SHUTTER ISLAND (intrigue groupe 3)

L’eau s’écoule du plafond à un rythme métronomique. Goutte après goutte, elle s’écrase contre ta tempe, glisse sur ta pommette puis termine sa course le long de ta mâchoire. D’ici le moment où tu reprends vaguement conscience, elle t’a presque complètement débarrassée du sang séché qui barbouille ta joue. Dire que tu es dans un mauvais état n'est rien de moins qu'un euphémisme. T'as la vue embrouillée, vacillante, comme si tu te tenais à la barre d'un navire en pleine tempête. Tes oreilles bourdonnent, victimes d'acouphènes pulsatiles assourdissants. La douleur qui te poignarde la nuque, pairée avec cette migraine qui t'assiège, vient t'arracher une bruyante grimace. Tu es une Atlante, et pas que ça, tu es une combattante hors pair qui a aussi souvent infligé qu'encaissé, mais malgré l'expérience, malgré ta résistance à rude épreuve, là maintenant, t'as la vache impression que ta tête va exploser d'une seconde à l'autre. Si seulement tu savais.

Ton regard valse hasardeusement sur les alentours - plutôt sur les contours flous - de ton environnement que t'arrives grossièrement à déceler dans la pénombre. Tu ignores où tu es, ce que tu y fais ou même comment tu t'es retrouvée dans une condition aussi piteuse que celle-ci. La seule chose dont tu te rappelles, c'est d'avoir eu une mine similaire il n'y pas si longtemps, lors d'une soirée avec Arthur durant laquelle l'alcool avait coulé à flots. Oui, t'avais expérimenté ce qu'ils appellent communément un lendemain de veille, une mine qui vous guette une fois la douce ivresse disparue et qui était somme toute similaire à celle que t'as présentement, si ce n'est qu'à quelques détails significatifs près. D'abord, t'es présentement pas au bar de Coast City. La même odeur d'humidité te monte aux narines, certes, mais le décor t'apparaît bien moins hospitalier encore que celui du petit établissement. Ensuite, t'as un corps étranger incommodant qui s'est glissé sous ta peau. De quoi est-ce qu'il s'agit? T'en as honnêtement aucune idée, mais tu le sens de démanger à l'arrière du cou. Plus encore, le détail qui ne trompe assurément pas: t'es enchaînée, ce que tu ne réalises d'ailleurs qu'en voulant essuyer la nouvelle gouttelette qui te tombe sur le front.

T'as beau chercher du regard la réponse à ton amnésie transitoire, c'est le cliquetis des chaînes retenant tes poignets au mur qui t'ouvre finalement les yeux sur l'horreur de la situation. Ça te revient. La première image qui t'apparaît clairement en tête, c'est son visage, inconscient. Ils ne vous avaient laissé aucune chance. Ils avaient joué la carte de la surprise, mais aussi celle de l'avantage numérique, une main redoutable à laquelle vous n'étiez pas prêts et si Ocean Master avait l'excuse de n'avoir été nullement équipé pour faire face à vos adversaires, toi tu n'en avais aucune. T'avais éhontément perdu face à ces scélérats, t'avais été incapable de vous protéger l'un comme l'autre de ces rampants et qui sait quelles en seraient maintenant les conséquences pour toi. Pour lui. La panique te tape dans la poitrine. T’as voulu crier son nom et tu l’aurais bien fait si sa voix ne s’était pas élevée en premier, faisant aussitôt taire tes inquiétudes à son égard. Ta tête tourne, lentement, vers la silhouette d'Orm qui repose dos contre la brique. « Ça ira mieux quand on se sera sortis de ce foutoir. » En le voyant ainsi, encagé, tu ne peux t'empêcher de te demander si, à quelque part, tu n'as pas devant toi un aperçu de ce dont il avait l'air, ce qu'il a enduré tout ce temps à Belle Reve. Soyons francs, c'est une question tortueuse que tu préfères éviter et qui, heureusement, s'évade justement de tes pensées lorsqu'il interpelle une troisième âme terrée dans les ténèbres. Qui ça? Cette fois-ci, tes origines ne te font plus défaut. Tu discernes parfaitement dans l'obscurité l'allure de cette femme qui ne te dit absolument rien. Une chose est sûre, cette dernière n'est certainement pas Atlante et avec ce qui vous est tombé dessus, cette observation à elle seule est déjà amplement suffisante pour éveiller chez toi un sentiment antipathique que tu t'efforces de balayer. Pour l'instant, t'as de plus gros problèmes auxquels t'attarder. Vous avez plus important à gérer.

Comme les deux autres sans doute eux-aussi aux prises avec mille et un points d'interrogation, ta réflexion est brusquement interrompue par le grésillement des hauts-parleurs. À travers le brouhaha, une voix rauque déballe son monologue à n'en plus finir; un délire de peuple, de bombe et de servitude forcée qui ne te mets nécessairement pas de bonne humeur. Tu essaies de garder ton calme, mais t'as un savant mélange de haine, de dégout et d'écoeurement qui te tord l'estomac. Au diable l'éloquence et la retenue d'une reine, en ce moment, t'as seulement envie de leur envoyer ton poing en pleine gueule. « C'est de la pure démence... Ces vauriens ne perdent rien pour attendre. » Tu doutes qu'ils en aient quelque chose à faire, mais cet affront qu'ils se sont permis, il pourrait bien aller jusqu'à coûter la paix entre les profondeurs et la surface, advenant que l'histoire parvienne jusqu'aux oreilles des fiers Atlantes. Lentement, tu tends une main vers la flaque crasseuse qui s'est formée à quelques centimètres de ton corps malmené. Tes iris s'illuminent d'un bleu éclatant alors que l'eau se mouvoie instantanément à ton gré. En deux temps trois mouvements, t'es à nouveau libre de tes liens. Les quelques maillons encore accrochés à tes poignets s'entrechoquent tandis que tu te redresses péniblement sur tes deux pieds. Instinctivement, tu jettes un coup d'oeil devant toi. À ta gauche, à ta droite. Derrière. Si on a l'impression que tu cherches un truc, c'est parce que c'est effectivement le cas. Tu fouilles avec acharnement, mais aucune trace de l'arme aux alentours. La pression bondit conséquement. « Quels enfoirés! » Tu lèves un regard menaçant sur la caméra qui occupe un des coins de la salle. T'espères qu'ils vous voient. T'espères qu'ils savent que tu vas venir pour eux. Pas maintenant, pas tout suite, mais inévitablement, t'allais leur faire regretter leur insolence. Tu finis par t'approcher des autres, silencieuse. Tes traits fermés en disent longuement sur ton état d'esprit. T'es pas un animal de cirque, tu n'as guère envie de te battre pour l'intérêt d'autrui, mais tu ne veux pas non plus finir tes jours ici, sur le béton. Alors oui, tu vas leur prêter main forte. Du moins, c'est ce que tu crois.

« Ne t'en fais pas Diana. Je m'occupe de Corto Maltese. Il est temps d'en finir avec ce peuple. Aquaman out. » Ma main relâcha l'émetteur planqué dans mon oreille alors que je plongeai dans l'océan qui s'étendait sous mes yeux. De nouvelles informations venaient de nous être fournies par Cyborg. Le fameux groupe avait mis la main sur des métas qu'ils avaient enfermés dans certains de leurs nombreux repaires. Peu importe ce qu'ils avaient en tête de faire avec ces disparus, la ligue se devait d'agir avant qu'il ne soit trop tard. Cette organisation avait causé de trop gros torts déjà et il fallait absolument les arrêter, coûte que coûte. C'est donc en trois équipes que la ligue, avaient décidé de se diviser: Un premier groupe, mené par John Constantine, avait pris la direction de Blüdhaven, cette petite ville encore plus crasse et rongée par le crime que sa consoeur, Gotham. De son côté, Diana ordonnerait son équipe dans les terres froides de la Russie, un recoin perdu au coeur duquel le QG de l'organisation terroriste se cachait. Enfin,  je m'occupais de la planque secrète de Corto Maltese, accompagné avec beaucoup de chance - ou pas - d'une escouade spéciale d'Argus. Une escouade sépaciale... Rien de très rassurant, surtout lorsqu'on pense aux projets souvent on ne peut plus douteux d'Amanda Waller. Peu importe, il n'y avait pas grand chose à y faire. Je devais seulement espérer que cette fameuse unité ne portait pas le nom de Suicide Squad.

Si j'avais nagé dans les eaux du monde entier, je n'avais jamais réellement pris le temps de m'arrêter sur l'île située en Amérique du Sud. Le trajet fut extrêmement rapide et ce, malgré mon détour à Atlantis. À ma grande surprise, Mera n'était pas présente. Étrange. Je me rappelais encore de la discussion que nous avions eue tous les deux au sujet de la Justice League et de sa possible implication avec les autres héros. Elle avait peut-être catégoriquement refusé d'y prendre part, une partie de moi aurait malgré tout espéré qu'elle accepte de me soutenir dans ce rodéo. Or, aucune trace de ma reine.  Certainement déçu, la question de ses allées et venues me traversa indiscrètement l'esprit, mais je n'avais malheureusement pas le temps de ne m'y attarder davantage. Du moins, pas en cet instant. Je repris mon chemin, chassant à contre-coeur Mera de mes pensées pour me focusser sur la tâche: Mettre un terme au Peuple. Avec toutes les horreurs que ses membres avaient commises, c'était là ce qui avait priorité. D'abord, ils avaient révélé l'identité de plusieurs héros. Les informations sur ces identités secrètes, ils les avaient eues en piratant les serveurs d'ARGUS, ce qui ne faisait que me prouver une fois de plus  qu'Amanda Waller n'était pas réellement digne de confiance. Et dire que j'allais devoir travailler de concert avec une escouade menée par cette vipère. J'étais mieux de surveiller mes arrières. Enfin. Il y avait pire que Waller. J'imagine. Je secouai la tête afin de me remettre les idées en place, tandis que je fis émerger mon corps de l'eau, posant finalement pied sur une plage qui se trouvait en bordure de la ville. Les lieux semblaient déserts et pour une raison évidente, ça ne m'inspirait rien de bon. Je me déplaçai rapidement, prenant une maximum de précautions. L'absence de garde ou d'une quelconque sécurité ne me permettait pas de croire en autre chose qu'un piège. Calme. C'était trop calme. Mais je ne pouvais pas reculer, qu'il s'agisse ou d'une mauvaise idée d'avancer. Décidé, je franchis les lignes adverses, toujours sans opposition, et pris couvert dans l'immense forêt qui me séparait de mon objectif: Les otages emprisonnés dans les sous-terrains.

L'île était immense et il aurait été très facile de s'y perdre, si ce n'avait été de Cyborg. Ses pouvoirs me permettaient de me retrouver en territoire inconnu et de gagner les rues sans aucune difficulté, tout ça grâce à un briefing au cours duquel le héro m'avait plongé dans une espèce de réalité virtuelle qui reproduisaient ces lieux à la perfection. Cette simulation m'avait tout de suite permis de me noter des points de repères avant même d'y mettre le pied. Sans lui, me rendre jusqu'ici aurait été bien plus compliqué. Tout n'avait pas toujours été rose entre Cyborg et moi, mais je devais avouer que le gamin avait un potentiel énorme qui servaient énormément à la lige.

Je marchais dans les rues avec assurance, me retrouvant finalement devant une immense porte métallique. J'approchai une main incertaine vers la poignée qui s'inclina sans résistance. J'inspectais les alentours avant de me glisser dans la forteresse. C'est une odeur nauséabonde qui attaqua mon nez alors que je tournais légèrement la tête sur le côté, comme si je cherchais à éviter l'arôme. Dieu sait ce qui était arrivé ici, mais une chose était certaine, le parfum qui était venu jusqu'à moi ne m'inspirait guère confiance. Plus je m'enfonçais dans les couloirs du complexe, plus je redoutais ce que j'allais retrouver au point d'arrivée, ou qui j'allais retrouver et dans quel état. Le peuple préparait quelque chose, c'était une certitude, mais quoi, là était la question qui n'arrêtait pas de me passer en tête. Je parcourais les corridors à une vitesse incroyable, mais quelque chose me freina brusquement dans mon élan. Je m'arrêtai d'un coup sec lorsque mes yeux dorés furent attirés par un objet que je reconnaitrais entre mille. Impossible. Je m'approchai sans trop y croire. Comment le peuple aurait-il réussi à mettre la main sur ça? J'entrai dans ce qui ressemblait à une petite armurerie avant d'empoigner le trident de ma défunte mère, mais aussi et surtout celui de ma présente reine. « Mera... » Elle ne se serait jamais défaite de son arme de son gré. Il était évident qu'il lui était arrivé quelque chose. C'était certain. Pris d'une rage sans pareille, je repris ma course dans la direction qui m'était indiquée à l'oreille par Cyborg, espérant qu'il n'était pas trop tard pour sauver les métas et par dessus tout, celle que j'avais trop souvent laissé tomber. Armé des deux tridents, je ne ralentis le pas qu'une fois que le mi-humain mi-machine m'indiqua être arrivé à destination. Sans réfléchir, j'enfonçai violemment la porte qui se trouvait devant moi dans un bruit terrible. Je n'étais pas du tout prêt à ce qui se trouvait de l'autre côté. Mes yeux se baladèrent entre deux des trois personnes présentes.  Sans offense, mon cerveau sembla uniquement fixer sur cette étrange situation que je ne n'appréciais pas particulièrement. Mera. Et Orm. Ensemble... Le Peuple devait se jouer de moi. Ce n'était que cela. Ou sinon, il devait y avoir une explication logique à tout ceci et définitivement, j'allais en avoir besoin.  Je fronçai les sourcils. J'étais soulagé de la voir saine et sauve, même si les indices d'agression laissés sur sa peau me donnait envie de cogner quelqu'un. « Mera, tout va bien ? » Je m'approchai doucement tout en gardant un œil averti sur mon frère qui ne trainait pas loin. Pas assez loin. Préoccupé par le bien-être de ma reine, je ne pris même pas le temps de prêter attention aux chaînes au sol, aux caméras ou aux hauts parleurs. Tout ce que je remarquai après quelques pas en la direction de l'Atlante, c'est la position offensive qu'avait prise Orm et la jeune femme à ses côtés. Ils semblaient prêts à faire face à la première menace qui allait traverser la porte, chose normale vu leur situation. Ce que je n'avais pas compris, c'est que la menace, ironiquement, c'était en partie moi. « Es-tu blessée? Mais bon sang, que s'est-il passé ici ? Comment ont-ils pu te mettre la main dessus ? Comment ont-ils osé t'enfermer ici avec... Lui... Orm. »

« Mon roi… » Tu t’inclines devant lui, penchant dignement la tête alors que ta chevelure tombe lourdement en cascades. Tu ne te prosternes pas devant Arthur, tu ne l’as jamais fait, mais tu espères qu’il sursautera à l’étrangeté de ton comportement, qu’il saura remarquer l’incision fraîchement faite, encore boursouflée, sur ta nuque découverte. Le voile de feu dissimule à l'oeil d'autrui l'air préoccupé que tu as d'étampé au visage alors que tu laisses les nombreuses questions qui te sont adressées flotter dans l'air, sans réponse. De toutes ces pauvres âmes qui auraient pu s'aventurer en ces lieux, il fallait que ce soit lui qui mette le pied dans cette grossière arène improvisée. Depuis son entrée en scène, tu n'as pas eu l'audace de poser les yeux sur son cadet dont le regard te transperçe presque la poitrine. Sans un mot, sans un coup d'oeil, Orm et toi, vous vous adonnez à un long débat épineux. Tu n'oserais quand même pas... Tu peux presque l'entendre, de son éternelle insolence, se permettre un simple Ah bon? Tu crois? Tant de choses sur lesquelles il pourrait tirer le grand rideau rouge et causer un drame théâtral. Tu sais, tu espères, qu'il ne cèdera pas, mais tu as aussi conscience de la tentation qui lui picote la gorge. L'impossible de la situation est si malaisant que c'en est presque risible. Vous trois, réunis dans ce cachot nauséabond en d'aussi délicates circonstances après des années décolorées par la haine, la rancoeur, le regret. Le temps devrait avoir dilué ce cocktail explosif entre vous, le calme après la tempête devrait avoir chassé les nuages menaçants depuis bien longtemps déjà, mais la roguerie qui contamine le ton d'Arthur, puis celui d'Orm, ne laisse point place à l'interprétation: Ce dangereux mélange d'émotions n'a toujours pas perdu de son inflammabilité. Le ciel menace encore de vous tomber sur la tête. Heureusement - ou malheureusement, tu ne saurais dire - vous n'êtes pas seuls et la populace présente ne fait que s'agrandir lorsqu'une troupe de cirque décide de se joindre elle aussi à cette chaleureuse réunion.

L'attitude loufoque de la blonde un peu toquée qui fait son entrée accompagnée du sélachimorphe et de quelques sans-noms fait grotesquement contraste avec l'ambiance suffocante qui vous écrase. T'es si surprise par l'inscousciance de la femme et le ridicule de sa jacasserie que tu en perds de vue l'essentiel une fraction de seconde. Est-ce que quelqu'un a une idée de qui elle est, celle-là? Ou ne serait-ce que de l'identité d'un seul de ces énergumènes? « Et tu es...? » Un scan rapide des têtes aux alentours te fait comprendre que t'es évidemment la seule à ne pas avoir reçu le mémo. Enfin, connaissance ou pas, rien de tout cela n'empêche Orm de profiter du moment pour s'élancer sur sa première victime qu'il abat froidement. Sa frappe, l'introduction à cette violence qui s'annonce, ne manque pas de secouer tous et chacun d'entre vous et il ne t'en faut pas plus pour te remettre les idées en place, te resynchroniser avec la sombre réalité: On vous épie, le doigt chatouillant sans doute déjà le bouton du détonateur, et on est prêt à vous faire sauter au moindre écart de conduite... Ou bien lorsque le compteur que tu remarques un peu tard tombera à zéro. L'affolement gagne la place. C'est cette fois-ci à la brunette de s'imposer de façon notablement plus pacifique qu'Ocean Master. De façon plus imprudente aussi. Tu fronces les sourcils, fébrile. Peuvent-ils vous entendre? Y a-t-il quelque part, dans cette cage à rats, des micros de planqués qui rapportent vos moindres paroles à ces ordures? Et si oui, ont-ils capté les murmures de la femme à vos côtés? Sa tête n’a pas encore refait la tapisserie, c’est déjà ça, mais tu n’as franchement pas particulièrement envie d’attendre sagement le dénouement fatidique ou de prendre le risque à ton tour.

Avec la bombe de Jane Doe qui pourrait éclater d'une seconde à l'autre sans qu'on en connaisse la portée et Orm qui entâme déjà le sale boulot du bourreau, ce sauvetage s'apprête à se tranformer en un véritable carnage. Et tu ne laisseras certainement pas Arthur mourir ici. Hors de question. Tu lèves vers lui ton visage cimenté dans un air fermé. Impérieux. « Fous le camp. » Ta voix faible est presque inaudible dans le brouhaha environnant, mais tu t'assures que tes lèvres passent clairement le message. C'est le seul avertissement que tu puisses lui offrir. Sans attendre, sans crier gare, tu lui arraches d'une main ferme le trident d'Atlanna, le tien, avec lequel tu l'envoies brutalement rencontrer le cadre de porte quelques pieds plus loin. Il a la voie libre, juste là. Il a l'occasion de rebrousser chemin, de s'éviter la faux. Il a seulement à suivre la raison. Soyons réalistes, tu ne pourras pas le protéger ici et t'as pas un instant de plus à perdre. Sans même  lui adresser un dernier regard, tu passes aux choses sérieuses. D'un élan herculéen, tu projettes l'arme tel un javelot en direction du gitantesque requin. Les trois dents métalliques clouent la main humanoïde de celui-ci dans la pierre humide du mur derrière tandis que tu t'approches de la surfacienne aux pointes couleur pastel. « Tu veux valser avec la rousse un peu? »

Dès mon entrée, mon cerveau s'était affairé à relier les points, comme si la scène qui se dressait devant moi n'était rien d'autre qu'un grand dessin, comme si tout deviendrait subitement plus clair. Peu importe ce qu'ils avaient derrière la tête, le peuple avait bien joué leurs cartes, s'incrustant de façon automatique, brutale, dans la mienne en me présentant cruellement deux êtres que je connaissais et que j'espérais le plus loin l'un de l'autre. Orm Marius, l'assassin de la précédente reine d'Atlantis, mon frère, mon rival, et Mera, celle trônant désormais à mes côtés, celle que j'affectionnais. Les questions qui me venaient étaient nombreuses, mais rapidement je préférai plutôt chercher à oublier le portrait qui venait de prendre forme sous mes yeux. Oui, il vallait mieux ignorer. Je me dirigai jusqu'à mon alliée aux cheveux rouges. Mes yeux dorés se mirent à détailler chaque parcelle de sa peau partiellement découverte, soucieux et à la recherche de marques qui me permettraient de me faire une idée de ce qu'elle avait pu subir. Nommé par Orm, alors qu'il m'introduit vaguement à l'autre femme dans la pièce, je n'y offris pas trop intérêt au début. Il était le dernier de mes soucis en ce moment et je le fis bien sentir en dirigeant mon attention uniquement vers ma reine, celle qui m'avait offert une salutation royale, chose qu'elle n'avait jamais fait auparavant. Son inclinaison avait attiré mon regard sur son cou, où j'y remarquai une déformation clairement visible. « Ton cou...Mais que t'ont-ils fait...? » Je fis basculer rapidement mon regard vers Orm avant de le ramener sur Mera. color=#ff9900]« Ils vont payer pour leur offense, mais d'abord nous devons sortir d'ici. »[/color] Je tentai de l'amener vers moi lorsqu'une nouvelle voix s'éleva dans le donjon. J'inclinai doucement la tête, tandis que je reconnus celle qui venait de faire son entrée. Décidément, cette mission allait s'avérer bien plus difficile que je le croyais. Dans ma tête, j'allais avoir sauvé les otages avant même que les troupes de Waller posent le pied dans ce maudit repaire, mais il fallait croire que je m'étais trompé sur toute la ligne. Et maintenant, je me trouvais face à la Suicide Squad, Orm et celle qu'il avait interpellé quelques secondes plus tôt. Je laissai s'échapper un long soupir, tandis que la psychopathe prit la parole. Une réunion de famille... Vraiment ? J'offris un regard rapide à celle-ci avant de ramener mon attention sur les autres. Il y avait un truc qui clcohait. C'était évident. Je n'avais plus le choix, je devais rester sur mes gardes, surtout entouré comme je l'étais. Heureusement, Mera était là, même s'il m'était impossible de savoir à quel point elle était au sommet de ses capacités. Ou pas. Au moins, elle était là.

C'est du coin de l'oeil que j'aperçus le mouvement brusque de mon frère alors qu'il fit percuter ses chaînes contre l'un des membres de la fameuse Task Force X. Une nouvelle action qui prouvait qu'il n'était rien d'autre qu'un bourreau, un homme uniqument capable de violence. Un geste qui sera suffisant pour lancer un nouveau débat entre nous, une nouvelle guerre. C'est la femme à qui je n'avais offert qu'un bref regard  désintéressé qui s'avança pour prendre la suite des choses en main. Sa voix faible dicta le plan mis en place par le peuple, mais je refusais de le croire. Tout d'abord, comment auraient-ils réussi à percer la peau de Mera, puis celle d'Orm ? Avaient-il une arme suffisamment puissante pour le faire? Orm était-il vraiment la victime dans l'histoire? Était-il réellement dans la même situation que Mera? Surtout, auraient-ils véritablement osé kidnapper la reine ? Et puis, Orm, étrangement enfermé avec elle... Se serait-il laissé prendre volontairement afin d'avancer d'autres sombres desseins? Se servait-il de cette excuse dand l'unique but d'éliminer quelques héros de la carte? Je m'apprêtais à prendre la direction de mon frère lorsque Mera me murmura une courte phrase, un avertissement devrais-je dire. Un élan puissant de sa part lui permit de reprendre ce qui était sien, puis elle m'envoya valser contre le mur plus loin.

Sa frappe m'avait coupé le souffle ou peut-être était-ce l'impact de mon dos contre le béton qui m'avait arrêté. Une seconde m'avait été nécessaire avant que je ne retrouve pied et cette seconde fut suffisante pour que la place soit envahie tranquillement par l'armée de Quinn et Waller. À mon grand désarroi, Mera prit le même chemin qu'Orm, lancant son arme vers King Shark. La brunette, avait-elle en fait dit vrai? Un mouvement de tête rapide me permit d'identifier les différentes caméras dans la salle. « Quinn, je te déconseille de toucher un cheveu de la reine d'Atlantis. » Je me relevai avant d'envoyer mon trident à mon tour, détruisant l'une des caméras de la pièce. Je pris la direction de mon arme, tout en portant une main vers mon oreillette. « Cyborg, nous avons un léger problème qui nécéssiterait ton attention. » Mon regard s'éleva alors qu'il fut attiré par le compte à rebours qui était déjà en chute libre. « Et vite. » Mes yeux dorés redescendirent alors que j'esquivai une attaque hasardeuse de l'un membre de la Suicide Squad. « Hey! Waller ne vous a pas mis au courant ? Nous sommes dans la même équipe! Assure-toi que tes imbéciles le sachent Quinn. » Je traversai la pièce d'un pas pressé, avec comme objectif principal de repartir d'ici avec Mera. Elle m'avait ordonné de foutre le camp, mais il était tout simplement hors de question que je quitte sans elle. Je ne l'abandonnerais pas. Pas encore une fois. Je tentai de m'avancer vers elle dans toute cette pagaille avant que mon regard ne se pose finalement sur Orm... Changement de plan. Je voulais la sauver, mais il avait déjà fait une victime, pas question qu'il en fasse une autre. Je m'élançai plutôt vers mon frère d'un bond, n'étant pas certain de si je devais réellement le combattre ou tout simplement le maîtriser et lui offrir clémence. Une part de moi qui corrompait mes pensées me tirait bien plus vers l'une de deux options que l'autre. Inutile de mentionner laquelle.

Les hostilités sont lancées. Le compteur des minutes dégringole tandis que celui des corps inanimés grimpe en flèche tel une situation inversement proportionnelle à laquelle on redoute le résultat mathématique final. Aucun des deux ne s'arrêtera de monter, encore bien moins de descendre, tant qu'un camp n'aura pas vaincu l'autre. C'est ce qu'ils veulent, ce qu'ils exigent, cloîtrés en lieu sûr à vous épier, et c'est ce que tu comptes bien leur offrir; Une victoire déguisée selon tes termes. Selon vos termes. À l'heure qu'il est, l'équipe dysfonctionnelle qui compose la fête, chats et souris confondus, s'est scindée en groupuscules: La fratrie, toi et la blondinette, le squale et le trident... Quelques pièces hésitent encore à se fixer au puzzle, comme s'ils ignorent à quelle partie du casse-tête, ou plutôt à quels morceaux qui le composent, ceux-ci doivent se jumeler. Pour ta part, t'essaies de te prêter au jeu, d'acter au meilleur de tes capacités pour ne pas finir éparpillée aux quatre coins de la pièce, chose qu'Arthur rend d'ailleurs d'autant plus compliquée en n'en faisant qu'à sa tête. Au travers de ta course vers l'arlequine, tu le vois changer de cap pour se foutre au beau milieu de la masse, à portée de main. Ou devrais-tu dire à portée de poing? Car oui, c'est exactement ce qu'il se prend en pleine gueule. « Orm! » Tu siffles son nom publiquement avec tant d'aisance, de facilité, que t'en restes presque bouche-bée. Toi qui as voulu sauver la mèche en ignorant son compliment précédent pourtant bien loin d'être tombé dans l'oreille d'un sourd, voilà maintenant que tu la vends idiotement par mégarde avec cet élan de familiarité inapproprié. Tu veux te concentrer sur ta mise en scène, sauf que ton attention, elle, dévie instantanément - et surtout immanquablement - de la demoiselle qui tempête un flot de paroles précipitées, un piaillement dont tu ne saisis nullement le sens, pour s'attarder aux  deux Atlantes. Il faut que tu te battes, qu'aucun de vous ne leur laisse croire à un possible complot, toi incluse. Pourtant, t'es bien trop préoccupée par l'échange auquel ton exclamation eut vain effet pour feinter quoi que ce soit et le sentiment d'impuissance que tu en dégages te dévore sournoisement. Tu refuses d'intervenir. Tu ne le peux pas. Tu ne le feras pas. La carte de la tromperie est votre meilleure option, mais elle ne sera jouera pas sans celle de confiance. Impossible de jeter impulsivement votre seule paire gagnante au feu. Tu ne saurais dire si l'écran de fumée qui t'isole de cet affrontement est en fait une bénédiction, ou tout à l'inverse une malédiction, mais l'occasion te permet à tout le moins de te ramener à l'ordre. Il vous faut une solution, un plan de match qui minimiserait le collatéral et c'est celle que t'avais prise pour cible qui te glisse tout bas la stratégie qui vient justement de te traverser l'esprit, expressions saugrenues mises à part. « Je pensais à la même chose, mais il va falloir se montrer persuasifs alors ne te retiens pas. J'ose imaginer qu'un coup ou deux n'est pas ce qui te mettrait habituellement hors d'état de nuire... Si? »

L'idée est ingénieuse, viable, et vous n'êtes visiblement pas les seules à le croire puisque la troisième âme qui s'ajoute partage aussi votre avis sur la question. La femme s'immisce dans la conversation avec un semblant de bonne volonté, mais le coup de couteau qu'elle te porte sitôt la chance venue sème indéniablement le doute sur ses véritables intentions. Pardon? Était-ce toi qui avais mal compris? Ce doit être ce smog qui t'embrouille l'esprit, car qui donc serait assez ehonté pour marcher sur ce fil qui menace de céder sous le poids d'une simple plume? Tu ne vois pas clairement le détail de ses traits à travers le voile gazeux qui vous entoure, mais ça veut aussi dire qu'elle ne te voit pas non plus la lacérer du regard. « Jane. C'est ça? » C'est avec un mépris non-dissimulé que tu échappes son nom. T'as pas la patience, la retenue ou même l'envie de ménager une égarée, encore moins une de celles qui n'ont pas la langue sagement dans leur poche. « C'est adorable comment une surfacienne peut se montrer présomptueuse au point de commenter naïvement sur les affaires d'un monde auquel elle n'appartient pas. » C'est à la fois une remarque colorée de sarcasme, un conseil et un avertissement, un cadeau joliment emballé de civilité mais balancé sans aucune délicatesse derrière la tête. Tu lui laisses l'opportunité de se raviser et de réaliser l'imprudence de son erreur alors qu'un silence réussit miraculeusement à s'imposer quelques secondes entre vous trois. T'attends sa réplique, t'es curieuse de voir si elle aura l'audace de s'avancer davantage au-dessus du gouffre. C'est peut-être toi qui manque de neutralité ou de sang-froid, mais se laisser aller aux provocations alors que l'ombre de la guillotine marque vos nuques, que vous êtes tous mis au défi par la situation...  C'est peu avisé. Avec soulagement, la suite ne vient finalement pas. Un grognement à ta gauche met momentanément sur pause la tension qui vous enchaîne l'une à l'autre, un court instant de répit pour la membre de la SS reléguée au rang de spectatrice malaisée. Tu plisses les yeux pour déceler l'élément perturbateur qui s'approche en digne tremblement de terre. Sa silouhette gigantesque ne laisse pas place à un éventail de possibilités sur l'identité du nouvel arrivant: C'est un requin imposant par sa stature et terrifiant par son profond mécontentement qui se poste devant toi, gueule grande ouverte, dents bien acérées. « Ah... »

Avec le sang qui tombe à l'abandon de sa nageoire malmenée, tu peux comprendre l'irritation. Quant à ton trident, celui-ci brille par son absence. Un coup d'oeil rapide au loin te permet de le localiser bêtement au sol, peint de rouge. Bordel. Tu mords ta lèvre inférieure avec exaspération, seule réaction que tu as le temps d'avoir avant que le sélachimorphe ne se jette sur toi dans un rugissement secouant. T'as le judicieux réflexe de faire un bond vers l'arrière alors que celui qui s'est tapé l'incruste claque agressivement de la mâchoire. « T'es sûre que vous avez eu le même briefing? » Tu poses la question à la blonde, parce que là, présentement, t'es pas à cent pour cent sûre de la réponse. Son ami a l'air particulièrement motivé à te mettre la main dessus, et sûrement pas pour te traîner gentiment hors de ce trou à rat. Tu veux bien te plier au plan tel que convenu, mais il faudrait qu'ils y mettent tous du sien, y compris le poisson vexé. Ta tête tourne en direction des deux jeunes femmes - ou plutôt de la jeune femme, car la seconde, l'arrogante dirons-nous, s'est mystérieusement éclipsée. Tu la retrouves du regard, entre deux esquives, à sauter sur Arthur, à revenir à la charge, puis à s'interposer à la vue de tous, pour le grand déplaisir des téléspectateurs. Oh alors là.... Tu grommelles tout bas, énervée par et pour un tas de raisons. « Elle va finir par tous nous tuer à force d'être aussi évidente... » Inutile de passer par les grands discours, les explications sur le pourquoi du comment, le script de chacun des acteurs présents. Plus vous en dîtes, plus vous en laissez paraître, et plus vous balancez de dangereux indices à vos goeliers, plus vous perdez du temps. Oui, c'est purement un choix tactique qui guide tes prochaines actions. Il n'est pas question d'un agacement certain à l'égard de cette rampante qui prend effrontément la défense d'Orm, ni à l'égard du fait qu'elle se permette honteusement de poser la main sur celui à qui va ton allégeance... Non, c'est une décision raisonnable, pensée et justifiée... Pas vrai Mera? « Tu m'excuseras deux secondes. » murmures-tu à ton interlocutrice singulière.

Tu fais un pas sur le côté pour éviter la dernière attaque - tu l'espères - du squale qui tente de t'attraper au passage. Encore une fois. Plus ses tentatives échouent, plus sa névrose prend des proportions désastreuses. Puis, pour la première fois depuis cette danse maladroite et indésirée, tu ripostes à ton tour. Tes iris s'embellissent de leur teinte éclatante alors que l'eau qui miroite sur la pierre prend soudainement vie. Animée, elle vient te prêter main forte en percutant violemment ton adversaire à l'instant même où tu assènes toi-même une droite impitoyable au thorax. Or, tu n'y vas pas de façon brute, sans précision, à l'aveuglette. Non, tu calcules ton coup, tu le contrôles minutieusement, parce que t'as un but bien spécfique en tête et du moment où ta victime est propulsée par l'impact, le résultat que t'espérais t'arrache un léger sourire. Il vole exactement dans la bonne direction. Sa direction à elle. La collision entre Jane et Shark est inévitable. Normalement, tu t'en serais sans doute voulu, mais la jeune femme avait démontré qu'elle savait encaisser. Et puis, elle l'avait bien cherché. Au diables les bonnes convenances. « L’habitude de prendre en traître… Si difficile à perdre. » Tu ne prends pas vraiment le temps d'admirer le beau foutoir que tu viens tout juste de créer. T'essaies quand même de te contenir un minimum après tout. Instinctivement, tes yeux rencontrent ceux d'Orm, desquels tu te détournes promptement. Est-ce qu'il l'a remarqué? Que t'as étrangement perdu patience? T'espères sincèrement que le tout aura passé inaperçu, à l'insu de tous ceux présents. Tu poses sur Arthur un air fermé, indifférent, mais s'il y prête attention, il pourra saisir la clé nécessaire pour déchiffrer le véritable message que tu lui lances. « Si quelqu'un doit mettre à terre le roi d'Atlantis, ou poser ne serait-ce que le doigt dessus, ce sera un Atlante... Ce sera un des nôtres. »

Tout nous ramenait encore et toujours à cette interminable, voire inévitable, confrontation fraternelle. Nous avions certes un plan clair et net en tête, mais je savais que les coups qui devraient servir à duper le Peuple, ils allaient en fait avoir une bien plus grande signification encore. Cet acte, n'était-il pas l'excuse parfaite pour lâcher une rancoeur depuis longtemps refoulée, tant pour lui que pour moi-même? Face à face avec celui qui m'avait tant pris, qui avait semé jadis la souffrance, la crainte, sur son passage au point tel de bâtir sa réputation, je ne pouvais penser à autre chose qu'à ce goût amer de vengeance qui remontait ma gorge, un désir que je voulais chasser, mettre derrière tout comme le passé, mais que je n'arrivais pas à oublier. Maintenant, il me hantait. Je le pensais, il méritera certainement quelques frappes bien placées. Je ne comptais pas retenir mes attaques, je ne comptais pas non plus le laisser s'en tirer avec une grossière victoire, qu'elle soit ou non orchestrée.  Oui, je savais que la solution la plus sage restait pour moi de me coucher à ses pieds et de le laisser triomper tel que convenu, mais mon ego ne le permettrait pas. Son combat, il allait le gagner de peine et de misère, si vraiment il devait le gagner, car j'espérais plutôt que Cyborg puisse neutraliser à temps l'explosif qui se logeait dans leur nuque. J'espérais seulement devoir lui faire gagner du temps, sans en venir à cette agacante conclusion. Je savais bien que cette fin simulée n'était aucunement représentative de nos affrontements précédents, ou futurs, mais l'imaginer déjà me faisait serrer la mâchoire. Il n'y avait aucun doute: Présentement, nous n'étions rien de plus que des pantins qui agissaient selon le bon vouloir du peuple.

Mes yeux braqués dans les siens, il ressentait certainement la même envie que je tentais de repousser à l'instant. C'est qu'il provoquait aussi. La liberté qu'il avait prise de s'adresser inscouciamment à Mera, elle m'était restée en tête si ça, ça n'était pas piquer, je ne sais pas ce que c'était. Et ça marchait. Avait-il non seulement idée à quel point? Peu importe, le coup que je m'apprêtais à lui envoyer allait assurément le lui témoigner, lui donner un aperçu de cette colère que je contenais à son égard, une colère qui me rongeait depuis si longtemps, une colère que je n'avais su faire taire, relâcher, malgré tous les affrontements qui m'avaient déjà offerts une chance de l'extérioriser. J'élancai mon poing pour relâcher ma frustration contre sa mâchoire, mais plus rapide que moi, c'est lui qui initia le combat de façon spectaculaire. L'impact de son poing contre mon menton força le mouvement de ma tête vers le côté. Je me figeai, stupéfait. Il n'avait rien retenu, mais c'était parfait ainsi, car c'est exactement ce que j'allais faire lorsque mon poing allait l'atteindre. Et il allait définitivement l'atteindre. Nous allions leur en faire voir de toutes les couleurs, car pour ma part, derrière ces apparences de héro, en plus du fait de pouvoir sauver des gens, sauver Mera, cet affrontement était un bonus, une occasion de le remettre à sa place. Un réglement de compte pour nos deux âmes troublées, marquées même, par l'histoire qui définissait notre relation. « C'est tout ce que tu as? Vachement pas impressionné petit frère. » À mon tour, je fis craquer mes jointures contre le bas de son visage brusquement, renchérissant presque aussitôt avec une autre frappe, cette fois-ci au corps. « Laisse-moi t'alléger de ce qui te pèse. En tout cas, de ces poids-là au moins. » Mon trident frappa avec précision les chaînes qui rendaient ses mouvements plus difficiles. Sous le choc, elles tombèrent lourdement au sol dans un bruit métallique résonnant dans la pièce. Je ne voulais pas d'un combat bâclé. La moindre des choses était de le libérer de ce qui semblant l'incapaciter. « Peut-être auras-tu de cette façon une chance, aussi moindre soit-elle, de te montrer à la hauteur du prince que tu devrais être. » Mes provocations étaient de bonne guerre. Il jouait bas, j'allais faire de même. Pour une fois, nous étions dans le même bateau et bien que nous menacions de nous faire passer l'un l'autre par dessus bord, j'avais consicence que nous allions devoir éventuellement trouver un moyen de travailler ensemble, malgré la rancœur qui nous habitait. Éventuellement, mais pas nécessairement maintenant

L'épaisseur des fumigènes et la menace que représentait Orm me forçaient à garder ma concentration sur celui qui me faisait face. Mera occupait une partie de mes pensées, évidemment, et je ne pouvais qu'espérer que le plan ait bien été compris par l'équipe de Waller.  Dans tous les cas, je ne doutais pas qu'elle puisse facilement sortir gagnante face à l'armée qui pourrait se dresser devant elle. Coup pour coup avec Orm, l’animosité renforçait chacune de nos attaques dirigées vers l'autre. Ma dernière frappe l'envoya valser un peu plus loin, mais la suivante fut freinée par l'arrivée de la troisième prisonnière. Son bras en titane me prit par surprise, mais je l'envoyais rapidement contre le mur avant de retourner vers Orm pour reprendre là où nous avions laissé les choses. Nous savions ce que nous avions à faire, nous avions connaissance de l'enjeu, certes nous nous battions brutalement, mais l'un n'empêchait pas l'autre. À cette histoire vieille de plusieurs années, il valait mieux éviter de se mêler Or, une nouvelle fois, la femme stoppa l'une de mes attaques, imposant ses bras contre les miens, prenant place entre nos deux corps guidés par la testostérone. N'avait-elle pas compris que ce n'était pas sa place ? Peut-être qu'Orm et moi donnions plus que le nécessaire, mais il n'en restait pas moins que ce duel, il ne concernait que nous deux. Malgré sa présence, mes yeux dorés, dirigés au-dessus de sa tête, transpercaient Orm. « Peux-tu bien me dire ce que tu fous? Tu sais qui il est? » À mon grand étonnement, c'est King Shark qui s'introduit sur l'avant-scène et son entrée fut fracassante, emportant avec lui l'opposition. Un bref moment de confusion me laissa immobile, incertain, mais j'eus tôt faire de me remettre en marche. C'était comme si j'étais possédé, obsédé par une seule et unique chose. J'en avais presque oublié Cyborg, le Peuple, la mission. Sans attendre une seconde de plus, je me lançai sur Orm, laissant tomber mon trident sur le sol froid de cette salle de combat, agrippant mon frère au collet pour le pousser vers l'arrière. Ce qui freina subtilement mes élans, ce fut sa voix qui s'éleva froidement. Pour moi, ce fut une douche d'eau froide, de quoi me remettre les pendules à l'heure. Je la regardai et ce qu'elle me demandait indirectement, je le comprenais, même si je méprisais l'idée. Évidemment, j'allais finir par m'incliner, par jouer la comédie, par feinter ma mort de la main d'Ocean Master.  Je le savais déjà, mais l'entendre le dire haut et fort,  ça déclenchait un pincement écourant. Je sentais déjà le coup fatidique qu'une telle mise en scène allait porter à mon orgueil, mais il le fallait. « Et qui de mieux que celui-même qui a assassinné l'ancienne royauté pour tué le présent roi. Quelque chose me dit que tu y prendrais plaisir Orm, si seulement tu avais le courage de le faire. »

La tension fraternelle est à son apogée, au point redoutablement culminant où l’un pourrait très facilement basculer dans les abysses de cette colère noire de rancœur, de regrets, d’animosité, mais aussi peuplée des secrets ténèbres d’un chagrin orgueilleusement enfoui, voire inavoué. C’est que la haine n’est bien souvent qu’un grossier déguisement, une étoffe de laquelle se cape en vérité un sentiment tout autre. Un sentiment sous l'emprise duquel nous devenons tous terrifiamment vulnérables. Cette tristesse voilée qui vous empoigne le cœur sans ménagement, justement, ils ont beau vouloir la dissimuler derrière de grands airs froids et impitoyables ou prétendre la feinter pour ne jeter que de la poudre aux yeux de vos geôliers, toi, tu la vois clairement miroiter dans le doré des prunelles d’Arthur qui dévisage son propre sang, un frère qu’il ne peut se résoudre à pardonner, tu l’entends dans la voix d’Orm qui s’écorche les cordes vocales avec ces paroles tranchantes se frayant douloureusement un chemin jusqu’à ses lèvres et surtout, tu la ressens toi-même lorsque ces Atlantes en viennent à déterrer une tragédie qu’il aurait mieux valu laisser reposer en paix. À chaque réplique, t’as l’impression qu’on cisaille les points de suture d’une plaie qui aurait dû se refermer avec les années, mais qui, tu le réalises parfaitement en ce moment, n’a jamais vraiment cicatrisé. Tu t'es jurée de ne pas t'ingérer entre eux, il en va de la sécurité de vous tous, mais le désir de les remettre à leur place te démange insupportablement. N'en ont-ils point conscience? Faire remonter de tels souvenirs troubles à la surface, c'est comme tirer à bout portant, non pas à blanc mais à vraies balles et ce, au risque on ne peut plus concret d'en blesser fatidiquement un des protagonistes. Entre le paraître et la vendetta personnelle, la fine ligne ne semble plus exister, sans doute effacée à force d'être constamment piétinée. Le Peuple n’y verra que du feu, mais il faut décidément que tu t’occupes l’esprit avant de ne te laisser toi aussi prendre à cette pièce théâtrale qui frôle l'injure. Pour la peine, tu te détournes promptement de la scène, ramenant ton attention vers l'arlequine et la brunette sans accorder un seul coup d'œil de plus au duo. L'air salement réprobateur que tu renverrais à Arthur vous révélerait au grand jour et la crainte de déceler, ou même d'halluciner, chez Orm une once de tentation à l'idée d'en finir pour de bon te convainc de lui refuser aussi tout contact visuel.

Des deux demoiselles, c’est évidemment la plus insolente qui gagne ton intérêt. Tu lui renvoies son mépris sans la moindre difficulté. T’as nul besoin de faire semblant, parce que cet agacement mutuel qui électrise l’air autour de vous, il n’est pas que simulacre. Non. Il est bel et bien réel, aussi palpable que la masse désormais inanimée qui l’a envoyée rencontrer le mur derrière et aussi dangereux que la menace qui plane au-dessus de vos têtes. Objectivement parlant, l’irritation est justifiée d'un côté comme de l'autre, mais t’es loin d’être impartiale et de ton point de vue, c’est elle qui a lancé la première pierre. Alors qu'elle s'avance si c'est effectivement là ce qu'elle propose. C'est avec plaisir que tu prendras deux de vos minutes précieusement comptées pour faire le point. « C’est connu, même des Atlantes : Ne joue pas avec le feu si tu ne veux pas te brûler. » À ta remarque – ou ta provocation, peu importe – tu comptais bien surenchérir, histoire de découvrir jusqu’où la femme était véritablement prête à aller, mais la pluie scintillante qui accompagne soudainement tes mots te freine dans ton élan de mauvaise foi. Autour de vous, les paillettes papillonnent par centaines dans la pièce, spectacle à première vue inoffensif qui prend une toute autre tournure lorsque l’un des confettis que tu accueilles sur le bout de ton index se dissout douloureusement au point d’en tatouer ta peau d’un rouge vermillon. Un hissement s'échappe de ta gorge alors que tu secoues vivement la main pour t'en débarasser, sinon essayer. Il ne t'en faut pas plus pour prendre au sérieux cette ridicule parade de couleurs de laquelle tu t'éloignes agilement pour te réfugier en dessous d'une toile aqueuse. Là où les volatiles de fête se déposent, bois, pierre, métal et encore, la matière s'évapore presque dans une réaction chimique quasi-instantannée. Tu laisses la poussière de particules retomber quelques secondes, non pas pressée au point de vouloir te saucer sous une douche acide, puis tu reprends de la partie, dès à présent franchement lassée de ces interruptions débiles qui n'ont de cesse de s'enchaîner. Si tu remarques du coin de l'oeil Jane et Quinn qui en ont profité pour ouvrir le bal, ton regard se verouille plutôt sur l'hurluberlu à l'origine de ce beau foutoir, celui sur qui tu envoies aussitôt frapper ton bouclier d'eau dans lequel baigne sa propre médecine. La vague le sonne à l'impact, le propulsant au large pour rejoindre les autres corps échoués tel un vulgaire déchet ramené par la marée. N'en finiront-ils donc jamais d'arriver? « Mais combien sont-ils bordel! »

Vingt minutes. C'est le temps qu'il vous reste pour boucler la boucle du dernier numéro et saluer la foule avant que le public ne décide de taper du poing sur le bouton rouge. Pour ta part, tu viens d'assommer les derniers rejetons de cette troupe de cirque qui n'en cessaient plus d'apparaître. Les membres de la SS s'empilent les uns sur les autres, inconscients et ne laissant que pour dernière survivante, dirons-nous, la blondinette toujours fidèle au poste. Tu finis le sale boulot juste à temps pour assister à la conclusion de leur échange qui ne tourne certainement pas en votre faveur. Aussi frustrant cela soit-il, tu ne peux demeurer passive et laisser l'histoire se terminer ainsi. Vous êtes tous les trois dans le même bateau, Orm, elle et toi, et si l'un de vous tombe ko, rien ne garantit que le Peuple ne fera pas sauter la tête de l'intéressé pour s'assurer qu'il ne s'agit pas là d'une ruse. Pas le choix, tu dois intervenir, que ça te plaise ou non. C'est pourquoi, certes à contrecoeur, tu te postes rapidement devant celle qui te sert – ou devrait te servir – d'alliée pour la rattraper et amortir sa chute sur la dernière offensive. Elle a l'air d'en avoir vachement arraché et tu sais très bien que t'as une mince part de responsabilité dans tout ça, mais vous allez devoir vous tenir debout jusqu'à la fin si vous voulez avoir une chance de survivre. Tu lui accordes un bref regard mitigé, dénué oui de compassion, mais sans être toutefois hostile, avant de le ramener vers Missie qui sort un nouveau tour de son sac. Bon sang. « Okay, il va falloir conclure avec la trouble-fête au plus vite. On a plus le luxe de s'éterniser. » Tu te redresses au même moment où la flasque de verre explose en mille. Un nuage vert peu rassurant se forme et dès lors que la substance s'incruste dans tes poumons, t'es prise d'un toussotement qui n'en finit plus. T'as les sens qui font des siennes, la vue qui se dédouble, les oreilles qui sifflent, l'équilibre qui te fait défaut, comme si t'étais à la barre d'un bateau en pleine tempête. Mais c'est qu'elle rend le tout particulièrement chiant! Tu t'avances d'un pas exaspéré et surtout maladroit vers la toquée avec qui tu comptes bien en finir. D'un geste contrôlé, t'envoies ton poing frapper avec ménagement l'un des torses devant toi, sans savoir si c'est à la demoiselle ou à son double que tu t'en prends. T'as une chance sur deux de fendre l'air, mais quand ta main rencontre effectivement un corps solide, tu comprends que t'as plutôt réussi ton pile ou face. Cette fois-ci. Une chose est sûre, t'attendras pas qu'elle te rende la pareille. T'as pu constater de près ce dont elle était capable et tu ne te feras pas chier à échanger longtemps comme ça, surtout dans cet état brumeux. De l'autre main, tu commandes une bourrasque d'aqua qui vient la percuter de dos alors que tu te faufiles sur le côté, lui ouvrant ainsi la voie pour qu'elle évite de t'entraîner dans sa tombée. Pour l'instant, tu tiens, mais avec ce gaz qui t'irrite les voies respiratoires, si Jane Doe pouvait te filer un coup de main, ce serait déjà ça de pris.

Tout comme moi, il jouait cartes sur table et ce, depuis le début. Une première provocation de ma part lui ouvrait la porte pour qu'il m'en retourne une ou deux du revers en pleine figure, et ainsi de suite, tel une spirale sans fin. Or, cette fois, ce coup bas, cette attaque sournoise, elle scella mes lèvres, lui offrant alors une première victoire peu méritée dans ce duel qui élargissait probablement le sourire des bourreaux ayant orchestré cette péripétie tordue. À une époque, j'aurais douté de ses dires, voir nié ce qu'il avançait en supposant qu'il ne s'agissait-là que de sottises infondées, mais je savais: Il n'était pas le premier à me pointer ce qui était désormais un fait, une vérité absolue: Mes nombreuses absences m'avaient arraché les faveurs du peuple d'Atlantis. Mon image de roi avait mauvaise mine. Alors oui, je savais désormais, je n'étais pas niais, mais l'entendre de sa bouche rendait le tout plus agacant. Qu'il ose ainsi se servir d'une telle rumeur, sans honte, ni remord alors qu'il avait lui-même failli à son devoir de roi jadis, c'était à la limite du ridicule. Orm, le roi déchu, exilé, qui vient critiquer mon règne. Quelle ironie... Je n'arrivais d'ailleurs pas à cerner pourquoi, malgré les longues années qui s'étaient écoulées, mon cadet avait encore des supporteurs à Atlantis, des citoyens croyant en ses paroles, en sa vision d'un monde meilleur, encore après les fautes commises, après son aveuglement, après cette guerre sanglante qui a été évitée de justesse par Mera. Une guerre qui avait été évitée grâce à moi aussi. Grâce à nous. Issu des deux mondes, je n'avais pu à l'époque, tout comme aujourd'hui, me résoudre à l'idée de laisser cette croisade se produire et c'était là, il y a quelques années, la seule raison qui m'avait poussé à prendre le trône, à le lui soustraire alors qu'il était obsédé par la pollution des mers, qu'il utilisait le vice de l'homme comme principal argument pour justifier ses sombres desseins. En ces temps, il avait juré vengeance et victoire, sans même tenir compte du prix de cette guerre qu'il avait martelé dans la tête des Atlantes jusqu'à ce qu'ils voient comme lui, pense comme lui. Aujourd'hui, c'était moi qui réparait les pots cassés, alors qu'il ne vienne pas honteusement me critiquer.

Nos attaques continuèrent de voler, jusqu'à l'inévitable coup de couteau qui portait un nom sacré. Notre acte laissé en suspens un bref instant, j'aperçus sans difficulté la souffrance dans son regard et dans ses paroles, tentant du mieux que je pouvais de camoufler celle qui me rongeait intérieurement. Nous pouvions dire ce que nous voulions, il n'en restait pas moins qu'il s'agissait d'un moment chéri par l'un comme par l'autre. Cette chance unique, je l'avais souhaité à plusieurs reprises. Une occasion d'écrire un nouveau jet de cette histoire qui ne semblait être destiné qu'à trouver une fin tragique. Pendant un bref instant, ma tête me joua des tours, me rappelant le profond désir qui m'avait habité lorsque j'avais appris qu'il existait, qu'il aspirait au même titre que moi. Un lointain souvenir d'un espoir d'alliance fraternel, d'une envie de poser mon genou au sol devant lui. Ce vœu d'être le protecteur de la surface, pendant qu'il est celui des profondeurs, comme deux faces d'une même pièce monnaie. Cet élan d'émotivité pris fin lorsqu'il cracha sans scrupule ce qu'il avait fait. Rien de bien surprenant, rien qu'il m'était inconnu. Orm avait tué notre mère, prouvant ce jour-là qu'il ne valait pas mieux que ceux que je m’efforçais d'arrêter jour après jour. Le venin dans sa voix me fit froncer les sourcils alors que l'intensité venait de monter une fois de plus d'un cran. Si les mots de Mera n'avaient pas résonné dans ma tête, qui sait si j'aurais cédé à la tentation de mordre à l’appât. De plus en plus, la conclusion de ce chapitre me levait le cœur. Était-ce vraiment le seul moyen pour nous de vaincre ? Une envie de rébellion fleurit rapidement dans ma tête, mais fut une fois encore stoppée par la voix de ma plus fidèle alliée. Mon regard se sépara de celui d'Orm avant de faire un tour rapide dans la pièce. Elle avait raison, il n'y avait pas d'autre solution. Cyborg avait besoin de temps pour faire son travail et ma coopération était absolument requise. Bien qu'ils étaient les prisonniers du Peuple, c'est moi avais l'impression de se retrouver avec les mains liées, forcé à me plier seul dénouement possible pour sauver les innocents et celle que j'appelais ma reine. À son image, je ravalai ma salive avant d'échapper à mon tour des paroles acides, laissant mon trop-plein d'émotion faire son chemin. « J'ai connu plusieurs hommes comme toi, sans honneur, tous prêt à commettre l'irréparable dans le seul but d'être celui acclamé. Et regarde toi aujourd'hui ramener ce souvenir sans la moindre culpabilité. Tu dis l'avoir fait pour Atlantis... mais ce sont des conneries.  Là, ici, tu ne fais que prouver à quel point tu es le sosie de ton père, son fils par excellence, son portrait, son sang... La même lâcheté coule dans tes veines. » Il voulait ne pas me ménager, alors je ne le ferai pas non plus. Il avait pris notre mère, c'était déjà bien assez impardonnable.

Ce face-à-face pourrait être interminable, ne trouver aucune fin, mais les minutes s'écoulaient de plus en plus sur le chronomètre qui menaçait leurs vies. Seconde après seconde, l'inévitable se rapprochait et le simple fait d'y penser me faisait grincer des dents. Plus tôt que tard, j'allais devoir accepter la suite des choses, j'allais devoir jouer la comédie sous l'une de ses frappes. L'agacement qui me gagnait avec cette conclusion écrite pour nous permettre de voir le prochain jour, venait cependant avec un petit prix de participation. Orm allait peut-être savourer la victoire, mais elle ne valait rien. Tout comme moi, il devait être rongé par cette fin bâclée et improvisée qui ne lui offrirait aucune satisfaction. Entre maintenant et le moment où le rideau allait être tiré sur cette mascarade, le plus dur était à venir. J'allais devoir lui offrir une confiance aveugle, à lui. « Le contraire ne m'a jamais traversé l'esprit. Il est temps d'en finir pour de bon. » Un combat plausible, mené par des envies réelles, des émotions vraies, rien de mieux pour atténuer les soupçons qui auraient pu planer. Après les révélations de Jane et ceux de blondinette, il fallait trouver une façon de rendre le tout crédible pour les auditeurs.

Le combat avait changé de cap, il était désormais celui qui tenait le trident, qui pointait l'arme vers moi. Ma dernière provocation, j'étais certain qu'il l'avait senti, tant mieux si c'était le cas, je voulais qu'il souffre malgré tout, je voulais qu'il sente cette rage qui m'envoûtait, qui me guidait une fois de plus dans sa direction. Un pas vers l'avant, puis un sur le côté, je tentais de me placer pour éviter l'attaque qu'il allait m'offrir, car il ne manquerait pas son coup. Mes déplacements, je les faisais aussi pour les caméras, pour cacher le plus possible la comédie que nous devions déballer. Quelques centimètres de moins qui nous séparaient encore, mais cette fois, ce fut un petit nuage vert qui s'éleva devant nos yeux. En une seconde, mes idées changèrent, tout comme ma façon de respirer. Non mais que venait-elle encore de lâcher celle-là ? Après la folie acide de son partenaire, voilà qu'elle tentait de nous empoisonner ? Incertain de l'effet que le gaz aurait sur moi, je continuai de m'avancer dans la direction de mon frère. « Arthur, j'y suis presque, il ne faut pas lâcher. Les bombes du peuple sont une version artisanale de ceux de Waller, mais les composantes sont bien plus dangereuses. Inutile de te dire qu'ils n'ont pas en tête de laisser sortir qui que ce soit de cette place. J'ai presque fini. Donne-moi encore une petite minute » Une petite réponse brève de ma part fit comprendre à Cyborg que j'avais bien capté. Il avait encore besoin de temps, mais pour nous, c'était une denrée qui se faisait de plus en plus rare. Brusquement, je tournai la tête vers Mera, ramenant aussitôt mon regard sur Orm. « Tu vas frapper oui? »

En une fraction de seconde, tout autour de moi s'était figé. Finalement, dans une position jugée adéquate par l'ancien roi d'Atlantis, ce dernier mit brutalement fin à notre valse qui semblait interminable depuis mon entrée dans cette pièce. Notre histoire passée avait bien sûr écrit cet affrontement. Comment pouvions-nous être dans la même pièce avec une prémisse semblable sans s'attaquer un à l'autre? Une confrontation autant psychologique que physique, qui devait être assez réaliste, sans que l'on perde l’objectif principal de vue. Orm avait mit le paquet, il avait sûrement adoré le faire même et je mentirais si je disais que mes pointes verbales ne m'avaient pas légèrement apaisé le cœur. Un trop plein d'air s'échappa de ma bouche, tandis que je cherchais la force de prendre une bonne respiration. Je pouvais sentir les dents du trident et mon sang qui coulait le long de mon ventre. Mon envie première avait été de lui rendre la monnaie de sa pièce, mais à quoi bon? Cette conclusion, nous l'avions choisi, pour certains à contrecœur, mais il n'en restait pas moins qu'il avait suivi le plan à la lettre. Mon regard s’inclina doucement vers mon arme qui me transperçait le flan, puis je le ramenai aussitôt sur le visage dépourvu d'émotion d'Orm. Sans même le vouloir, mon cerveau s'activa, me forçant à m'interroger une fois de plus sur la mort de ma mère. Avait-il eu le même regard froid à son égard ? Ou la froideur dans les traits de son visage vient-elle seulement de la haine qu'il me vouait depuis tant d'années ? La douleur vive qui me démangeait l'estomac me ramena vite à moi-même. Il avait bien frappé, avec une précision impressionnante même. Petit à petit, mes forces semblaient m'abandonner ou du moins c'était ce que je voulais faire croire aux caméras, alors que je balançai légèrement mon corps vers l'avant, prenant appui sur celui qui me faisait encore face. Les jeux étaient maintenant faits, il ne restait plus qu'à être beau et convaincant pour les spectateurs.

Je passai l'une de mes mains contre la blessure, avant de la poser sur le trident. Le temps s'écoulait de plus en plus et nous n'avions plus le luxe d'attendre que Cyborg me donne le feu vert. Je devais faire confiance à mon allié de la ligue. Une main sur l'arme, l'autre sur l'épaule de mon frère, je serrai les dents avant d'enfoncer davantage les pointes dans mon flan déjà ensanglanté. Une grimace de douleur prit place sur mon visage, puis ma tête se posa délicatement sur l'épaule de celui qui jouait le rôle de mon bourreau, me permettant ainsi de lui chuchoter à l'oreille, sans éveiller les soupçons du peuple. « Ne me fais pas regretter de t'avoir fait confiance, attends mon signal, vous n'êtes pas hors de danger encore. » À la fin de ma phrase, je laissai mes jambes perdent de leur solidité, celles-ci pliant sous le poids de mon corps qui était devenu détendu. Je m'écroulai aux pieds d'Orm, lui offrant ainsi la victoire dont nous ne voulions ni l'un, ni l'autre. Mon regard doré se posa sur la reine d'Atlantis. Cette mise en scène, je l'avais accepté pour elle, pour qu'elle soit en sécurité, mais je ne pouvais pas oublier le sentiment qui m'avait gagné lorsque j'étais entré dans ce cachot. Elle et lui, ensemble. Je n'avais pas l'explication pour le moment, mais devais-je réellement croire en un coup monter, fabriqué de toute pièce par le peuple ? Après tout, comment auraient-ils pu prévoir que j'allais faire partie des héros présents ? Je commençais a imaginer les possibilités quand la voix d'Harley Quinn m'interpella. Tant bien que mal, j'essayai de lui faire comprendre qu'elle avait bien compris la suite des choses avec un petit signe discret de la main. Clairement, parler en ce moment n'était pas la meilleure des stratégies, c'était bien trop risqué avec les caméras fixées sur nous.

Le bruit du trident qui venait de tomber à mes côtés fut rapidement suivi par la voix d'Orm. Il semblait en contrôle, il semblait savoir ce qu'il faisait. Mettre de la pression sur le peuple était plus que nécessaire pour les guider jusqu'à nous. Les images visibles sur les écrans de nos rivaux laissaient présager la victoire des prisonniers. Autant moi que l'équipe de Waller étions au sol,  vaincu par ceux qui étaient menacés de perdre la vie en cas de situation inverse. Finalement, la porte s'ouvrit avant de laisser place aux sbires du groupe d'extrémiste. « Arthur, les bombes sont désactivées. Vous êtes tous sains et sauves. Éliminez le peuple ! » Mes yeux s'ouvrirent pour voir la fin du compte à rebours. Décidément, le peuple avait trouvé une façon de donner de la misère à Cyborg. Deux petites secondes, voilà le temps qui restait lorsque sa voix avait résonné dans mon oreille. Je me relevai d'un bond, propulsé par l'adrénaline, avant d'attraper l'un des hommes qui se tenaient devant Mera, Orm et Jane. « Regardons si vous êtes capable de faire mieux qu'eux. » Je soulevai l'homme avant de l'envoyer au sol, posant ma main sur mon arme qui traînait à mes pieds pour faucher lau passage les pieds d'un autre qui lui aussi tombe contre le plancher froid de cette prison. « Il est temps de leur faire comprendre qu'ils ne faut pas s'attaquer aux Atlantes. » Debout aux côtés d'Orm et de Mera, je m'apprêtais à renchérir, déchaîner ma colère froide sur ces malheureux, mais mon genou en décida autrement, fléchissant sans doute à cause de tout ce sang qui s'échappait de ma plaie. Je grimacai, vulnérable, relevant la tête vers l'attaque qui se dirigeait dangereusement vers moi.

Le même bruit métronomique qu'à ton réveil reprend, rapide, contraint presque lui aussi par le compteur qui approche du jugement fatidique. Cette fois, ce ne sont pas les gouttelettes d'une eau immonde perlant successivement ton front qui marquent le rythme, mais le sang d'Arthur qui se répand précipitamment au sol, colorant la terre humide par les fissures du plancher. Le tambour infatigable résonne dans ton coeur qui s'emballe sans joie aucune, à tout l'inverse en fait, par le corps du roi qui s'écroule douloureusement derrière toi. Les deux pieds cimentés, les yeux verrouillés sur les énergumènes de la SS qui gisent sans vie comme de bons comédiens, tu n'oses pas faire volte-face et constater le dénouement, comme si éviter la scène du regard rendait le tout bien moins réel. Bien plus facile à encaisser. C'est qu'en vérité, tu n'arrives pas à chasser cette angoisse qui te dévore, cette pensée qu'ils aient finalement dépassé les bornes à vouloir trop y faire croire. Le discours méprisant d'Arthur, tu l'as entendu pendant que t'essayais fort de te débarrasser du gaz pénétré dans tes poumons, et alors que toi-même t'as grincé des dents à cette bassesse, tu te demandes avec raison, et surtout avec crainte, si ça n'a pas été pour son cadet la goutte qui a fait déborder le vase, voire qui l'a fait éclater en mille. L'insulte déterminante, l'opportunité parfaite pour ses démons de guider la main du prince déchu un peu plus à gauche, ou un peu trop à droite, pour autant que cette grossière erreur mette fin - accidentellement bien sûr - au calvaire que représente son frère. Et si c'était vraiment le cas, qu'en feriez-vous? Qu'adviendrait-il de vous tous ici présents, chats et souris? De vous trois avec cette putain de bombe dans le cou? De vous deux? De lui? C'est le choc soudain du trident qu'on laisse tomber qui bouscule tes esprits un bon coup, juste assez pour chasser cette morbide hypothèse qui fait l'objet de ton obsession. Du calme.

« C'est terminé...? » Le silence qui se tape l'incruste dans la pièce devrait normalement faire office de confirmation, mais t'ajoutes bien vite un point d'interrogation prononcé à ton affirmation en voyant que votre victoire ne change rien au dévalement des secondes. Mais pourquoi? Qu’est-ce qui se passe bordel? L'accord n'était-il pas d'éliminer l'escouade en échange de votre vie? Avaient-ils donc réussi à déceler le faux du vrai que vous vous étiez acharnés à déguiser? « Ne me dîtes pas qu’ils se sont foutus de nous… » T’y crois pas, ou tu ne veux pas y croire, parce qu'autrement, ça voudrait dire qu'ils n'ont pas mordu à l'hameçon, que vous êtes toujours dans la même galère, et vous n'avez plus le temps d'élaborer un plan B. Les dés sont déjà lancés. Vous ne pouvez qu'espérer avoir misé sur le bon résultat. En attendant, tu cherches avidement une réponse alternative, quelle qu’elle soit, à cette question qui sème en toi à la fois agitation et perplexité, d'abord auprès de Jane non loin à qui la situation semble aussi échapper, puis auprès de celui que tu te résous enfin à regarder. Ta chevelure fouette les alentours tandis que tu tournes la tête en sa direction - et par extension vers celle de sa victime aux côtés du corps d’Harley. À voir vos airs, vous êtes tous sans explication logique à ce problème technique qui dégringole, de quoi vous rendre vachement émotifs. Vous devez faire quelque chose, là tout de suite, et c’est sans grande surprise Orm qui montre les dents le premier. Son ton impérieux gronde lourdement dans l'arène, réclamant avec agressivité la conclusion de cette insanité telle que promise. Il y a là de quoi - tu l'espères - secouer les spectateurs. Après tout, vous avez livré la prestation avec brio, ne sont-ils donc pas contentés?!


À ton grand soulagement, quoique soulagement soit un grand mot, l'animosité théâtrale d'Orm porte ses fruits. Du fin fond du couloir donnant sur votre salle, les pas bruyants d'un premier homme, puis d'une dizaine à sa botte, parviennent jusqu'à tes oreilles attentives. T'es sûre que les Atlantes présents dans la pièce l'entendent eux aussi, et au brouhaha qu'ils font, ça n'est qu'une question de secondes avant que les autres en prennent aussi conscience. T'es prête, plus que prête même, tu n'attends que ça. T’as la colère qui pompe dans ta cage thoracique, un goût de vengeance qui te remonte la gorge et l'impatience qui te fait serrer les poings à en blanchir tes jointures. Vous avez encore une chance de vous en sortir et de leur rendre la monnaie de leur pièce dans votre échappée... Si seulement ceux-ci pouvaient finalement franchir le cadre de la porte défoncée. Mais non. Tu les vois arriver avec leur tête barricadée à l'intérieur d'un casque à visière teintée, exception faite du rampant aux commandes du troupeau, et à ton grand désarroi, ceux-ci s'arrêtent net à l'entrée sans poser un seul orteil à l'intérieur. Quoi encore! Tu fronces les sourcils en poignardant du regard l'insolent qui vous crache de façon condescendante un semblant d'adieu désintéressé. C'est pas vrai! Ils veulent vous laisser crever ici? Et en plus prudemment patienter là-bas, hors de portée?! Aucune chance que vous puissiez les embusquer d'aussi loin. Tu zyeutes brièvement le compte à rebours qui n'en a plus pour longtemps.  Ça ne peut pas se finir ainsi. Hors de question que ça se termine ainsi! T'as l'impulsivité qui prend soudainement les rênes, l'instinct de survie qui te tape violemment dans le corps.

« C'est tout?! Quel est l’intérêt de gaspiller de précieuses ressources durement capturées pour aussi peu qu’un mineur inconvénient? Sans nous pour faire votre sale boulot, ce serait vos corps pathétiques qui joncheraient le sol! Et vous croyez franchement avoir une chance contre ceux qui suivront? Vous croyez pouvoir remporter cette guerre contre des méta-humains en sacrifiant les seuls sous votre coupe? C'est lamentable... Tuez-nous, osez. Vos choix risibles vous mèneront à votre perte »

Tu t'adresses venimeusement à l'exécrable personnage qui se tient devant vous, mais aussi aux caméras, car si celui-ci semble effectivement en charge des soldats qui sont apparus en sa compagnie, tu te doutes que le véritable joueur derrière l'échiquier, le dirigeant à la tête du Peuple dans son ensemble, ne se serait pas imprudemment pointé le bout du nez dans cette cellule crasseuse. T'es paniquée par les évènements, mais t'essaies de ne rien laisser parraître, ni au moment où les battements assourdissants de ton coeur enterrent les pas de l'homme qui s'avance jusqu'à toi, protégé par la menace des nombreuses armes pointées sur vous, ni lorsque la pointe de son revolver force légèrement ton menton vers le haut. T'as conscience qu'il vous restait moins de soixante secondes depuis ton dernier coup d'oeil, mais c'est  tout comme si une éternité s'était écoulée avant que l'humain qui te menace ne porte la main à son oreillette en relâchant un brusque. « Compris. » Le canon s'éloigne de ta mâchoire, mais ta tête, elle, tourne légèrement à l'impact d'une main gantée contre ta joue. En moins de temps qu'il ne t'en faut pour cligner des yeux, la cellule est innondée d'unités armées qui vous entourent. « C'est votre jour de chance. Il semble que vous allez finalement nous être encore utiles. » Deux secondes. C'est le temps qu'il reste au cadran lorsqu'il se fige et le moment exact auquel Arthur décide de reprendre vie pour se jeter sur ces enfoirés. T'as pas besoin d'une confirmation quelconque, sa résurrection est le signe que t'attendais pour relâcher cette frustration qui bouillonne dans tes veines, en commencant par loger ton poing dans la sale gueule du rampant en face de toi, de quoi déjà solidement l'assomer. T'espères bien qu'Arthur ne voudra pas faire de quartier, parce que t'as pas l'intention d'en laisser un seul s'en sortir.

Sommes-nous réellement des nuisances pour la planète, nous les méta-humains? Nous, les héros? Sommes-nous aussi pires que le peuple ose le prétendre ? Ou est-ce qu'ils agissent seulement sous l'effet de la peur et de la colère engendrée par les dommages collatéraux parfois inévitables que nous causons? Ils n'ont pas entièrement tort lorsqu'ils disent que les pertes sont bien trop nombreuses depuis que la Terre est dans le collimateur des plus grands tyrans venus d'un peu partout, mais qui sait ce que la Terre serait présentement si les héros n'avaient pas été là pour la protéger. Certains pourraient se demander si, d'un autre côté, ces terribles conquérants auraient tout de même porter leur attention sur la planète bleue en l'absence de certaines têtes fortes qui s'y trouvent ou si celle-ci aurait été plutôt épargnée, faute d'adversité, d'un défi intéressant. Tant de questions qui restaient et resteraient sans réponse. Pourquoi réfléchissais-je à tout ce non-sens d'ailleurs ? Mon cerveau essayait-il, d'une façon bien maladroite, de me distraire d'une situation agaçante? Mes pensées m'échappaient peut-être, mais j'étais bien là, dans cette pièce, en chair et en os, les genoux contre le sol froid de cette salle de combat. J'étais là, à la merci de nos assaillants, de ce Peuple, mais aussi à la merci de nos alliés, dont certains dépeignaient une scène insupportable. Ma tête s'éleva avec difficulté, comme si je voulais absolument voir la haine dans le regard de celui qui me guiderait bien trop vite vers le repos éternel. Ou qui en avait l'intention. Malgré toutes les catastrophes causées par la race humaine au fil des années, cette fois, pour la première fois, intérieurement, j'étais dégoûté par ceux que je considérais comme mes semblables. Les pertes d'êtres chers dont j'avais souffert par le passé m'avaient autrefois poussé à mal juger une nation entière, injustement d'ailleurs. J'en étais venu à même nourrir un désir de sang, de souffrance à leur égard. Aujourd'hui, je me questionnais. Qu'avais-je vu en ces Atlantes que je n'avais su voir chez les humains? Avais-je volontairement détourné le regard? Nier cette sombre facette de leur espèce? Car en ce moment, tout m'apparaissait clair: Les humains et les Atlantes n'avaient rien de différent. Ils étaient tous deux guidés à tort par de mauvaises idéologies. Un constat bien triste à faire, mais oh combien réaliste.  Un constat réalisé trop tard alors que je voyais l'arme s'élever vers moi tel une fatalité. On m'avait prévenu, maintes fois. Si je m'en sortais, peut-être serait-il temps pour moi de réajuster le tir?

L'homme posa son index sur la gachette, signalant aussi simplement son intention, mais il fut aussitôt stoppé dans son élan par celui qui m'avait infligé ma vilaine blessure au niveau du flan. Mon souffle à moitié coupé, je soulevai légèrement la tête pour lui offrir un regard de remerciement. Un tas de questions venait encore une fois de me traverser l'esprit, mais ça n'était clairement pas le moment d'essayer d'y trouver réponse. Tant bien que mal, je regroupai mes forces, plaquant mes jointures contre le plancher de béton, poussant ensuite vers le haut. Un léger pas vers l'avant de ma part fut suivi de deux vers l'arrière. J'étais clairement dans un état pitoyable, mais je ne pouvais pas abandonner, pas maintenant, pas devant le peuple et surtout pas devant eux. Elle me savait fort et confiant et je ne tolérais pas l'inverse, bien qu'elle avait déjà une opinion tranchée sur ma personne. Tant qu'à lui, il avait déjà assez savouré à mes dépens. Une victoire orchestrée, puis le sauvetage qui venait tout juste d'avoir lieu. Je n'allais pas lui offrir la chance d'afficher un autre sourire, outre celui qu'il aurait peut-être lorsque notre triomphe serait confirmé, mais pour se faire, nous avions encore un combat à livrer. Marchant de droite à gauche, tout en accumulant des forces, je pris la direction de Mera, repoussant un homme qui semblait vouloir la prendre comme cible. « Personne ne touche à m-..la reine. » L'impact de mon poing fit reculer l'assaillant, avant que ce dernier s'écroule au sol. Bien trop de torts lui avait déjà été causés, je n'allais pas accepter qu'une autre attaque l'atteigne sans agir.

Les uns après les autres, les membres du groupe terroriste tombaient sous nos frappes bien plus puissantes et dévastatrices. Ils nous avaient séparés en deux groupes et nous avaient demandé d'aller jusqu'au bout, car ils savaient qu'ils n'en seraient tout simplement pas capable. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre ça. Ô, ils avaient peut-être des armes adaptées, mais fallait-il encore qu'ils aillent le temps de les utiliser. Mes pas me guidaient entre les corps inanimés de l'équipe adverse, alors que la voix d'Orm s'éleva dans la salle. Gagner ? Je crois que le mot n'est pas assez fort encore. Tranquillement, je me mis à analyser les corps inertes. « Je crois bien que oui... » Je coupai ma phrase sec. Mon air changea du tout au tout, passant de fébrile et épuisé à froid, un peu comme possédé. Un mouvement décelé du coin de l'oeil avait capté mon attention. Je me retournai, sans rien dire, m'élançant dans la direction de Mera pour plaquer sauvagement un homme contre le mur. Lui, j'avais espéré qu'il ne soit pas mort et qu'il allait trouver la force de se relever. Je m'appuyai avec force dans mon bras logé contre sa gorge. Puis j'attendis et attendis encore, encore et encore alors que l'homme se débattait en lâchant quelques grognements. « Tu crois t'en tirer après ce que tu as fait? Après avoir posé tes salles pattes sur sa personne ? Tu n'es pas bien malin... » La victime, sous ma poigne, laissa étouffer un léger ricanement, bien plus nerveux que confiant. « Vous avez peut-être gagné la bataille, mais le peuple ne mourra jamais et il gagnera la guerre. » Sans même penser, je lui resserrait mon emprise, oubliant presque le spectacle peu jovial que j'offrais aux autres personnes présentes dans la pièce. Je voulais qu'il souffre. Je voulais qu'il paie et sans doute que je ne réalisais pas à quel point ce désir me dévorait. Je lui assénait un coup en plein visage, bien plus violent que celui qu'il avait osé porter à Mera, mais ô à quel point insuffisant pour me contenter, avant de le transpercer sans ménagement avec mon trident. Allais-je remarquer cet étrange changement qui s'opérait en moi à force de voir de telles horreurs? « Nous avons vu pire que vous et nous avons triomphé, ce n'est pas le peuple qui changera quoi que ce soit. » Une nouvelle et fatale attaque de ma part lui fracassa la mâchoire, avant que je retire mon arme royale, le laissant s'écrouler aux côtés de ses partenaires. Je contemplai  une seconde le cadavre, sans émotion, sans remord. Puis mon regard se leva vers la foule.

Je défiais les regards qui étaient dirigés vers moi, sauf celui de mon frère, alors que je me retournais vers les autres personnes encore debout. Je ne voulais pas voir son expression suite à ma décision, tout comme je préférais ne rien entendre non plus. Je le blâmais exactement pour ce que je venais de faire. Moi, je le traitais comme un criminel, comme un danger et maintenant, je répliquais avec la même froideur que lui. Avait-il compris depuis tout ce temps que parfois c'était la seule solution ou alors, le faisait-il par plaisir ? ...Et moi alors? Était-ce la seule solution qui s'était offerte à moi? Avais-je eu raison? Une part de mon être désirait se questionner sur les faits, mais étrangement, l'autre part la faisait froidement taire en me rappelant les atrocités qu'ils avaient commis. La scène qui avait fait dangereusement bouillir mon sang. D'un pas lent, je me dirigeai jusqu'à Mera, arrêtant ma personne devant la sienne. J'étais affaiblie par les coups encaissés, abattu psychologiquement par mille et une choses, mais je me tenais droit. Et fier, comme un roi se devait de le faire. Comme elle l'attendait de ma part. Elle était saine et sauve et c'était bien tout ce qui comptait en ce moment. Nos récentes discussions me revinrent, nos récents échanges, contacts aussi. Mon regard soutenait le sien, mais je cherchais bien plus que le vert de ses yeux. Je cherchais son âme, sa réaction. Dans la volonté qu'il me restait, j'y puisai la force de passer ma main sur sa joue, un geste qu'elle m'avait autrefois reproché mais que je jugeais aujourd'hui opportun, nécessaire, puis je laissai mes doigts glisser jusqu'à l'arrière de sa nuque encore fraîchement entaillée. Les alentours autour de nous s'effondraient tandis que je me perdais dans le moment que j'allais saisir. Je m'approchai d'elle tout en la guidant vers moi, posant mes lèvres contre les siennes. Un rare geste de tendresse qui fut tel que le reste n'avait plus d'importance, l'instant d'une seconde. Ce baiser, je l'avais désiré depuis le dernier, si récent pourtant, comme un manque. Je sentais mon cœur battre à pleine vitesse jusqu'à ce qu'il ne se torde lorsque nos visages s'éloigèrent l'un de l'autre. « Mera, je vais leur faire payer leur affront... Ils paieront jusqu'au dernier. » Je crus d'abord que c'était l'émotion, ou le soulagement, mais son regard tremblait comme s'il s’efforçait de ne pas se détourner. Et lorsqu'il se posa, l'espace d'un très bref instant, sur mon frère je compris ce qui la tiraillait. Je la fixai comme si je refusais une évidence claire avant de regarder Orm. J'avais espéré qu'il voit, alors pourquoi sa réaction m'agacait-elle encore plus maintenant? La retrouver avec lui lors de mon arrivée avait semé le doute, mais j'avais fait l'innocent. Plus maintenant. Souvent, elle m'avait fait mention du fait que je n'étais pas suffisamment présent pour la cité ou ses habitants, voire même pour elle... « Ma reine, les citoyens d'Atlantis doivent être rassurés et savoir que vous n'êtes plus en danger. Je crois que nous nous sommes suffisamment attardés ici.. » C'était précipité mais je ne voulais plus être ici. Sans perdre de temps, sans laisser une seconde de plus, je pointai la sortie en poussant légèrement dans le bas de son dos pour l'y guider. Je m'approchai d'Orm avant de quitter une bonne fois pour toute ce cauchemar. Une main étampée contre mon flanc, j'arrêtais mes pas à quelques centimètres de lui avant de poser mon autre main contre son épaule. « Tu as été un allié redoutable aujourd'hui... Comme quoi il est possible de coopérer lorsque les deux partis sont bien intentionnés. Qu'à cela ne tienne, je suis soulagé de te savoir en sécurité désormais. Tu restes mon frère après tout. » J'amenai ma main dans son dos, lui offrant une accolade fraternelle qui nous rapprocher, juste assez pour lui chuchoter à l'oreille. « Et c'est pourquoi je vais me contenter de te donner cet avertissement... Je ne connais pas l'histoire derrière, ni même pourquoi ou par quelle agaçante coïncidence vous vous êtes retrouvés ensemble. En fait, je ne veux même pas le savoir. Tiens-toi loin, très loin, d'Atlantis et tout autant sinon plus de Mera... » Je m'éloigna légèrement, instaurant une distance raisonnable entre nous pour lui tapoter l'épaule une fois de plus, un sourire forcé aux lèvres. « Si tu passes au royaume un de ces jours, nous aurons beaucoup à discuter. En attendant, prends soin de toi petit frère. » Je fis quelques pas vers l'arrière, pressé de quitter avant que je ne me laisse porter par les sentiments qui me tentaient. J'offris un hochement de tête à la jeune femme, Jane son nom, avant de faire de même pour Harley et son cirque, puis je me dirigeai vers la porte pour quitter cet enfer qui laissait présager, sans même que j'en ai conscience, bien pire à l'horizon.

Après le calme vint la tempête, et de la tempête en revint le calme. Au milieu des corps mutilés, dans cette lugubre cellule de laquelle s’échappaient encore des cris d’agonie quelques secondes plus tôt, vous vous tenez debout. Amochés, exténués, mais debout. Tous et chacun d’entre vous. Qui l’aurait cru? À l’issue de cette sombre péripétie, de ce combat sans espoir, vous êtes sortis triomphants. Malgré la fatalité qui jouait en votre défaveur, vous avez judicieusement déjoué la faucheuse, et c’est désormais un silence de mort qui accueille votre victoire face au Peuple. Ton regard se perd dans la marre qui se répand à tes pieds alors que ton cœur se débat éternellement dans ta poitrine, toujours au garde-à-vous par peur que des renforts ne décident de se joindre tardivement à la partie. Or, rien ni personne ne s’en suit, si ce n’est qu’à l’annonce du grand verdict, peut-être un peu trop précipité tout compte fait, un des cadavres reprend finalement vie à la façon un cafard qui refuse de s’écraser sous une semelle. D’où tu te tiens, tu n’as même pas la chance de t’avancer vers l’ordure que la chevelure indisciplinée d’Arthur te passe aussitôt sous les yeux. Tu veux t'en charger toi-même, toi qui n'as certainement pas besoin qu'on vienne à ton secours ou qu'on fasse le sale boulot à ta place, mais ses pas lourds résonnent d’une colère froide qui te freine bien vite dans ton élan. En une fraction de seconde, l’homme est agressivement enfoncé dans le mur avec une violence telle que t’en as presque un sursaut. Tu ne te risques pas à intervenir, tout comme le reste des spectateurs forcés, non pas par crainte de représailles ou qu’il ne redirige sa frustration vers toi, mais parce que t’es franchement bouleversée de le voir dans un état comme celui-ci. Tu observes l’Atlante que t’as connu comme bon et dévoué à la cause humaine se métamorphoser en un être dont tu n'as nullement connaissance, capable de malmener avec une cruauté déconcertante l’égaré qui a été assez fou pour donner signe de vie. Comme sa victime, t’as littéralement le souffle coupé et t’es incertaine de savoir si tu devrais ou non réagir, t’interposer ou laisser le rampant mijoter dans sa terreur mal dissimulée. Oui, c’est bien le cas de le dire, t’es décidément perturbée, contrairement à d’autres qui semblent à l’inverse divertis par la tournure des évènements. Tu te détournes un moment de la scène alors que ta tête fait un quart de tour vers la source des gloussements anti climatiques à ta gauche et s’arrête en direction de la blondinette, appareil électronique en main. Tu captes pas immédiatement de quoi il s'agit, mais à en voir le clignotant et les yeux gourmands de la tarée rivés sur son écran, tu comprends que c'est loin d'être un bon signe. « ...Qu'est-ce que tu fous.. » Aucun besoin qu'elle t'éclaire sur la question, tu y réponds toi-même, un peu trop tard, lorsque t'aperçois en haut la mention LIVE lettré en rouge. Non, non, non... Si ces images venaient à être diffusées à l'échelle nationale, voire globale, la crise serait inévitable. Tu imagines déjà les gros titres. Aquaman: Héro ou bourreau? Atlantis, allié ou ennemi? Et ça ne serait que le commencement... Est-ce qu'elle a non seulement idée des répercussions que pourraient avoir sa connerie, ou est-ce qu'elle n'en a en fait strictement rien à foutre? T'es gravement vénère, t'en peux plus de cette toquée insupportable qui vous fout des bâtons dans les roues depuis son apparition et tu lui aurais bien refait le portrait si Arthur n'avait pas balancé l'objet de son défoulement au sol comme un vulgaire chiffon, prêt à en finir. « Arthur non! »

Ton exclamation n'a aucun impact sur le dénouement et la lame de la guillotine s'abat sans ralentir pour offrir une exécution en direct à qui sait combien de téléspectateurs. T’arraches brusquement le gadget que t’envoies éclater en mille composantes contre la pierre. Par Zeus! Tes épaules s'affaissent sous un long soupir silencieux. Le mal est fait, vous devrez gérer les conséquences en temps et lieux. Pour le moment, tu échanges un regard avec Jane, qui s'est faite plutôt discrète jusqu'à présent, puis Orm non loin d'elle. T'en profites pour constater qu'ils sont eux aussi en sale état, mais qu'ils s'en tireront, tout comme vous. Tu n'iras pas jusqu'à dire que ça te rend heureuse, toi qui a clairement des comptes à régler avec la pseudo-samurai, mais tu ne lui souhaitais pas de rendre l'âme dans ce trou à rat et à quelque part, tu sais qu'il est bien mieux de la voir sortir vivante qu'autrement. En ce qui concerne Orm... Il est bien plus sage de ne pas t'y attarder trop longtemps. Les chialements d'Harley deviennent un bruit de fond auquel tu ne prêtes même plus attention. Tu ramènes finalement ton regard vers le dernier et non le moindre qui s'est sorti de son inertie pour se traîner jusqu'à toi. Tu n'as aucune idée de quoi lui dire, comme si les mots se planquaient à un endroit inatteignable de ton esprit, et c'est sans doute pourquoi tes émeraudes fuient aussi habilement le bleu de ses yeux, inspectant plutôt ses traits fermés, sa peau peinte de rouge et ses habits poussiéreux avant de s'attarder longuement sur la plaie à vif de son abdomen. « Ta blessure demande une attention immé...diate. » Sa main contre ta joue manque de peu de te faire perdre le fil de ta phrase. La fébrilité grimpe en flèche alors que ses doigts éveillent une faible douleur à ta nuque. T'es dans une situation impossible, et Hades doit bien s'en amuser. Tu questionnes peut-être Arthur du regard, mais c'est Orm, témoin malgré lui d'une telle scène, que tes pensées font miroiter dans ton esprit. Vous avez fini par vous rapprocher, toi et Arthur, il n'y a pas si longtemps. Par devenir un peu plus complices. Et tu croyais que cette histoire allait finalement faire tout son sens désormais, après ces longues années éprouvantes. C'aurait dû être le cas, mais plus rien n'est aussi simple depuis que tu l'as croisé sur ce ponton, n'est-ce pas?

T'es la première des deux à séparer tes lèvres des siennes et si t'as fait de ton mieux pour rester fixée sur celui qui te fait face, t'as pas su t'empêcher de lui accorder un regard à lui, très bref mais déjà de trop. T'es déchirée et chaque seconde qui s'écoule sur cette île ne fait qu'en décupler le sentiment. Tu regrettes ce sadique dénouement, il n'y a pas de doute, mais tu ne regrettes pas le cauchemar, car avant cette dégringolade vers les enfers, il y a eu ce moment sur la plage de Morro Bay, et si tu avais à choisir, tu revivrais le tout, délire du Peuple inclus, sans hésitation. « C'est vrai... Nous n'avons plus rien à faire ici » T'avances sur le pilote automatique jusqu'à la porte qui te mènera chez toi. Dans l'embrasure, tu t'arrêtes néanmoins pour ne pas manquer un détail de cet échange entre eux. T'entends les mots qu'ils prononcent à voix haute, mais t'as pas idée des couteaux qui s'enfoncent dans le dos. Évidemment, tu n'es pas sotte: Le tout te semble bien trop chaleureux. Terriblement faux. Mais vous avez tous, sans exception, les mains liées. Et à cela, la seule chose qui tu puisses y faire, avant qu'Arthur et toi ne quittiez les lieux, c'est de laisser tes lèvres mimer quelques mots tristement maladroits. Je suis désolée.