Mes premiers pas dans la boite de nuit. La musique et la basse ont déjà prises possession des lieux. Ca me fait étrange. Ca me fait bizarre. Voilà plus de quatre ans que je ne suis plus sortie en boite. À la fois, j'ai l'impression que c'était hier et, de l'autre côté, qu'une éternité vient de s'écouler entre cet instant précis et mes souvenirs. Je relâche la pression. Un fin sourire aux coins des lèvres. Non, je ne suis pas mal à l'aise pour autant. Un nightclub, c'est une ambiance différente, bien à part. Une sensation qui m'a manqué et que je redécouvre de par les basses tapotant dans mon sang pour faire battre mes veines au rythme de la musique. Même les battements de mon coeur s'accordent pour vibrer en parfaite symbiose. L'endroit est déjà bien rempli. De tout âge. De tout horizon. Bien que la moyenne d'âge des lieux ne dépasse pas la quarantaine d'années. On ne sait où donner de la tête. Et si je devais partir en patrouille ou enquêter dans ce genre d'endroits, je ne sais même pas si je parviendrais à mes fins ou si je me laisserais prendre au piège par l'ambiance du lieu. À moins de repartir bredouille, c'est une possibilité aussi... Mais non. Ce soir, je ne suis là pour personne. Je ne suis pas en pleine enquête, en pleine traque. Pas de méchants gros vilains à coincer ou à prendre en flagrant délit. Si je suis ici ce soir, ce n'est que pour moi, rien que pour moi. Deux mois que j'ai choisi de poser mes fesses à Metropolis. Deux mois, voire presque trois, où j'essaie de refixer mes certitudes, de ne pas oublier mes responsabilités en tant que justicière mais, et surtout, à me retrouver en m'accordant un peu de temps pour moi. Les blessures de ces dernières semaines sont toujours vives et ancrées dans ma mémoire. Elles le seront sans nul doute pour toujours désormais. Mais ça ne doit pas entrer en ligne de compte ce soir. À l'image de ces quelques années en arrière, je veux juste sortir. Je veux juste boire un verre. Danser. M'amuser. Prendre du bon temps. Kate Kane a totalement laissé Batwoman au placard pour toute la soirée, pour toute la nuit. Alors faisons honneur à cette promesse personnelle et implicite de ne me soucier de rien et de simplement profiter. Si je ne le fais pas maintenant, personne ne le fera. Et demain sera-t-il peut-être trop tard... ! Voilà pourquoi je ne serai pas plus l'héritière Kane, non. En cette soirée de liberté, votre principale concernée n'est qu'une femme parmi tant d'autres. Une femme parmi tant d'autres qui, comme ses paires, s'offre le luxe d'un peu de bon temps, sans avoir à demander l'autorisation, ni la permission. Sans avoir à se justifier ou à s'excuser. Vivre pleinement le temps d'une nuit, qu'en importe les conséquences au lendemain matin !
- Une marguarita, s'il vous plaît.
Après m'être frayée un chemin à travers la foule, je finis par arriver au bar. Commande passée, je pose un coude sur le comptoir et me tourne à moitié en direction de la piste de danse. Sans le vouloir, ou plus précisément sans m'en rendre compte, j'observe presque toutes les personnes m'environnant telle une chasseresse. Sans doute les affres d'une solitude trop prolongée, ou d'un manque plus que certains de plaisirs charnels, allez savoir ? En tout cas, je m'amuse à profiter du moindre détail. Que cela aille des trois copains jouant les beaux parleurs pour aguicher trois pouliches souriant, riant et ne se privant nullement de les allumer. En passant par la bande mixte d'amis venant s'éclater comme si c'était la première fois. Ou encore le panel de bimbos trémoussant leurs popotins avec vulgarité pour s'attirer sans nul doute les faveurs d'un bel âtre. Et j'en passe ! Mais ça fait partie du jeu comme on dit. Les éléments essentiels du lâché prise. Raison pour laquelle je me devais de sourire intérieurement, sachant que je n'étais pas là pour les juger, et que je ne vaudrais peut-être pas mieux d'ici quelques dizaines de minutes, voire une heure ou deux... Je me demande d'ailleurs si j'ai perdu de ma drague d'antan ou pas, tiens ? Mais trêve de bavardages. Mon verre arrive. Je le sirote de quelques longues gorgées. Toujours aussi chaud et grisant quand ça vous parcours délicieusement la gorge. Je ne nierais pas avoir retrouver les plaisirs de boire un verre depuis que je me suis trouvé mon petit logement dans la ville de Demain. Parfois plus qu'un, d'accord... En même temps, on a tous nos petits défauts, non ?
Je tapote des ongles sur le rythme de la musique. Voilà prés d'une vingtaine de minutes que je me suis attablée à ce bar. La seconde Marguarita vient d'y passer. Allez, Katie, t'es venue là pour te lâcher, arrête de rester planter là et va profiter du dance floor, tu en meurs d'envie ! Et c'est vrai que si l'hésitation traditionnelle de tout nouvel arrivant de se lancer dans la première danse se fait ressentir, je décide finalement par aller au-delà. À nouveau, c'est subreptiscement que je me fraie un chemin à travers la foule pour rejoindre la piste. Arrivée en son bord, je me laisse alors entraîné par un petit déhanché tout en continuant de m'avancer vers la foule de plus en plus compact. J'aime être au coeur de la foule. Au coeur de la fête. Rien n'est plus désagréable que de rester sur le côté. C'est en étant en plein centre de l'ambiance qu'on profite et qu'on se laisse porter en oubliant tout. Mon sourire se dessine davantage en coin sur mes lèvres. Ca y est, je commence à ressentir et éprouver cette sensation que la danse et la foule peuvent agréablement apporter. Qu'importe le bordel que ça serait pour retourner au bar. Qu'importe que je sois seule. Qu'importe qu'on soit tous un peu serré les uns contre les autres. Je suis arrivé à l'endroit de mon choix et me laisse aller un peu plus. Plus seulement de déhanchement léger et timide. Je bouge, je me trémousse. J'use de mes jambes, de mes bras. Je regarde sans regarder. Surfer sur la vague. Fermer les yeux. Profiter. Oublier. Danser. Être légère. Être bien.
Métropolis. La cité des anges depuis que ce grand héros a bercé le cœur des enfants, des femmes démunis et qu’il est devenu un espoir sur lequel se raccrocher depuis les derniers évènements. Métropolis, si différente de New-York, et pourtant, je ne pourrais jamais dire laquelle des deux j’aime le plus. La question n’est pas là. La question n’a jamais été là d’ailleurs. Les années sont défilées. Les années se sont écoulées à une vitesse que je ne parvenais pas à saisir tant l’ampleur a été immense. Jamais, je n’aurais pu croire qu’en débarquant sur ce monde vaste rempli d’hommes que j’aurai été capable de poursuivre des études, de décrocher un emploi et d’en faire mon affaire principale aujourd’hui. Beaucoup de choses, beaucoup d’éléments ont changé durant ces derniers mois et je dois bien admettre être particulièrement satisfaite de faire les choses par moi-même sans pouvoir dépendre de ma sœur aînée ou encore de suivre ses traces sans que je ne puisse me rendre compte. L’importance est là : me différencier totalement de l’amazone aguerrie, de la princesse, de la justicière. Le chemin est tout tracé. La route est toute dessinée. Le bout du tunnel se voit aussi lointain qu’il puisse y paraître. Et la route poursuit sa route, sa longue route pour rejoindre un autre point, celui d’une demeure chaleureuse et reposante.
Bien que je sois toujours disponible pour l’équipe de jeunes justiciers, bien que je sois toujours disponible pour les aider dans leur entraînement notamment, la journée d’aujourd’hui s’est écoulée au sein de mon entreprise, au sein de ma précieuse, au sein de mon bébé. Il m’est devenu une identité à part entière. Il m’est devenu une découverte d’une passion que je n’aurai jamais décelée lorsque je ne fus qu’une amazone sur Themyscira. Il s’agit d’un bébé auquel je ne pourrais jamais me détourner tant il a d’importance dans ma vie, dans mon âme, dans mon cœur. Pourtant, je ressens le besoin de m’en défaire pendant quelques heures. Je ressens le besoin de vouloir me déconnecter complètement du monde pour me retrouver simplement. Jamais, je ne pourrais me mettre à la place de Diana, jamais je ne pourrais comprendre la douleur, la souffrance qu’elle a pu ressentir depuis cette dernière bataille qui lui a failli coûter la vie, pourtant, de par les brides que j’ai pu ressentir à ce moment-là, un fidèle ami et collègue m’a rappelé à quel point il est important de pouvoir savourer et profiter de la vie, qu’en importe la personne que tu sois. Son conseil, il a longuement suscité un intérêt dans mon esprit. Quand bien même existe-t-il plusieurs éléments auxquels nous pouvions nous reposer, mon collègue m’a simplement donné l’adresse d’une institution que je ne connaissais nullement jusqu’à ce jour. Une institution qui m’est étrange et dont je ne parviens pas à comprendre le fonctionnement d’une telle utilité. Parfois, il m’arrive de me questionner sur les hobbies des êtres humains tant elles me paraissent à des années lumières de nos loisirs sur Themyscira. Il est évident que des comparatifs se fassent. Et il est également évident qu’il me faille un instant de déconnexion totale. On me l’a assez souvent répété. Il est désormais tant que je puisse apporter une oreille attentive à cette répétition.
Le détour par le domicile a été quelque peu précipité et rapide. Le temps nécessaire pour un rafraîchissement le plus total. Le temps nécessaire pour s’apprêter au mieux aux idées reçues de la population. Le temps nécessaire pour avaler une quelconque nourriture, un quelconque aliment et il est désormais l’heure de quitter la maison pour prendre la route en direction de cette destination encore inconnue à mes yeux. Je me suis même questionnée sur le fait si Diana a déjà connu ce genre d’aventures. Si oui, comment s’est-elle comportée ? Comment a-t-elle réussi à se lâcher dans un milieu qui ne nous est pas si familier que ça. Oui, sur Themyscira, il nous arrivait, avec nos sœurs, d’avoir des instants de relâchement et de pouvoir nous détendre. Oui, nous connaissons la notion même de la danse, mais pas dans un tel contexte et dans un tel univers. Néanmoins, je n’ai pas la sensation d’une « boule au ventre » comme dirait certains dans le monde des hommes. Au contraire, je me sens assez détendue. Sans doute que je mets directement dans l’ambiance tant mes oreilles commencent déjà à saisir quelques sons en provenance de l’intérieur de l’établissement. Alors que je cherche une place afin de pouvoir garer mon véhicule, j’aperçois une file plus ou moins longue devant l’entrée. Un sourcil haussé, un léger soupir et je finis par me garer. Je sors de ma voiture, la verrouille et me dirige alors vers la dite entrée. La file se réduit assez rapidement au point que je finis par entrer à l’intérieur du bâtiment assez facilement. Il faut que j’écarquille les yeux lorsque je vois autant de personnes réunit dans un espace où il ne doit pas faire plus de 200 mètres carrés. Je suis assez surprise et assez étonnée. J’ignore comment pourrait se dérouler cette soirée, mais je décide de la commencer en allant vers le comptoir du bar et d’y passer une commande d’un cocktail fruité pour me mettre un peu plus à l’aise. Ironiquement, je suis davantage plus à l’aise face à de redoutables ennemis qu’à être entourée d’inconnus qui ne font qu’effectuer des mouvements avec leur corps, seul ou à plusieurs. Prenant une certaine inspiration, je remercie le jeune homme et bois une petite gorgée de mon verre en laissant mes yeux se porter vers la salle, autour de moi. Rapidement, mon regard porte son attention, une attention particulière, vers la piste de danse qui se trouve juste devant moi. Certes, plusieurs personnes s’y retrouvaient et s’amusaient à se laisser emporter par la musique, mais mes iris ne se posent que devant cette jeune femme à la chevelure intensément flamboyante et sulfureuse. Je ne me rends pas compte directement, mais un sourire étire sur le coin de mes lèvres. J’observe la scène en retrait. Je l’observe jusqu’au moment où j’assiste à des intervenants non voulus. Les sourcils froncés, je dépose lentement mon verre sur le comptoir, ne perdant pas de vue cette demoiselle qui dansait, qui se trémoussait sans trop en abuser, tout au naturel et au rythme de la musique circulant dans la pièce. N’ayant pas l’envie qu’elle soit dérangée par ces individus, je prends courage à deux mains pour agir d’une manière totalement inconnue pour moi. Je m’intercale, comme si de rien n’était, entre elle et ces trois jeunes hommes qui ne se trouvaient qu’à quelques mètres d’elle. Je mime ses pas. Je mime son déhanché avant de pouvoir m’expliquer de cette présence inattendue. « Pardonnez-moi mon intrusion si soudaine, mais… » Du coin de l’œil, mon regard se pose derrière mon épaule, à l’égard de ces hommes. « J’ai senti qu’ils ne feraient que vous importuner. J’ai pris la liberté de vous rejoindre. » Tout simplement. De simples mots. Une introduction comme une autre. Simple et sans arrière-pensée aucune… Sauf que la demoiselle est plus illuminée, plus somptueuse une fois que nous sommes proches d’elle…
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