SHUTTER ISLAND (intrigue groupe 3)

Le monde s'est arrêté pour lui. Le monde s'est arrêté pour elle. Et le monde s'est assurément arrêté pour toi. C'est une chose de savoir, c'en est une autre de voir. Tu ne devrais pas, mais c'est plus fort que toi, tes iris accrochent ce baiser entre une roi et une reine. Un roi et ta reine. Celle qui était tienne, celle que tu n'as jamais su laisser partir, et celle à qui tu ne parviens toujours pas à renoncer aujourd'hui, malgré l'étau qui se resserre atrocement contre ton palpitant erratique. Tu n'as aucun instinct de survie, refuser de détourner le regard, c'est te condamner toi-même, devenir ton propre bourreau et lâcher la guillotine sur ta nuque déjà abîmée. L'instant est sûrement bref, mais pour toi il dure pendant des heures. Non, il dure depuis des années. Dès le moment où tu as compris que ton frère ne s'était pas uniquement emparé de ton trône, en vérité. Longue agonie qui frappe brutalement l'apothéose durant cet échange complice qui te laisse sur le carreau, transformant l'espoir de vos retrouvailles en une fatalité qu'il va t'être difficile de digérer. C'est drôle, c'est maintenant que tu réalises ce que tu ressens pour elle. Des sentiments qui n'avaient pourtant rien d'anesthésiés tant tu les as éprouvés durant toutes ces années d'éloignement. Jamais une seule femme n'est parvenue à te détourner de ce que tu pensais être votre évidence. Une évidence qui n'était peut-être qu'un triste mirage, finalement. Quand le baiser se rompt, et que tu contemples les dégâts de ton âme brisée en mille, tu croises son regard une très brève seconde. Il y a quelque chose qui passe entre vous, mais tu ne parviens pas bien à déterminer quoi. Et pendant cette seconde là, tu t'es demandé si tu venais d'assister à un tournant dans une histoire d'amour ou à au début de la fin d'une histoire qui n'aurait jamais dû exister ? Le doute est là, immiscé en toi, alors que t'as senti que tu étais sa préoccupation dans quelque chose où tu n'aurais pas dû avoir une place. Vous n'avez jamais été doués avec les mots, c'est avec tout le reste que vous vous exprimiez, et cette fois encore, c'est à travers ce qu'elle ne dit pas que tu interprètes les différents versants de son cœur. Quelle chance il a de pouvoir laisser ses émotions ainsi exploser, tandis que les tiennes restent encore prisonnières de la prison de ton esprit, comme si tu n'avais jamais vraiment quitté Belle Reve. Tu te tournes un peu, tu écartes son image de ton champ de vision pour ne pas qu'elle ne lise trop distinctement l'ébranlement qu'elle vient de provoquer. Cette vague de brutale nostalgie, le souvenir du goût de ses lèvres qui te laisse envieux, tu ne sais comment l'encaisser, toi qui est pourtant déjà tombé à genoux sans savoir si tu réussirais à te relever. T'étais tellement lancé vers ta rédemption avec ce royaume engendré de tes propres cendres que t'en as presque oublié l'essentiel, ce qui manque le plus à ta vie et que tu ne retrouveras sûrement jamais quoi que tu entreprennes pour te sortir de ce maudit purgatoire : elle.

Il te l'arrache. Encore. Non sans venir essayer d'enfoncer le dernier clou de ton cercueil avant. Tu n'écoutes pas ses élans élogieux bien trop inattendus pour être réellement sincères, et tu ne parviens pas à te détendre quand il s'approche de toi pour une étreinte désagréable. Est-ce que tu regrettes de ne pas avoir saisi l'occasion de l'écarter définitivement de ton chemin ? Pendant quelques secondes, oui. Tu aurais pu te débarrasser de lui sans que cela ne soit réellement suspect, quelques centimètres sur le côté et tu n'aurais pas eu la sensation de ce barbelé en train d'écorcher ton cœur. Mais cette souffrance s'évapore un instant pour laisser place à une vive colère, alimentée par l'avertissement d'Arthur. Rester loin d'Atlantis et loin de Mera, hein ? Il n'y a pas de quoi être énervé, finalement, c'est là l'attitude d'un homme qui sent qu'une femme pourrait lui échapper. En une seule rencontre dont il ignore tout, tu es parvenu à immiscer le doute en lui, et l'incertitude qu'il semble avoir en leur couple provoque chez toi l'arrogante envie de pousser un peu plus loin. Le fin sourire qui étire maintenant tes lèvres ne trompe pas tes intentions, ni la satisfaction d'être devenu une menace pour lui. De quoi a t-il peur ? N'est-il pas celui qui l'a finalement épousée ? « Tu vas lui tenir le même discours, mon frère ? » Il comprendra où tu veux en venir. Et si c'était elle qui ne parvenait pas à garder la distance ? Tu n'es pas fou, il s'est passé quelque chose sur ce ponton, et il s'est passé une autre chose encore quand vos regards se sont croisés après leur baiser échangé. Sans vouloir être trop présomptueux, tu n'es pas certain que sa piteuse menace ne soit suffisante pour freiner ce qui s'est ravivé avant votre capture. « Je ne manquerai pas de venir, compte sur moi. » Cette invitation n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd, mais tu ne précises pas ce qui est pourtant évident, tu t'y rendras moins pour le royaume que pour la reine qui s'y trouve. Te provoquer et tenter d'avoir l'ascendant sur toi est sans aucun doute la pire erreur qu'il pouvait commettre. Bien que tu te promettes de ne jamais te servir de Mera pour l'atteindre lui. Puisque finalement, il n'est absolument pas question de lui, mais uniquement d'elle et toi.

Elle n'a plus rien à faire ici, vraiment ? C'est réellement ainsi que va prendre fin ces retrouvailles inespérées ? C'est presque comme si le Peuple n'existait soudainement plus. Tout ce qui s'est passé dans cette pièce, le carnage, le geste irréparable d'Arthur aux yeux du monde qui aura de lourdes conséquences, plus rien n'a d'importance, alors qu'elle prend la direction de la sortie, te laissant derrière, plus blessé que les apparentes blessures physiques laissées par le combat. Tu oses un dernier regard, et elle t'adresse des derniers mots silencieux. Des regrets inaudibles. La conscience qu'elle est toujours la seule pour toi. Et peut-être aussi la promesse d'un prochain chapitre. N'en déplaise à Arthur, tu n'en resteras pas là. Pas alors que ta douleur fait écho à la sienne, elle aussi perdue dans ce trublion qu'aucun de vous deux n'attendait ce soir, et qui vous propulse droit vers une tempête déchaînée. Les flots de votre histoire sont tumultueux, mais tu refuses de croire qu'elle n'a réellement plus rien à faire ici. Ou du moins, qu'elle n'a plus rien à faire ici avec toi. Jane semble rester à tes côtés, spectatrice d'une vulnérabilité nouvelle que tu peines à cacher. Et quand sa silhouette disparaît pour de bon, tu te sens brutalement vidé de toute ton énergie. T'as presque l'impression d'être sur le point de t'effondrer. Et ces quelques mots que tu chuchotes pour toi-même, puisque déjà trop tard pour qu'elle puisse les entendre, finissent d'enfoncer le couteau loin dans la plaie. Moi aussi. 

AVENGEDINCHAINS

Rescapée de justesse, manquée de peu par un tir à bout portant, t’avais expiré le poids de l’épée de Damoclès qui avait bien failli t’abattre. Tous, vous aviez survécu et vous étiez tenus debout, certes, mais désormais t’avais les genoux qui flanchaient. Ils entrèrent en contact avec le sol poissé d’un sang justement versé. Le calme après la tempête, et vous étiez vengés enfin. Assise comme une enfant, pieds de part et d’autre de ton séant, c’est un regard affuté malgré tout que t’avais accordé à tout ce qui avait suivi : Non, le spectacle de ce héros en train de violemment enlever la vie ne t’aura pas été pénible. T’avais même un rictus léger sur les lèvres, à ce moment précis où le point de rupture d’Aquaman l’avait affiché comme une bête vengeresse. Puis ce baiser, si approprié mais si brutal dans un décor de mort et de poussière t’attendrit presque. Il est étrange de se figurer à quel point des moments comme ceux-ci te parurent longtemps creux, parce qu’étrangers, alors que ce soir-là cette scène avait une résonance différente. Tu n’en n’étais pas à les envier, mais la réalité demeurait la même : ce genre d’affection n’avait pas sa place dans ta vie. Et c’était pour le mieux. Ta quête devait être menée à bien, sans être au dépend d’un autre qui pleurerait ta perte, saluerait ton courage tout en désapprouvant tes choix d’existence. Puis, tu suivais le regard de la reine rouge vers un visage brisé et laissé pour compte. Orm. Quelle était donc cette horreur à peine dissimulée dans ses yeux ? T’en déglutit presque tant cette vision te parût peu supportable. Difficile de ne pas avoir remarqué plus tôt ce lien bien mal caché, cette alchimie bouillante entre eux, visible depuis que t’avais ouvert les yeux dans cet entrepôt sordide. Asseoir cette vérité pour de bon écrasait ton souffle, et tes mâchoires serrées forcèrent tes prunelles à constater cette vérité bizarrement crue : Il n’y avait qu’elle, et ce serait le cas à jamais. T’attachais à la chevelure rousse une œillade envieuse. Tu n’avais eus que mépris pour cette femme sans y trouver de justification, mais c’est empoisonnée par la jalousie que tu quitterais cet enfer. L’estomac tordu par l’expression du tueur de trenchers, celui-là même qui partagea une nuit son plus gros secret avec toi, acheva de te la faire haïr. Cette reine et son coup d'œil si peu innocent, qui de ton point de vue jouait sur les deux tableaux. T’en eus ta claque de la famille Atlante et tu te relevais pour ramasser ton sabre, l’essuyant inutilement pour prétendre ne pas entendre l’avertissement du roi d’Atlantis à son frère. Tu fichais un pain à Quinn qui avait bien failli t’afficher sur internet si tu n’avais pas changé à temps de visage. La blonde riait avant de ramasser son équipe de bras cassés. Il y avait de la place pour toi dans l’hélicoptère, et si risquer de rejoindre la Suicide Squad n’était pas une option, te rendre dans un hopital pour te faire enlever cette bombe était encore le choix le moins acceptable. Tu prendrais le risque, ne serait-ce que pour échapper à toute cette tension. Partir sans te retourner, c’était bien ce que tu t’étais apprêtée à faire, oui. Fuir très loin de ce personnage et son peuple marin pour mieux tout oublier, effacer la frêle émotion qui entachait ta cage thoracique comme une encre noire. Qu’avais-tu imaginé sinon ça ? Depuis le commencement, il t’avait mise en garde, et toi depuis le début tu t’étais raccroché à un bref instant qui aurait dû le rester. Pourtant vos routes se croisaient encore et encore, et une nouvelle fois aujourd’hui, il t’avait sauvé la vie. Alors, t’osait te détourner de la sortie. Constater que lui et sa prestance habituelle avaient disparu pour laisser place à une enveloppe vidée te fit te mordre la lèvre. S’il t’étais arrivé de le comparer à un dieu du Tartare, aveuglée par cette peur muée en admiration, tu le voyais à présent comme un homme. A s’y méprendre, un simple humain. Tes yeux verts examinèrent trait pour trait cette fresque dévalorisante de l’ex-terreur des mers, avec patience, sans mépris. L’existence de ce ressentiment dans ta poitrine, il ne le connaissais pas, et n’aurait pas à le connaître. Si ça devait être votre dernière rencontre, tu ne voulais pas qu’elle se termine comme ça. C’est en conscience que tu t’approchais d’un Ocean Master qui n’était plus que l’ombre de lui-même, tout au plus une âme déçue, tourmentée. Jamais tu n’aurais imaginé que la faiblesse de celui qu’il t’étais arrivé de craindre presque autant que l’océan, fut une femme. Dans d’autres circonstances, t’en aurait sans doute profité, mais pas maintenant. Tu t’autorisais quand-même à prendre sa main. Tous deux blessés par les combats, mais aussi meurtris à l’intérieur, c’était d’un ridicule à pleurer. Il n’y avait pas besoin que tu parles, et puis quoi dire ? T’avais prouvé à tes dépends qu’il pourrait toujours te trouver s’il en avait besoin, mais tu te sentis bien mal venue de le lui rappeler après cette tournure des évènements. Venez, on devrait profiter de notre taxi pour rentrer, et se faire retirer ce truc. T’avais en horreur la bande de rigolos, mais tu n’avais pas d’autre choix. Plus tard, une fois le sous-sol abandonné, la découverte de l’île et de ses flots alentours aurait raison de ton reste d’énergie et tu ne pourrais dire proprement “adieu”, tombant dans les vapes. Non sans avoir crû reconnaître des plages familières, et un horizon déjà aperçu en captivité.

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