search & rescue (mission 1)

Koriand'r se sentait sale. Sale et répugnante. Des sensations qu'elle n'avait plus ressenti à ce point depuis de nombreuses années. Pour ainsi dire, cela remontait à sa fuite des laboratoires de ces dégénérés de Psions, alors que les sbires de sa chère sœur en voulaient eux aussi à sa peau. Sans doute pour en faire un jeté de lit, ou bien un tapis, à bien en connaître l'être que se révélait encore être sa sœur aînée, Komand'r, et ce même après ces longs mois de tortures et d'expérimentations défiant toutes les lois de l'intégrité, de la décence et de l'humanité, pour peu qu'un tel concept puisse s'appliquer à des êtres qui, de part et d'autres, Psions comme Tamaraneannes, n'avaient génétiquement rien d'humain. Autres temps, autres lieux, sans doute, mais il n'en demeurait pas moins que Koriand'r se sentait entièrement souillée, jusque dans son âme, sur le moment. Elle s'en voulait tellement de n'être personnellement pas intervenue pour mettre la dérouillée à Brainiac et à ses fichus desseins. Elle s'en voulait d'avoir choisi de rester à Star City pour veiller sur la ville, sur sa population, et sur tous ces sans-abris qui avaient fuis les villes visées par Brainiac et qui n'avaient eu d'autres choix que de trouver refuge ailleurs. Pour sûr, la criminalité n'avait pas fait de bond hallucinant sous la supervision de Starfire, même avec tous ces nouveaux arrivants. Mais pour sûr aussi, elle n'avait pas quitté les limites de la ville, et avait pu, chaque nuit, border sa fille dans son lit sans avoir à scruter les cieux pour y surveiller quelque vaisseau projetant son ombre menaçante sur la Tour. Elle avait préféré rester en retrait, pour protéger Mar'i, pour veiller sur les Titans, aussi, et pour se positionner en tant que protectrice de Star City. Dans les faits, ses intentions étaient sans doute louables et respectables, car il avait réellement fallu veiller sur la ville. Mais dans le fond ... Dans le fond, elle avait eu peur. Elle avait été terrorisée. Elle s'était faite dessus, si l'on s'en tenait à l'une des expressions chéries par les humains. Elle avait été assaillie par de nombreux cauchemars, et n'avait probablement pas passé une seule nuit sans se réveiller en sursaut, couverte de sueur, avec le goût de la bile amère et du sang dans la bouche. Elle avait fait l'aller-retour entre sa chambre et celle de Mar'i des centaines de fois, finissant souvent par s'endormir, épuisée, dans le fauteuil positionné à l'entrée de la chambre de la petite. Elle avait fuit les miroirs, et érigé sur son visage un masque de dissimulation, s'évertuant à apprendre peu à peu l'art du mensonge pour ne pas éveiller l'attention, et pour dissuader ses coéquipiers de chercher à en savoir plus qu'il n'était bon pour eux de savoir. Elle s'était accrochée à Kory Anders et à Starfire pour être le moins possible Koriand'r.

Mais maintenant ... Maintenant que Brainiac avait semble-t-il été défait, et que les conséquences finales s'étalaient là, à Coast City, à la vue et à l'ouïe de tous, ce n'était pas exactement comme si la jeune femme pouvait continuer à se défiler. D'autant plus qu'elle n'avait pas pu empêcher Mar'i de voir à la télévision le témoignage d'un envoyé spécial sur place. Garfield avait laissé la télécommande sans surveillance pendant trop longtemps, et ce qui devait arriver arriva ... Alors elle avait confié Mar'i à la garde de Raven, avant d'arriver rapidement sur les lieux, en tant que Starfire. Car c'était d'elle dont on avait présentement besoin. Pas de Kory Anders, et encore moins de Koriand'r, à moins que ce ne soit plutôt l'inverse. Œuvrant avec autant de puissance et de prudence possible, tout en n'y prenant aucun plaisir, cette litanie culpabilisante lui tournant encore et encore en tête, la jeune femme ambitionnait d'être la plus utile possible, quitte à s'entailler de ci de là sur de la tôle froissée ou sur des piliers de métal ne soutenant plus rien du tout. Elle qui avait fait ses études en histoire des langues et civilisations anciennes, cela s’apparentait presque à des fouilles archéologiques, même si, en temps normal, les archéologues ne portait pas des pans entiers d'immeubles sans se fatiguer ni avoir besoin de répit. Au détour d'un regard circulaire précédemment lancé aux alentours, elle reconnut la silhouette de Xiomaja, et se priva bien de lui faire la moindre remarque. Certes, cette dernière ne l'avait pas informée qu'elle rejoignait Coast City pour prêter main forte, mais ce n'était ni le lieu ni le moment de s'embrouiller. D'autant plus qu'elle-même n'avait bien informé que Raven, alors ... Déblayant autant qu'elle pouvait, elle utilisait également sa force, sa vitesse et sa capacité de voler pour extraire des décombres qui pouvaient encore l'être, bien que, imitant ce qu'elle avait déjà pu voir à la télévision, elle avait dû fermer bien des paupières de corps déjà inertes et vides de toute substantielle vie. Sans parler de tous ces démembrements, et de cette pâte sanguinolente qui commençait à se former, faîte de poussières, de gravats réduits en petits morceaux, de viscères et de morceaux de chair, le tout arrosé de sang. Et alors qu'elle s'extirpait de ce qui avait dû être l'entrée d'un parking sous-terrain, tenant dans ses bras le corps d'un enfant qui respirait encore, mais avec peine, son regard croisa celui de Keli, jeune Teen Lantern. Tout en ne pouvant s'empêcher de se dire que cela pourrait tout autant être Mar'i, là, dans ses bras, ou là, devant elle, en tant que jeune héroïne mettant ses talents à disposition.

L’horreur avait plus d’un visage. Malheureusement. Il était donc impossible de toujours pouvoir s’attendre à y être confronté, tout comme il était compliqué de savoir directement le reconnaître, en un clin d’œil, au premier regard. Même si certaines apparences valaient mieux que tous les longs discours. En arrivant ici, sur la planète Terre, Koriand’r avait appris de nombreuses choses, y compris qu’il ne fallait pas juger les gens rien qu’à leur apparence. Sur Tamaran, d’un point de vue esthétique, tout le monde était beau. Pas forcément parfait, car c’était dans tous les petits défauts que se trouvaient la vraie beauté, là où le manque d’uniformité était un réel salut, mais, oui, là-bas, nul ne se démarquait pas sa laideur. La jeune femme n’avait donc fait l’apprentissage des fausses apparences qu’en arrivant sur Terre, et ce bien que, peut-être, elle aurait dû et pu comprendre bien avant que les apparences pouvaient être trompeuses. Rien qu’en regardant sa propre sœur, Komand’r, par exemple … En tout cas, l’horreur, pour elle, pendant des années, s’était incarnée sous les traits plus que repoussants, répugnants et hideux de la Citadelle puis des Psions. Des êtres dont l’apparence était étrangement bien moins effrayantes que leurs actions et exactions ainsi que le fond de leur cœur. Ce qui n’était pas rien, quand on savait à quoi ils ressemblaient … En tout cas, cela en revenait au même : l’horreur avait plus d’un visage, et il fallait savoir y faire face, même quand c’était dur, même quand il fallait serrer les dents, et voire même quand il fallait mettre sa propre existence en péril. Et ça, c’était quelque chose que Koriand’r avait appris très jeune, de par l’abnégation à laquelle la destinait sa mission initiale de future monarque de toute une planète. Par la suite, cette conviction et cette certitude n’avaient jamais fait que se renforcer. Mais la jeune femme sentait tout de même bien qu’elle avait failli, en ne participant ni aux combats contre Brainiac, ni aux opérations sur le terrain. Là, tout de suite, maintenant, elle ne considérait pas qu’elle se rattrapait, mais plutôt qu’elle tentait, au mieux, de laver l’affront qu’elle avait pu faire : à tous ces gens tout comme à elle-même … Non sans qu’elle ne sache à quel point tout ceci coûtait cher, tant à elle qu’à cette jeune Teen Lantern, par exemple. Une jeune fille dont l’image la ramenait à sa propre fille, Mar’i. Oh, Mar’i … Son monde n’avait rien d’aussi merveilleux que celui des contes pour enfants qu’elle dévorait sans entièrement y croire, trop peu crédule pour penser qu’une femme a obligatoirement besoin d’un homme pour la secourir.

L’Homme s’en relèverait. Il le fallait et il ne pouvait en être autrement. Ce n’était après tout pas la première fois que des cataclysmes survenaient, plus ou moins naturels, si Kory s’en tenait à tout le savoir qu’elle avait emmagasiné sur l’histoire de ce monde depuis son arrivée. Cependant, si l’Humanité survivrait, le prix à payer pourrait être colossal. Et pas seulement pour les ressortissants de cette planète. Car ce que l’Homme ne comprend pas, il a tendance à le craindre, le redouter, voire à le blâmer pour tous ses maux. Ce que l’Homme ne comprend pas, il le pourchasse, le traque, le voue à une mort certaine. Et Koriand’r, en tant qu’être sans la moindre once de gènes humains, savait qu’elle pourrait rapidement être en première ligne, et que si, aujourd’hui, au milieu de cette zone de destruction, on accueillait son aide et sa présence avec soulagement et gratitude, demain, il en serait peut-être tout autrement. Tout en laissant toutes ces pensées là la meurtrir et la préoccuper, la jeune femme ne perdait cependant pas de vue sa mission actuelle et première : venir en aide autant que possible, sortir des décombres le plus de survivants qu’elle pouvait. Et éviter que la situation n’empire, tout comme cela fut brusquement le cas. Déposant l’enfant qu’elle tenait dans ses bras dans les propres bras de la première personne sur laquelle se posa son regard, en toute hâte, la Tamaraneanne décolla d’un bond brutal, s’élançant en direction de cet édifice qui menaçait de finir de s’écrouler. L’urgence vitale lui apparut être celle d’éviter que tout ne s’effondre, alors son atterrissage n’en fut pas moins brutal, ses pieds heurtant violemment le sol, créant deux minis cratères juste en dessous, alors qu’une charge massive s’affaissa tout contre son dos, alors que la jeune femme déployait ses bras par dessus elle, pour mieux s’aider à repousser vers l’arrière cette deuxième façade qui semblait tant vouloir imiter le sort de sa comparse. Bien sûr, il lui aurait été plus facile et rapide d’utiliser des starbolts pour régler le souci, mais cela aurait été contre productif, accélérant juste une issue potentiellement fatale pour les gens présent en dessous ou trop prêt. Serrant les dents, consciente que sa force était certes surhumaine et démesurée, mais pas totale et sans limite, elle subit presque le contrecoup de son action, un peu groggy et sonnée, avant de reprendre ses esprits. Son regard alterna alors frénétiquement tant entre Xiomara qu’entre la jeune Teen Lantern. « Faîtes vite sortir tout le monde ! Je ne vais pas pouvoir tenir indéfiniment, cette autre façade va finir par tomber ! » Pour l’instant, elle était fermement ancrée au sol, mais cela ne pourrait en effet pas durer éternellement. « Il faut s’assurer que je puisse finir par lâcher sans risquer d’écraser qui que ce soit. Ou faire en sorte de protéger des débris. » Sa voix était assurée, sans se faire dictatrice ou impérieuse, bien que tremblante de par la force que Koriand’r déployait. Pour sûr, tous les haltérophiles pouvaient bien aller se rhabiller, la jeune femme leur mettait ici une pâtée monumentale.

On ne pouvait pas toujours sauver tout le monde. Parfois, il arrivait que des pertes collatérales se produisent, ou qu'on arrive trop tard. Qu'on ne soit pas en nombre et en force suffisants pour tout faire, pour tout parer, pour tout réparer. Il fallait faire avec, ou plutôt il fallait accepter cette réalité. Ce que la jeune femme avait eu de grandes difficultés à faire, au début, et ce qu'elle n'acceptait pas encore tout à fait très bien aujourd'hui. Au tout début, elle en était même venue à se demander à quoi ça servait, ou plutôt, à quoi elle servait, elle, si, toute pleine de capacités hors-normes et incroyables qu'elle était, elle ne pouvait pas sans cesse faire les choses bien. Même si c'était la vérité, même si c'était la réalité et qu'on n'y pouvait, qu'elle n'y pouvait rien, elle n'avait alors pas été bien sûr de vouloir être ce type de superhéroïne là, de celle qui arrive à accepter d'être faillible et imparfaite. Parce qu'elle s'était accrochée tellement dur à l'idée de servir à quelque chose, d'apporter du bien en ce monde et à ce monde qui l'accueillait, elle qui ne pouvait rentrer chez elle, elle qui avait enduré et subi tant et tant. Et même si ce monde ignorait tout d'elle, de la vraie elle, et donc, aussi, de ce qu'il lui apportait et faisait pour elle. Ce qui pouvait être assez bizarre et paradoxal, parce qu'elle était tout à la fois Kory nders, ce mannequin qui avait un certain succès et dont le visage était connu, et Starfire, la Leader des Teen Titans, un des héros de Star City et de tous les États-Unis. Mais peut-être que, finalement, c'était quand même normal. Parce qu'en vrai, elle était surtout Koriand'r. Et très rares étaient ceux qui, même parmi ses proches, savaient vraiment qui était Koriand'r. D'ailleurs, y avait-il seulement quelqu'un en mesure de connaître toute l'intensité de sa personne et de son passé ? Ce n'était pas la question du moment, et même pas dans l'ordre des priorités ou des choses essentielles et élémentaires. Même si la situation présente la renvoyait tout de même à une foulée d'incertitudes et de questionnements. Elle voulait faire au mieux, elle voulait que le plus de gens s'en sortent, et elle ne voulait pas sortir de cette mission en devant compter un nombre de morts trop important.

Des gens pouvaient finir blesser. Des gens pouvaient même mourir. Bons comme mauvais. En dépit de tout ce qu'on pouvait faire, de la somme d'énergie, de force et de bonne volonté qu'on pouvait déployer. Et il importait alors peu quel type de héros et de sauveur on voulait être. Il fallait s'y faire, bon grès, mal grès, qu'on le veuille ou non. Parce que c'était la réalité et qu'il n'était jamais trop bon de la fuir trop longtemps, de se la cacher trop longtemps, aussi. Il fallait accepter, mais ne pas s'y résoudre. Ce qui était ... Un peu différent ? Tenant aussi fort qu'elle le pouvait, la jeune femme sentait tous ses muscles la brûler et protester contre les efforts entrepris. Mais elle devait encore tenir, encore quelques secondes, quelques instants, tant qu'elle n'avait pas la certitude qu'elle pouvait lâcher. Alors, sans se détacher entièrement de la situation présente, elle laissa son esprit s'aventurer vers d'autres pensées, un peu. Il y avait le sourire de Dick, les éclats de rire de Zatanna, la jolie barbe de Kal-El, les douces pâtisseries d'Alfred. Mais surtout, la craquante frimousse de Mar'i, ses jolis yeux, ses beaux cheveux, ses bouilles et ses grimaces, son sourire auquel il manquait à présent une dent. Cela aidait, ne serait-ce qu'à repousser l'échéance, même si l'esprit de la jeune Tamaraneanne s'empressa de réagir face aux paroles de la Teen Lantern, lui assurant ne plus détecter de vie. Cela ne signifiait pas que la partie était gagnée et qu'elle avait, toutes trois, sauvé tout le monde. Car des gens pouvaient avoir perdu la vie, en ces murs, mais, au moins, ce serait tout, le compte ne grossirait pas, pour ce bâtiment là en tout cas. Repoussant une dernière fois la façade vers l'arrière et s'aidant des pilliers d'appui que faisaient apparaître la jeune fille, Starfire décolla du sol, reprenant son envol dans des airs où elle n'avait plus aucun poids à supporter sur les épaules. Moulinant quelque peu les bras pour les décoincer et les soulager, elle se sentait partiellement épuisée. Mais pas suffisamment pour ne pas avoir les idées claires. Un rapide coup d’œil en direction de Crush lui fit voir et comprendre qu'elle avait su bien œuvré, mais qu'elle était à présent en mauvaise posture. « Je vais avoir besoin d'aide ! » Elle s'était adressée à la Teen Lantern, espérant qu'elle comprenne et que, elle aussi, elle voit de quoi il s'agissait. Se propulsant en direction de sa coéquipière, bien chargée, elle tendit vivement le bras en direction d'Obelus. « Désolée ! » De quoi s'excusait-elle ? Et auprès de qui ? D'Obelus ? De Crush ? Des deux civils ? Il n'était pas l'heure de s'interroger à ce sujet, l'essentiel étant qu'elle tint de toutes ses forces la chaîne, pour ralentir la chute et se faire point d'ancrage, en espérant fortement que la plus jeune des membres de leur trio de sauveteuse saurait œuvré, elle, pour faire en sortir que, si chute il devait y avoir, elle serait amortie. Ou quelque chose comme ça.