« Allo ? » Perchée sur l'un des nombreux toits de Gotham, c'est sous sa tenue de justicière que Kate usait de son oreillette pour intercepter une communication privée. « Mademoiselle Kane ? » Répondit une voix masculine. « Ici l'agent Philips. Je vous contacte car nous aurions besoin de vous, chez le coronaire, afin de procéder à une identification. » Sous son masque, la Kane fronça ses sourcils de façon on ne peut plus intriguée. Besoin d'elle pour une identification ? Pour qui ? Pour quoi ? En plus, comment le service du coronaire avait pu accéder à son numéro de téléphone privé ?! « Je vous demande pardon ? » La justicière était encore dans l'adrénaline de la nuit et de ses diverses interventions. Elle était prise royalement à contre pied. Et en termes de déstabilisation, ce genre d'appel en un pareil moment était plus que parfait ! « Nous aurions besoin de vous pour une identification. Pourriez-vous venir dans les plus brefs délais ? » La trentenaire soupira. Elle ne comprenait pas ce qu'on lui voulait, et surtout pourquoi on l'appelait elle ! Il aurait fallu que quelqu'un de proche soit en danger. Hors, elle savait son père en sécurité dans son loft, chez elle. Et son autre famille proche n'était, à sa connaissance, plus à Gotham pour le moment. « Je serai là d'ici quelques minutes. Comptez sur moi. » Coupa-t-elle froidement la communication. Tendant les bras, elle se jeta dans le vide tel un ange. Ce n'est qu'au dernier moment qu'elle ouvrit sa cape afin de ralentir sa chute et de poser pied à terre. Atterrissant non loin de son véhicule, la chauve-souris enfourcha sa bécane. Elle fit brièvement rugir le moteur avant de disparaître en trombe sous un crissement de pneus significatifs.
C'est en se faufilant à travers la circulation chaotique de Gotham que Batwoman se rendit le plus rapidement possible jusqu'à l'adresse du coronaire. Les rues étaient devenues un véritable enfer. L'absence de repère entre le jour et la nuit avait totalement désaxé tout le monde. Même avec une montre sous le nez, il était plus que difficile de pouvoir trouver un quelconque appui temporel lorsque l'on regardait dehors. Juste la présence de la Lune et une ambiance nocturne plus totale que jamais. Gotham avait toujours eu la réputation d'être une grande ville sombre et obscure. Cela n'avait jamais été aussi vrai depuis l'arrivée du Syndicat du crime, et de par les méfaits d'Ultraman ! Néanmoins, si la chauve-souris écarlate aurait trouvé du pain béni à s'adonner à l'arrestation de différents chauffards, voyous, malfrats et autres criminels, là elle ne se contentait que de foncer dans le tas. À l'image de certains de ces grands héros qui n'ont même plus de temps à accorder aux délis plus mineurs. Et, quand on voit la situation actuelle sur le plan mondial, on ne peut pas trop leur en tenir rigueur non plus. Bien que, dans une réflexion plus globale, Kate elle-même déplore plus d'une fois l'absence d'attention des justiciers, elle comprise, envers ces délits mineurs proprement dit. Mais ça, c'est un autre débat et une autre histoire ! Rien qui ne mériterait que l'on s'attarde dessus dans l'immédiat.
Passant devant les locaux du coronaire, Kate prend toutefois l'initiative d'aller se garer dans une ruelle isolée et reculée quelques rues plus loin. Inutile qu'elle commence à dévoiler son identité secrète à la population de Gotham et, ce, par pur empressement. Ce n'est pas à ce genre d'imprudence que l'on s'adonne une fois qu'on a quelques années d'expérience du terrain, comme elle. Une fois changée, une fois son équipement à l'abri, elle peut se rendre en toute quiétude jusqu'à l'adresse indiquée. Elle passe les portes, tout simplement. « Bonsoir. Mademoiselle Kane. L'agent... Philips... m'a fait appeler. » La responsable de l'accueil checka l'écran de son ordinateur avant de pivoter le visage vers son petit bloc note. « Ah oui, mademoiselle Kane ! Juste à votre droite, tout au bout du couloir, porte gauche. » L'héritière opina du chef en guise de réponse et tourna les talons. Soupirant, l'esprit rempli d'interrogation, ses pas résonnèrent fermement l'un après l'autre jusqu'à ce qu'elle atteigne la pièce indiquée. « Je te jure que si c'est pour des conneries... » Pesta-t-elle entre ses dents. Depuis son retour dans la ville du Batman, Kate avait à coeur de rattraper tout le temps perdu durant sa convalescence. Et étant donnée la situation dans les rues de Gotham, elle avait autre chose à faire que de venir perdre son temps histoire d'identifier des inconnus, ou de quelconques personnes... Paix à leurs âmes ! Pourtant, lorsqu'elle ouvrit la porte, la surprise arriva à son paroxysme. Une silhouette qu'elle ne pensait pas voir de sitôt. Une silhouette qu'elle n'imaginait même pas voir sur les lieux. « Renée ? » La bouche entrouverte, un sourcil haussé, miss Kane passa la porte et s'avança vers sa très ancienne petite amie, ainsi que celui qui s'était certainement présenté sous le nom de l'agent Philips. « Si t'avais envie d'un nouveau rencard pour parler du bon vieux temps, t'as mal choisi ton lieu et ton moment... » Ironisa la rousse. Mais elle sentait que quelque chose n'allait pas. Elle avait assez de souvenir de Renée pour sentir sur le visage de celle-ci que ce n'était pas rien. Un doute commença alors à prendre d'assaut le coeur et les tripes de la justicière. « Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? » Elle s'arrêta dans sa marche. Elle porta un regard vers le corps allongé et recouvert d'un grand drap blanc. Ce doute initial grimpait et gagnait de l'intensité en flèche. « Pourquoi tu m'as fait venir ? »
La vie ne tient qu’à un fil. Personne ne peut prédire, ne peut prévoir l’heure de la venue de la Faucheuse et de l’Ange de la Mort. Tout est imprévisible. Rien n’est défini. Ce jour-là, l’inspecteur Montoya était en pleine interrogatoire avec un vicieux criminel qui ne cessait de clamer son innocence alors que toutes les preuves le jugeaient pleinement et totalement coupable. Une interruption. Sans doute normal pour Renée, elle ne s’en formalisa pas plus que cela. Elle dût quitter l’interrogatoire, laissant le criminel seul avec lui-même. Son supérieur est venu la prévenir d’une assez mauvaise nouvelle. La perte d’un homme. Et pas n’importe lequel. Renée ne savait pas trop quoi penser à ce moment précis. Comment pouvait-il savoir que Renée avait un lien quelconque avec cet homme, avec ce père de famille ? Comment était-il censé connaître des petits bouts de choses sur sa vie privée, elle qui la dissimule le plus intimement possible ? Les seuls mots que Renée prononcèrent à son supérieur furent : « Vous pouvez prendre le relais ? Je vous remercie… » Sa voix était à peine audible. Son teint était devenu, soudainement, plus livide. Oui, cette nouvelle l’avait profondément touché. Cela devait faire un sacré bout de temps qu’elle n’a plus été autant touché, qu’elle n’avait plus versé de larmes… Les seules larmes qu’elle avait versées étaient pour son frère. Sa perte lui ait encore douloureuse, bien trop récente, bien trop présente que pour penser à y faire un deuil en ‘bonnes’ circonstances. Et là… Il faut qu’elle annonce une mauvaise nouvelle à cette femme… à son ancienne partenaire de vie… à son ancienne petite-amie… Des retrouvailles hautes en couleur comme elle les aime… Si seulement, elle n’avait pas à le faire… Si seulement le Syndicat du Crime n’avait pas été présente… Tout ce mal soudain ne serait pas survenu… Et il fallait qu’elle sache ce qui s’était exactement passé pour le père de Kate… !
La gorge sauvagement tranchée. Il n’avait aucune chance de s’en sortir tant la quantité de sang écoulée était astronomique. Les collègues de la scientifique ont eu un haut le cœur en découvrant ce qui avait bien se dérouler… Sans parler de mes autres collègues qui ont vu le corps inerte de Monsieur Kane baigné dans son sang… Renée en avait des frissons dans le dos. L’enquête est en cours. Malgré les évènements qui régissent le monde, le GCPD n’arrête jamais de travailler et de bosser dur pour que justice puisse être rendue. Le supérieur de Renée ne souhaite pas qu’elle prenne part à l’affaire, trop de personnel en jeu. Pourtant, Renée n’a pas dit son dernier mot et compte bien mettre tout en œuvre pour arrêter et enfermer l’auteur de cette boucherie. Mais pour l’heure, il faut qu’elle se conditionne pour annoncer la nouvelle à Kate. Cela ne va pas être facile du tout. Et elle a besoin d’un peu d’aide, d’un peu de soutien… Renée quitte le poste pour se rendre chez elle. Un bref retour à la maison pour simplement caresser la crinière de son chien adopté il y a quelques semaines. Un remède à ses douleurs, à ses souffrances. Il réussit à l’apaiser juste de par sa présence et ça lui faisait du bien. « Comment vais-je faire… ? Tu peux me le dire… ? » Il se contente juste de lui lécher la joue, le regard de Renée perdu dans le vague. « Mon dieu… Quelle merde… » Elle frotte le haut de son crâne et y dépose un bisou avant de se relever et de prendre courage à deux mains.
Renée n’a pas eu l’envie d’user de sa propre identité pour commencer le chemin pour annoncer cette mauvaise nouvelle. Elle peut remercier l’agent Philips d’annoncer la couleur à Kate. L’issue de l’appel téléphonique n’a pas été des plus surprenantes d’après les dires de l’agent. Sans doute qu’à sa place, Renée aurait réagi de la même façon. Entendre le son de sa voix depuis l’appareil, depuis toutes ces années a été… perturbant. Mais elle n’a pas le temps d’y penser. Il faut qu’elle se rende chez le coronaire et affronter cette situation en pleine face. Présente dans cette salle à lui faire froid dans le dos, son regard est posé sur cette table où reposait le corps inerte et sans vie de Monsieur Kane. Renée a dû le voir de ses propres yeux et la seule réaction physique qu’elle eut, était de vomir dans la première poubelle trouvée. Et un sursaut s’empare de son être. Elle est arrivée. Plus le droit à l’erreur et plus question de retourner en arrière désormais. « Kate… Ce n’est pas le moment… » Aucun sourire n’était présent sur le visage de Renée. Encore quelques traces de ses larmes demeuraient dans le creux de ses yeux, les rendant encore humide. Ravalant sa salive avec une certaine difficulté, elle prend une petite inspiration, tête baissée et se rapproche de Kate. « Je te conseille de t’asseoir… » Le choc sera là, c’est certain. Elle tourne le visage pour faire signe à l’agent de les laisser seules. Il s’exécute et Renée repose ses yeux sur Kate. « Je… Ton père a été victime d’un acte abominable… Il… » Allez, Renée, un peu de courage ! « Il… a été retrouvé gisant dans son propre sang… A l’arrivée des secours, c’était bien trop tard… » Elle n’ose même pas poser une main sur l’épaule de Kate pour lui montrer son soutien, mais elle le fait quand même, malgré tout. « Nous avons besoin de toi pour l’identifier. C’est la procédure… » Et le regard qu’elle lui offre en ce moment même ? Il signifie qu’elle était entièrement désolée et que si elle avait pu lui éviter cette identification de malheur, elle l’aurait déjà fait. « Je suis sincèrement désolée, Kate… »
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