Enter the swamp || Arte

enter the swamp

L’air était humide et moite. Il portait la vie elle-même – les bactéries microscopiques qui faisaient la fiesta dans ce genre d’environnement. Aux yeux de Tefé, le marais était le cœur du Green, et pourtant elle savait qu’il était partout. Mais ici elle était née, et ici étaient tous ses repères. Elle revenait toujours dans le bayou, et plus particulièrement à Houma, où vivaient ses parents. Elle venait de leur rendre visite et comme toujours, ces quelques jours passés à leurs côtés avaient détruit toutes les barrières qu’elle passait tant de temps à bâtir. Sa confiance en elle, ses certitudes, son refus de rentrer dans le rang. Le rang, quand on était un élémentaire de la nature, cela voulait dire le Green. La grande soupe, la conscience collective. Si disparate malgré tout. Elle n’avait pas encore le courage de vider les lieux. Elle avait mis des dizaines de kilomètres entre elle et ses parents, mais elle continuait d’errer dans le marais en attendant de trouver la force de repartir sur les routes, même si elle ne savait toujours pas pour faire quoi. Personne à aller voir, personne qui n’attendait sa visite, aucune autre lutte à mener que celle, perdue d’avance, aussi immense que l’Univers, de sauver la nature des mains avides des hommes. Par quoi elle était censée commencer ? Avant de voir son père et sa mère, elle savait. La violence, et puis voilà. Pas de quoi en faire tout une histoire. Mais comme toujours, l’avatar du Green avait su jeter par terre tout ce qu’elle croyait savoir. Ça passerait. Ça passait toujours. Mais en attendant, elle était là, assise entre deux racines noueuses d’un arbre deux fois centenaires qui plongeait profondément sous la surface de l’eau stagnante et boueuse du bayou. Et elle profitait des bruits de la nature, parce qu’il n’y avait pas plus bruyant que le marais pour qui savait écouter.

Ces six mois sans activités humaines plus les quelques mois de battement qu’il leur avait fallu pour reprendre le contrôle de leur existence avaient fait beaucoup de bien à la nature. Dans le bayou, la nature avait toujours été luxuriante, c’était un des biotopes les plus difficiles d’accès pour les hommes. Ils savaient très bien comment assécher un marais, mais ça demandait des moyens, et du temps, et dans l’ensemble, à part quelques marées noires, raffineries de pétrole nichées à l’abri des regards et bûcherons occasionnels, c’était un milieu assez à l’abri. Du moins ici, si près de là où vivait la créature du marais. Parce que c’était également un milieu extrêmement fragile. La température de l’eau, la moindre disparition d’un insecte, une mousse malade dévorant les troncs, et c’était la catastrophe. Mais depuis son retour de Terre IV, Tefé profitait du mieux qu’elle pouvait de ce qu’elle voyait : la canopée plus verte et sombre que jamais, les nuées d’insectes qui lui giflaient les joues par vagues entières, les herbes hautes et grasses qui avaient tout envahi… Déjà, les humains tentaient de récupérer ce qu’ils considéraient comme leurs terres. Leur sol. Ils venaient avec des tronçonneuses, des bulldozers, des pompes, et tentaient de regagner, mètre par mètre, ce que la nature avait grignoté en leur absence. Mais ces quelques mois de liberté, Tefé les ressentait partout, et elle savait aussi que le Green devait reconsidérait la question des humains. En tout cas, d’autres Parlements avaient déjà fait leur choix, eux. Tefé avait compris, de sa discussion avec son père, que la guerre pouvait très bien être déclarée à tout moment entre la nature et les hommes.

Elle agita la jambe qu’elle avait plongée dans l’eau trouble. Elle ne pouvait pas s’empêcher de repenser à ce qu’elle avait vu et vécu sur Terre IV. Comment elle avait haï, de toute son âme, les Atlantes et les Amazones qui avaient assassiné la planète. Et comment l’avatar du Green, là-bas, était si malade, si faible, et si plein de haine, aussi… Il y avait un infime risque que ce qu’elle avait vu là-bas ne soit qu’un aperçu du futur… Il semblait certain en tout cas que la nature était à l’agonie, ici. Peut-être pas à cause d’une guerre stupide entre deux clans, mais cela revenait au même. Et cela la faisait frémir. Teeeefffffé… Viens à nous… Elle agita la main près de son visage comme pour chasser un moustique. Depuis sa visite à son père, le Parlement des arbres ne cessait de la convoquer. Mais la dernière chose qu’elle voulait, c’était aller voir ces vieilles croûtes. Même si elle savait qu’elle finirait par craquer. Parce que, même si elle les détestait, elle était sûre qu’eux au moins, voulaient la guerre contre les hommes. Contrairement à Swamp Thing. L’objet de leurs disputes perpétuelles. Mais en attendant, elle n’était pas prête à traverser le continent jusqu’au trou du cul de la forêt brésilienne pour aller se taper des sermons de la part du Parlement. Elle baissa les yeux sur un alligator qui flottait à quelques mètres d’elle comme la grosse feignasse qu’il était. Puis elle sentit de nouveau un frémissement et releva le nez. Là-bas, face à elle, les buissons s’agitaient. Il y avait quelqu’un. Elle se leva d’un bond, en colère. Même ici, même au cœur le plus touffu, le plus sombre du marais, il y avait encore des humains pour venir souiller les lieux de leur présence. « Qui est là ? » Elle avait posé la question, mais elle n’attendit pas la réponse. Avant que son père ne devienne un hippie au grand cœur, il traitait tous ceux qui s’aventuraient dans son marais de la même façon : par la violence. Elle bondit entre les fourrés, son bras transformé en une branche acérée, et tomba sur une jeune femme à la stature athlétique, surtout à côté d’elle qui était une planche à pain maigrichonne. Elle avait l’air d’une Amazone, et cela énerva encore plus Tefé, qui sans politesse lui donna un coup en pleine poitrine, dans l’intention de la transpercer de part en part. Sauf qu’elle sentit juste son épaule trembler sous le choc et rebondit en arrière, comme si elle venait de cogner un mur. Aïeuh.

Codage par Libella sur Graphiorum

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Tefé n’avait pas l’habitude qu’on lui dise non. Et même quand on lui disait non, elle passait outre. Dans le meilleur des cas, on avait peur d’elle, on détournait les yeux, on rentrait la tête dans les épaules, on la suppliait, on s’avouait vaincu. Dans le meilleur des meilleurs des cas, on tentait de se défendre, mais alors c’était pour elle l’occasion de donner des raclées, chose qu’elle faisait avec la facilité de l’habitude. Cela faisait très, très longtemps qu’on ne lui avait pas dit non, de vive voix ou de manière plus métaphorique. Alors quand son coup ne fit rien à l’intruse, et qu’en plus Tefé lui rebondit dessus comme un fétu de paille, l’élémentaire en resta quelques secondes interdites. Comment ? Quoi ? On osait se défendre ? On refusait de se faire attaquer gentiment sans raison et de se soumettre ? Si elle avait été dans de meilleures dispositions, Tefé se serait bien rendu compte de la bêtise de son attitude, mais elle n’avait pas envie de réfléchir à ses actes, en ce moment. Elle regarda la femme au travers du rideau de ses cheveux humides et hésita une seconde – elle était grande et costaud, mais bien proportionnée, en fait elle ressemblait à une Amazone, et avant son passage sur Terre-IV, Tefé n’aurait pas vraiment su à quoi ressemblait une Amazone, vu qu’elle n’avait jamais vu que Diana. Mais maintenant elle savait, et cette femme en était une, et des images de violence lui revinrent en mémoire, comment elle avait failli crever comme une loque dans un campement amazone, là-bas sur New Themyscira, et le monde en ruine sur lequel ces harpies régnaient, et la nature à l’agonie, et son père… C’était là des souvenirs bien trop douloureux et affolants pour qu’elle garde le peu de contrôle qu’elle possédait en temps normal. Elle se releva en grognant comme une bête, bien décidée à déchirer la chair de cette Amazone, peu importe qui elle était, ce qu’elle voulait, ce qu’elle faisait là, sans même prendre le temps de lui poser la question, et…

Elle sentit quelque chose s’enrouler autour de son bras et l’attirer vers la femme, et elle eut beau essayer de résister, elle s’envola comme un grain de poussière. Encore une chose à laquelle Tefé n’était pas habituée. Être la plus faible dans un combat. Se confronter à quelqu’un de plus fort qu’elle. Autant dire que ça ne lui arrivait quasiment jamais. Elle se retrouva nez à nez avec une épée au clair et jeta un regard noir dans la plus pure tradition des sauvageonnes à l’inconnue. Est-ce qu’elle venait de Terre-IV ? Est-ce que c’était le début de la fin pour cette Terre-là aussi ? Un nouveau plan de Brainiac ? Ou bien les Amazones de cette Terre avaient été inspirées parce qu’elles avaient vu sur New Themyscira ? Forcément, Tefé pensait toujours au pire. Un genou à terre, elle avait la main enfoncée dans la boue. Derrière l’Amazone, la nature frémissait, et bougeait. Des lianes, des branches, des racines, tels des centaines de serpents, ondulaient dans l’ombre et se jetèrent soudain à l’assaut de la femme, s’enroulant autour de ses bras, ses jambes, sa taille, son cou. Ah, elle aussi elle pouvait faire le coup du lasso, mais fois dix mille ! Une liane s’enroula autour du bras qui tenait l’épée pour la lui faire lâcher. Normalement, il n’en fallait pas beaucoup. « C’est chez moi, ici ! » Oh, la menteuse. Ce n’était pas vraiment chez elle, la nature n’appartenait à personne. Mais c’était le territoire que Tefé avait juré de défendre. « C’est toi, l’intruse ! On n’a jamais vu une Amazone ici, qu’est-ce que tu veux ? T’approprier la Terre, comme là-bas, sur ce monde horrible ? » Tefé adorait Diana. Du moins elle adorait l’idée qu’elle s’en faisait depuis qu’elle était jeune, en laissant de côté ce qui ne lui plaisait pas – spécifiquement ses discours de paix. Mais en vérité, elle savait peu de choses des Amazones. N’étaient-elles pas juste des femmes, comme les humains pouvaient être des femmes ?

Elle tira sur le lasso pour tenter de faire lâcher prise à l’inconnue, puis l’attrapa à deux mains, se rapprochant d’elle pour se donner du mou, et mordit le lasso à pleines dents comme un animal pris au piège par un chasseur, mais bien sûr c’était inutile. Et cette femme n’avait pas lâché son épée, encore ! Soudain, un alligator jaillit de l’eau trouble à leurs côtés pour claquer sa puissante mâchoire sur le lasso. Tefé l’encouragea jusqu’à ce que l’arme cède sous les coups de dents, et la jeune femme fit un rouler-bouler en arrière et s’étala dans la boue avant de se relever d’un bond. « Va t’en ! Dis aux autres de se cacher ! Je m’en occupe ! » Elle s’adressait à l’alligator qui l’avait libérée, lequel replongea dans l’eau à la vitesse d’un sénateur, pas effrayé pour un sou, contrairement à Tefé. Elle sentait que l’Amazone résistait aux branches et aux racines. Qu’elle n’arriverait pas à la dépecer en morceaux comme elle le faisait des fois avec les humains à la chair si fragile. Comment était-celle censée protéger me bayou si elle n’arrivait pas à se défaire d’un seul ennemi ? Elle sentait déjà l’énergie du Green refluer, les lianes et le bois se retirer, comme s’ils s’étaient cassé les dents sur la femme. « Le Green ne reculera pas devant vous et vos tronçonneuses et vos bulldozers ! Ce qu’il a gagné ces derniers mois, il le gardera. » Bon, l’inconnue n’avait pas la tête d’une bûcheronne. Mais ce n’était pas son problème, à Tefé. Elle cherchait juste un moyen de la tuer, sauf qu’elle n’en trouvait pas. Alors elle sauta de nouveau sur le dos de l’Amazone, parce qu’elle n’était pas du genre à apprendre de ses erreurs du premier coup, et, ses bras se changeant en bois dur, ils s’enroulèrent autour du cou de la femme, tandis que ses jambes maigrichonnes étaient serrées autour de la taille de l’intruse.

Codage par Libella sur Graphiorum