fire meet gasoline (cassie)

Cassandra releva la tête à l’instant où quelqu’un frappa à sa porte. Les pièces de son armure gisaient, éparses, sur son lit. Seul demeurait le costume qu’elle portait en-dessous, qui semblait finalement bien moins impressionnant. Relâchant son lasso au beau milieu du reste de son équipement, elle répondit à l’appel d’Artemis avec un regard interrogateur. Encore en tenue ? « Euh, oui, oui bien sûr ; entre ! » La jeune femme s’effaça pour laisser sa coéquipière passer, examinant au passage la fermeture dans son dos. Elle semblait effectivement coincée, ce qui laissait prévoir un dénouement assez dramatique pour ledit costume. L’avantage avec le sien, c’était qu’elle passait moins souvent par ce genre de désagrément – l’armure tenait bon, ce n’était que le tissu qui se déchirait parfois. Poussant du coude la porte derrière l’archère, Cassie la rejoignit en scrutant le problème de plus près. Ses mains passèrent au-dessus des épaules de la guerrière en vert, sans pour autant la toucher. Cela lui faisait presque mal au cœur d’envisager de déchirer tout ça. « Hm ? » Elle haussa un sourcil en l’entendant mentionner la voiture, s’autorisant un petit sourire empli d’une fierté presque puérile. Elle n’y avait pas pensé sur l’instant pourtant, à ses remerciements : elle avait simplement fait ce qu’il fallait pour lui éviter de finir écrasée sous une voiture. Le poids du véhicule l’avait déviée de sa trajectoire, néanmoins elle pouvait largement l’encaisser. Ce qui n’aurait pas été le cas d’Artemis. « Pas besoin de me remercier, » fit-elle en baissant à nouveau le regard vers la fermeture récalcitrante. Elle se rapprocha d’un pas pour essayer de la décoincer, poussant de l’autre main quelques cheveux demeurés à l’arrière. « Ça fait partie de mon nouveau plan pour qu’on finisse par tester les glaces d’Oliver. »

Elle souffla avec un rire, s’amusant à remettre sur le tapis la proposition de la justicière. N’était-ce pas elle qui l’avait justement invitée à une dégustation de glaces aux goûts inédits ? Pour sa défense, ils n’avaient pas vraiment eu le temps de flâner à la Young Justice. Ni Timothy, ni le reste de l’équipe ne souhaitait rester en retrait même avec la menace du Syndicat au-dessus de leurs têtes. « C’est vraiment coincé, je suis désolée. » Cassie remua l’accroche en vain. Aux grands maux, les grands remèdes. D’un geste rapide, elle déchira le long de la fermeture le costume, tenant malgré tout les deux morceaux ensemble jusqu’à ce que sa partenaire retienne le haut elle-même. « Bien, et que ça reste entre nous, je ne veux pas que les garçons aillent s’imaginer que je passe mon temps à arracher les vêtements de mes coéquipières, » rajouta la demi-déesse avec un rire qui se bloqua vers la fin. « Ahem, enfin, tu m’as comprise. » Cela n’avait pas eu la même portée quand elle y avait songé. A croire que les mots changeaient parfois de sens une fois dits tout haut. Ou alors, ils prenaient simplement toute leur portée ; si la question lui était posée, Cassandra n’aurait pas nié son attirance pour les deux genres, mais ce n’était pas tellement le genre de choses dont elle aimait discuter. Elle, elle préférait se battre, gagner en force, protéger la veuve et l’orphelin, être Wonder Girl. Le reste lui importait peu, dans la finalité. Ses prunelles s’arrêtèrent sur une longue estafilade le long du flanc de l’archère.

« Est-ce que ça va ? » Du bout de l’index, elle effleura sa peau meurtrie, à plusieurs centimètres de la blessure superficielle. Elle s’était probablement éraflée sans s’en rendre compte pendant la bataille. Cassie se souvenait de ses propres bleus, du sang qu’elle versait sans la moindre douleur sur l’instant. Cela faisait des semaines que ça ne lui était plus arrivé – et à part lorsqu’elle tombait sur des adversaires aussi forts qu’elle, elle n’avait pas à s’inquiéter de ce genre de blessure. Sa résistance grandissait avec les mois, les années. Au début elle était à peine capable de soulever une table d’une main, maintenant elle arrêtait des voitures. Et lors de l’attaque du Syndicat du Crime, elle avait participé à bloquer une partie du tsunami auprès de Wonder Woman. Maintenant qu’elle connaissait la vérité au sujet de son père, elle se demanda jusqu’où ses pouvoirs augmenteraient. Diana n’avait découvert son habilité à user de la foudre que des millénaires après. Une seconde, le cœur de Cassandra loupa un battement. Vivrait-elle aussi longtemps que sa sœur ? Était-elle immortelle, ou dotée d’une longévité exceptionnelle ? Elle pinça les lèvres, enlevant doucement les doigts posés sur Artemis en reculant d’un pas. « Je suis désolée de ne pas avoir pu t’éviter plus de choses. Tu devrais prendre une douche, histoire d’y voir plus clair… Et si tu veux, je pourrais t’aider à désinfecter les autres ? » Déjà que celle sur son flanc devait être difficile à atteindre vu qu’elle se terminait presque dans son dos. Elle n’était pas bien longue, ni même profonde, néanmoins la fine ligne rouge ne pouvait être ignorée. Et il fallait prendre le temps de guérir, quand bien même la guerre n’était jamais réellement terminée pour eux.

Il ne serait jamais venu à l’esprit de Cassandra de considérer n’importe lequel de ses coéquipiers comme faible, quand bien même certains étaient plus mortels que d’autres. Il lui semblait naturel de les observer sur un certain pied d’égalité, tout en gardant à l’esprit qu’il fallait davantage surveiller les arrières de Red Robin que de M’gann par exemple. Ils avaient chacun leurs faiblesses et leurs forces. Mais elle essayait de s’intéresser à eux au-delà des masques, comme l’avait fait Tim avec elle. De voir la personne derrière le héros. Ils n’étaient pas infaillibles. Ils n’étaient pas des armes sans sentiments, pas seulement des boucliers. Aussi, lorsque ses doigts effleurèrent la peau chaude de l’archère, elle osa lui proposer son aide, ignorante de l’impact que ses mots pourraient avoir sur elle. La réplique d’Artemis la laissa bouchée bée. Vexée, aussi. Blessée. « Attends, ce n’est pas… » La silhouette de la jeune femme disparue brusquement derrière la porte qui claqua en la faisant sursauter. Comment, par tous les Dieux, la situation avait pu dégénérer à ce point ? Est-ce que j’ai dit quelque chose qui ne fallait pas ? Et si c’était le cas, où se trouvait sa faute ? Cassie vrilla du regard la cloison, fronçant finalement des sourcils avec un soupir agacé. Elle n’était pas en tort ! C’était Artemis qui avait dépassé les bornes. Et même si elle savait que cette rancune ne tiendrait pas jusqu’au lendemain, pour l’instant elle la brûlait comme un tison ardent. Prompte à la colère. Comme son père ? Elle passa une main lasse sur son visage. Non. Ce n’était pas ce qu’elle voulait être.

Avec des gestes un peu trop rapides, Cassandra termina d’ôter son costume qui trouva sa place auprès des restes de son armure, puis elle attrapa son peignoir et fonça également dans la salle de bain. Et fit immédiatement demi-tour quand elle entendit le jet en marche. L’archère l’avait devancée. La demi-déesse s’immobilisa dans sa retraite. Ces douches n’étaient pas réservées. Elle n’avait pas à se sentir mal à l’aise sous prétexte qu’Artemis avait eu un comportement inapproprié. Alors pourquoi cette hésitation ? Avait-elle réellement laissé penser à la jeune femme qu’elle souhaitait la babysitter comme une enfant ? Si c’était le cas, alors elle comprenait sa réaction, dans le fond. Elle n’aurait pas apprécié être traitée ainsi – tout comme elle n’aurait pas apprécié être mise en retrait à cause de son sexe ou de sa mortalité, si elle n’avait pas ses capacités actuelles. Les mâchoires serrées, Wonder Girl s’empara d’une serviette propre sur le dessus de la pile et fonça sous la douche. Elle ne prit guère le temps de profiter de l’eau chaude, optant pour une session purement utilitaire avant de retourner tout aussi vite dans sa chambre. Ce n’était pas une façon mature de gérer la chose, seulement c’était mieux que de croiser le regard furibond de la justicière.

Quelques coups furent frappés à la porte alors qu’elle terminait d’enfiler des vêtements plus civils – un tee-shirt un peu trop large avec une pyramide sur le devant, un pantalon de yoga. Cassie considéra un instant l’option de ne pas y répondre, préférant ne pas avoir affaire à un autre équipier sur les nerfs, mais elle ouvrit au bout de seulement une poignée de secondes. Mieux valait en finir rapidement, quoi que ce soit. Ses sourcils se froncèrent instinctivement devant la silhouette d’Artemis. Si elle était surprise par son retour, elle reprit une expression plus neutre devant ses excuses. Ce n’était pas l’idéal, néanmoins elle ne pouvait nier l’effort qu’elle avait probablement dû faire pour se présenter ainsi. A sa place, Cassandra aurait ruminé toute la nuit jusqu’à être suffisamment calme pour ravaler sa propre fierté. Même le pot de glace à la mangue ne lui arracha pas un sourire. Elle observait l’héroïne avec un mélange de ressentiment et d’incompréhension. Puis, finalement, elle prononça du bout des lèvres une demande qui la poussa à s’effacer pour la laisser entrer. « D’accord… Mais je te préviens : la glace me revient toute entière et tant pis pour toi, » fit-elle en refermant doucement la porte derrière Crock en lui jetant un regard.

Plutôt que de se concentrer sur elle, Cassie prit son temps pour dégoter dans ses tiroirs une bouteille d’eau oxygénée et quelques compresses soigneusement emballées. Même si ça faisait des mois qu’elle ne s’en servait plus, elle avait tenu à les garder par précaution. L’infirmerie n’était pas bien loin, néanmoins c’était plus rapide de les avoir sous la main. Elle repoussa ses cheveux un peu mouillés, dégageant sa vision pour la procédure à venir. En revenant auprès de la justicière, elle croisa son regard et lui fit un léger signe de la tête. « Ça fait longtemps que je n’ai pas fait ça… Mais je pense que c’est plus efficace sur la blessure directement. » De l’index, elle désigna le vêtement qui recouvrait sa peau. S’installant auprès d’elle, sur le lit, elle attendit patiemment que sa patiente improvisée soit prête et, avec des gestes sans doute un peu trop délicats, débuta l’opération. Les plus petites d’abord, celles qui ne risquaient pas de la faire tressaillir. Une minute passa ainsi, dans un silence presque gênant. Le semblant de colère qu’elle pouvait ressentir envers Artemis se dissipa progressivement sans même qu’elle ne s’en rende compte. Se focaliser sur ses plaies l’aidait à prendre de la distance avec ce qui venait de se passer. Jusqu’à ce que finalement, ce soit elle qui reprenne doucement la parole. « Je suis désolée aussi… Je ne voulais pas te donner l’impression de te couver. » Cette fois-ci, le coton imbibé frôla une estafilade plus prononcé – celle repérée un peu plus tôt.

« Parce que ce n’est pas le cas, je peux te l’assurer... » Et, sans même ralentir dans son travail, elle continua, les prunelles baissées vers les blessures éparses. « Tu es l’une des personnes les plus fortes que je connaisse, Artemis, et le fait que tu n’aie pas de super-pouvoir ne te rend pas moins importantes. Ou faible. Au contraire. » De sa main libre, elle souleva un peu plus haut le vêtement pour terminer sa tâche. « Ne te méprends pas : je garderai toujours un œil sur toi, mais pas parce que tu es plus faible. Parce que tu es ma coéquipière et mon amie. Et ne va pas t’imaginer non plus que tu as droit à un traitement de faveur, la prochaine fois que tu claques la porte de ma chambre, tu vas voir ce que ça fait d’être écrasée par une voiture, » la menaça-t-elle avec l’ébauche d’un sourire dans la voix. A première vue, elle avait passé en revue toutes les plaies dans le dos de l’archère. Après un dernier coup d’œil, Cassandra se redressa un peu, posant ses instruments sur le lit à côté de son armure et attrapa dans le même mouvement le pot à la mangue. « Si tu n’avais pas été aussi têtue, je t’aurai sûrement proposé autre chose pour soulager un peu tes muscles, mais j’imagine que ce serait dépasser les bornes une nouvelle fois. » Elle ne le disait pas pour la blesser, son ton était même tout sauf vindicatif. Cassie tentait, à sa façon un peu maladroite, de remettre un peu de légèreté dans leur relation qui lui avait donné brusquement l’impression d’être revenue à la case départ. Elle avait presque oublié qu’Artemis était à ce point différente d’elle – différente, probablement, de tous les autres. Elle avait son passé, ses épreuves, ses peurs. Et en se montrant trop protectrice, Wonder Girl avait sûrement ramené à la surface un quelconque souvenir qui avait déclenché ce comportement. Elle aurait aimait en parler avec elle, comprendre et la rassurer, seulement elle était également consciente que c’était trop tôt. L'archère ne parlerait que lorsqu'elle en ressentirait l’envie, pas avant.

« Si ça peut te rassurer, je n’ai pas l’habitude non plus », lâcha Cassie en appliquant l’alcool sur une plaie, le nez froncé par l’odeur. « De travailler en équipe, je veux dire. Je n’étais pas certaine de vouloir rejoindre la Young Justice, et c’est Tim qui a dû me convaincre. » Ce n’était guère étonnant lorsque l’on savait comment elle avait débuté dans le milieu. Seule, dans le secret. Avec une simple perruque pour armure, jusqu’à ce que Diana la trouve et décide de la former. Ce qui l’avait réellement changée à tout jamais, c’était son passage sur Themyscira, aussi bien sur le plan physique que psychologique. Là-bas, elle avait appris progressivement à sortir de l’ombre, à s’affirmer en tant que femme et en tant que potentielle justicière. Les Amazones n’avaient pas fait que lui apprendre à se défendre, ou à défendre les autres. Elles avaient été la réponse à beaucoup d’autres questions que Cassandra n’était même pas consciente de se poser à l’époque. Le reste de la procédure se passa plus calmement, la demi-déesse se concentrant à la fois sur les blessures à traiter et sur la voix de l’archère qui se confiait doucement sur ses propres craintes et difficultés. Des points qu’elles avaient en commun, bien qu’ils soient issus d’un passé drastiquement différent. Finalement, elle reposa les compresses usagées et referma la bouteille d’alcool, disposant le reste sur sa table basse pour éviter d’envahir son lit déjà surchargé par leur présence et son armure, repoussée en bas. Artemis mit quelques secondes à comprendre l’offre de la jeune femme, avant de lui renvoyer littéralement l’ascenseur. Cassie considéra avec un œil curieux sa manœuvre, haussant les épaules avant d’attraper le pot de glace, décrochant la cuillère en plastique pour commencer à piocher dedans. Il n’y avait aucune gêne qui l’envahissait à cet instant. L’idée de se faire masser par une coéquipière ne la dérangeait pas plus que ça, parce qu’elle considérait cet échange comme purement fonctionnel. Même s’il fallait admettre qu’elle n’aurait jamais imaginé ce genre de proposition venant de la part d’Artemis.

Presque comme si elles savaient où se situaient ses douleurs, les mains de l’archère trouvèrent leurs marques au bout de quelques secondes, déliant les nœuds qui s’étaient installés là après la bataille et qui n’avaient pas eu l’occasion de se dissoudre sous la douche. Son pouce appuya sur une zone difficile qui lui arracha un gémissement plaintif. Elle ne marquait peut-être pas, seulement les dégâts étaient bien là. « D’accord, je l’admets, mes bleus sont à l’intérieur… » Elle mordilla la cuillère en bougeant légèrement la nuque pour faciliter le passage d’Artemis. « J’avais oublié ce que ça faisait. » Douleur et plaisir se mélangeaient pendant l’exercice, laissant peu à peu place à un sentiment de soulagement intense. Entre temps, la moitié du pot avait déjà disparu. « Je te préviens que si tu en profite pour la terminer, massage divin ou pas, ma menace tiendra toujours… » Elle plaisantait plus facilement maintenant, comme si le fait d’avoir fait disparaître une partie de la tension sur ses épaules l’avait délestée également de la légère rancœur qu’elle éprouvait à l’encontre de l’archère. A moins que ce ne soit simplement qu’elle comprenait sa réaction et qu’elle décidait de ne pas lui en vouloir davantage. Créer une relation avec elle était suffisamment difficile sans laisser le ressentiment s’installer pour quelques mots de trop. Et elle s’était excusée, après tout.

Allongée sur le ventre, Cassandra se força à stopper le flot de ses pensées pour se focaliser sur les mains d’Artemis, sur la façon dont elle trouvait les points de pression et, avec fermeté, se frayait un chemin à travers les boules de nervosité ici et là. Ses doigts glissèrent sous le t-shirt ample, trouvant la peau souple et impeccable. Son esprit lâchant progressivement prise, elle failli ne pas percevoir le souffle surpris qu’elle lâcha devant ce spectacle. Elle-même s’était de nombreuses fois étonnée de la résistance qu’elle avait acquise au travers des mois et des années. A présent il en fallait bien plus pour qu’elle saigne. Et elle n’avait pas récolté de nouveaux bleus non plus, depuis le dernier que l’archère avait eu l’occasion de voir. « Tu as d’autres talents cachés ? » Appuyant sa tête sur ses avant-bras, elle lui jeta un regard du coin de l’œil, savourant le passage de ses mains avec un soupir. Non, il n’y avait pas de malaise de son côté et pourtant… Quand les dextres remontèrent le long de ses omoplates, voyageant sous le tissu, elle frissonna de façon incontrôlable. Faire la discussion était un moyen comme un autre d’éviter de laisser un silence gênant s’installer. Ce moment n’avait pas à paraître déplacé. Il n’y avait rien qui aurait dû susciter un quelconque décalage.

Un peu trop vite, Cassie fit signe à la jeune femme d’arrêter, se redressant par la même occasion en croisant son regard. Il n’y avait pas de raison de se sentir brusquement gênée par le contact de sa peau contre la sienne. Avec un sourire, elle tenta d’alléger l’atmosphère qui s’était indéniablement modifiée. « Désolée, c’est juste que je n’ai pas l’habitude de ce genre de proximité. » Plus, serait le terme exact. « Enfin, je voulais juste te montrer quelque chose que j’ai appris à Themyscira, ça m'a beaucoup aidée la première fois que j'y suis étais. » Elle leva les mains, lui demandant la permission et, quand Artemis hocha la tête, s’empressa de fuir son regard en disparaissant derrière son dos. Il lui semblait ridicule de réagir à sa proximité avec autant d’intensité. Cela ne l’avait jamais frappé jusqu’à présent, probablement parce que la protégée d’Oliver maintenait une relation strictement cordiale entre elles. C’était même la première fois qu’elle la surnommait Cassie. Avant cela, et malgré tous les efforts que la demi-déesse avait pu faire, il y avait eu cette distance indéniable entre elles. Néanmoins, à présent que les choses évoluaient, cela amenait d’autres questions. D’autres gênes. Ses doigts trouvèrent instinctivement les points de pression éparpillés le long de la colonne vertébrale et de la nuque, ainsi que ceux plus épars qui s’étendaient sur le dos. Si elle s’y prenait suffisamment bien, cela permettrait à la jeune femme de ressentir bien moins de douleurs le lendemain matin. Les arts chinois n’étaient pas les seuls à connaître les bienfaits d’une maîtrise totale de son corps et de ses énergies – quand bien même ils maîtrisaient la forme la plus pure de ce domaine, les Amazones connaissaient également le fonctionnement le plus poussé de l’organisme. Leur vision était simplement différente. Et si l’information venait cette fois d’une Muse, ce n’était pas qu’elle n’était pas bonne à prendre. Il suffisait simplement de l’adapter à la situation présente.

En bas du dos, elle souleva juste assez le vêtement pour glisser ses doigts, évitant les blessures récentes pour continuer son œuvre. Elle sentait, sous la pulpe sensible, les marques des anciennes batailles livrées par Artemis. Les preuves de son courage et du sang versé. « Certaines Amazones ont des cicatrices. Ce sont celles qui ont livrés les combats les plus anciens et les plus difficiles, bien avant que Diana ne soit en âge de porter l’épée. Elles les affichent fièrement, tu sais. » Sa main gauche passa sur un flanc. « Je ne dis pas ça pour te donner des conseils, ou quoi que ce soit, je te le dis juste pour te donner mon avis à ce sujet », se sentit-elle obligée de préciser rapidement, de crainte que l’un de ses mots ne provoque une nouvelle fois la fuite de la justicière. « J’en ai aussi. Même si ça fait longtemps qu’il n’y en a pas eu de nouvelle. » Un peu plus détendue, elle se redressa en libérant l’archère pour lui laisser l’occasion de modifier sa position. « Et si tu ne me crois pas, regarde. » Elle souleva son t-shirt, jusque sous sa poitrine, pour lui montrer une estafilade blafarde et très fine le long d’une de ses côtes. Elle se souviendrait toujours de ce saut qu’elle avait raté et qui lui avait causé cette blessure. La cage de l'escalier de secours extérieur était trop vieille, même pour supporter son poids plume et le choc avait terminé de tordre l'un des barreaux de l'échelle, qui lui avait percé la peau sur le coup. Cela n’avait pas mis sa vie en danger, mais c’était ce soir-là qu’elle avait été obligé d’admettre devant sa mère qu’elle jouait les apprenties héroïnes. Elle n’aurait pas pu soigner ça toute seule à l’époque. Et puis de toute façon, il aurait été impossible de dissimuler à Helena ses vêtements tachées de sang. « Tu vois. Plus résistante, mais encore humaine. »

Un léger rire échappa à Cassandra lorsque l’archère lâcha qu’elle était visiblement plus douée que son ancien partenaire. Peut-être qu’à un autre moment, elle aurait trouvé amusant d’être comparée à un amant, mais sur l’instant elle prit simplement le compliment comme il venait. « Je comprends, quand ma mère a appris pour moi et avant que Wonder Woman ne me trouve, j’avais tendance à vouloir lui cacher mes blessures aussi. Ou ma fatigue. Je ne voulais juste pas l’inquiéter… » Et accessoirement, elle craignait qu’en dévoilant ses faiblesses Helena ne s’oppose plus vivement à ses projets de justicière novice. Déjà qu’elles se disputaient régulièrement à ce sujet avant que Diana n’intervienne… Peut-être que sans elle, le souhait de Cassie aurait entraîné la destruction de sa relation avec sa mère. « Enfin, je sais que l’on a pas forcément vécu les mêmes choses, évidemment. Ceci dit, tu es avec des amis maintenant. Et si jamais tu as besoin d’un massage à l’occasion, tu sais où me trouver. » Une confidence légère, comme ses mains sur sa peau. Des mots en apparence simples, néanmoins porteurs de beaucoup de sens. Ils n’étaient plus seuls. Ses doigts effleurant le dessin d’un muscle, elle haussa doucement les épaules en esquissant un sourire. « Je pourrais t’apprendre, mais seulement si tu gardes ces infos pour toi… » fit-elle d’un ton presque mystérieux. En vérité, elle pouvait distiller son savoir dans ce domaine du moment qu’elle ne parlait pas du reste, de l’entraînement et des connaissances qu’elle avait acquises. Certains secrets feraient mieux de ne pas être révélés. Mentionner Artémis avait déjà été le pas de trop, l’autre fois. Ceci dit, elle se sentait étrangement en confiance auprès de sa coéquipière, et possédant un côté un peu trop franc, elle estimait également qu’au sein d’une équipe les secrets ne faisaient qu’alourdir les tensions déjà existantes. Elle songea brièvement à Conner, dont le passif était l’un des plus incongrus de la Young Justice, puis se concentra à nouveau sur le massage qu’elle prodiguait.

Progressivement, le corps d’Artemis semblait se détendre, s’assouplir sous les allées et venues de ses mains. Cassandra savait à quel point le corps souffrait en silence lorsque l’adrénaline brûlait les veines. Il était facile de ne pas penser aux courbatures qui viendrait après deux heures intensives de combat, ou simplement un affrontement qui aurait réclamé énormément d’adresse et de concentration. Même en ayant désormais des aptitudes surhumaines, il lui arrivait d’être fatiguée - ou tout du moins, d’éprouver un soulagement à simplement s’allonger dans son lit en fixant le plafond. Le calme lui apportait souvent le relâchement nécessaire, et parfois c’était au contraire un besoin de dépenser le trop-plein d’énergie qui lui prenait. Dans ces moments, elle hantait la salle d’entraînement, partait faire des reconnaissances nocturnes, tentait d’ôter à ses muscles toute envie de combattre. L’énergie qui l’avait envahie depuis son premier séjour à Themyscira devenait de plus en plus puissante. De temps en temps, Cassie se surprenait à se demander si elle avait, au plus profond d’elle, le potentiel de devenir un jour l’égale de Diana. Son ascendance mortelle la rendait par définition moins capable qu’une femme disposant d’un héritage à la fois d’Amazone et de Déesse, mais cela voulait-il dire qu’elle était si loin derrière ? Qu’elle le serait encore dans dix, ou vingt ans ? De même, quid de l’immortalité que l’on prêtait régulièrement aux demi-dieux ? Beaucoup de questions pour si peu de réponses.

Le sujet bifurqua à nouveau sur le corps “pas-si-indestructible-que-ça” de la demi-déesse. Il y avait quelque chose de déconcertant dans cette énième confidence, dans la façon dont l’archère examinait la cicatrice avec prudence. La manière dont ses doigts affleuraient sur la vieille blessure, comme si elle tentait d’en redessiner les contours. Un frisson remonta le long de son échine, un spasme nerveux impossible à réprimer ou à dissimuler. Lorsqu’Artemis recula, le charme se rompit, et Cassie s’appuya contre le mur en rabaissant son t-shirt sur son ventre. Machinalement, elle croisa les bras sous sa poitrine, se sentant vulnérable sous le regard de sa coéquipière. « J’essayais de prendre en filature un type à l’époque, alors pour éviter de me faire repérer j’ai préféré passer sur les toits. Au début c’était facile, mais je suis tombée sur une cage d’escaliers à moitié rouillée. J’ai mal jaugé mon saut et je me suis rattrapée à l’échelle, plus bas… » Elle grimaça au souvenir de la douleur qui avait suivi. « L’un des barreaux était à moitié tordu, je crois que le choc l’a suffisamment délogé pour qu’il… » Cassandra fit un mouvement de la main vers sa blessure. « C’est ce soir-là que ma mère a appris pour mes escapades. Je suis bien contente que ce genre de problèmes ne m’arrive plus ces derniers temps, c’était horrible », finit-elle avec un rire pour alléger l’atmosphère. Ils avaient tous souffert, à un moment ou un autre, du chemin qu’ils avaient choisi. Son cas n’était pas une exception. « Et toi alors, ta blessure la plus douloureuse ? »

Un moyen comme un autre d’éviter que, massages terminés, Artemis ne la quitte prématurément. Elle aimait sa présence, et elle appréciait également le fait d’apprendre à la connaître. Non pas la justicière, mais la jeune femme derrière. Peut-être était-elle trop optimiste, mais Cassandra pensait qu’elles pourraient finir par dépasser leur méfiance mutuelle et leur indépendantisme pour parvenir à créer une véritable relation de confiance. Après tout, n’était-ce pas le but de la formation de cette équipe ? La Young Justice n’était pas seulement un assemblage disparates de nouveaux héros. Ils étaient voués à former une famille, à pouvoir compter les uns sur les autres en toute circonstance.