Le ciel était toujours bleu sur Themyscira, d’un bleu étourdissant, et durant l’été, il était presque blanc tant il était lumineux. Graal observait le ciel jusqu’à sentir le soleil lui brûler la rétine. L’observation du ciel la passionnait la nuit venue, l’étourdissait durant la journée. Pourtant, c’était Apollon, là haut, flamboyant comme toujours, lumineux, resplendissant. Ce soleil brûlant dans le ciel était l’un des gardiens de l’île, l’un des dieux, l’un protecteurs des Amazones. Graal l’avait toujours admiré, peut-être parce qu’il était un homme. Toute sa vie, elle avait observé le ciel et la mer, rêvé d’un ailleurs, rêvé d’explorer le monde, terrestre, mais aussi l’univers qui s’ouvrait à elle quand la nuit venait et que les étoiles brillaient. Elle rêvait de cet ailleurs, rêveuse, toujours un peu absente.
Pendant toute son adolescence, elle s’était senti portée vers cette envie d’ailleurs, et à chaque fois, c’était Diana qui l’avait retenue en lui rappelant le prix à payer pour tous ceux qui quittait l’île. Ne plus jamais pouvoir revenir, ne plus retrouver le chemin, voir peu à peu ses souvenirs de l’île disparaître, s’effacer, se modifier lentement et inexorablement. Chacune des Amazones connaissaient ce prix à payer, et aucunes n’avaient vraiment ressenti le désir de partir, peut-être parce que seules Diana et Graal avaient grandit ici. Difficile pour une adolescente grandissant sur une île d’accepter de n’en jamais partir. Longtemps, Graal s’était demandé si Diana éprouvait le même désir, si elle le gardait pour elle pour éviter de raviver, d’alimenter celui de Graal ou si cette vie ici lui plaisait. Diana avait toujours été sa meilleure amie, et Graal hésitait d’autant plus à quitter l’île que cela signifiait quitter son amie, son amie d’enfance.
Mais le soleil étirait une nouvelle fois ses rayons, et cette fois-ci, c’était plus qu’un simple besoin de liberté, besoin de voir le monde, de vérifier comment il était ailleurs, si les hommes étaient aussi mauvais qu’on le disait. Graal se sentait étouffer ici, se sentait inutile confinée ici. Pendant toutes ces années, différente, par sa peau, par ses pouvoirs, elle avait conscience de n’être pas tout à fait identique que ses sœurs. Tout ce pouvoir, tous ces entrainements, il fallait que cela serve à quelque chose, qu’elle les utilise. Pas ici, mais au dehors de l’île. Graal en était convaincue, qu’elle pourrait faire de grande chose ailleurs qu’ici pour peu qu’elle trouve le courage de partir, de quitter l’île, ses sœurs, sa meilleure amie et sa reine, Diana.
Cette fois encore, ses doutes l’amenaient vers sa meilleure amie, sa reine. Graal se redressa en entendant Diana approcher. Depuis son perchoir, la colline de l’île où était située le temple d’Artémis, elle avait pu voir Diana sortir du palais. Elle savait que Diana allait passer par ici, et l’avait donc attendue, désirant avoir de l’intimité avec sa reine. Ses sœurs ne comprenaient pas toujours le besoin de solitude qu’éprouvait Graal, pas plus que l’intimité dont elle avait besoin. Diana, elle, la comprenait. Sans doute avait-elle même ressenti la même chose. Elle avait été propulsée reine très tôt, avait dû accepter cette responsabilité, cela n’avait dû être simple pour elle. C’est pour cela que Graal éprouvait des remords à lui faire porter un poids de plus sur ses épaules en renouvelant auprès d’elle son besoin d’ailleurs, ajoutant un soucis dont Diana aurait pu se passer. Aussi, avait-elle hésité avant d’interrompre la sortie de son amie. Graal finit par céder à son impulsion et sorti de l’ombre pour s’avancer vers Diana qui venait vers elle sans le savoir. Elle lui fit de grands signes, tout sourire, heureuse de retrouver son amie même si elle avait une boule d’angoisse au fond de la gorge. Comment dire à sa meilleure amie, à sa reine, qu’on voulait la quitter pour toujours ?
Diana connaît Themyscira par cœur. Le moindre couloir, le moindre dédale, la moindre rue. Ses plages, ses plaines, ses forêts, les endroits insoupçonnés... L'île n'a pas de secrets pour elle. Et cette Themyscira, quand bien même elle n'est que supercherie comme le reste de ce faux monde, est semblable à la véritable en tous points ; à part peut-être en ce qui concerne ses habitantes. La disparition d'Hippolyte et les résurrections inattendues d'Antiope et Venelia mises à part, les changements sont subtils, parfois impossible à détecter au premier coup d'œil ou au détour d'une conversation banale. Chez elle sans être chez elle, et avec une couronne difficile à porter et à supporter, Diana doit se faire violence pour faire l'effort de rester quelques jours sur l'île avant de repartir pour aller retrouver Jason et Barbara en Égypte pour, elle l'espère de tout son cœur, retrouver son lasso. Sa magie devrait les aider à leur rendre leur monde, tout en n'étant que l'une des pièces du puzzle final. Diana ne sait toujours pas comment avouer la vérité à Venelia ; si elle pense que sa tante commence à se douter de quelque chose, ce n'est pas le cas de son amie. Venelia continue d'être blessée par la façon que Diana a de se comporter avec elle, elle ne comprend pas pourquoi elle prend ses distances après avoir été son amante – non, sa compagne – pendant une durée que cette dernière préfère ignorer pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. Comment lui dire la vérité ? Comment lui avouer qu'elle est en réalité morte ? Que Diana est mariée, et que la petite fille qu'elle lui a confié n'est pas un cadeau des dieux, mais née de son union avec un homme qu'elle aime profondément ? Elle a beau essayer, elle ne parvient pas à voir les choses de la même manière que Jason. Elle ne parvient pas à voir ces résurrections comme une seconde chance. Quel genre de seconde chance est-ce là ? Celle de faire de nouveaux adieux déchirants ? Celle qui rouvre des plaies ayant mis une éternité à se refermer ? Celle qui vous broie le cœur ? Même en sachant qu'elle n'aura bientôt plus le choix, Diana a encore besoin de temps pour trouver les mots qui lui permettront de dire à la fois la vérité et ce qu'elle ressent. Et elle le sait, le retour à la réalité sera plus que douloureux.
Dans ce monde cauchemardesque, Ophelia est une source de réconfort intarissable. Ne sachant pas combien de temps elles seront encore séparées après son départ, Diana ne la lâche pas une seule seconde. Elle la garde auprès d'elle en toute occasion, même lorsqu'elle doit s'adonner à ses obligations de reine. Une chance pour elle, avoir observé Hippolyte remplir ce rôle pendant plusieurs millénaires lui permet d'être crédible et d'éviter les erreurs grossières. Pour autant, les Amazones ne sont pas dupes et celles font partie de la sphère politique ainsi que ses plus proches amies ont bien remarqué que quelque chose ne va pas. Elles semblent trop la respecter pour oser dire quoi que ce soit, mais Diana imagine bien qu'elles s'insurgeront lorsqu'elle leur annoncera devoir quitter Themyscira une fois de plus. Comment pourraient-elles comprendre ? En apparence, l'île est toujours un paradis à l'abri du reste du monde, elles n'ont pas idée des horreurs qui sont commises tous les jours. Mais Diana le sait et elle est incapable de les ignorer, elle ne sait même pas faire semblant, au grand dam de Jason. Garder Ophelia avec elle à tout moment lui permet aussi de garder un semblant de sang-froid, car sa fille a tôt fait de pleurer à chaque fois qu'elle ressent l'anxiété de sa mère. Elle est aussi la meilleure des motivations ; impossible pour Diana d'envisager qu'elle puisse grandir dans un monde où Vandal Savage règne en maître incontesté. Sa folie ne s'arrêtera pas aux États-Unis, c'est certain. Et ce qui l'est davantage, c'est que Diana ne le laissera pas aller plus loin.
Éprouvant le besoin de s'entretenir avec son père, Diana sait qu'elle va devoir ruser pour ne pas éveiller les soupçons des Amazones. Prier Zeus est une chose, s'entretenir personnellement avec lui en est une autre. D'autant plus que dans cet univers maudit, ses sœurs le considèrent responsable de la mort d'Hippolyte. Et si elle ne remet absolument pas en cause la légitimité de leurs griefs, elle a besoin de parler avec lui pour savoir s'il peut les aider, si les Olympiens en général peuvent les aider, ou s'ils préfèrent une fois de plus laisser les hommes se dépêtrer dans leurs malheurs sans bouger le petit doigt, puisqu'ils n'ont pas à souffrir des conséquences... Ophelia portée en écharpe contre sa poitrine, Diana quitte le palais après avoir prétendu avoir besoin de se rendre jusqu'au temple de Déméter pour s'adresser à elle, situé à l'orée de la forêt méditerranéenne recouvrant une partie de l'île. C'est en réalité au temple de Zeus au cœur de Themyscira qu'elle se rendra, mais personne n'a besoin de le savoir... Par plaisir plus que par nécessité, Diana emprunte le chemin qui sort de la cité et traverse l'île d'un bout à l'autre. Avec pour seule compagnie sa fille, elle parvient à oublier momentanément ses tracas. Ophelia gigote et s'accroche à sa mère, regarde tout autour d'elle avec de grands yeux curieux en babillant gaiement. Obnubilée par la candeur parfaite de sa fille, elle sursaute quand une femme apparaît sur le chemin et la salue avec enthousiasme. Une Amazone ? Dans ce monde, peut-être... Mais en réalité, certainement pas. Si Diana parvient à réprimer une grimace, elle ne peut en revanche s'empêcher de protéger Ophelia de ses bras, terriblement méfiante malgré l'expression bienveillante et le sourire avenant que la femme affiche en s'approchant d'elles.
« Bonjour... Graal. » S'il y avait bien une personne que Diana ne s'était pas attendue à trouver sur Themyscira, c'était la fille de Darkseid. Elle l'avait même oubliée dans un premier temps, espérant naïvement qu'elle ait été effacée de l'existence. Mais non... Non, Graal est bel et bien vivante et pire, elle a passé toute sa vie sur Themyscira, parmi les Amazones, et a été élevée comme l'une des leurs. Protégée de la folie de Myrina et loin de Darkseid, elle n'est pas devenue une meurtrière assoiffée de sang et de vengeance. Elle ne voue pas une haine sans limite aux dieux et aux Amazones. Elle n'est pas traitée comme une paria, aussi différente qu'elle puisse être. Diana n'a pas la moindre idée des souvenirs qui sont les siens, mais elle a bien compris en écoutant les autres qu'elles ont été inséparables étant enfants. Peut-être le sort de Graal est-il le plus triste d'entre tous et prouve combien les choses peuvent être différentes si d'autres choix sont faits. Dans cette vie, elle et Diana sont amies et sœurs d'armes. Dans l'autre, condamnées à lutter indéfiniment jusqu'à ce que l'une d'entre elles ne puissent plus se relever. La fille du dieu des dieux et celle de celui qui aimerait le devenir. Diana a beau essayer, elle ne parvient pas à baisser sa garde, à être à l'aise en sa présence. Elle se souvient trop de bien de la dernière fois où elles se sont tenues face à face. « Excuse-moi, je ne m'attendais pas à te voir ici... » Elle avait beau être au courant de sa présence sur l'île, elle espérait pouvoir continuer à l'éviter. En partie parce qu'elle le sait, Graal fera partie de ceux qu'elle ne parviendra pas à sauver. « Je me rendais au temple de Zeus... Veux-tu m'accompagner ? » Peut-être que ce sera l'unique occasion que Diana aura d'en apprendre davantage sur elle, sur la personne qu'elle est ou aurait pu être si le destin n'en avait pas décidé autrement. Elle se doit de songer à l'avenir, et aussi terrible que ce soit, c'est sans doute la seule occasion qu'elle aura de découvrir les forces et les faiblesses de son ennemie.
Sa reine n’est pas aussi souriante que d’ordinaire, n’a guère le grand sourire qu’elle a d’habitude en sa présence, ni ce regard étincelant, pétillant presque. Graal croit distinguer de la surprise, peut-être de la méfiance, qui passe furtivement. La jeune femme se demande si son amie s’attendait à quelqu’un d’autre. Diana est reine après tout, elle doit rencontrer un ta de gens, avoir une foule de choses à faire, et peut-être que son apparition subite sur son chemin l’ennui parce qu’elle la distrait de son devoir. Graal s’en excuse immédiatement. « Pardonne moi de te sauter dessus. Je t’ai vu au loin, et… » Comment lui dire ce qu’elle avait sur le cœur ? Graal tournait cela dans sa tête depuis des semaines, des mois à présent. Elle ne trouvait comment parler à sa reine, comment ouvrir son cœur. C’était compliqué de lui dire ce qu’elle ressentait et plus facile de s’imaginer que Diana avait trop à faire, qu’elle l’accaparait injustement, que ses sœurs avaient plus besoin d’elle, et que son idée de quitter l’ile n’était qu’une tocade. Graal se sentait lâche, ressentant au fond d’elle-même, la peur de regretter son départ une fois hors de l’île. Elle connaissait le prix de ce départ et il lui paraissait excessivement élevé, quelque part, il l’était.
Quand Diana lui fit part du fait qu’elle allait au temple de Zeus, Graal compris pourquoi son amie d’enfance paraissait si étrange. Cet air méfiant, c’est qu’il devait y avoir une nécessité dans sa prière. Et tout le monde considérait que Zeus était responsable de la mère de Diana. Graal ne pouvait qu’imaginer ce que son amie ressentait, et vit la proposition de l’accompagner comme une main tendue, un appel à l’aide déguisé. « Bien sûr que je peux venir avec toi ! » s’exclama joyeusement Graal, heureuse de songer à autre chose que son besoin, désir de partir, que ses inquiétudes liées au dehors, son besoin de se rassurer, peut-être d’entendre Diana lui rappeler à quel point dehors les hommes étaient mauvais et qu’elles avaient de la chance d’être ici, ensembles. Mais si c’était Diana qui avait besoin de soutient, alors tant mieux, Graal se sentait infiniment plus à l’aise à l’idée d’épauler son amie dans le besoin. « Tu pourras me dire en chemin ce qui te tracasse. » suggéra-t-elle sans toutefois approfondir le sujet. C’était à Diana de décider si elle voulait lui faire part de ce qui l’ennuyait. Graal avait assez vite accepter l’idée que son amie d’enfance étant devenue Reine ne pouvait plus lui accorder autant de temps qu’avant, ni lui parler de tout ce qu’elle faisait. Cette distance entre elles lui pesait, mais ne valait rien face à la fierté d’avoir pour amie la Reine.
Graal abordait donc un joyeux sourire, et semblait resplendissante de joie, pleine d’énergie, tout le contraire de la Graal que Diana connaissait, dont elle se souvenait. Et bien sûr, Graal ne comprenait pas pourquoi son amie avait l’air soucieuse et trouvait aisément milles et une raison d’imaginer la cause de cette inquiétude qu’elle percevait sans toutefois pouvoir mettre le doigt dessus. Diana était la Reine à ses yeux, et il était normal qu’elle ne lui dise pas tout !
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Diana connaît Themyscira par cœur. Le moindre couloir, le moindre dédale, la moindre rue. Ses plages, ses plaines, ses forêts, les endroits insoupçonnés... L'île n'a pas de secrets pour elle. Et cette Themyscira, quand bien même elle n'est que supercherie comme le reste de ce faux monde, est semblable à la véritable en tous points ; à part peut-être en ce qui concerne ses habitantes. La disparition d'Hippolyte et les résurrections inattendues d'Antiope et Venelia mises à part, les changements sont subtils, parfois impossible à détecter au premier coup d'œil ou au détour d'une conversation banale. Chez elle sans être chez elle, et avec une couronne difficile à porter et à supporter, Diana doit se faire violence pour faire l'effort de rester quelques jours sur l'île avant de repartir pour aller retrouver Jason et Barbara en Égypte pour, elle l'espère de tout son cœur, retrouver son lasso. Sa magie devrait les aider à leur rendre leur monde, tout en n'étant que l'une des pièces du puzzle final. Diana ne sait toujours pas comment avouer la vérité à Venelia ; si elle pense que sa tante commence à se douter de quelque chose, ce n'est pas le cas de son amie. Venelia continue d'être blessée par la façon que Diana a de se comporter avec elle, elle ne comprend pas pourquoi elle prend ses distances après avoir été son amante – non, sa compagne – pendant une durée que cette dernière préfère ignorer pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. Comment lui dire la vérité ? Comment lui avouer qu'elle est en réalité morte ? Que Diana est mariée, et que la petite fille qu'elle lui a confié n'est pas un cadeau des dieux, mais née de son union avec un homme qu'elle aime profondément ? Elle a beau essayer, elle ne parvient pas à voir les choses de la même manière que Jason. Elle ne parvient pas à voir ces résurrections comme une seconde chance. Quel genre de seconde chance est-ce là ? Celle de faire de nouveaux adieux déchirants ? Celle qui rouvre des plaies ayant mis une éternité à se refermer ? Celle qui vous broie le cœur ? Même en sachant qu'elle n'aura bientôt plus le choix, Diana a encore besoin de temps pour trouver les mots qui lui permettront de dire à la fois la vérité et ce qu'elle ressent. Et elle le sait, le retour à la réalité sera plus que douloureux.