anatomy of a tragedy (flashback, ORM)

(flashback, eleven years ago)

Une prison dorée. Voilà une chose à laquelle Mera ne s'était pas attendue. S'introduire entre les murs d'Atlantis n'avait pas été une tâche facile, Ryus, Leron et Nereus avaient tous les trois sous-estimé la puissance Atlante et l'avancée de sa technologie. Mais elle y était parvenue, leurs entraînements excessifs ayant finalement porté leurs fruits. Jusqu'à ce que Mera décide de se rendre immédiatement à la famille royale qu'elle était censée décimer. Sans la moindre hésitation, elle s'était rendue jusqu'au palais et avait tout avoué de sa mission aux premiers membres de la garde royale qu'elle avait croisé. Si ses vêtements n'avaient pas été ostensiblement xebelliens, elle serait sans doute passée pour une illuminée. Elle s'était attendue à ce qu'on la conduise auprès d'un roi, mais c'était une reine que Mera avait trouvé sur le trône. Encore une fois, les informations qu'elle possédait étaient dépassées mais cela lui importait peu. Un roi, une reine... Peu importait qu'elle soit née pour cela, Mera ne voulait tuer personne. Si Ryus l'avait désignée pour assassiner le souverain Atlante, c'était parce qu'elle s'était révélée meilleure guerrière que sa sœur. S'il avait su qu'il ne s'agissait pour elle que d'une parfaite échappatoire, il aurait envoyé Hila à sa place. Mera s'était retrouvée à raconter son histoire à une reine qui lui avait semblé trop douce pour être capable de régner sur l'empire Atlante, son fils qui exsudait la fierté et une armée de conseillers et de nobles tous plus pompeux les uns que les autres. Naturellement, Mera s'était attendue à ce que la reine Atlanna la fasse exécuter ou ordonne qu'elle passe le reste de ses jours derrière les barreaux d'une cage abandonnée quelque part sur le parterre océanique. Au lieu de cela, elle se retrouve confinée entre les murs d'une suite royale trop grande pour elle, et dont le luxe lui donne le tournis. Les choses ne sont pas ainsi à Xebel, même au palais de sa famille. Ou plutôt, l'opulence n'était réservée qu'à Ryus, les autres n'ayant selon lui rien fait pour la mériter. Mera n'est pas habituée à tout cela, alors elle reste prostrée contre une fenêtre et observe le paysage sous-marin pendant des heures sans bouger. Cela fait des jours qu'elle n'a pas mangé, elle refuse catégoriquement de toucher à la nourriture qu'on lui apporte et les plats s'accumulent sur la table – pour le plus grand bonheur des crustacés et des poissons parvenus à s'introduire dans la pièce. Mera ne sait pas à quoi s'attendre, et elle déteste cela. La reine Atlanna semble l'avoir prise en pitié et elle n'est pas certaine de savoir comment le prendre. Son éducation lui dit qu'elle devrait avoir honte et devrait trouver le moyen de mettre rapidement fin à sa misérable existence, mais sa conscience lui suggère que peut-être, elle mérite d'être traitée avec compassion au moins une fois dans sa vie. Tout est confus pour Mera. Elle a l'impression d'être prisonnière, tout en ayant conscience que rien ne la retient réellement. Les gardes postés devant sa porte nuit et jour n'ont pas l'air de faire partie de l'élite, et elle pourrait faire éclater les vitres en augmentant la pression de l'eau sur ces dernières. Mais peut-être n'est-ce pas là une option envisagée par ses geôliers – ou ses hôtes, elle hésite – puisque les Atlantes ne semblent pas très familiers avec l'hydrokinésie naturelle. Mera n'a pas fait grande démonstration de ses dons, mais elle ne les a pas dissimulés non plus. À Xebel, une princesse venue d'Atlantis pour assassiner le roi n'aurait pas été laissée ainsi libre de ses mouvements et sans étroite surveillance. Difficile de savoir si on lui accorde le bénéfice du doute ou si les Atlantes sont juste d'une naïveté affolante. Difficile d'imaginer que le peuple le plus puissant des océans puisse être à ce point stupide... Mera est tirée de ses pensées par une légère agitation dans les couloirs. Les voix sont à moitié étouffées par l'eau, mais elle reconnaît bien le salut protocolaire réservé à un membre de la famille royale. Elle lève les yeux au ciel avant même de se retrouver en présence du prince d'Atlantis. Il peut venir autant de fois qu'il le voudra, ce n'est pas pour autant qu'elle se décidera à être plus bavarde avec lui. Elle ne veut voir personne, ni lui, ni sa mère, ni quiconque appartenant à leur cour. Tout ce que Mera veut, c'est avoir la paix. Et si pour l'obtenir elle doit se montrer aussi têtue qu'inventive, alors soit. À peine est-il entré qu'elle s'isole dans une bulle d'air qu'elle matérialise autour d'elle en repoussant l'eau. Puisque le prince est de sang royal il peut respirer aussi bien qu'elle hors de l'eau, mais pas sans avoir dû recracher toute celle qui se trouve dans ses poumons, ce qui n'a strictement rien d'agréable, d'élégant ou de séduisant. Alors s'il tient à troubler sa sérénité encore une fois, il devra s'abaisser à cela. Mera ne peut peut-être pas maintenir sa création éternellement, mais elle est à peu près certaine qu'il n'existe personne de plus têtu qu'elle.

(flashback, eleven years ago)

C'est avec une certaine satisfaction que Mera observe du coin de l’œil le prince héritier d'Atlantis cracher des litres d'eau pour pouvoir respirer correctement dans la bulle d'air. Elle sait qu'elle ne devrait pas s'en délecter, mais c'est plaisant de le voir se plier à la seule exigence qu'elle puisse se permettre d'avoir. Malgré ses grands airs il ne semble pas avoir peur de se montrer sous un jour défavorable, alors il n'est peut-être pas aussi orgueilleux qu'elle le pensait. Mais il en faudra bien davantage pour que Mera s'avoue vaincue et accepte de lui parler. Elle a appris la méfiance, pour le moment rien ne lui dit que le Prince Orm puisse être autre chose qu'un beau parleur et un fin manipulateur. Elle ne le salue pas, mais puisqu'elle ne l'envoie pas paître non plus elle suppose qu'il verra cela comme une amélioration. Elle se contente de hausser les épaules quand il lui fait remarquer qu'il sait très bien qu'elle pourrait quitter la pièce sans difficulté, les gardes n'ayant pas les moyens de la retenir. Où irait-elle ? Même si elle meurt d'envie de quitter cet endroit, où irait-elle ? Elle ne pourra plus jamais retourner chez elle et ne connaît rien à Atlantis et aux océans du reste de la planète. Elle n'a nulle part où aller, pour le meilleur ou pour le pire cette prison dorée est rassurante tant qu'elle n'a pas à la quitter. Mera n'a pas la naïveté de croire qu'on la laissera y rester pour le restant de ses jours, mais en attendant elle s'y sent presque à l'abri. N'importe quoi vaut mieux que Xebel et la colère intarissable de son père. Elle laisse échapper un long soupir plein de lassitude quand elle comprend que le prince n'a pas l'intention de la laisser tranquille et daigne se lever pour lui faire face. Il n'y a pas beaucoup de terres à l'air libre dans la dimension Aqua, alors la démarche de Mera est quelque peu maladroite avant qu'elle ne retrouve les bons réflexes pour marcher sans se ridiculiser complètement. Sans courant pour la porter à sa hauteur, elle réalise que le prince est bien plus grand qu'elle mais peu importe, ça ne l'empêche pas de le défier du regard, sourcils froncés de façon presque exagérée comme s'il avait été un adversaire l'ayant défiée en duel. Elle a d'ailleurs bien entendu les rumeurs à son sujet. Ou plutôt, les bruits de couloirs qui le désignent comme le meilleur guerrier d'Atlantis, invaincu jusque là. Avec son air sûr de lui, ses yeux bleus et sa chevelure blonde, Mera ne doute pas qu'il ait brisé au moins la moitié des cœurs d'Atlantis, à commencer par ceux des dames de la cour. « Ce que je veux, Majesté ? » Elle ne dissimule pas le dédain dans sa voix, la provocation destinée à révéler ses véritables intentions à son égard. Mera n'est pas dupe, sa présence n'est pas synonyme de visite de courtoisie. Pas plus que la veille, ou le jour d'avant, ou le jour d'avant le jour d'avant. « Je veux que les hommes comme vous arrêtent de me dicter ma conduite. Je veux que les hommes comme vous arrêtent de croire savoir ce qui vaut le mieux pour moi. » Sans lâcher son regard, elle lui adresse un sourire. Puisqu'il n'a rien d'un imbécile il comprendra sans mal que cela a valeur d'insulte pour Mera, qui n'est pas encore décidée à lui accorder le respect que son rang exige. Orm est peut-être l'héritier du trône, mais il n'a pas encore gagné sa confiance. Elle a renoncé à tenter de l'assassiner, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'elle est prête à lui jurer admiration et obéissance pour faire amende honorable. Elle n'oublie pas que ce sont ses ancêtres qui ont condamné les siens et tous leurs descendants à l'exil dans une dimension sauvage, austère et étrangère. Les Xebelliens qui ont eu le malheur d'y naître n'étaient coupables de rien, mais ils continuent à payer pour les erreurs de leurs ancêtres. De la même façon que les Atlantes qui vivent aujourd'hui ne devraient pas avoir à porter le poids des décisions des leurs, certes. Sans masquer son agacement, Mera soupire et laisse disparaître la bulle d'air progressivement, afin que l'eau de nouveau libre de circuler librement ne les frappe pas de plein fouet. « Contentez-vous de m'appeler Mera. S'il vous plaît. » La politesse lui écorche la gorge, mais la requête est sincère. Y'Mera Xebella Challa n'existait qu'à Xebel, pour peu que l'on daigne s'adresser à elle par son prénom et pas par un sobriquet dégradant. Mais elle ne sera plus jamais princesse de Xebel, une fois que la nouvelle de sa trahison atteindra son royaume elle sera déchue de tous ses titres et sans doute condamnée à mort. À Atlantis ou ailleurs, ses jours sont comptés. « Allez-vous me dire ce que vous me voulez, cette fois ? Puisque nous savons tous les deux que je peux quitter cet endroit si j'en ai envie, cessons de jouer. Vous n'allez pas me tuer, vous n'allez pas me torturer... Mais vous n'allez pas non plus me laisser circuler librement dans votre royaume, parce que vous ignorez si je vous ai dit la vérité à propos de ma mission. Je n'aime pas être observée comme un animal en cage, Majesté. Épargnez-nous une nouvelle perte de temps à tous les deux, allez droit au but. »

(flashback, eleven years ago)

Des hommes comme lui, Mera n'a connu que ça à Xebel. Des hommes qui s'imaginent être différents des autres et valoir mieux qu'eux. Des hommes qui ne voient pas leurs propres travers et pensent n'avoir rien à se reprocher. Des hommes avides de pouvoir et prêts à tout pour l'obtenir. Des hommes arrogants, narcissiques, égoïstes et manipulateurs... Mera n'a pour le moment aucune raison de croire que le Prince Orm puisse être réellement d'un autre genre. D'où elle vient, les femmes n'ont pas leur place dans la société. Elles sont effacées, dans l'ombre de leurs pères, leurs frères, leurs époux et n'importe quel autre homme de leur famille. Xebel n'aurait jamais de reine sans roi, et c'est tout juste si l'épouse du souverain est reconnue comme consort. Elle ne règne pas, son titre n'est qu'une décoration sans intérêt ni importance. Ryus s'est toujours plaint de ne jamais être parvenu à avoir un héritier mâle. Son épouse avait failli à sa seule et unique tâche en ne lui donnant que des filles, et ses nombreuses maîtresses n'avaient pas davantage brillé. Mera y voit là une punition divine, un juste retournement de situation pour lui faire payer son arrogance et sa tyrannie. Mais Hila et elle avaient subi les conséquences de cet échec toute leur vie. Elles n'avaient pas eu le droit d'être sœurs, seulement rivales. Mera avait eu son maître d'armes, sa jumelle avait eu le sien et à travers elle les deux hommes s'étaient affrontés. Elle n'a jamais connu un seul homme qui ne lui ait pas fait du mal. Ryus, Leron, Nereus... Alors Orm Marius a peut-être des allures de chevalier servant, mais Mera sait mieux que quiconque à quel point les apparences peuvent être trompeuses. Après tout, elle a été élevée pour être aussi bonne actrice que guerrière. « Vous ne savez pas de quoi vous parlez. » Arrogance, bêtise ou sincère erreur de sa part ? Quoi qu'il en soit, le prince ignore tout de Xebel et ses traditions. L'immensité glacée des océans ne sera jamais aussi cruelle que son royaume et Mera est prête à parier que les bourreaux xebelliens feraient pâlir d'horreur les plus grands guerriers Atlantes. Elle n'a plus honte de l'admettre, Xebel n'est pas aussi civilisée qu'Atlantis, les problèmes se règlent à coups de poing et la diplomatie est souvent sacrifiée au profit de négociations beaucoup plus musclées. « Je n'ai pas peur de ce qui m'attend si je quitte Atlantis. J'ai peur de ce qui m'attend si le Roi Ryus envoie un escadron pour venir me chercher. La mort vaut mieux, croyez bien. Vous aussi vous auriez peur, si vous saviez quel genre d'homme mon père est. » Il n'éprouve rien pour elle sinon un profond mépris lié à son sexe. Elle n'a jamais été pour lui qu'une arme, un moyen de parvenir à ses fins. Que ce soit en donnant sa main à Nereus pour sceller une alliance avec les siens ou en l'envoyant tuer le souverain atlante. Mera le sait, elle n'est pas la seule native de Xebel à Atlantis. Des espions se trouvent dans la cité, son père en a envoyé plus d'un et bientôt la nouvelle de sa trahison parviendra jusqu'à ses oreilles et elle n'ose imaginer la tempête que cela déclenchera. « Majesté, sous-entendriez vous que j'ai un caractère difficile ? » Elle sourit elle aussi, peut-être pour la première fois depuis son arrivée à Atlantis. Elle ne doute pas que sa personnalité puisse poser quelques problèmes à ses hôtes. Elle n'est pas une petite dame de cour bien éduquée et pleine de manières et de délicatesse, son caractère est l'armure qu'elle n'a eu d'autre choix que de forger pour survivre. « Si j'en crois les gardes et les demoiselles en admiration qui vont et viennent dans les couloirs du palais en contant vos exploits, vous êtes le meilleur guerrier que le royaume ait jamais connu... Alors je suppose que si mon père envoie ses meilleurs assassins me chercher pour me traîner de force jusqu'à Xebel... Vous me protégerez, n'est-ce pas ? Même si cela implique devoir vous accommoder de ma présence à toute heure du jour et de la nuit ? » Mera incline légèrement la tête sur le côté. Après l'insolence brute, la provocation en apparence innocente. Frapper l'ego, c'est le meilleur moyen de pousser un homme à révéler sa véritable nature. Rien n'est plus fragile que l'amour-propre masculin. Elle retient un soupir et retourne s'asseoir près de la fenêtre, là où elle passe la plupart de son temps quand personne ne la dérange. L'océan lui offre un spectacle constant, et Atlantis est... Fascinante. Bien plus évoluée que Xebel, en parfaite harmonie avec son environnement. Tellement lumineuse qu'il lui avait fallu un temps d'adaptation. Mera est fâchée de le reconnaître, mais le royaume lui plaît. Elle ne peut pour le moment pas en dire autant de ses habitants. « Je n'ai nulle part où aller, alors je suppose que je vais rester... Mais vous allez devoir me trouver une utilité. Je crains ne pas être douée pour jouer l'anémone de décoration. Loin de moi l'envie de vouloir insulter votre cour, mais... » Mera hausse un sourcil. À quoi bon essayer de prétendre le contraire, c'est bel et bien une insulte.

(flashback, eleven years ago)

Mera ne veut pas apprécier le prince. Elle était même déterminée à le haïr de tout son cœur en arrivant à Atlantis, bien évidemment persuadée par son père que la famille royale était forcément terrible. Mais la Reine Atlanna lui a vite prouvé le contraire, et son fils... Eh bien, son fils semble difficile à détester, lui aussi. Elle ne pense pas mériter les efforts qu'il fait, à sa place elle l'aurait certainement laisser pourrir dans sa cellule et l'aurait vite oublié. Sans doute est-ce là toute la différence entre son éducation et la sienne. Sans douter une seule seconde du côté vengeur et vindicatif des Atlantes, ces derniers semblent plus enclins à adapter des méthodes civilisées que leurs rivaux Xebelliens. « Vous savez ce qu'on dit à propos des promesses, Majesté. Elles n'engagent que ceux qui y tiennent. » Ce n'est pas que Mera tienne absolument à remettre sa parole en doute, il semble sincère mais elle n'oublie pas ce qui les sépare. Elle vient de Xebel, et bientôt tout Atlantis sera au courant de sa présence et elle ne doute pas qu'ils soient nombreux à réclamer son exécution immédiate. Quel prince risquerait sa réputation et l'amour de son peuple pour protéger la princesse d'un royaume ennemi, de surcroît envoyée pour le tuer, lui et le reste de sa famille ? Il est encore jeune, peut-être trop pour comprendre les rouages du pouvoir à la perfection. Mera est tout à fait consciente de l'ironie de ses pensées, étant elle-même plus jeune que lui, mais l'éducation de Xebel ne laisse pas de place aux enfantillages, et encore moins aux échecs. Mais peut-être fait-elle erreur ? Atlantis n'a plus de roi, le père du Prince Orm est donc mort et si elle en croit ses dires, il ne valait pas bien mieux que Ryus. « J'ai toujours trouvé les étoiles de mer fascinantes, pas vous ? » Comme pour illustrer ses propos, elle détache délicatement une astérie accrochée à un morceau de corail et dont la couleur rappelle sa chevelure. Elle observe la créature un instant avant de la remettre à sa place, enviant la simplicité de son existence. Le prince se rapproche et Mera a un mouvement de recul involontaire, qu'il ne manquera pas de remarquer s'il est aussi fin observateur qu'on le dit. Qu'elle le veuille ou non, elle est toujours sur la défensive et elle craint de ne pas parvenir à baisser sa garde avant un long, très long moment. « Nul besoin de me conduire directement aux cuisines, Majesté. J'ai manqué de faire honneur à votre hospitalité, je vous prie de m'en excuser. » Mera n'a presque rien avalé depuis son arrivée à Atlantis, ce n'est pas par esprit de contradiction et ce n'est certainement pas parce qu'elle craint d'être empoisonnée. Elle n'a aucun appétit, et est quelque peu troublée par cette abondance de plats. C'est un luxe qui n'existe pas à Xebel, la nourriture étant une nécessité avant d'être un plaisir. Et quand bien même elle aurait pu l'être, Ryus ne l'aurait pas laissée en profiter. « Je n'ai pas l'habitude d'être traitée avec égard... Loin de moi l'envie de faire la difficile, je mangerai ce qui sera préparé pour moi. » Elle le sait bien, elle sera bien obligée de recommencer à manger, plus tôt que tard. Mais elle n'a pour le moment guère envie de se rendre jusqu'aux cuisines du palais, elle imagine qu'Atlantis a des choses bien plus intéressantes à offrir. « Votre mère... J'aimerais beaucoup m'entretenir avec la reine, si vous le permettez. Je n'ai pas encore eu l'occasion de la remercier pour sa... » Mera fronce les sourcils et cherche ses mots, elle ne veut surtout pas commettre d'impair par mégarde. « Compassion et sa générosité à mon encontre. J'ai une dette envers elle, et envers vous-même je suppose. J'aimerais trouver le moyen de la payer. Je ne m'attends pas à ce que vous m'accordiez votre pleine et entière confiance parce que je vous demande poliment de le faire, mais permettez-moi d'être utile à votre royaume. » Il n'est pas dans sa nature de rester dans l'inaction, elle deviendrait vite folle. Et puis, Leron et son père l'ont peut-être trop bien éduquée : Mera sait que ses connaissances donneront un net avantage à Atlantis en cas d'attaque plus directe, voire en cas de guerre ouverte si Nereus parvient un jour à convaincre le roi de lancer une offensive générale. Quitte à être une traîtresse, autant l'être jusqu'au bout. En fin de compte, Mera sait très bien ce qu'elle veut. Les Atlantes ne sont pas les seuls à posséder un goût prononcé pour la vengeance.

(flashback, eleven years ago)

Mera a peut-être attisé la curiosité du prince, mais elle sait que c'est à la reine qu'elle doit son salut. C'est Atlanna qui lui a accordé de garder la vie sauve, alors qu'il aurait été plus que légitime qu'elle ordonne son exécution ou au moins son arrestation. À sa place, Ryus n'aurait pas hésité une seule seconde et il aurait certainement même fait en sorte qu'elle soit torturée. Si les rôles avaient été inversés, si Atlanna avait envoyé Orm à Xebel, son roi aurait refusé de faire preuve de compassion à l'égard d'un enfant élevé pour n'être qu'une arme. Ce n'est pas un sentiment toléré dans le royaume des exilés, il est considéré comme une preuve de faiblesse et non pas comme une force. C'est troublant pour Mera, mais elle considère la bonté de la reine Atlanna à sa juste valeur, moins influencée par son éducation radicale qu'elle ne le croyait possible. Les apparences sont souvent trompeuses, mais elle se souvient avoir été frappée par l'aura bienveillante de la souveraine, qui ne l'a pas regardée une seule fois avec colère ou dégoût. Dans les couloirs du palais, Mera laisse Orm la guider, consciente des regards qui pèsent sur elle. Les Atlantes s'attendaient sans doute à la voir être conduite aux prisons avec des chaînes aux poignets, pas escortée par le prince en personne jusqu'aux appartements privés de leur reine. Elle se devine condamnée à endurer de tels regards éternellement, et le constat est plus amer qu'il ne devrait l'être. Quand Atlanna apparaît, Mera s'incline respectueusement. « Votre Altesse. » Elle reste légèrement en retrait, laissant Orm informer sa mère de la raison de leur présence. Étrangement, Atlanna semble... amusée ? Ce n'est pas le genre de réaction que Mera s'était préparée à affronter et les questions que la reine lui posent la laissent quelque peu troublée. « Votre fils est quelqu'un de très... Obstiné. Il semble que j'aie finalement trouvé plus têtu que moi. » Elle est certaine que si elle s'était acharnée à ne rien dire, Orm serait revenu la voir le lendemain. Et le jour d'après, et le jour suivant le jour d'après, jusqu'à ce qu'elle cède. Mera est têtue, mais elle est aussi terriblement impatiente et le petit manège du prince aurait fini par la rendre folle. « Je suppose... Je suppose que le prince a vu chez moi l'attrait de la nouveauté. J'ai cru comprendre être plutôt différente des jeunes femmes qu'il a pour habitude de fréquenter. » Mera se risque à adresser un sourire timide à la reine, qui n'a pas l'air le moins du monde étonnée par sa réponse. Puis elle hausse les épaules en croisant les bras sous sa poitrine. « Ou bien sa délicatesse n'est qu'une façade habilement construite, il se méfie de moi et il cherche à s'assurer de ma sincérité en m'offrant hospitalité et protection. » C'est ce qu'elle aurait fait à sa place. C'est ce que n'importe quel prince digne de ce nom aurait fait face à une personne comme elle. « Je souhaitais vous remercier pour la bonté dont vous avez fait preuve à mon égard, Majesté. Mais je ne suis pas naïve. J'ai beau n'être encore qu'une enfant, je sais que ma présence à Atlantis et mon identité sont problématiques. Vous n'avez aucune raison de me faire confiance, nos royaumes sont ennemis depuis des siècles et mon père m'a envoyée ici pour vous tuer, vous, votre fils et votre époux si ce dernier avait encore été en vie. Je doute que votre peuple éprouve pour moi la même compassion que vous. Et je ne peux leur en tenir rigueur. Nos nations n'ont plus grand chose en commun, mais comme tous les descendants de Poséidon nous avons la rancune tenace. » Et la vengeance facile. Mera ne se fait pas d'illusions, quoi qu'elle arrive elle ne sera jamais pleinement intégrée à la société atlante. À supposer qu'elle survive à sa trahison, elle doute être un jour appréciée à Atlantis ; et encore moins si elle s'immisce dans les plus hautes sphères dès son arrivée. Mais après l'enfer de Xebel, la haine d'Atlantis lui semble supportable. « J'ai une dette envers vous, Reine Atlanna. Vous avez choisi de me laisser la vie sauve, alors que rien ne vous y obligeait et dépit des conséquences. Permettez-moi de vous servir. Je connais Xebel mieux que quiconque ici, je connais ses forces et ses faiblesses. Je connais son souverain... Mon père ne s'arrêtera pas là. J'ai été élevée dans le but de devenir l'arme parfaite... Je suis parvenue à tromper votre sécurité, j'aurais pu vous atteindre. Je crains que votre vie ne soit encore en danger, Votre Altesse. » Hila ou Nereus n'auraient pas de scrupules à assassiner Atlanna, ils ne partageraient pas ses états d'âme. Sa sœur ferait n'importe quoi pour devenir la favorite de leur père, et son fiancé pour qu'il le désigne comme son héritier légitime.

(flashback, eleven years ago)

À défaut d'avoir eu une enfance digne de ce nom, Mera aura au moins été préparée à faire face à toutes les éventualités. Elle ne prétend pas être invincible ou imperturbable, mais son entraînement rigoureux lui a appris à s'adapter aux situations inattendues. Son intégration à Atlantis ne se fera pas sans heurts, elle envisage déjà la possibilité de ne jamais parvenir à s'attirer la sympathie des Atlantes, même en ayant obtenu celle de la famille royale. Cette dernière risque sa réputation en faisant preuve de compassion à l'égard de la princesse de Xebel. Mera ne doute pas que les membres du conseils aient été nombreux à s'opposer à la décision d'Atlanna, et si offrir sa protection a valeur de serment à Atlantis, ce qu'elle pensait n'être qu'une formule de politesse venant du prince risque de déplaire également. Princesse d'une nation ennemie envoyée pour assassiner les membres de la lignée d'Atlan, Mera ne s'attendait pas à être accueillie à bras ouverts par le peuple atlante après s'être rendue sans opposer de résistance, et encore moins à devenir la protégée de la reine. Elle s'adaptera à cette situation comme à n'importe quelle autre, mais cette dernière est trop épineuse pour être réglée par la voie de la violence. C'est ainsi que les conflits sont réglés à Xebel, mais elle doute fort que la moitié des Atlantes aient soudain envie de provoquer Orm en duel pour se débarrasser d'elle. Certains seraient peut-être assez stupides pour se croire de taille, mais sans doute pas la majorité, la société atlante ayant heureusement évolué pour privilégier la voie de la diplomatie. Mera n'est pas convaincue d'être aussi courageuse que la reine Atlanna le pense, et elle est encore moins certaine d'être parvenue à s'émanciper de l'influence néfaste de Ryus. Si sa conscience l'a empêchée de commettre un assassinat simplement parce qu'il le lui demandait, il lui faudra probablement des années pour parvenir à oublier son éducation martiale et les idées qu'il s'est assuré d'implanter dans son esprit. « La confiance que vous m'accordez me touche, Votre Altesse, et croyez bien que je la considère à sa juste valeur. » Mera s'incline avec respect, aussi bien devant Atlanna que devant son fils. Le seul à avoir eu foi en elle avait eux était Leron, son maître d'armes particulier. Mais Ryus ne lui accordait aucun crédit, rien n'était jamais assez bien. Si elle avait rempli sa mission, il lui aurait dit qu'elle n'avait fait qu'accomplir son devoir et aurait trouvé une nouvelle raison de l'accabler. La reine souhaite qu'elle participe au prochain conseil royal pour les aider à contrer la menace représentée par Xebel, alors Mera fera ce qu'elle lui demande et tant pis si elle doit faire face à l'agressivité – naturelle – des hommes et des femmes présents. « Je vous promets de tout mettre en œuvre pour servir Atlantis et ne pas vous décevoir, Majesté. » Atlanna ne le réalise peut-être pas encore, mais la servir sera pour Mera le meilleur moyen de prendre sa revanche sur son père et Xebel. Elle aimerait beaucoup pouvoir assister à l'inévitable explosion de rage de Ryus en apprenant la nouvelle de sa trahison, une trahison qui le mettra face au plus grand échec de tout son règne. La liberté est un concept effrayant pour Mera, qui ignore encore ce que c'est. Elle lance un regard presque craintif au prince, n'ayant pas la moindre idée de ce qui l'attend une fois qu'elle sera débarrassée des chaînes métaphoriques qui l'entravent depuis sa plus tendre enfance. Refuser d'assassiner des inconnus est sa première décision indépendante et le début d'une nouvelle vie qui promet d'être aussi mouvementée que la précédente. « Le prince a très généreusement proposé de me faire visiter le palais et la cité. Je suppose que nous pourrions commencer par là. » Elle adresse un sourire à Orm, à mille lieues de s'imaginer ce qui les attend.

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Rares sont les femmes à participer au tournoi qui oppose deux fois par an les plus grands guerriers d'Atlantis. Si la société atlante est bien moins patriarcale que celle de Xebel, la compétition reste essentiellement masculine, bien que les rares guerrières en lice soient souvent bien plus redoutables que leurs homologues. En souhaitant participer au tournoi, Mera savait très bien que beaucoup verraient là l'occasion rêvée de s'en prendre à elle en toute impunité. Pour cette raison, Atlanna avait longuement hésité avant de lui accorder le droit de participer. Mais Mera était parvenue à la convaincre, désireuse de prouver sa valeur dans un domaine aimé et respecté par le peuple. Plusieurs mois après son arrivée, Mera était encore traitée comme une paria malgré ses efforts et sa volonté de s'intégrer. L'agacement s'était emparé d'elle et en plus de vouloir faire ses preuves, elle avait elle aussi eu l'envie de rendre les coups donnés. Percevant sa détresse, la reine avait accédé à sa requête et son nom avait été ajouté à la liste des participants. Consciente de ses capacités, Mera était certaine de faire partie des finalistes. Sa première apparition dans l'arène lui avait valu d'être huée par la foule, mais elle avait perçu des changements dans son attitude au fur et à mesure qu'elle avait battu les favoris dans les règles de l'art et en démontrant de techniques de combat inconnues des Atlantes et maîtrisées à la perfection. Malgré elle, elle ne peut s'empêcher de songer que Leron aurait été fière d'elle, fière de la voir mettre en pratique des années d'apprentissage. Mais Leron n'étant pas là, ce sont les Atlantes qu'elle doit impressionner. Habituée à se battre pendant des heures et des heures, la détermination de Mera ne faiblit pas malgré la fatigue qui s'empare peu à peu de son corps. Certains coups reçus l'ont laissée meurtrie, mais ça lui est égal. Peu importent les plaies, tant qu'elle est la dernière debout. Elle se bat inlassablement contre ses adversaires, certains se rendent et d'autres sont déclarés perdants une fois à terre, tous repartent la queue entre les jambes après avoir eu l'arrogance de croire qu'ils parviendraient à la mettre en difficulté. En se lançant dans la compétition, Mera savait que si elle parvenait à battre tous les autres concurrents, elle devrait faire face à Orm. À présent que le moment est venu de se mesurer à lui, elle se sent fébrile. Prince et champion inégalé, elle ne s'attend pas à le vaincre mais pense être en mesure de lui donner du fil à retordre et un combat qu'il n'est pas prêt d'oublier. Des semaines s'étaient écoulées avant que Mera n'accepte de s'ouvrir à lui et cesse d'essayer bêtement de le détester. Il avait tenu sa promesse, il l'avait protégée et défendue contre ses nombreux détracteurs et s'était avéré être un allié inattendu. Un allié et peut-être un peu plus que cela, en dépit des barrières que Mera s'acharnait à maintenir entre eux. Face à lui, elle s'incline comme le veut coutume, mais avec un sourire en coin qu'il sera le seul à pouvoir voir. « Majesté... » Il y a une pointe de moquerie dans sa voix, puisqu'elle n'utilise déjà plus cette formule respectueuse que pour l'agacer alors qu'il tient à ce qu'elle l'appelle par son prénom. Mera se redresse et se met en position d'attaque, épée en main, prête à s'élancer à la seconde où Atlanna autorisera le début du combat. « Si tu retiens tes coups, je le saurai. » Et elle s'en trouverait énormément vexée. Mera tient à ce qu'Orm la traite comme n'importe quel autre adversaire, qu'il ne lui accorde pas le moindre privilège et qu'il n'ait surtout pas peur de frapper à cause de sentiments personnels n'ayant rien à faire au milieu de leur duel.

(flashback, eleven years ago)

Pendant une poignée de secondes, Mera se demande ce que cela fait d'être aimé par son peuple. Orm est une fois de plus le grand favori de la compétition, la foule scande son nom à chaque fois qu'il entre dans l'arène et la moindre de ses attaques est suivie d'un tonnerre d'applaudissements et d'encouragements. Cela ne fait aucun doute le prince d'Atlantis est adoré de ses sujets, ils le vénèrent presque comme un dieu. Beaucoup ont sans doute très hâte de le voir l'attaquer et la vaincre, si possible en faisant quelques dégâts. Mera a beau s'être hissée en finale, elle sait qu'il en faudra bien davantage pour obtenir une miette de leur respect. « Une mauvaise idée ? Ne me dis pas que tu as peur de perdre... ? » Elle lui adresse un sourire amusé. Mera ne se fait pas d'illusions sur l'issue de ce combat, elle a vu Orm combattre à de nombreuses reprises et sait déjà qu'il finira par lui arracher la victoire d'une façon ou d'une autre. Mais le combat sera malgré tout acharné, et elle ne veut surtout pas qu'il lui accorde le moindre privilège. Avant que le combat ne commence, Mera lance un regard aux hologrammes qui affichent leurs profils. Les informations du sien sont quelque peu différentes, et quand elle sent le rouge lui monter aux joues elle affiche un air offusqué. Vraiment très belle... ? « Qui est l'imbécile qui a osé... » Elle devient probablement de la même couleur que sa chevelure lorsqu'elle comprend que l'imbécile en question se trouve juste devant elle. Elle reprend ses esprits juste avant que la reine n'autorise le combat à commencer, et doit immédiatement essuyer une première attaque violente. En terme de force brute, Orm est naturellement plus fort qu'elle et elle comprend très vite qu'il va essayer de la faire plier ainsi, en l'attaquant inlassablement pour l'épuiser. Mais il sous-estime son endurance et surtout, ses capacités à retourner ses propres forces contre lui. « Oh je t'en prie, c'est ça que tu appelles des coups... ? Je me sens insultée ! » Ils ne devraient pas bavarder en plein duel. Ce manque de sérieux et les sourires éloquents qu'ils s'adressent risquent de ne pas échapper aux Atlantes qui ont les yeux rivés sur l'arène et les écrans qui l'entourent. Alors Mera attaque à son tour, la rapidité étant l'un de ses points forts, elle enchaîne les coups pour le forcer à les essuyer et à en rendre le moins possible. C'est une distraction plus qu'une réelle stratégie, Orm ne tardera pas à trouver une ouverture et il en profitera pour lui asséner un nouveau coup puissant pour la déstabilier. Cela tombe bien, c'est exactement ce qu'elle espère. Quand il le fait, elle pare le coup de trident de son épée mais plutôt que d'essayer de le repousser, elle l'attrape par le col de son armure de sa main libre et profite de l'élan de son propre coup pour le faire basculer par dessus elle. Ils sont tous les deux entraînés par leurs deux poids combinés et elle le plaque sèchement sur le sol de l'arène. La prise est serrée, il est en partie immobilisé par le haut de son corps sur le sien et surtout par son coude qui écrase sa gorge et ses jambes enroulées autour de son bras pour l'empêcher de lever son trident. « Apparemment je suis vraiment très belle... Et plus maligne que toi... Majesté. » Le sourire à la fois triomphant et moqueur qu'elle lui adresse, il est le seul à pouvoir le voir. « Je suppose que tu ne vas pas te rendre... ? » Non, bien sûr que non, ce serait trop facile... Et si peu intéressant. Orm parvient à se dégager de sa prise, et ils échangent plusieurs passes aussi précises qu'efficaces. Au fur et à mesure que le trident frappe son épée, Mera peut sentir la lame trembler de plus en plus, fragilisée par la perfection de l'arme du prince. Comme elle s'y attend, elle finir par voler en éclats, pulvérisée par un énième entrechoquement avec le trident et la force du coup ainsi que l'onde de choc provoquée la précipitent au sol. La foule ne manque pas de se réjouir, mais Mera ne s'avoue pas vaincue pour autant. Elle est arrivée jusque là sans utiliser son hydrokinésie, souhaitant prouver ses capacités de guerrière avant tout et ne pas être accusée de tricherie. Mais techniquement, Orm possède une arme qui lui donne un avantage certain, et tous les coups sont permis du moment qu'ils respectent les règles du tournoi. Et le tournoi autorise l'utilisation de la magie comme celle de toute autre capacité innée, tant que les attaques ne sont pas sournoises. Les prunelles de Mera se mettent à briller d'une intense lueur bleue et l'eau autour d'eux se met à tournoyer à vive allure, jusqu'à ce qu'une tornade sous-marine se manifeste. « Tu retiens peut-être tes coups... Mais moi non. » Sous son contrôle, l'eau se met à tourbillonner plus vite et elle frappe Orm de plein fouet avec toute la puissance à sa disposition. Elle l'envoie s'écraser contre une vieille colonne déjà à moitié effondrée, comme un pantin dont elle aurait tenu les fils. Il ne le réalise sans doute pas au moment où il heurte la pierre, mais elle empêche les trop gros débris de l'atteindre, elle ne veut pas qu'il soit – trop – blessé. Tout est silencieux dans l'arène, plus aucun Atlante n'ose émettre le moindre son. Et jusqu'à ce que la silhouette du prince n'apparaisse quand le nuage de sable et de pierre se dissipe, Mera retient son souffle. Était-ce une démonstration de force... Un peu trop exagérée ?

(flashback, eleven years ago)

Ce n'est qu'un jeu. Ce n'est qu'un jeu, lui murmure faiblement une petite voix dans son esprit. Un jeu, une compétition sportive dont le seul but est d'animer Atlantis et rassembler le peuple. Ce n'est pas aussi sérieux que ça en a l'air. Les combats ont été rudes, il y a eu quelques blessures mais les seules choses à avoir été réellement heurtées n'ont été que des ego et quelques réputations. Ce n'est pas une question de vie ou de mort. Mera regrette de s'être montrée aussi agressive avec Orm, ce n'était pas nécessaire. Même si son attaque était maîtrisée, ce n'était pas nécessaire. Elle ne peut pas prouver sa valeur à n'importe quel prix, elle sait de toute façon qu'elle ne parviendra pas à le vaincre alors à quoi bon se montrer aussi batailleuse ? Elle est arrivée en finale, elle a combattu et vaincu tous ses autres adversaires, il n'y a aucune honte à terminer en seconde position, après le champion d'Atlantis. N'est-ce pas... ? Elle essaie de s'en persuader, mais son éducation martiale et cruelle a laissé des séquelles que Mera n'est pas toujours en mesure de surmonter. Sur le terrain, il est difficile de rationaliser les choses, elle agit instinctivement et sans prendre le temps de réfléchir aux conséquences de ses actions. Parce qu'on lui a fait apprendre à grand renfort de coups qu'en pleine bataille, trop réfléchir c'est risquer de mourir. Désemparée, Mera n'ose même pas relever les yeux vers la loge royale, par crainte de croiser le regard désapprobateur d'Atlanna. Même la foule ne sait pas comment réagir à une telle attaque, c'est peut-être la première fois que les Atlantes voient leur prince mordre la poussière et ils hésitent certainement à encourager quelqu'un comme elle. Ce n'est que lorsque Orm réapparaît et les incite à l'applaudir qu'ils le font, presque comme si ils attendaient son autorisation pour le faire. Et pendant une poignée de secondes, Mera sent son cœur se gonfler de fierté, grisée par l'approbation de la foule, même si cette dernière est encore timide. Elle lui rappelle la foule de Xebel qui scandait son nom en chœur après chacune de ses victoires – non, après chaque mise à mort commandée par Ryus, le jeu n'étant pas permis au royaume des exilés. Mais la honte ne tarde pas à la submerger. Est-ce vraiment ce qu'elle veut ? Être applaudie et célébrée pour sa violence, parce qu'elle se révèle capable de blesser les personnes auxquelles elle tient, capable de sacrifier leur affection dans le seul et unique but d'obtenir le respect d'un peuple qui de toute façon ne le lui donnera sans doute jamais ? Orm ne lui laisse hélas pas le temps de se pencher sur ses états d'âme, il l'attaque à nouveau et si Mera n'avait pas possédé de merveilleux réflexes, elle aurait finie embrochée sur les pointes de son trident. Sa stratégie porte ses fruits, une fois qu'elle est parvenue à éviter son arme elle n'a pas le temps de se préparer à parer son attaque. Orm l'immobilise en bloquant ses bras de façon à ce qu'elle ne puisse plus bouger sans risquer de les briser. Mera laisse échapper un grognement de frustration, agacée par sa propre incompétence et certaine qu'elle aurait pu réagir plus vite et éviter de se retrouver prise au piège. Elle ne sait pas quoi répondre à son aveu, elle ignore tout simplement comment recevoir un compliment. Pourtant elle se sent rougir une fois de plus, d'autant plus troublée par ce corps à corps qui s'éternise. Elle n'aime pas être aussi proche de lui, parce qu'elle déteste perdre le contrôle de ses émotions et surtout ne pas comprendre ces dernières. Après avoir rougi d'embarras, elle reste rouge de colère, choquée qu'il ose lui demander de déclarer forfait. Plus outrée encore qu'il puisse croire qu'elle le hait. « Je ne... »  Pendant un instant elle est tentée de lui répondre que oui, elle le déteste. Elle le déteste parce que par sa faute, elle se sent faible. Elle le déteste parce qu'elle a l'impression d'avoir été humiliée publiquement. Et surtout, elle le déteste parce que les sentiments qu'elle ressent en sa présence sont de plus en plus troublants et difficiles à ignorer. Elle devait le tuer. Elle était à peine censée tolérer sa présence. Elle ne devait pas l'apprécier, encore moins apprendre à l'aimer. Mais les instincts qu'il éveille en elle à cet instant, elle ne peut lutter contre. Elle ne peut accepter de se soumettre et de s'avouer vaincue tant qu'elle est encore capable de combattre. C'est ainsi que les choses se passent à Xebel. Abandonner, c'est se condamner de toute façon – la mort avant le déshonneur, c'est ce que Ryus disait toujours avant que les combats dans ne débutent dans l'arène-épave. Bien malgré lui, Orm devient momentanément un concentré de tous ces hommes qui l'ont un jour blessé, Mera se souvient avec amertume de tous ceux qui l'ont violentée, rabaissé ou ont posé la main sur elle sans son accord. « Lâche-moi... LÂCHE-MOI ! » Elle hurle, plus fort qu'elle ne l'aurait souhaité et se débat. C'est purement instinctif, elle obéit à son intuition de guerrière et la petite voix qui lui murmurait que tout ceci n'est qu'un jeu est étouffée par des années d'apprentissage excessif et une éducation similaire à de la torture psychologique. Toute sa vie, on lui a interdit de se rendre et de faire volontairement preuve de faiblesse. Alors elle se débat, et si les os de ses bras ne se brisent pas c'est uniquement parce qu'Orm choisit de la relâcher. Vite, assez pour éviter les fractures mais pour empêcher son épaule gauche de craquer sèchement et bruyamment, déboîtée par sa tentative de se défaire de l'emprise du prince. Malgré la douleur qui irradie tout son bras et l'empêche à présent de s'en servir, Mera ne laisse rien paraître de sa souffrance et se prépare de nouveau à affronter Orm. Grâce à son hydrokinésie, elle se fabrique une arme qui prend la forme d'un trident composé d'une eau extrêmement dense et... Laisse sa création lui échapper quand elle croise le regard horrifié de son adversaire. Quand elle réalise que la foule est devenue silencieuse. Quand elle voit un petit nuage de sang s'échapper du flanc d'Orm et disparaître presque immédiatement dans l'eau salée. Tout ceci lui fait l'effet d'un électrochoc, comme si elle avait été frappée par l'une des anguilles électriques géantes de sa grand-mère, l'inflexible matriarche de Xebel. « Je... » Mera comprend trop tard qu'elle est allée trop loin. Qu'elle a trop pris à cœur ce qui n'était rien de plus qu'une animation sportive. Atlantis n'est pas Xebel, perdre un duel ne lui coûtera pas la vie et cela ne fera pas non plus d'elle une paria – mais après avoir fait démonstration de sa folie, elle doute qu'on lui accorde le moindre crédit à présent. Honteuse et stupéfaite, elle met le genou à terre. « Je m'incline. Tu as gagné. »

(flashback, eleven years ago)

Orm avait raison, tout ceci s'était avéré être une mauvaise idée. Mera avait cru qu'elle serait capable de tenir ses démons en laisse, mais elle avait eu tort de le penser, c'était bien plus difficile qu'elle ne l'avait cru et espéré. La foule n'a pas idée de la tempête qui ravage son esprit et du sentiment d'humiliation qui lui serre la gorge au point qu'elle éprouve des difficultés pour respirer, comme si l'eau ne pouvait plus circuler librement dans ses poumons. Les Atlantes sont satisfaits, leur prince a remporté une énième victoire et sera de nouveau sacré champion incontesté d'Atlantis. Tout devrait être exactement comme d'ordinaire, mais de toute évidence Orm n'a pas le cœur à célébrer son triomphe et Mera est la seule à blâmer pour cela. Elle entend la colère à peine étouffée dans le son de sa voix, il est furieux, alors elle s'exécute et se relève sans dire un mot. Avant de quitter l'arène, elle lance un regard navré à Atlanna qui les observe depuis la tribune royale, terriblement désolée d'avoir pu la décevoir. À l'abri des regards, elle fait face à l'animosité du prince et si elle sait qu'elle la mérite, Mera n'en est pas moins blessée, c'est la première fois qu'il s'adresse à elle sur ce ton. C'est vrai, son épaule est douloureuse et elle ne cherche pas à le nier, mais elle s'attendait à ce que, mieux que quiconque, Orm la comprenne. Qu'il comprenne les réflexes d'une guerrière trop fière pour s'avouer vaincue. De toute évidence, elle s'est trompée à son sujet et les nouvelles paroles qu'il prononce ne font que la conforter dans cette idée. Elle est frappée par la violence des mots employés au point d'avoir un mouvement de recul involontaire. Le regard qu'il lui lance lui vrille les entrailles et c'est trop pour Mera, qui explose comme un volcan entré subitement en éruption volcanique. La gifle qu'elle lui assène fait écho dans le couloir, les gardes en fonction réagissent instantanément et braquent leurs armes sur elle, prêts à faire feu sur ordre de leur prince. Mera ne sourcille même pas, à la fois choquée par son geste et tristement soulagée. « Je me suis désolée, je suppose que c'est la réaction naturelle d'une barbare. » Elle n'est pas passée à côté de l'insulte et de tout ce qu'elle sous-entendait. « Je pensais que tu comprendrais. Mieux que quiconque, je pensais que tu comprendrais, mais j'ai eu tort, tu ne comprends rien du tout et tu ne vois pas plus loin que je bout de ton nez. » Mera recule, les traits de son visage sont déformés par une expression à mi-chemin entre la rage, la déception et la tristesse. « Tu veux savoir ce que l'on m'a appris, dans mon royaume de barbares ? Tu veux vraiment le savoir, Orm ? » Mera n'est pas de ceux qui savent maîtriser leur colère. C'est l'une des rares émotions qu'on ne lui a pas appris à maîtriser, bien au contraire on l'a toujours encouragée à la laisser se déchaîner. « On m'a appris que toutes mes souffrances étaient les conséquences des décisions injustes des Atlantes. De ceux qui ont exilé des familles entières dans une dimension sauvage et inhospitalière où nous sommes obligés de survivre comme des animaux, dans des épaves de navires surfaciens ! Chaque jour est un combat, c'est tué ou être tué, les faibles n'ont pas le droit d'exister ! Xebel existe uniquement parce que des Atlantes ont décidé que se débarrasser de leurs criminels ne suffisait pas, il fallait qu'ils emportent avec eux leurs familles innocentes, et tant pis pour les conséquences, tant pis pour ces milliers de vies brisées ! Quel roi a eu le courage de tendre la main à Xebel à travers les siècles ? Quel roi s'est soucié du sort des exilés ? Aucun ! Aucun, vous nous avez envoyés dans des eaux croupies en espérant qu'elles aient raison de nous, vous nous avez abandonnés ! » Elle hurle, maintenant. Elle crache toute sa haine au visage d'Orm, et même si ses paroles sont violentes, il ne pourra nier qu'elles sont criantes de vérité. « Mon père est un monstre, tous les hommes de Xebel sont des monstres, mais n'oublie jamais que c'est ta précieuse Atlantis qui a créé notre royaume de barbares. » Mera secoue la tête, les larmes de rage qu'elle pleure sont emportés par l'océan aussitôt qu'elles coulent, mais ses yeux rougis trahissent leur présence. « Tu m'as dit que je ne connaissais pas d'hommes comme toi, que tu étais différent, mais tu es exactement comme tous les autres. » Elle grimace et lui lance un regard plein de dégoût, elle lui renvoie son arrogance au visage comme un coup de poing. « Tu juges sans pitié ni compassion ce que tu ne connais pas, mais tu ne sais rien... RIEN ! » Il ignore tout de Xebel et d'elle. « Au moins, d'où je viens, nous ne sommes pas hypocrites. Regarde autour de toi... Tout ici n'est qu'apparences et faux semblants, tu portes toi aussi tellement de masques que tu ne dois même pas savoir qui tu es. » Mera prend plusieurs longues et profondes inspirations pour se calmer. Pour ne pas devenir plus acerbe qu'elle ne l'est déjà, pour ne pas dire des mots qu'elle regretterait sincèrement par la suite. Tout ce qu'elle attendait de lui, c'était qu'il fasse au moins l'effort d'essayer de la comprendre. Qu'il ne la traite pas comme une enfant trop orgueilleuse pour accepter de perdre un jeu. Et surtout, qu'il ne lui donne pas d'ordres en prétendant savoir mieux qu'elle ce dont elle a besoin. Après avoir laissé libre cours à sa colère et à ses émotions, Mera se fait violence pour retrouver un semblant de contenance. Son cœur cogne furieusement dans sa poitrine, comme s'il cherchait à s'en échapper. « N'ayez crainte, Votre Altesse. Je trouverai le chemin de l'infirmerie sans votre aide. Mon bras ne m'empêche pas de nager, je saurai y arriver par mes propres moyens. » Elle s'incline, par dépit plus que par respect.

(flashback, eleven years ago)

Ses plaies les plus évidentes pansées, Mera s'est retranchée dans les appartements qui lui ont été attribuée dans une aile du palais réservée aux invités de marque. Ou plutôt, elle est allée s'y cacher, incapable de supporter l'idée de se retrouver face à quiconque après qu'elle se soit donnée en spectacle d'une si mauvaise façon dans l'arène, et après avoir giflé Orm une fois à l'abri de la plupart des regards. Mera est mortifiée, elle a terriblement honte de ses actions et ne saurait pas quelle attitude adopter face à Atlanna. Pour la première fois de sa vie, elle avait surestimé ses capacités, elle avait cru être capable de lutter contre son éducation et sa culture toutes deux extrémistes. La reine avait eu raison, il était bien trop tôt pour qu'elle s'élance dans l'arène, elle n'avait pas su faire la part des choses et rationaliser sa défaite. Alors que paradoxalement, elle se savait de toute façon incapable de l'emporter contre Orm. Mais quand elle s'était retrouvée prise au piège, quelque chose d'horrible s'était éveillé en elle et ses instincts guerriers avaient pris le dessus sur tout le reste, au point qu'elle préfère se mutiler plutôt que de se rendre. Le plus perturbant étant que pour elle, une épaule déboîtée ne constitue qu'une blessure minime et qu'elle ne considère une douleur insupportable que comme un désagrément passager. Parce qu'il lui est arrivé tellement pire que cela qu'elle réalise à peine avoir été blessée, malgré les nombreux hématomes et écorchures sur sa peau. Sans doute est-ce son cœur qui souffre le plus de la situation. Ce qu'elle regrette encore plus que d'avoir déçu Atlanna, c'est d'avoir été aussi odieuse avec Orm. Il ne méritait pas ce déchaînement de violence et de colère qu'il n'a sans doute pas compris. Aurait-elle compris, si les rôles avaient été inversés ? Mera en doute, leurs expériences et leurs vies respectives étant à la fois trop similaires et trop différentes pour le permettre. La culpabilité lui comprime la poitrine, il semble que ce sentiment soit devenu comme un compagnon d'infortune inopportun dont elle ne parvient pas à se débarrasser.  En dépit de la honte et de la tristesse qui l'accablent, Mera sait qu'elle ne pourra pas rester éternellement isolée dans un coin de sa chambre, quelqu'un finira par venir l'en déloger de force. Plus par volonté de prendre la bonne décision que par excès d'ego, Mera préfère choisir d'elle-même de quitter son refuge pour aller présenter ses excuses à Orm, osant à peine espérer qu'il les accepte. Il est tard quand elle traverse le palais pour aller jusqu'aux appartements privés de la famille royale, la nuit est bien entamée et Atlantis sommeille. Mera est soulagée de ne croiser personne sinon les gardes qui veillent sur la sécurité de la famille royale et de ses invités, et si leurs regards méprisants et les murmures qu'ils échangent sur son passage ne lui échappent pas, elle préfère les ignorer pour cette fois. La dernière chose qu'elle veuille, c'est réveiller la rage qui sommeille en elle et ne la quitte jamais, elle s'est bien assez exprimée aujourd'hui. Quand elle arrive enfin devant les portes qui donnent sur les appartements du prince, Mera voit bien que les gardes hésitent un instant avant de la laisser passer. Si bien que pendant une poignée de secondes, elle craint que Orm ne leur ait donné l'ordre de lui interdire le passage. Quand ils s'écartent finalement après s'être concertés silencieusement, elle se surprend à les remercier d'un signe de la tête. Puis elle frappe timidement à la porte, son assurance habituelle lui fait défaut. « Orm ? » Elle se ravise. Peut-être ferait-elle mieux d'éviter la familiarité devant les membres de la garde. « Votre Majesté ? C'est moi, Dame Mera. » Elle attend, dissimulant du mieux qu'elle le peut son angoisse et son impatience. Quand Orm lui ouvre elle sursaute presque, elle s'attendait à ce qu'il lui refuse cette entrevue tardive après leur séparation pour le moins houleuse. « Mon Prince. » Elle s'incline avant d'entrer, comme n'importe quelle personne de rang inférieur l'aurait fait – elle ne s'attend plus à bénéficier d'un traitement de faveur ou de quelconques privilèges. D'ordinaire droite et fière, elle ose à peine le regarder dans les yeux. Et ce n'est pas parce que les portes se referment qu'elle se détend, bien au contraire. « Je te dois... Des excuses et des explications. Mais des excuses avant tout. » Mera prend une profonde inspiration et se fait violence pour ne plus fuir son regard. « Pardonne-moi. Je n'aurais jamais dû lever la main sur toi. C'était violent, déplacé et irrespectueux. Tu serais en droit de réclamer ma tête pour cela. » Une chance pour elle, Orm semble préférer que sa tête reste accrochée à son cou. D'autres que lui n'auraient pas laissé passer un tel affront, elle l'aurait payé cher. Se porter des coups dans l'arène pendant un combat organisé était une chose, le gifler pour le faire taire et parce qu'elle se sentait insultée en était une autre. Mais peu importe l'excuse, le geste reste inexcusable. « Tu m'as demandé ce qui était interdit à Xebel. La réponse la plus simple est... Tout. Tout ce qui ne concerne pas la force et le devoir n'a pas sa place. Aucune forme de faiblesse n'est tolérée, et nous n'avons pas de jeux. Si on entre dans une arène, il n'y a que de façons de la quitter. Victorieux ou mort. J'ai oublié que ce tournoi n'était qu'un jeu... Je n'ai déclaré forfait qu'une seule fois, quand je n'étais encore qu'une enfant, mon père a fait en sorte que je n'ai plus jamais envie de m'abaisser à cela. » Un soupir lui échappe et elle baisse la tête. Leur duel lui en avait rappelé de bien plus sérieux, et pendant quelques secondes décisives elle n'avait pas su faire la différence. « Je suis désolée, Orm. » Tout lui avait été interdit. La pitié, la compassion, la générosité, la douceur... Toutes ces émotions pourtant naturelles, Ryus avait fait de son mieux pour les chasser, pour faire en sorte que ses enfants soient des marionnettes incapables de sentiments. Par dessus tout, il leur avait interdit l'amour, cette faiblesse inacceptable pour lui et bien trop d'autres à Xebel. Il aurait honte de la voir ainsi courber l'échine. Et plus que tout, il détesterait cette affection indéniable qu'elle éprouve pour celui qu'il l'avait envoyé assassiner. « Je suis désolée, te blesser ou te manquer de respect n'a jamais été mon intention. »

(flashback, eleven years ago)

Mera ignore tout de l'affection la plus élémentaire. Formée aux plus terribles formes de combats, elle ne comprend pas immédiatement ce qu'Orm essaie de faire quand il la prend dans ses bras, son instinct lui hurle de se défendre contre ce qu'il reconnaît comme une agression. Figée, elle lutte contre elle-même avant de se détendre lentement mais sûrement, apaisée par ce qu'elle pense être la toute première étreinte de sa vie. Elle pose la tête contre le torse du prince et l'entoure de ses bras, paupières closes pour apprécier ce moment à sa juste valeur. C'est sa première étreinte, le premier geste d'affection qu'elle reçoit. Personne ne s'y était jamais risqué à Xebel, et Mera avait fini par se convaincre qu'elle n'en avait pas besoin. Mais elle s'accroche à Orm avec une fermeté involontaire pour faire durer cet instant aussi longtemps que possible. « Il n'y a rien à pardonner, Orm. » Comme dit l'adage, mieux vaut tard que jamais et de toute façon Mera aurait bien été incapable de lui reprocher de ne pas lui avoir donné plus tôt ce dont elle ignorait elle-même avoir besoin. Serrée contre lui, elle entend les battements affolés de son cœur et ose se demander si elle en est la cause, si il est aussi troublé qu'elle par ce qu'il ressent. « Ne sois pas désolé... Ne sois pas désolé, Orm... » Après tout, n'a-t-elle pas été la première à laisser sa colère s'exprimer ? Qu'il ne s'y trompe pas, elle est seule responsable de ce malentendu qui aurait pu avoir des conséquences désastreuses, son emportement après qu'ils soient sortis de l'arène était tout à fait légitime. Elle laisse Orm s'écarter à contrecœur, triste de devoir déjà quitter la sécurité rassurante de son étreinte. Elle est sûre de rougir quand il prend son visage entre ses mains, mais cela lui importe peu, elle pose ses mains sur les siennes pour les retenir sur ses joues. Tout va bien ? Mera n'en est pas encore convaincue mais elle acquiesce avec un sourire timide, ne souhaitant rien de plus que de mettre cette affreuse journée derrière eux. Son regard se fait toutefois fuyant quand Orm lui confie qu'il aimerait en apprendre davantage sur elle, sur ce qu'a été son existence avant son arrivée à Atlantis. « Je... Je ne saurais même pas par où commencer... » L'histoire est sordide du début à la fin, il n'y a aucun chapitre qui soit heureux, c'est un drame à part entière. Mais Mera sait qu'elle ne pourra pas garder le secret éternellement. Si elle veut qu'Orm puisse la comprendre, il faudra bien qu'elle lui parle un jour et repoussera l'inévitable ne fera qu'alourdir le poids de leurs souffrances. Si elle hésite, c'est uniquement parce qu'elle ne s'est jamais confiée à quiconque auparavant, et elle n'est pas certaine de savoir comment faire, elle craint d'être maladroite. Elle finit par consentir à lui raconter ce qu'elle a vécu et lui fait savoir d'un hochement de tête qu'elle est prête à parler. Elle va prendre place sur un divan et attend qu'il l'y rejoigne avant de prendre la parole. Il lui faut quelques secondes et plusieurs profondes inspirations avant de parvenir à se lancer. « À Xebel, il vaut mieux ne pas naître femme. Nous n'avons pas réellement de place dans la société qui a évolué là bas. Un roi n'a pas de reine, tout juste une consort et il est impensable d'imaginer qu'une femme puisse monter sur le trône. Ce n'est pas notre place... Je suppose que quand les premiers Atlantes exilés se sont installés à Xebel, les plus mauvais d'entre eux ont créé une société régressive parce que le modernisme d'Atlantis ne leur seyait guère. Ils ont fait en sorte que les femmes soient limitées à leur condition de mère, et rien de plus. Certaines bénéficient de privilèges, comme ma grand-mère, mais c'est uniquement parce qu'elle n'hésitent pas à en sacrifier d'autres pour s'élever. À Xebel, la force est souvent confondue avec la cruauté, au même titre que les sentiments sont traités comme des faiblesses à bannir à n'importe quel prix. » En arrivant à Atlantis, Mera avait découvert une reine sur le trône et cela ne l'avait pas choquée, bien au contraire, elle avait été soulagée de constater que les injustices de Xebel n'étaient pas toutes héritées d'Atlantis. Atlanna avait sa place sur le trône plus que n'importe quel homme.

« Mon père, le roi Ryus, n'est jamais parvenu à concevoir un héritier mâle. Je me suis toujours dit que c'était la façon qu'avaient eu les dieux pour le punir de sa cruauté... Ni son épouse, ni ses nombreuses maîtresses ne lui ont donné de fils. Il a dû se contenter de ma sœur et moi... Nous étions tout ce qu'il aurait, et notre mère en a payé le prix ultime. Je ne me souviens même pas de son nom... Il a été banni du royaume, mon père a interdit à quiconque de le prononcer, il ne voulait pas qu'on puisse honorer le nom d'une femme qui avait failli à son seul et unique devoir. Elle a disparu avant que je ne puisse conserver la moindre image d'elle. » Une fois, Mera avait naïvement demandé comment se prénommait sa mère. Ryus était entré dans une telle rage qu'elle ne s'était plus jamais risquée à évoquer son souvenir. « Sans héritier de son sang, Ryus a décidé que nous le servirions en devenant de parfaites armes, obéissantes comme des marionnettes. Hila et moi n'avons jamais eu le droit d'être sœurs, il a fait de nous des rivales dès que nous avons été en âge de comprendre le concept. Mon entraînement guerrier a commencé lorsque j'avais cinq ans, et quand j'en ai eu dix j'ai été confiée à un maître d'armes personnel, Leron. » Un fin sourire étire ses lèvres, de rares moments de son passé trouvent grâce à ses yeux, malgré la sévérité de l'homme auquel elle avait été confiée. « Leron était dur et sévère, mais juste. Il n'était pas comme mon père, il possédait un grand sens de l'honneur et du devoir, c'est la seule raison pour laquelle il le servait, par sens du devoir... Il a fait de moi la guerrière que je suis, il est le seul à m'avoir encouragée et à ne pas m'avoir traitée comme une citoyenne de seconde catégorie. Il me rappelait souvent que j'étais de sang royal, et que cela me rendait spéciale... » Mera secoue la tête. Les belles paroles de Leron n'avaient elle pas été de taille à contrer la tyrannie de Ryus. « Mon père voulait envoyer le meilleur assassin du royaume pour tuer le souverain d'Atlantis et ses descendants. Nos maîtres d'armes respectifs avaient fait de ma sœur et moi les meilleures, alors il nous a départagées en nous forçant à nous battre une énième fois. » Elle n'a pas besoin de lui révéler l'issue du duel, puisque ce n'est pas Hila qui est assise à ses côtés. « J'avais douze ans, l'unique fois où j'ai accepté de déclarer forfait. Je devais me battre contre Hila, et l'unique moyen pour moi de l'emporter aurait été de lui briser les bras pour reprendre le dessus. Je n'ai pas pu m'y résoudre, je me suis avouée vaincue... Alors ce sont les miens que mon père a brisés, pour que je ne fasse plus jamais preuve de pitié à l'égard de personne, et encore moins d'elle. Voilà pourquoi j'ai réagi comme je l'ai fait, dans l'arène... »  Songer à sa jumelle est toujours douloureux pour Mera. Elle ne lui manque pas, car elles n'ont jamais été proches, mais son cœur se serre à l'idée de ce qu'elles auraient pu être, si elles avaient eu la chance de naître ailleurs. « Mais tout ceci ne réglait pas son plus grand problème, l'absence d'un fils pour lui succéder sur le trône. Il y avait parmi ses plus proches partisans un grand seigneur de guerre, Nereus. Alors comme le veut la tradition en cas d'absence d'héritier mâle, il a offert ma main en mariage à Nereus. » Inutile de dire que ses protestations n'avaient pas été entendues, et ses peurs ignorées. « J'étais censée l'épouser après avoir accompli ma mission. Après avoir assassiné le souverain atlante, je devais retrouver ma place de femme et devenir une épouse soumise à la volonté de Nereus. » Un homme arrogant, cruel et violent, à l'image de l'homme qu'il servait avec passion. « Toute ma vie, on m'a répété que les sentiments n'étaient rien de plus qu'une faiblesse, que servir Xebel était mon unique but et ma seule utilité. Je ne sais pas pourquoi l'endoctrinement de mon père et de ses pairs n'a pas fonctionné sur moi comme il l'a fait sur Hila. Je ne pense pas être spéciale, ni avoir une conscience plus forte que la sienne. J'ai le souvenir d'avoir toujours été... frustrée et en colère d'être traitée de la sorte. Je savais que ce n'était pas juste, qu'il existait forcément mieux... Alors j'ai joué le jeu, j'ai accepté de faire tout ce que mon père attendait de moi jusqu'à ce qu'il m'envoie ici. Tout ce que je voulais, c'était être libre. » Libre de ses choix, libre de vivre, libre d'exprimer ses émotions et ses désirs... Libre d'aimer. Elle préfère épargner à Orm les détails les plus sordides, qu'il devinera seul. Tous les coups, les punitions, les humiliations, les leçons... Et puis de toute façon, elle aurait été incapable de se souvenirs de tous les sévices endurés. La liste n'est pas longue, elle est tout simplement interminable. De nouveau silencieuse, Mera a besoin de longues secondes pour ne pas sombrer dans les méandres de son passé. « Ton père, Orvax... » Elle relève les yeux vers Orm, une question qu'elle ose à peine poser reste suspendue à ses lèvres. Du bout des doigts elle caresse sa joue ; la gifle qu'elle lui avait donné avait dû y laisser un hématome avant de vite disparaître, chassé par leur capacité à guérir rapidement. « Il était comme le mien, n'est-ce pas ? » Mera retire sa main, craignant que la caresse ne soit inapproriée, déplacée. « Parce que tu es comme moi. Tu es comme moi. »

(flashback, eleven years ago)

Mera ne s'attendait pas à ce que ses aveux la soulagent, cela aurait été naïf de sa part. Ce n'est pas parce qu'elle s'est confessée que le poids qu'elle porte depuis toujours a quitté ses épaules. Il est peut-être un peu moins lourd, mais il faudra du temps et beaucoup de patience pour qu'elle parvienne à s'en débarrasser une bonne fois pour toutes, un supposant qu'elle le puisse. Dix-huit années de traumatismes ne disparaîtront pas avec un claquement de doigts et de la bonne volonté. Mais au moins, Orm sait tout à présent. Peut-être pas dans les moindres détails, certains d'entre eux étant trop sordides pour que Mera veuille les lui avouer tout de suite, chaque chose en son temps. C'est déjà beaucoup pour elle, c'est la première fois qu'elle ose enfin s'exprimer sur la tragédie de son existence sans nier le mal qui lui a été fait. Vivre à Atlantis lui avait ouvert les yeux sur bien des choses, à commencer par les innombrables injustices commises à Xebel. Persuadée d'aimer sincèrement son royaume, Mera s'était rendue compte à quel point elle le détestait en réalité. À quel point son ressentiment pour Xebel et ceux qui l'avaient maltraitée était grand. D'abord honteuse d'avoir trahi sa nation et sa famille, elle avait finalement compris avoir été forcée d'agir ainsi pour son propre bien. Comment aurait-elle pu assassiner Atlanna aveuglément ? Et Orm, et Tula ? L'extrémisme de Ryus ne l'avait pas atteinte autant qu'il l'aurait voulu, quelque chose en elle avait décidé de résister depuis le début. Alors elle est bien évidemment désolée quand elle devine que le père d'Orm ne valait guère mieux que le sien. Ryus et Orvax avaient beau être ennemis, ils avaient bien plus en commun qu'aucun d'entre eux n'aurait accepté de l'admettre. Deux mauvais rois et deux pères tyranniques qui avaient fait des vies de leurs enfants un véritable enfer. Mais là où Mera assume pleinement la haine qu'elle éprouve pour son géniteur, Orm semble avoir plus de mal à le faire. Elle le voit dans son attitude, il peine à associer l'image de l'époux et du père violent à celle du roi. Mera n'a pas ce problème, n'ayant jamais eu le droit de considérer Ryus autrement que comme le souverain auquel elle devait respect et obéissance. « Tu n'étais qu'un enfant, Orm... Tu n'étais qu'un enfant, tu as fait tout ce que tu as pu pour les protéger... Ce n'était pas de ta faute. » Dans son malheur, Mera a eu de la chance – en quelque sorte. Sa mère ayant disparu avant qu'elle ne puisse en conserver le moindre souvenir, elle n'a pas eu à supporter de voir Ryus la battre. Elle ose à peine imaginer les images qui doivent hanter Orm, le jour mais surtout la nuit, quand la cité dort et qu'il n'y a rien pour lui occuper l'esprit. Elle aimerait le croire quand il lui dit que tout est terminé. Mais elle sait que Ryus ne la laissera pas s'en sortir aussi facilement et Nereus viendra chercher sa promise, car sans elle son accession au trône de Xebel sera plus difficile. « Orm... » Mera secoue la tête doucement, gênée qu'il lui promette de la protéger du courroux de son peuple, trop peu habituée à ce qu'on se soucie à ce point d'elle – à ce qu'on se soucie d'elle tout court. Elle le laisse prendre sa main, étonnée de ne pas avoir le réflexe de la retirer. Sa présence l'apaise d'une façon qu'elle ne saurait expliquer, pour la première fois de sa vie elle se surprend à vouloir davantage de contacts physiques avec une personne, elle qui jusque là risquait d'interpréter le moindre geste comme une agression. « Orm... Tu n'es pas obligé de me promettre une chose pareille... Tu m'as déjà offert ta protection. Tu as déjà risqué ta réputation pour moi, ne te mets pas ta vie en danger en plus de cela. » Mera ne pense pas le mériter, ni en valoir la peine. Elle n'a pas encore prouvé sa valeur à Atlantis, et elle n'ignore rien des rumeurs qui circulent à propos du lien qui l'unit au prince. Orm est un homme honorable, mais elle refuse qu'il risque sa couronne pour elle. Et pourtant, elle est incapable de se détacher de lui, elle observe pendant de longues secondes ses doigts entremêlés étroitement avec les siens. C'est une mauvaise idée, elle le sait. Alors elle finit par retirer sa main, à contrecœur, et se relève. « Il est tard. Tu as combattu toute la journée, tu es certainement épuisé. Je sais que le conseil se tiendra tôt demain, tu ferais mieux de te reposer. » Mera sent son cœur se serrer dans sa poitrine. Elle est partagée entre sa raison et un désir qu'elle sait dangereux. Elle va s'en aller avant que les choses ne se compliquent, il le faut et c'est la meilleure chose à faire pour éviter à Orm de se mettre dans l'embarras face à Atlantis. Elle va s'en aller, mais pas avant d'avoir déposé un baiser sur sur sa joue, en guise d'excuses comme de remerciements.

(flashback, eleven years ago)

Ses lèvres sur les siennes. C'est inattendu. Inespéré. Le cœur de Mera loupe un battement, puis deux. Elle n'ose plus respirer, l'émotion lui serre la gorge. Elle a besoin de plusieurs secondes pour réaliser qu'elle ne rêve pas ce baiser, Orm est bel et bien en train de l'embrasser. La stupeur passée, elle se risque à lui répondre, un peu timidement dans un premier temps, puis avec de plus en plus d'assurance au fur et à mesure que les secondes s'écoulent. Mera n'a plus envie d'aller nulle part, tant pis pour ce que la raison lui dicte de faire et au diable la prudence la plus élémentaire. Elle n'a jamais été embrassée par quiconque auparavant. Nul homme n'avait le droit de l'approcher, elle était censée appartenir à Nereus et il aurait fallu être fou pour se risquer à toucher sa promise. Son premier baiser, Mera s'attendait à ce qu'il le lui arrache de force, comme un trophée lui revenant de droit et qu'importe le ressenti et les désirs de la jeune femme. Elle n'espérait pas éprouver autre chose que de la honte et du dégoût. Elle n'espérait pas être traitée avec douceur et prévenance. Elle espérait encore moins apprécier et savourer cet instant. Mais ce que le prince d'Atlantis lui offre va au delà de toutes ses espérances d'enfant encore songeuse et dont l'innocence n'avait pas encore été bafouée. Mera n'est peut-être pas l'initiatrice de ce baiser, mais elle y répond avec plus d'entrain qu'elle ne l'aurait cru, enfin libre de laisser ses désirs s'exprimer comme bon lui semble. Orm se serre contre elle et elle glisse ses bras autour de son cou pour le retenir contre elle, son cœur cogne furieusement dans sa poitrine et... Il s'écarte et Mera craint qu'il n'ait brusquement avoir réalisé avoir commis une erreur. Elle redoute qu'il se ravise et préfère s'acquitter de ses devoirs auprès de son peuple plutôt que se laisser aller à ce qu'il ressent. Cela lui briserait le cœur mais elle comprendrait, elle serait bien hypocrite de lui en tenir rigueur après avoir souffert de la même éducation extrême que lui. Mais ce n'est pas ce genre d'hésitation qu'elle lit dans son regard. Pendant une seconde, Orm ressemble à un enfant pris en faute. Le masque du prince est tombé, il n'a plus cet air si sûr de lui et à la limite de l'arrogance qu'il arbore en permanence. A-t-il peur d'avoir transgressé trop vite les frontières de l'acceptable entre eux ? Nereus ne serait même pas posé la question, trop habitué à prendre sans demander et à obtenir les objets de ses désirs en un claquement de doigts, incapable de comprendre un non autrement que comme un oui. « Je reste. » Ce n'est pas un murmure timide. Mera prononce les mots haut et fort, certaine de son choix et de ce qu'elle veut. Orm et elle ne sont plus des enfants terrifiés par des tyrans contre lesquels ils ne pouvaient pas encore s'élever. Et derrière les portes de cette chambre, ils n'ont plus à n'être qu'une prince au service de son peuple et une étrangère avide de reconnaissance. Tout promet d'être de nouveau compliqué une fois la nuit passée mais jusqu'à ce que vienne l'inévitable matin, ils sont libres. « Je ne vais nulle part, je reste. Je reste avec toi. » Elle nage jusqu'à lui pour faire disparaître la distance qui les sépare et surtout, pour écarter ses doutes et ses angoisses. Tendrement, elle prend son visage entre ses mains, un sourire radieux sur le visage. « C'était mon premier baiser. Merci d'en avoir fait quelque chose de beau. » Loin du cauchemar qu'elle s'était imaginé pendant des années. Quoi qu'il puisse arriver par la suite, c'est une chose que Nereus n'obtiendra plus d'elle. Ni lui, ni aucun autre. Le choisir lui, prince d'Atlantis, c'est rejeter massivement l'endoctrinement de Xebel et prendre sa destinée en main. Personne ne lui dictera plus jamais sa conduite à part elle-même. Et ses sentiments ne seront plus muselés, ils seront à présent libres de s'exprimer. La tyrannie, c'est terminé. C'est elle qui initie le second baiser, de façon d'abord un peu maladroite avant de gagner en assurance. Ses bras noués autour de sa taille, elle l'embrasse longuement, profitant de chaque seconde comme si elle était la dernière et en découvrant l'amour pour la première fois. Et elle réalise que contrairement à ce qu'on a cherché à lui enseigner, il n'y a rien de honteux à aimer. Ce n'est pas faire preuve de faiblesse, c'est une véritable démonstration de force. C'est choisir de tout risquer en préférant écouter son cœur plutôt que sa raison.« Je reste. » Maintenant. Et à jamais ?

(flashback, eleven years ago)

Du haut de ses dix-huit ans, Mera découvre l'amour pour la toute première fois, guidée par l'homme qu'elle était censée haïr au lieu d'aimer. Ils n'étaient pas censés s'éprendre l'un de l'autre. Héritiers de royaumes ennemis, on ne leur avait donné le droit que de se détester. Mais cette haine farouche alimentée par des tyrans n'était pas parvenue à s'enraciner en eux. Oh, Mera avait bien essayé de n'éprouver que du mépris et du dégoût pour Orm. Pendant des jours et des jours, elle s'était persuadée que le haïr était la seule chose logique qu'elle puisse faire. Ce raisonnement n'avait pas non plus porté ses fruits et Mera avait été forcée de se rendre à l'évidence, l'attirance qu'elle éprouvait pour le prince d'Atlantis était indéniable et plus forte que son endoctrinement. Elle ne s'était cependant pas risquée à croire que cela puisse être réciproque. S'il avait tenté de le lui faire comprendre avant ce jour, elle n'avait rien vu, rien compris, ignorante des plus élémentaires méthodes de séduction. Dans ce domaine, Orm est bien plus expérimenté qu'elle, bien qu'elle ne présume rien de sa vie intime et privée. C'est simplement évident, les mœurs atlantes étant bien moins restrictifs que les xebelliens. Il sait comment l'embrasser alors qu'elle tâtonne encore, ses gestes manquent d'assurance et elle craint que sa maladresse ne saute aux yeux. L'horreur de sa situation ne lui échappe pas, elle n'a jamais été aussi évidente qu'à cet instant. À l'aube de sa vie d'adulte, Mera a déjà pris des vies mais elle appréhende à peine le monde de l'amour. Orm est le premier homme auquel elle accorde aveuglément sa confiance, une concession beaucoup plus importante qu'elle n'en a l'air. Peut-être est-ce un peu exagéré de penser de la sorte, mais Mera a l'impression de remettre sa vie entre ses mains, elle lâche prise entièrement prise. Un premier frisson traverse son corps quand il lâche ses lèvres pour aller déposer les siennes sur la peau de son épaule découverte par ses soins. Son rythme cardiaque accélère, elle se serre davantage contre lui et l'une des mains va se perdre dans ses cheveux, tandis que l'autre glisse sur sa nuque. Elle ferme les yeux pour profiter pleinement de ces nouvelles sensations que les baisers du prince éveillent en elle, un large sourire étirant ses lèvres. Après presque deux décennies à ne connaître que la douleur et les privations, son corps découvre enfin la tendresse et le plaisir. Orm aurait pu se montrer empressé, mais Mera réalise qu'il fait attention à ne pas la brusquer, certains baisers sont plus appuyés que d'autres mais elle ne se sent pas le moins du monde contrainte à faire ou à lui offrir quoi que ce soit. Quand leurs regards se croisent de nouveau, elle sait que ses joues sont rouges car elles lui semblent brûlantes, comme si elle s'était tenue trop près d'une fournaise sous-marine. « Tout va bien. » Elle  a besoin qu'il pose la question autant qu'il a besoin d'entendre la réponse. Elle a besoin de savoir qu'elle peut lui dire d'arrêter n'importe quand autant qu'il a besoin de savoir qu'il ne bafoue pas son consentement. Et c'est justement parce que Mera sait qu'il ne la touchera pas à moins qu'elle ne le veuille qu'elle le laisse l'embrasser et la caresser comme il le fait. « Tout va mieux que jamais. » Mera est heureuse. Peut-être pas en règle général, peut-être pas autant qu'elle le voudrait et le mériterait, mais après s'être sentie misérable toute son existence, ce soir, elle est simplement heureuse. Elle l'enlace et retrouve ses lèvres pour un nouveau baiser dont elle profite sans retenue. C'est elle qui décide de l'approfondir, parce qu'elle en meurt d'envie et pour qu'il ne craigne pas de précipiter les choses en le faisant lui-même. Tout est nouveau et enivrant. Ce n'est qu'en embrassant Orm que Mera réalise que jusque là, elle avait toujours le goût salé de l'océan sur les lèvres, parfois mêlé à celui de son propre sang. Maintenant il n'y a plus que la saveur de celles du prince contre les siennes et le ballet lascif de leurs langues qui se cherchent et se trouvent, encore et encore et encore. Emportée par une fougue qu'elle ne maîtrise déjà plus, elle presse sa poitrine contre son torse, ses doigts s'accrochent à ses cheveux et agrippent fermement son épaules, puis elle se risque à laisser ses mains glisser sous sa chemise. Quand Mera met finalement fin au baiser, elle est à bout de souffle – ironique, quand il n'y a pas d'air à respirer. « Je ne serais pas étonnée que les gardes écoutent aux portes, au cas où je serais en train d'assassiner leur prince... Peut-être que nous devrions... » Changer de pièce, au profit d'un endroit un peu plus privé ? Elle n'ose pas terminer sa phrase, au cas où elle se montrerait un peu trop entreprenante et présomptueuse. Être impulsive est dans sa nature, mais tout ceci est trop important pour que Mera veuille prendre le risque de tout gâcher par excès d'impatience.

(flashback, eleven years ago)

Est-ce ne mauvaise idée ? Peut-être. Sans le moindre doute. Est-ce qu'ils s'en soucient ? Pas une seule seconde. Mera est bien trop impulsive pour se soucier des conséquences de ses actions et de ses choix sur le long terme, son éducation a accru son impulsivité naturelle plus qu'elle n'a nourri sa patience. Et puisqu'elle découvre à peine la liberté, elle refuse de renoncer à ce qu'elle veut vraiment. Elle ne veut pas non plus chercher à comprendre cette passion dévorante qui lui comprime la poitrine, elle ne veut que profiter de l'instant présent sans l'analyser sous toutes ses coutures. Ce n'est pas une bataille, ce n'est pas un duel, ce n'est pas une question de vie ou de mort, il n'est pas nécessaire d'élaborer une stratégie parfaite pour remporter la victoire. Et quand bien même ce serait le cas, Mera a déjà gagné. Chaque seconde passée avec Orm est une seconde de son intimité que Nereus n'aura pas. C'est l'influence de Ryus qui s'estompe un peu plus après chaque baiser échangé. C'est la terrible Xebel qui disparaît derrière la belle Atlantis. Ce moment n'appartient qu'à eux, il n'est pas question que des oreilles indiscrètes n'entendent quoi que ce soit de leurs échanges. Elle laisse Orm la guider jusqu'à sa chambre, un nouveau frisson traverse son corps quand elle sent ses mains sur ses cuisses, sa sensibilité déjà exacerbée par un désir incontrôlable. Chaque baiser est plus approfondi que le précédant, à la fois plus tendre et plus intense. Son dos rencontre le moelleux du lit lit, et un bref éclair de jalousie illégitime la traverse, elle ne peut s'empêcher de se demander combien avant elle ont eu se privilège. Tout ce qui est nouveau pour elle ne l'est pas pour Orm, son assurance contraste avec ses gestes hésitants. Mais Mera en est certaine, ils partagent la même appréhension, peut-être alimentée par cet interdit qui aurait dû les empêcher de laisser leurs fantasmes devenir réalité. « Tu es un imbécile, Orm Marius. Mais un imbécile au charme indéniable. » Un petit éclat de rire la secoue ; elle n'aurait jamais cru pouvoir un jour se permettre de telles familiarités avec le prince d'Atlantis, et encore moins partager son intimité. Quand elle l'avait vu pour la première fois, enchaînée des pieds à la tête et agenouillée devant le trône, il se tenait droit auprès d'Atlanna, le trident de son père dans une main, et le regard glacé qu'il lui avait lancé lui avait fait froid dans le dos. Comment aurait-elle pu imaginer qu'il puisse un jour la dévorer des yeux et la complimenter sur sa beauté ? Elle lui rend son sourire, mais avant qu'elle n'ait pu l'embrasser il retourne parsemer son cou de baisers fiévreux, ne laissant aucune parcelle de sa peau à l'abandon. La sensation de son corps contre le sien est étourdissante et enivrante, si elle ne craignait pas de précipiter les choses elle lui dirait sur le champ être prête à se donner à lui toute entière s'il la veut. Mais ce qu'il se passe entre eux ne peut souffrir d'aucune précipitation, alors elle préfère lui laisser les rênes de cette première étreinte. Le cœur de Mera s'affole de plus en plus, le rythme de ses battements est erratique et elle a l'impression qu'il est sur le point d'exploser dans sa poitrine. Ses doigts se perdent dans les cheveux du prince et elle s'y accroche, mèches blondes retenues entre ses phalanges qui se crispent quand ses baisers deviennent trop appuyés pour lui permettre de conserver un semblant de retenue. Après la fièvre des combats, c'est un nouveau genre d'excitation qui voit le jour au creux de ses reins et tord ses entrailles. Son corps épouse instinctivement celui d'Orm et c'est avec plus d'audace qu'elle glisse ses mains sous sa chemise pour mieux sentir ses muscles se contracter sous ses caresses. Mera ne sait pas si c'est trop ou pas assez, la seule chose dont elle soit certaine c'est de ne pas vouloir s'arrêter là, emportée par une fougue qui n'a rien à voir avec tout ce qu'elle a connu jusque là. Ses doigts retiennent le vêtement et elle l'en débarrasse avant de le faire basculer à son tour sur le lit. Elle se penche pour l'embrasser sans se soucier du tissu qui découvre sa propre peau, paumes posées à plat sur son torse. Quand elle s'écarte pour le regarder, pour le regarder vraiment, elle est inévitablement attirée par toutes ces cicatrices qui marquent son corps. Mera en effleure certaine du bout des doigts, comme si les plaies étaient encore à vif, sourcils froncés. Ils sont trop jeunes, tous les deux. Trop jeunes pour avoir connu tant de guerres et de batailles, trop jeunes pour avoir senti leurs chairs se déchirer et leurs os se briser sous les coups. Dix-huit ans ou vingt-trois, c'est la même chose, ni lui ni elle n'aurait dû devoir endurer tout cela. Momentanément tourmentée par la violence qui les a accompagnés tout au long de leurs existences, elle prend son visage entre ses mains et retourne l'embrasser tendrement, puis elle dépose une multitude de baisers sur sa peau jusqu'à ce que ses lèvres atteignent le creux de son cou. « Après chaque bataille, chaque combat, chaque duel, je serai là. Je te promets que je serai là, à tes côtés. Mon doux, doux prince... »