressions old-school de personnages de mime et… et en fait, ça aussi, ça pouvait faire flipper. Elle se tourna vers sa coiffeuse, se pencha devant son miroir et souffla une formule : ses yeux bleus pâles devinrent marrons. Elle avait appris avec le temps que la meilleure façon de passer incognito, dans son cas, c’était de dissimuler la couleur de ses yeux. Elle enfila une casquette et quelques secondes plus tard, toutes les deux étaient parties. Après une marche agréable dans la ville, l’occasion pour Zee de se rendre compte à quel point Jane avait changé par rapport à la dernière fois, elles arrivèrent dans un vieux diner et s’installèrent à une table.

« C’est un idée géniale. Je pensais effectivement qu’on aurait besoin d’un fil rouge pendant tout le spectacle, un thème à décliner, pour qu’on puisse être sur scène ensemble pendant deux heures. » Elle s’interrompit quand la serveuse vinrent prendre leur commande, et elle demanda une coupe avec quatre parfums – vanille, café, citron, mandarine, ce qui fit retrousser le nez à la serveuse – avec supplément chantilly. Puis, elle replongea dans leurs réflexions. « Je connais quelques salles, grandes, mais qui ne demandent pas forcément des spectacles grand public. Pas besoin de penser aux enfants, je pense que ce serait dommage de se priver d’une bonne partie de ce que ton talent peut nous apporter en termes de scénographie. » Et puis, ce n’était pas comme si Jane faisait dans le porno, de toute façon. N’importe quel gosse de douze ans pouvait bien la regarder danser avec des étoiles dans les yeux – et peut-être dans le ventre aussi, okay. Mais Zee connaissait pas mal de spectacles de magie ou de cirque fréquentés par plus d’adultes que d’enfants, en premier lieu le Cirque du Soleil – qui ne venait jamais à Gotham, bizarrement. Elle adressa un regard amusé à sa comparse. « J’aime bien ton idée, oui, elle est parfaite. On peut mêler à l’envi l’illusionnisme et le transformisme, et obtenir un spectacle plus dansant, plus chorégraphié que la magie de scène classique que je fais » Les glaces arrivèrent, et elle se mit en devoir de lister les choses qu’elle pouvait faire pour intégrer ou mettre en valeur le propre talent de Jane : apparitions et disparitions, distorsion des sens, du décor, de la réalité elle-même, illusions en tout genre, sans parler de tous les accessoires qu'elles auraient à leur disposition. Pour finir, elle se renversa en arrière. « Mais on n'est pas forcées d'y ajouter une dimension de possessivité. Tu n’es plus une chose, Jane. » Elle le savait mieux que personne, non ? « En fait, on pourrait très bien avoir trouvé le clou de notre show : au final, la marionnettiste, ce serait toi. »

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"Louder than sirens Louder than bells Sweeter than heaven And hotter than hell ♪" Comme à s’y attendre, le choix de parfums de la magicienne était atypique. Pas du tout ennuyeux ni fade, comme la jolie brune, et il n’y avait pas besoin de lecture de sens comme tu le faisais récemment (oui tu en disais long sur quelqu’un grâce à ses choix en matière de glace, même à cette époque là). Ce ne sont pas tant ses choix qui te perturbèrent mais bien plus sa nouvelle paire d’yeux bruns, auxquels tu n’étais pas du tout accoutumée. Était-ce de cette façon que te voyaient les autres ? De quel œil appréhendaient-ils tes transformations légères et passagères, petit caméléon dans la foule mouvante, écran de fumée du tout au tout ? Joyeusement, tu rêvais à ta coupe de glace. Tu choisissais tes parfums comme tes vêtements, et, fort heureusement ça finissait souvent par quelque chose de pas nécessairement outrageux. Dans le meilleur de cas, tu révolutionnais le monde de la mode, mais ce jour là n'était pas encore arrivé, en 2015. Tu retins un soupir de soulagement quand Zatanna t’éclaira sur ce qui pouvait être le politiquement correct pour un enfant. Jamais tu n’avais eut ce genre de public. Les adultes venaient voir ton spectacle pour apprécier de l’alcool de qualité entre adultes, impressionner des partenaires d’affaires ou s’offrir une soirée en couple différente. La question des plus jeunes ne s’était jamais posée puisque l’entrée était interdite aux mineurs en fin de journée. Tu étais bien heureuse que Zatanna approuve ton idée, et tu étais encore plus impatiente de la mettre à la danse, qui lui siérait tant. Les babillages joyeux et créatifs fusèrent entre vous avec habileté, comme si vous étiez amies de longue dates, ou partenaires de show, alors que vous n’aviez jamais rien fait ensemble. C’est sans doute cette fraîcheur, mais aussi ce petit goût d’ancien qui te rassuraient. Dans un monde où tu avançais encore à tâtons, embrouillée de toujours plus de nouvelles découvertes bonnes comme mauvaises, il avait encore des jours où tu te devais d’être rappelée à ce qu'était la vraie vie comparée à celle dont tu te souvenais. La coupe coquelicot, pêche de vigne, banane et straciatella servie, tu t’apprêtais à la déguster mais ta cuillère se suspendit dans le vide. Ta vieille connaissance mit le point juste. Tu te calais dans ton siège retro avec une moue absente. Sa proposition te fit relever la tête vers elle. Son idée était criante de vérité pour toi, si ancrée dans ton présent et si nécessaire à ta poussée en avant : Je crois que tu as raison. Les lumières à l’extérieur se fondaient avec le néon rouge de l’enseigne, se massant en points lumineux sur la vitrine embuée. Le soir était si beau qu’il te rappela une nouvelle fois quelle chance tu avais de ne plus être éternellement derrière ce verre. Tu pouvais partir à tout moment, briser la vitre, et même commander ton poids en glace, tu pouvais faire tout de que tu voulais, et c’est ce qui te hérissait le plus : Tu sais ce qu’on dit, ajouta-t-elle finalement en mangeant sa glace, couverte de vermicelles en chocolats -cadeau de la maison à leur plus fidèle cliente. Les vieilles habitudes ont la peau dure. Je crois bien qu’être libre me fait flipper.  Et c’était vrai, tu souris à Zee avec ton air assuré d’adolescente. J’aime beaucoup pourtant, et j’ai hâte. Oui, de l’habiller de couleurs de musique, de faire résonner les basses sous les tours de la magicienne et de briller, toujours mais cette fois à deux. Un dialogue d’univers qui se mélangeraient pour n’être que feux d’artifices et yeux ébahis. Comment est ta glace ? t’enquis-tu en regardant la masse de chantilly perchée sur le dessert de la brune, à se damner pas vrai ? Tu n’avais jamais emmené personne d’autre dans cet établissement. En vérité, bien souvent ton face à face s’effectuait face à un ordinateur. Tu faisais tes recherches là, profitant du wifi gratuit et de la discrétion de la serveuse. Tu n’avais jamais eut de la place pour autrui au final et c’était ce qui avait fait foirer tes relations jusqu’à présent. Mais Zatanna était l’exemple que tu pouvais suivre, s’il était encore possible pour toi de te tourner vers la lumière : carrière accomplie, personnalité publique, entourée certainement et héroïne. Si elle avait pu tout concilier pourquoi pas toi ? Est-ce que tu serais prête à délaisser ta tenue de scène ? Voir même le noir ? Tu avais des idées en tête, et un nouveau sourire, plus inquiétant peut-être, se peignit sur tes lèvres. Des idées, tu en avais encore pleins et si tu pouvais, tu la pousserais dans ses retranchements. Ce spectacle serait le début de quelque chose que tu ne savais encore définir et tu t’impliquerais autant dedans que dans ta nouvelle vie. En fait, ce spectacle serait ta nouvelle vie, et tu avais besoin d’elle pour te hisser sur la marche supérieure.

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Elle n’avait pas quitté Jane des yeux en parlant, et elle vit passer ce moment chez elle où quelque chose passa. Bien sûr, Zee ne pouvait pas savoir quoi exactement. Jane était une jeune femme pleine de secrets – un secret elle-même, en vérité. Mais sur ce point précis, il n’y avait pas vérité plus exacte, plus acérée, coupante comme du cristal : elle était libre. En tout cas, dans le futur spectacle qu’elles essaieraient de monter ensemble, Jane serait une personne libre. Peut-être que ça ne correspondaient pas encore tout à fait à la réalité, mais sur scène, ce serait le cas. Sur scène, les fantômes, les squelettes, les chaînes et les boulets, tout ce qui nous retenait et nous tirait vers les abysses, restait en coulisses. C’était tout l’intérêt de ce métier. En coupant momentanément les gens de leur quotidien, Zee faisait de même pour elle-même. C’était aussi simple, aussi banal que ça. Et elle espérait que pour Jane, il en irait de même. La magicienne esquissa un sourire et poussa sa coupe vers elle. « Comme on dit, je te laisse goûter la mienne si tu me laisses goûter la tienne. » Parfaitement consciente de l’ambigüité de sa formulation, mais peu importait. Elle lança sa longue cuiller à l’assaut de la coupe de glace de Jane et laissa une explosion de saveurs qui n’étaient pas censées se marier envahir son palais. Justement, c’était pour ça que c’était parfait. Elle gratifia sa comparse d’un grand sourire. « Bien sûr ! J’avoue que le costume de magicien old-school est ma marque de fabrique, mais j’adore les tenues de scène. Si tu as des idées, je suis preneuse. Rien ne me fait peur, à part les pois ! » Oui, quand même, elle avait sa limite.

Elle replongea dans sa propre coupe de glace, pensive. « Tu sais, ça me fait plaisir qu’on soit là aujourd’hui, à avoir cette discussion. Je crois que j’ai vraiment de la chance. Je crois qu’il y avait très peu chances pour qu’on se recroise, toi et moi, en tout cas c’est ce que j’ai pensé quand je t’ai quittée la première fois. » Qui avait aussi été la dernière fois. Elle la revoyait encore – presque apathique, sans vie ou sans envie de vivre, elle ne savait pas trop, mais pas présente, en tout cas. Rien à voir avec la femme – l’artiste – qu’elle avait devant elle, en train de manger une glace dans un endroit qu’elle fréquentait de toute évidence régulièrement. Les habitudes, c’était le signe que l’on tenait à peu près sa vie en laisse, du moins certains de ses aspects. Les habitudes, c’était une bonne chose, par certains aspects. La magicienne n’allait pas s’excuser encore de l’avoir abandonnée. Non pas qu’elle en avait envie, mais elle ne voulait pas plomber l’ambiance, et forcer Jane à repenser à des choses qu’elle s’appliquait peut-être à mettre derrière elle. Mais le changement entre les deux Jane était si flagrant, si impressionnant… Zee était sûre qu’elle avait vécu des choses importantes. De nouveau, elle sourit. C’était ainsi. C’était ainsi qu’ils étaient et qu’ils vivaient, tous.

« Tu ne crains pas que les projecteurs soient braqués sur toi, désormais, n’est-ce pas ? Je ne dis pas ça pour me vanter, mais la dernière fois que j’ai fait une collaboration, tout le monde en a parlé… »  Elle faisait la grimace, désormais. Cette collaboration – forcée – s’était faite avec Digger, et ce spectacle avait été horrible, et avait même fini sur YouTube. Bon, pas si horrible que ça, c’était juste Digger qui était insupportable, mais cela avait aussi braqué un projecteur sur lui, et Amanda Waller s’était fait un plaisir de le localiser à cause de ça et de le capturer pour le coller en prison. Elle voulait être sûre que ce genre d’attention ne dérange pas Jane, après tout. Les spectacles de cette dernière semblaient se faire en toute intimité, et il y avait en fait des dizaines de raisons potentielles pour que celle-ci n’ait pas forcément envie qu’on parle d’elle dans les journaux ou sur les réseaux sociaux.

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"Louder than sirens Louder than bells Sweeter than heaven And hotter than hell ♪" La coupe qui t’arriva sous le nez précéda les paroles de Zatanna, qui t’arrachèrent un sourire facétieux. La malice de cette magicienne faisait vraisemblablement résonner ce qu’il pouvait y avoir de meilleur en toi. Tu plantais tes yeux dans les siens, pouvant aisément voir les iris perlescentes au travers de son sortilège. Hm ~ exprimais-tu sans vraiment de gêne en poussant à ton tour la glace vers elle. Il était trop facile de lire dans son jeu et ça t’amusais de toute manière beaucoup trop. C’était comme si vous jongliez de la sorte depuis une éternité. Les saveurs qu’elle avait choisies allaient elles aussi curieusement bien ensemble. Tu ne pouvais pas t’empêcher de les comparer à vos deux parcours, vos deux styles et vos deux personnalités. Zatanna, en apparence austère parfois, tout de sombre vêtue, irradiait. C’était quelqu’un de solaire et de vivant, qui n’avait peur de rien décriait ouvertement la femme qu’elle était et ce qu’elle prônait dans l’existence. Et toi ? Que dire de toi si ce n’est l’inverse. Parée de couleurs, d’extravagance, on ne pouvait se figurer à quel point tu étais renfermée, insensibilisée. Ton apparente confiance en toi explosait d’autant plus pour couvrir cette enfant recroquevillée à l’intérieur, terrée loin de toutes ces choses que tu avais toujours aussi peur d’affronter : Les hommes, les espaces exiguës et l’océan. Si tu t’en approchais, c’était simplement pour mieux les jauger mais surtout parce que tu n’avais presque connu qu’eux. Le changement qu’elle poussait vers toi, la magicienne, tu t’y ouvrais avec douleur. T’avais la sensation que ta carcasse s’ouvrait et que ces constats sur ton évolution te laisseraient exsangue. Mais qu’elle se rassure, la peine et la peur étaient ce qui t’ancraient encore dans le présent, et tu l’en remerciais pour ça. Au travers de ses yeux tu t’étais vue changée, métamorphosée, et ce d’une toute autre manière que d’habitude. Un changement intérieur qui, tu l’espérais, te donnait une certaine forme, de la force et de la chatoyance. Elle semblait pensive, la jolie brune, alors tu te redressais sur ton séant quand elle ouvrit la bouche. Ce jeu de circonstances, se revoir après tant d’années t’empêchait de croire en une quelconque coïncidence. T’avais jamais trop compris la magie mais tu te demandais si les gens comme elle attiraient ces types de coup du sort. le cas inverse t’aurais davantage étonné, et un attrait soudain pour le mystique se logea dans ton esprit curieux. Tu avais des questions, et les sessions de danse se peupleraient de discussions sur les arts occultes, sans l’ombre d’un doute. Tu finis par t’allumer une clope. La serveuse n’osa pas protester puisque tu remplissais quand même pas mal leur caisse, en plus d’en imposer assez. Ça te déranges pas ? demandais-tu avant d'absorber une bouffée, la cigarette pincée entre tes lèvres pleines et maquillées. Ressasser ce genre de trucs me tend, crois moi je suis bien plus agréable avec ma dose de nicotine… finis-tu par justifier. Tu contemplais ta coupe colorée presque vide, encadrant les dernière cuillerées de fumée toxique. Ah, tu étais une bien belle escroquerie désormais. Plongée dans le cœur même d’un cyclone, c’était comme si tes démons dansaient en cercle autour de toi, dans une ronde incessante, t’obligeant à t’empoisonner de toutes part pour ne pas succomber. L’alcool, le tabac et ton art étaient encore aujourd’hui, les seuls et rares moyens que t’avais trouvé pour ne pas devenir une bête, pour garder les poumons hors de l’eau. Tes jolies yeux verts voyaient rouge la plupart du temps, et cette flamme qui te consumait te brûlait autant qu’elle t’animait. Est-ce que tu craignais la popularité ? En fait, le succès serait à l’avenir ta plus grande couverture. Et puis, de toute façon, si vraiment un jour tu souhaitais disparaître, il te suffisait de changer de visage. Tu haussais donc les épaules puis dodelinait de la tête à la négative : Ne t’en fais pas pour moi, vraiment. Je suis sûre que mon patron serait content, et si en plus ça me permet de voyager un peu cette histoire, je serais gagnante. T’avais bien l’intention de ne pas te faire démasquer pour l’ensemble de tes crimes, mais d’un autre côté, en ce temps là tu n’en avais pas commis beaucoup de répréhensibles. T’avais un petit espoir, que, peut-être ce genre de célébrité pourrait réveiller quelqu’un, quelque part. Un parent, un ami, qui te reconnaîtrait, même après toutes ces années de captivités. Tu avais cherché tant bien que mal mais, de toute évidence, si on avait déclaré ta disparition il n’y avait pas eu de vraie enquête. Tu n’avais pas dû être une enfant d’assez bonne famille, ou le cas n’avait pas assez intrigué pour remuer les foules. Alors, tu souriais à Zatanna : Bon, j’en parle avec mon boss et on se le fait, ce show ?Tu lui tendis la main comme pour sceller cet accord, sans penser même une seconde à un refus puisque te référer au propriétaire du club n’était que par pure correction. En rentrant, tu te voyais déjà faire des croquis de tenues -sans pois pour Zatanna mais de toute façon pour qui te prenait-elle, de lumières et de chorégraphies. Cet enthousiasme te fis chasser le reste en moins de deux, ce qui ne fit que confirmer que oui, elle était vraiment magique, cette fille.

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Il y avait peut-être des choses à ne pas dire et des sujets à ne pas aborder dans un glacier, devant deux énormes coupes de glaces, c’est sûr, mais Zee était du genre les pieds dans le plat, avec ce genre de choses. Du genre aussi à dire tout haut ce qu’elle pensait tout bas en termes d’émotions, comme ce qu’elle ressentait maintenant, en cette seconde, cette sensation de seconde chance, et c’était si rare, en vérité, les secondes chances, i rares et si précieux. Oui, elle était vraiment heureuse que le hasard les ait faites se croiser à nouveau, et rien n’aurait pu effacer de son visage le sourire presque victorieux qu’elle affichait, pas même quelque vapeur de nicotines. Zee secoua la tête sans se départir de son sourire. « J’ai l’habitude, t’en fais pas. J’en connais d’autres, des comme toi. » Des accros aux clopes et à l’alcool pour qui fumer et boire, ce n’était pas seulement tarir une envie pressante, mais aussi esquisser un geste familier et apaisant, reprendre le contrôle, se donner le temps de réfléchir, parfois même se servir de la clope ou du verre de gin comme d’un bouclier. Malgré tout, Zee étant ce qu’elle était, elle murmura un sort à l’envers et leva le menton pour aspirer doucement l’air au-dessus de leurs têtes. La fumée de cigarette s’enroula sur elle-même, tout en circonvolutions, comme une danseuse du ventre éthérée, puis fila se glisser par l’interstice entre la fenêtre contre laquelle elles étaient assises. À chaque fois que Jane soufflait une bouffée, la fumée filait automatiquement vers l’extérieur, poussée par une force invisible, douce et clairement magique – ce qui était drôle ; la danseuse aurait pu aller souffler sa fumée à l’autre bout de la pièce, et même dans les toilettes, que le nuage de nicotine serait revenu à cet endroit précis pour s’échapper. De quoi apaiser la vendeuse, on ne savait jamais, si elle refusait une carte de fidélité à Jane la prochaine fois.

Apparemment, ça ne posait pas de problème à Jane, de se voir révélée à la lumière des projecteurs. Zee en déduisit qu’a priori, sa nouvelle collègue ne se cachait pas actuellement d’une quelconque Némésis, ce qui était déjà pas mal. « Oui, ce serait bien que l’on fasse une petite tournée. Et bien sûr, on partagera les gains. Je ne suis pas vénale, mais ça aide pas mal pour envisager l’avenir immédiat de manière sereine, et je ne pense pas trop m’avancer en supposant que ton patron ne te paye pas des mille et des cents. » Zee, elle, était riche, puisqu’elle avait été, avant ça, une gosse de riche, un statut qu’elle ne cachait pas mais dont elle ne faisait pas étalage non plus, à quoi bon, de toute façon ? Elle dévora quelques cuillerées de sa glace, puis s’interrompit le temps de se saisir de la main que Jane lui tendait. « C’est entendu. Si besoin, je peux demander à ma manager de contacter ton patron, au cas où il se ferait prier pour te libérer quelque temps. Elle a d’autres artistes dans son écurie qu’elle pourra lui proposer pour prendre momentanément ta place – assez bon pour ne pas te faire honte, mais pas autant que toi pour ne pas que ton patron veuille te remplacer. » Elle adressa un clin d’œil à Jane. Enfin, si celle-ci avait envie de retourner à son ancien travail après avoir connu l’ivresse de la scène. Ce pourquoi Zee vivait, mais elle savait que ce n’était pas le cas de tout le monde. Et puis, ce genre de changement, dans une vie, ce n’était pas rien, même si de toute évidence, la danseuse était déjà passée par quelques changements d’importance. Et ainsi se conclut leur deal, autour de coupes de glace indécentes dans un obscur glacier d’Orchid Bay – le spectacle avait déjà commencé.

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