Nobody likes a sad clown. [Ft. Ace - FLASHBACK]

Certes. Il n’y avait eu que la petite Acelya Doe qui semblait avoir trouvé l’idée de la Reine brillante et géniale… qui pensait que c’était quelque chose qui pouvait être tenté, afin de redonner le sourire à la Wild Card, le chef de cette troupe de joyeux psychopathes et de déséquilibrés en tout genre. Mais bon. Raginwald commençait à connaître Jack, Ten et, bien sûr, King : ils n’étaient pas drôles. Ils n’aimaient pas prendre trop de risques, en particulier les deux premiers cités. Le jeune homme n’avait, n’a et ne comprendra jamais pourquoi son petit frère et sa grande sœur désiraient tant être droits dans leurs bottes et vivre une vie normale en dehors de celle qu’ils menaient déjà ; une vie qui était bien plus amusante et drôle que le quotidien de Monsieur ou Madame tout-le-monde auquel le dix et le valet aspiraient… Mais bon ! Chacun ses goûts, comme le dit l’expression. C’est ainsi que l’ace et la reine quittèrent la planque du Joker pour se rendre à Amusement Mile. Ce n’était pas vraiment très loin et c’était plutôt une bonne chose, sans compter l’absence des habituels clients du parc qui ne mettaient plus un pied ici, étant donné la situation actuelle. Parfait ! Le garçon aux yeux bleus esquissa un large sourire et répondit à sa sœur adoptive avec un enthousiasme pas le moins du monde voilé :

« Oui ! C’est tout simplement perfecto molto bene ! »

L’adolescent serra doucement la main de la jeune fille, craignant toujours inconsciemment de lui faire du mal sans le vouloir. Si blesser, torturer ou tuer des abrutis ne le dérangeait pas le moins du monde, meurtrir le moindre petit cheveu de Ace lui semblait être un acte impardonnable. Et il pardonnerait encore moins cette personne si cette dernière se révélait être lui. Il secoua vigoureusement la tête et retrouva le sourire qu’il avait perdu lorsque cette ombre avait eu le culot de pointer le bout de son nez dans sa caboche. Bon. Par où commencer ? Par quoi commencer ? Fallait-il décorer le parc ? Hm… Tout d’abord, il fallait vérifier que tout était en état de marche. Qui sait, peut-être que certaines attractions étaient défaillantes ? Raginwald ne se pardonnerait jamais s’il arrivait quelque chose à son papatron ou à qui que ce soit (qui ne soit pas un plouc) au sein du gang. Il s’aventura à l’intérieur du parc, suivi de sa petite sœur, dans un silence qui n’était pas coutume au jeune homme : c’était pourtant compréhensible puisqu’il voulait que tout soit parfait.

« Hm… Tu crois qu’il faudrait mettre des ballons ? Peut-être que le mieux serait de checker que tout est nickel avant de redonner de la couleur à ce parc ? Qu’est-ce que tu en penses, frangine ? » demanda-t-il en installant ses prunelles dans celles de l’adolescente ; il n’avait pas peur de ses pouvoirs et n’hésitait donc aucunement à la regarder dans les yeux.

« Je vais vérifier que tout est en ordre. Prépare les ballons, pendant ce temps. » répondit la petite préadolescente.

Et avant même que le jeune homme ne puisse répondre, elle était déjà partie s’occuper des vérifications. Raginwald sourit et ne s’inquiéta pas tout de suite pour sa petite sœur ; elle était plutôt forte et puissante malgré la petite carcasse maigrichonne qu’elle se trimballait. Une apparence trompeuse qui était la preuve même que l’habit ne faisait pas le moine. La Reine s’attela donc à la délicate tâche des ballons : un défi pour une personne telle que lui. Pas que le souffle lui manquait, loin de là ! Non… mais sa patience et son attention n’étaient pas des plus aiguisées. Il se lasserait bien vite de cette action qui doit forcément se répéter afin de pouvoir dresser une armée de ballons, tous plus colorés les uns les autres. Après en avoir gonflé plus d’une trentaine, ce qui était déjà un exploit pour Rain, le jeune homme cessa cette activité ennuyeuse et se concentra sur d’autres tâches plus amusantes qu’il avait déjà entamé entre deux ou trois ballons remplis d’air ou d’hélium. Lorsqu’il termina enfin ce qu’il avait commencé (soit par ennui, soit parce qu’il avait réussi à conclure la tâche), il s’interrogea sur l’absence de la petite fille. Acelya n’était pas le genre de gamine à laisser le moindre petit accroc lorsqu’elle entreprenait quelque chose. C’était une qualité mais également un gros et vilain défaut car elle, et l’adolescent le savait pour en avoir été témoin, pouvait s’épuiser très rapidement si elle forçait un petit peu trop avec ses pouvoirs. Raginwald se lança donc à la recherche de sa très chère petite sœur, soudain angoissé à l’idée que cette dernière ait pu tomber dans les pommes ou peut-être même pire. Toute son attention et sa concentration étaient focalisées sur Ace. Il fallait absolument la retrouver, et vite. Très vite. Le carrousel ? Non. Elle n’y était pas. Le Palais des Glaces ? Non plus… Et puis pourquoi irait-elle là-bas ? Réfléchis, Rain. Réfléchis ! Le jeune homme se maudit un instant de ne pas avoir pour capacités celles de détecter les personnes ou de lire dans les pensées. Mais se lamenter ne l’aiderait pas à retrouver l’adolescente. Concentre-toi, Rain ! Où pourrait-elle se- Le Grand Huit ! Mais bien sûr ! La Reine de la Quinte Flush Royale se précipita dans cette direction et rencontra enfin le visage, aux traits détendus par la fatigue, de la carte la plus puissante du groupe.

« Bon sang ! Ace ! Ça va ? » furent les seuls mots que le jeune homme se sentit capable de prononcer avant de se jeter aux côtés de sa petite sœur.

Il était réellement inquiet et examina avec attention la préadolescente. Il fronça les sourcils et essuya le nez de la petite avec un mouchoir qu’il traînait avec lui au cas où il abuserait de ses pouvoirs. Il n’aurait jamais pensé en avoir besoin pour Ace. Elle était très souvent prudente, quand elle le voulait bien. Rain vérifia ensuite la température de cette dernière, la redressa doucement contre l’une des colonnes qui soutenaient l’attraction à sensations fortes du parc et lui tendit du sucre. Son regard exprimait une très grande inquiétude. On pouvait presque y lire cette phrase : « Qu’est-ce qui t’as pris de pousser autant ? ».

Acelya Doe était la petite fille parfaite ; une enfant sage, calme et plutôt réfléchie… Une préadolescente mature et intelligente pour son jeune âge, capable de raisonner comme un adulte avec sa logique juvénile. Une logique qui lui était propre, mais c’était ce qui faisait le charme de cette gamine. Raginwald la connaissait bien, bien mieux que King, Jack ou Ten. Bien mieux que la Wild Card qui représentait, pour les enfants méta-humains, la figure paternelle.
Acelya Doe était la petite sœur la plus adorable et la moins embêtante au monde. Elle était la petite fifille à son papa. Une enfant qui ne changerait jamais de voie, même si elle se retrouvait contre vents et marées : combler de bonheur son père adoptif, lui redonner le sourire- c’était tout ce qu’elle pouvait faire pour le remercier de sa bonté. Et l’adolescent ressentait la même chose. Cet homme les aimait, les nourrissait, leur donnait- donnait une raison à Ace d’exister. Une raison de vivre. Une vie bien meilleure que celle d’un esclave, d’un rat de laboratoire à la solde de l’organisation ARGUS.
Mais une pareille imprudence… Ce n’était pas quelque chose qui caractérisait la préadolescente méta-humaine ; elle saignait du nez, était en piteux état et semblait d’ailleurs au bord de l’évanouissement. Quelle mouche avait bien pu la piquer, sérieusement ? Enfin- Personne et je dis bien personne, ne laissait Ace abuser de ses capacités. Jamais. Tout le monde prenait bien soin de faire en sorte qu’elle ne dépasse jamais ses limites. Jamais. Jamais. Jamais personne ne la laissait forcer autant sur ses pouvoirs.
Pendant que Raginwald s’occupait de la petite fille, une pensée sauvage vint le déconcentrer quelques secondes : s’il devait ajouter un adjectif pour décrire sa sœur, il choisirait probablement le mot "têtue" et pas comme une mule. Oh non ! Ace était bien plus têtue que cette fameuse mule. Elle essayait de se montrer rassurante mais sa voix, sifflante et tremblante, avait pour effet de déclencher une anxiété encore plus grande. Le jeune homme s’appliquait à ne pas oublier la moindre étape afin de s’assurer que les jours de Ace ne soient pas en danger et pour s’assurer qu’elle ne réutilise pas une nouvelle fois ses pouvoirs alors qu’elle n’était plus du tout en état de le faire.

« Je voulais que tout soit parfait pour Papa. »

« Hm… Je ne sais pas si tu as connu mes parents, marmonna le jeune homme en jetant un bref coup d’œil vers la fillette. Je crois que non. Ouais. Tu n’as pas pu les connaître. » Conclue-t-il tristement.

La tête aux boucles brunes leva doucement les yeux pour croiser ceux de la jeune fille, qui semblaient lui poser des milliers de questions. Il était de fait que sa petite sœur ne savait rien du Raginwald qui a perdu ses parents… du Raginwald qui a commencé à haïr ARGUS lorsqu’il avait finalement compris ce qui était arrivé à son père et à sa mère. Elle ne savait pas ce qui s’était passé à cette époque-là. Elle n’existait pas encore, si l’adolescent ne se trompait pas dans ses calculs. Il céda au regard interrogateur de l’Ace du Royal Flush Gang. Un soupir.

« Mes parents étaient des méta-humains. Comme moi. Je ne- Je ne me souviens pas très bien de- Je ne sais plus à quoi ils pouvaient bien ressembler. Je suis né dans une base de ARGUS. J’ai toujours vécu entre quatre murs. Je crois- que mes parents voulaient essayer de s’enfuir. Avec moi. Ils ont jamais réussi. ARGUS a- Ils ont… Ils ont… donné un "avertissement". Mais… Mais mes parents n’ont pas laissé tomber. Je me souviens vaguement- de- quelque chose. C’est flou. Je crois que leurs têtes ont- elles ont explosé. J’étais- jeune. Très jeune. Mais j’ai- Je crois que je n’ai pas compris ce qu’il a bien pu se passer avant- avant un certain âge. Et- ils me manquent. Même si je ne me souviens pas très bien de qui ils étaient. Voilà. Maintenant… Tu connais Raginwald avant que tu n’arrives à ARGUS. Tu connais Raginwald avant qu’il ne devienne Queen. Bref... Tout ça pour dire- Ne te mets pas en danger. Je ne veux pas te perdre. »

Des larmes perlaient sur le visage de la Reine : Elle n’avait aucunement éludé l’interrogation de la préadolescente et avait répondu en toute honnêteté. C’était dur, très dur. Faire remonter de tels souvenirs à la surface… ce n’était jamais bien agréable. Mais il le fallait : l’Ace était curieux et venait de se mettre littéralement en danger. Et si- Et si la petite carte avait perdu connaissance en plein milieu d’une réparation ? Un tuyau ou quelque chose de lourd et métallique- Quelle horreur ! Raginwald refusait d’imaginer un tel scénario et pourtant des alternatives terrifiantes comme celles-ci, il pouvait en visualiser des centaines. D’accord, c’était pour Papa- enfin Le Joker- LE PAPATRON ! Mais ce n’était pas important au point que sa petite sœur y laisse sa peau. Oh ça non. C’était l’une des raisons pour lesquelles il lui avait expliqué ce- qui s’était passé il y a quelques années auparavant : pour éviter de perdre encore quelqu’un qui lui était très, très, très, très cher. Pour ne pas perdre une personne qui avait son nom gravé dans son cœur.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsque la petite adolescente faufila l’une de ses délicates mains, fragiles comme de la porcelaine, dans la sienne afin de pouvoir doucement l’étreindre dans un silence inviolable, sacré, qui semblait rendre hommage aux disparus. Soudain, un secret se retrouva dévoilé… par la bouche même de la muette.

« Je n’ai jamais connu mes parents. Enfin si, je suppose, je ne suis pas née à ARGUS. Je ne me souviens pas de leurs visages. Juste des agents me traînant dans une base d’ARGUS et… De cet appareil sur ma tête, juste après. Papa a dit qu’ils étaient morts. »

Le jeune homme garda le silence, motus et bouche cousue. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il sentait que sa sœur n’avait pas fini et elle s’exprimait si peu que lui priver de cet instant serait un véritable crime, un sacrilège… le pire de tous. Elle lui expliqua qu’elle n’avait donc jamais connu l’amour d’un parent et avait déduis toute seule que celui que lui apportait la Wild Card n’était pas le même que celui que pouvait apporter un parent sain d’esprit. Enfin- si ses parents l’avaient été un jour : Raginwald n’en savait pas grand-chose à vrai dire. Il était trop jeune à cette époque.

« C’est- un peu comme ces héros. Tu vois ces équipes, genre… La Bat-Family ou la Young Justice ? Ces guignols, ils sont comme une famille, j’en suis sûr ! Bon, faut dire que pour la première équipe, c’est évident. Mais- en gros. C’est avoir des gens sur qui tu peux compter. Des gens avec qui tu te sens bien, en confiance. Vous vous protégez mutuellement et il y a ce lien spécial qui vous connecte. Comme un lien magique. J’imagine que c’est pour ça qu’on a du mal avec les Bat-eaux. » répondit la Reine en toute franchise.

Quelle était la parfaite définition du mot "famille" ? Des individus partageant les mêmes gênes, le même sang ou le même nom de famille ? Les mêmes traits ? Était-ce le lien psychique, émotionnel qui faisait une famille ou bien était-il nécessaire que quelque chose de génétique entre en jeu ? C’étaient des questions que le petit Raginwald s’était posé de longues années durant, enfermé entre les quatre murs de sa "chambre" offerte par la base de l’organisation ARGUS à l’intérieur de laquelle il- avait vécu… la plus grande partie de son enfance. Il s’en serait bien passé, d’ailleurs. Mais s’il n’avait pas été un vulgaire cobaye, alors il n’aurait jamais rencontré Ace et les autres. Ace et Le Joker. Il serait probablement seul, idiot et inconscient du monde qui l’entoure et de la souffrance que peuvent subir des gens un peu moins chanceux que soi.

« On est une famille, tous les deux, non ? » demanda la jeune fille en levant les yeux dans sa direction.

Raginwald remarqua une petite lueur dans le regard de sa petite sœur ; une lueur que peu de gens remarqueraient et que beaucoup ne verraient tout simplement pas… se perdant ainsi dans le trou noir que représentaient les iris sombres de l’adolescente. Se plongeant dans une folie enivrante et terrifiante. Mais sa Majesté connaissait très bien l’As de la Quinte Flush Royale et même si cet éclat était discret, timide et perdu dans l’obscurité de ce vide spatial et immense- Oh. Tant d’émotions pouvaient se lire dans ses yeux. Elle ne posait pas cette question au hasard, elle avait réellement besoin d’une confirmation : dis-moi que nous sommes liés, que nous sommes une famille et que nous ne nous abandonnerons jamais… Dis-moi que l’on pourra toujours compter l’un sur l’autre sans jamais craindre la trahison. Dis-moi que je suis en sécurité avec toi, que tu resteras toujours mon grand frère même si parfois tu m’agaces avec tes jacailleries et tes bêtises. Elle avait besoin d’entendre une réponse et pas un mensonge- oh non. Elle voulait entendre la vérité. La vérité pure et une vérité qui saurait la réconforter et la rassurer. Et cette vérité, c’était… que oui. Ils étaient une famille.

« Bien sûr que oui, Acelya ! répondit-il en tapotant le nez de sa petite sœur du bout de son doigt long et plutôt fin. Il ajouta ceci : Tu es ma petite sœur après tout ! Et c’est pas parce que tu es une petite tête de mule qui boude tout le temps que je vais cesser de t’aimer ! »

Un rire. Sincère. Avant que l’adolescent ne reprenne son sérieux et ne serre la petite demoiselle dans ses bras en lui demandant une nouvelle fois de ne pas se mettre en danger comme elle l’avait fait aujourd’hui. Pas même pour Le Joker : il s’en chargerait. Il était plus vieux, c’était donc à lui de mettre sa vie en jeu. Pas à elle. Non. Pas à elle. Elle était trop jeune.