Yeah love is cool but have you ever stepped on a crunchy leaf ? [Adopte un mec] || Jason

Yeah love is cool but have you ever stepped
on a crunchy leaf ?

Jason & Tefé

Elle n’était pas là pour rigoler, Tefé. À partir du moment où tout le monde était au courant que cette histoire n’avait rien à voir avec les sentiments, elle comptait jouer le jeu à fond. D’abord, quand on était sans emploi, on avait beaucoup de temps pour essayer des trucs nouveaux – et c’était bien pour ça que Tefé aimait tant ne pas travailler, ça et le fait qu’elle n’aimait pas travailler. Fréquenter des hommes ou des femmes, pour une journée ou une nuit, pour une raison ou pour une autre, cela lui convenait aussi. Elle n’accordait pas beaucoup d’importance aux relations de ce genre à part qu’elle détestait les menteurs. Elle avait vu une affichette parlant de l’événement dans une vitrine de Coast City, où elle traînait sa petite carcasse sans trop savoir quoi faire, et en voyant que c’était pour la bonne cause, et que Sea Shepherd était dans le coup, elle s’était dit pourquoi pas ? Ça ou suivre un inconnu en sortant d’un bar pourri… Elle était aussi dévorée par la curiosité concernant cet hôtel soi-disant cent pour cent écolo. Elle ne croyait pas une seconde qu’une construction humaine destinée à accueillir des humains puisse tenir ce genre d’exigence. Mais elle n’était ni stupide ni blasée, sur ce sujet. Elle voulait voir ça de ses yeux. Elle s’était inscrite. Avait fourni ses faux papiers du moment – au nom de Mary Littlelord, et de toute façon ils avaient juste besoin de vérifier qu’elle était majeure. On lui avait présenté des fiches de mecs à adopter, et certains lui avaient carrément fichu la chair de poule, quand d’autres avaient réussi à la faire sourire. Même si elle se disait que ça restait du vent, tout ça. Une façade. Mais c’était le jeu, et elle aimait bien jouer. Finalement, elle avait jeté son dévolu sur trois d’entre eux.

Et aujourd’hui, elle était là, au bord de la piscine de l’hôtel, à chercher du regard le type qu’elle était censée avoir « adopté ». Elle avait mis le paquet pour l’occasion : maillot de bain une pièce du bleu foncé le plus moche qu’elle avait jamais vu, du club de natation de l’université du coin, qu’elle avait piqué sur l’étendage d’une des nageuses dans la résidence étudiante, et qui moulait à la perfection son corps maigrichon, il fallait bien le dire. Grosses lunettes de soleil qui lui mangeaient le visage, boots militaires usées aux pieds, veste légère et transparente façon kimono sur les épaules. D’autres femmes allaient et venaient, certaines avec des belles fesses rebondies et des poitrines charmantes. Elle baissa les yeux sur son maillot et grimaça. Il était clair que la génétique avait penché en la faveur du donneur de sperme, sinon elle aurait hérité des grandes jambes galbées de sa maman. En gros, elle avait la même poitrine que son père. Elle se laissa tomber à genoux au bord de la piscine et tenta de distinguer comment fonctionnait le système de nettoyage et d’évacuation. L’eau ne sentait pas le chlore en tout cas. Elle trempa la main dedans et se lécha les doigts avec toute la classe dont elle n’avait jamais été capable. Pas salée non plus. Okay, c’était un bon point. S’ils n’avaient pas trouvé un nouveau produit chimique top secret pour garder l’eau aussi clean. Un des serveurs qui erraient autour de la piscine avec des boissons lui lança un regard étrange et elle le salua en souriant, ce qui ne fit que le faire fuir.

Puis elle vit un autre homme s’approcher d’elle, et elle reconnut une des trois personnes qu’elle avait désignées quand il avait fallu qu’elle fasse son choix. Parce qu’il avait écrit qu’il était impulsif et qu’elle avait aimé ça. Parce qu’il avait parlé d’une île déserte et qu’elle en rêvait souvent. Parce qu’il avait dit se ficher du physique même si ça, c’était vraiment le plus gros mensonge que sortaient les humains quand il fallait draguer. Et parce qu’il avait promis une journée inoubliable. Tefé n’attendait pas de lui qu’il lui fasse vivre la meilleure journée de sa vie, elle n’était pas idiote, mais elle avait trouvé que cette petite ligne, sous forme d’une promesse, était plutôt osée. Les humains tenaient rarement leurs promesses, et c’était okay, mais ils en faisaient quand même, ce qui l’étonnait toujours. Elle se releva, essuya sa main sur sa cuisse et la lui tendit. « Salut, je suis m’appelle Tefé. Rah, merde ! » Ça, c’était parce qu’elle venait de rendre compte qu’il manquait un petit bout à son rendez-vous du jour, et elle venait de lui tendre sa main droite. Elle leva le bras, paume vers lui, comme pour lui dire coucou. Du coup on aurait dit qu'elle lui proposait un high-five. La perfection. Elle allait ruiner ce rendez-vous avant même qu’il commence. Alors qu’il était particulièrement beau, tellement qu’elle était presque déjà prête à lui pardonner de faire de la moto.
   

Sous le soleil écrasant de Coast City, tu attends, bras croisés, que tombent les résultats. Tout en te demandant, dans ce brouhaha ambiant, comment Diana est parvenue à te convaincre de mettre les pieds ici. Ouais, c'est vrai que t'étais en train de te morfondre à Gotham, encore secoué par la perte de ta main, mais t'envoyer au milieu de toute cette foule ? Non, vraiment, t'es pas franchement emballé. Devoir dresser ton propre portrait et attendre qu'une inconnue s'imagine des atomes crochus avec toi ne sont pas des choses que tu aurais faites de ton plein gré. Toi, l'asociale aux difficultés d'adaptation. T'as fait des efforts depuis que tu es marié, mais quand même pas au point de prendre l'initiative de t'inscrire à une version modernisée de la vente aux enchères. Quand vient ton tour d'ouvrir le papier, tu fronces les sourcils, finalement assez surpris que ce soit une étrangère qui t'ait choisi, après avoir croisé plusieurs visages familiers aux alentours. Tefé Holland. Un nom qui ne te dit rien du tout, mais qui fait naitre chez toi, contre toute attente, une certaine curiosité. Bien, alors c'est parti, tu t'es engagé, et tu vas t'y tenir jusqu'au bout. Au loin, tu distingues Diana et Ophelia, qui garderont sans aucun doute un œil sur toi durant toute la durée de l'événement. C'est pour elles que tu le fais, parce que t'as conscience que ton état actuel n'est pas de tout repos, et que ta morosité, même passagère, doit peser lourdement sur leur morale à elles aussi. Il est trop tôt pour estimer s'il agit là d'une mauvaise idée ou non, mais au moins, tu vas essayer de donner le meilleur de toi-même. Pour Diana, Ophelia, et cette très chère Tefé. Qui a, il faut quand même le dire, de bons goûts.

A l'aide de la photo de ta partenaire, dont tu te sers comme un radar, tu scrutes le visage de toutes les demoiselles qui croisent ton chemin. Toi, tu cherches une blonde, au visage harmonieux, et qui te paraît plutôt jeune. Et c'est au bord de la piscine, après quelques minutes d'errance, que tu trouves la fameuse Tefé Holland. « Salut. » Tu lui souris, plus sincèrement que tu l'aurais pensé, alors que contrairement à elle, t'es encore vêtu de ton short et ton tshirt. Tu ne lui tiens pas rigueur pour la mauvaise main, toi-même n'ayant pas encore l'habitude d'en être privé. « Ouais désolé, j'ai pas pensé à le préciser dans ma candidature. » Est-ce que c'est réellement une chose qui se précise ? T'en sais rien, mais peut-être que ça lui aurait évité ce moment gênant – mais qui ne l'est nullement pourtant, t'es même plutôt amusé. Un peu confus et hésitant, tu te décides à lui taper dans la main, ignorant si c'est ce qu'elle attendait de toi ou non. Mais dans le doute, t'as préféré lui éviter un second moment gênant. Pour l'instant, elle te plait bien. Elle n'a rien de la pimbêche en recherche d'un escort pour la journée sur laquelle tu redoutais de tomber. Sans vouloir juger trop rapidement, elle a même l'air tout aussi inadapté que toi. « Enchanté Tefé, moi c'est Jason Todd. » Un nom qui ne lui inspirera rien non plus, puisqu'en civil, tu es tout ce qu'il y a de plus lambda. Et quant à ta double identité, et bien, il n'y a aucune chance qu'elle en apprenne l'existence aujourd'hui. Ou un jour.

Bon, visiblement, elle a envie de piquer une tête dans la piscine, alors tu te débarrasses de ton haut, jeté un peu négligemment près du bord, avant de te glisser dans l'eau. Vous êtes déjà plusieurs à avoir cédé à la tentation d'un petit rafraichissement, et tu en as d'autant plus besoin, toi le ptit gars de Gotham qui a rarement eu l'occasion de vivre dans un environnement aussi agréable. Et aussi chaud. Puisque la pollution étouffante de Gotham ne compte bien évidemment pas. « Alors, comment ça se fait que c'est à moi que revient l'honneur de t'avoir pour partenaire ? » Et ce n'est pas du baratin. Très sincèrement, tu n'aurais pu espérer une meilleure introduction que celle qu'elle vient de t'offrir. « T'es adepte d'associer l'utile à l'agréable ? » Tout en attendant sa réponse, sans chercher à la brusquer, tu retournes près du bord pour faire signe au serveur d'approcher. En prenant soin de laisser ta main amputée bien cachée sous l'eau. Tu sais que tu devrais pas, mais t'en as un peu honte. Ce membre fantôme te rappelle sans cesse à quel point t'as été imprudent. « Je vais prendre une limonade, et ce que la demoiselle aura choisi. » Ouais, malheureusement, avec tous les médocs que tu dois prendre, t'as pas le droit de boire de l'alcool. Mais c'est pas grave, t'as pas besoin de ça pour espérer passer une bonne journée. Contre mauvaise fortune bon coeur.

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Jason & Tefé

La bonne nouvelle, c’était que Jason, puisqu’il s’appelait Jason, ne sembla pas se formaliser de sa boulette. Il n’en fallait pas plus à Tefé pour se dire que du coup, il n’y avait pas besoin de filtre sur ce sujet. « T’as bien fait, ça nous fera un sujet de conversation, au pire, si on se rend compte qu’on est respectivement chiants à mourir. » Ça arrivait tout le temps, non ? C’était pour ça que les gens utilisaient des applications de rencontres, pour enchaîner les rendez-vous nuls jusqu’à trouver la perle rare – ou au moins la personne la plus à peu près supportable à plus ou moins long terme. À part ça, elle ne savait pas qui il était, pas plus en tout cas que ce que sa présentation disait. Elle avait bien reconnu quelques têtes dans la foule, dont certaines qu’elle n’aurait pas cru voir dans de telles circonstances, ce qui lui permettrait de bien se marrer ou de faire du chantage auprès de la personne concernée. Mais elle ne pouvait pas s’éclipser pour aller papoter avec des connaissances. Elle était censée jouer le jeu. Sauf qu’elle ne connaissait pas vraiment les règles de ce jeu-là. Heureusement, Jason prit les devant en allant dans la piscine, et elle l’imita sans réfléchir, après avoir balancé ses boots dans un coin et sa chemise dans un autre. Elle rentra dans l’eau avec délice – ce qu’elle aimait l’eau ! Elle se sentait revivre à chaque fois. C’était probablement parce qu’elle était une plante, au sens littéral du terme. Aussi, elle sentait sur ses bras, ses jambes, jusque sur sa langue, que cette eau était de bonne qualité pour l’usage que les humains en faisaient. Elle n’aurait pas arrosé ses plantes avec, mais aucun produit chimique n’agressait son épiderme et ne lui donnait la nausée. Elle laissa échapper un petit gloussement et rejoignit Jason en quelques mouvements d’une brasse peu élégante mais efficace – un peu comme un chien. Mais elle aimait les chiens alors elle trouvait la comparaison flatteuse.

Il commanda une limonade et elle attendit que la demoiselle dont il parlait passe sa commande avant de comprendre que c’était d’elle dont il parlait. Olala, elle n’était largement pas assez bien éduquée pour tenir la route avec lui. Elle leva les yeux vers le serveur. « De l’eau s’il vous plaît. Sans glaçons. Et sans citron. Et sans bulles. » Il la regarda comme si elle était débile, mais en même temps, elle lui parlait comme à un débile, alors c’était de bonne guerre. Puis elle s’adossa au rebord de la piscine pour se laisser flotter à côté de Jason. « L’agréable, je ne sais pas encore, c’est un peu tôt pour le dire, mais l’utile, oui. Je voulais vraiment voir à quoi ressemblait ce fameux hôtel tout écolo. Les gens mentent tout le temps, sur ce genre de chose, surtout quand il s’agit de business. » S’il y avait bien quelque chose à quoi Tefé était douée, c’était pour faire des généralités. Mais en même temps, elle était plus souvent déçue qu’impressionnée, avec les êtres humains. Elle regarda Jason et n’eut pas besoin de le fixer longtemps pour comprendre qu’il ne passait pas ses journées dans un bureau à faire de la compta. « Tu avais l’air sympa sur le papier, et il y a des trucs que tu as dis qui m’ont rendue curieuse. Mais je ne suis pas sûre que ce soit un honneur pour toi. » Le serveur revint avec leurs verres et elle but son eau plate d’une traite avec un soupir de satisfaction. Toutes ses cellules étaient en joie, exactement comme dans une publicité. Puis elle plongea le verre dans la piscine et en but une gorgée avec la tête d’un juge de concours de cuisine à la télé. Meh.

« Et toi, tu cherches vraiment une partenaire ? Comment ça se fait qu’un homme qui attire les ennuis et qui connait une île déserte paradisiaque soit encore célibataire ? » On avait le sens de priorités ou on ne l'avait pas, et puis on avait le sens des priorités comme Tefé. Mais là-dessus au moins elle ne craignait pas d’être déçue, elle n’était pas venue pour ça à la base et ne cherchait pas l’amour de sa vie, ni l’amour de sa semaine prochaine. Mais tout de même, elle trouvait qu’il dégageait une drôle d’aura. Il n’avait pas du tout l’air de monsieur Tout-le-monde, pour des tas de raisons, et il n’avait pas l’air particulièrement à l’aise, en plus du reste, ce qu’elle trouvait plutôt normal, elle, compte tenu de la situation.
   

Et bien, t'es apparemment tombé sur la seule femme aux alentours qui s'est inscrite à cet événement dans l'unique but d’apposer son label 100% écologie à l'hôtel. Une démarche tout à son honneur, mais néanmoins étonnant dans un lieu aussi paradisiaque. Les festivités viennent à peine de commencer, mais il te suffit de jeter un rapide regard indiscret autour de toi pour constater que l'alcool coule déjà à flot, et que les premières discussions s'approfondissent, ponctuées de quelques éclats de rire plus ou moins poussifs. La grande majorité des gens présents ne sont pas là pour manifester contre le plastique, ou se soucier des déchets balancés dans les océans, mais pour faire de nouvelles rencontres. Et tu n'es pas présomptueux en dressant un tel constat, c'est un fait. C'est le principe même de cette journée. Trouver une partenaire, l'amuser, la séduire, et espérer que l'opération aura assez bien fonctionné pour ne pas finir la nuit dans un lit séparé. Ce qui n'a rien de condamnable, loin de là, simplement que tu n'imaginais pas trouver quelqu'un qui sortirait aussi distinctement de ce schéma là. « Et bien, tu pourras me dresser ton bilan à la fin de la soirée. Si c'est pas satisfaisant, on ira leur jeter des tomates. Ou pire encore. » Coup marketing ou réelle ambition ? Tu avoues ne t'être pas particulièrement soucié de cet aspect là, participant uniquement parce que Diana te l'a demandé. Mais si le Blue Lagoon n'est qu'un hôtel dirigé par des escrocs surfant sur la vague de l'écologie power, tu te feras un plaisir de leur en toucher deux mots. Au moins, ce sera amusant. Plus que de te prélasser au bord d'une piscine remplie de monde. Non, vraiment, tu te sens pas à ta place dans un tel endroit. C'est trop... Bruce Wayne.

Tu sirotes ta limonade, tandis que ta partenaire semble prendre son rôle de juge improvisé très au sérieux. Goûter l'eau de la piscine ? Pourquoi pas. Ce n'est pas commun, mais pourquoi pas. « T'as été payée par quelqu'un ? Ou c'est juste que la cause te tient à cœur ? » Mais elle n'est pas la seule à poser des questions légitimes. Et la sienne t'incites à prendre place sur les marches de la piscine, où tu l'invites à te rejoindre. Tu vois mal, dans un tel contexte, comment cette interrogation n'aurait pas pu venir sur le tapis. Et si maintenant tu commences à deviner ses intentions, en revanche, pour elle, tu restes encore un mystère. Il est temps d'équilibrer la balance. « Non, je ne cherche personne, je suis marié. » Une révélation qui n'en sera peut-être pas une, tout dépend de son sens de l'observation Est-ce que t'as l'attitude d'un homme en chasse ? T'as jamais été très doué pour la drague, alors peu de chance qu'elle t'ait glissé dans cette case. « C'est ma femme qui m'a incité à m'inscrire, pour me changer les idées après le... » Tu marques une pause, en tournant ta tête vers elle, avant de lui montrer ta main fantôme. Très vite glissée à nouveau sous l'eau. « ...l'accident. » C'est comme ça que tu l'appelles, mais vérité tu devrais plutôt l'appeler la connerie. Non, LA connerie. « J'espère que tu n'étais pas là pour... » C'est un peu gênant. Tu penses l'avoir plutôt bien cernée, mais t'as appris aussi à ne jamais te fier aux apparences. Le doute est toujours permis, et tu comptes bien l'éclaircir avant de poursuivre quoi que ce soit et éviter de futurs potentiels malentendus. « Enfin, j'espère que t'es pas déçue. » Si elle cherche le prince charmant, ou même rien qu'un peu de compagnie, elle a pas misé sur le bon cheval. Ce qui vous empêchera pas de passer une bonne journée, t'en es certain. Enfin, normalement.

Tu portes à nouveau le verre jusqu'à tes lèvres pour y boire quelques gorgées. Et ça manque vraiment d'alcool là-dedans. Est-ce que tu vas faire une entorse à ton traitement pour t'amuser aujourd'hui ? Probable, fort probable. T'as jamais été raisonnable de toute façon. « Mais dis-moi, pour toi s'attirer tout le temps des ennuis c'est un bon critère de séduction ? » Amusé, tu lui adresses un sourire un peu taquin, avant d'ajouter : « C'est pas un peu cliché d'aimer les bad boys ? » Tu dis ça, mais t'as quand même réussi à séduire la princesse des Amazones. Alors peut-être que c'est un cliché véridique. T'as jamais parlé de ça avec qui que ce soit. En fait, t'as jamais vraiment eu d'amis. Alors ce genre de conversations, à la fois banale et railleuse, tu sais pas ce que c'est. Et t'espères ne pas te tromper en tentant l'expérience avec Tefé.

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Jason & Tefé

« C’est pour la cause. Encore que je ne refuse jamais de la bouffe gratuite et un lit douillet. » Catégorique. Avec la grâce d’une baleine à qui on aurait greffé des raquettes de tennis géantes à la place des nageoires, Tefé alla rejoindre Jason sur les marches de la piscine. Autour d’eux, certains se lâchaient déjà. Peut-être que des couples allaient réellement se former ce soir. Pour un soir. Ou pour la vie. Pourquoi pas ? Tefé avait grandi avec la preuve vivante que le véritable amour existait, aussi stupide que ça puisse paraître. Sa mère avait abandonné sa vie pour vivre dans un marais plein de moustiques et de sangsues et rester aux côtés de son âme sœur qui était une plante. Il n’y avait aucun débat, là. Et son père supportait sa mère. Rien que ça, aussi, c’était une preuve d’amour. Les gens qui trouvaient Tefé pénible n’avaient jamais rencontré Abby. Elle, elle appréciait les relations quand elle le voulait avec qui elle le voulait comme elle le voulait, pas besoin d’aimer pour coucher, pas besoin de coucher pour aimer, et elle couchait avec des hommes et des femmes dont elle n’avait rien à secouer, et elle aimait sans concession des gens avec qui elle n’aurait jamais voulu coucher ce qui pour elle était aussi une définition de l’amour, et pour le moment elle n’avait juste pas eu l’occasion de tout faire à la fois, et ça ne lui manquait pas. Ce soir, peut-être qu’elle finirait au lit avec Jason, mais peut-être pas, ou peut-être que ce serait le grand amour, comme elle aimait ses parents, comme elle aimait Mercury, mais peut-être pas ; peut-être que ce serait les deux, et peut-être que ce ne serait rien.

Et donc, il était marié, ce qui régla la question. Pendant une seconde, Tefé le trouva un peu gonflé, puis il lui dit que c’était sa femme qui l’avait envoyé là ? Et alors elle se demanda si elle n’était pas tombée dans un traquenard de couple échangiste bizarre. Et puis finalement le moignon réapparut et Tefé, pour qui le corps et toutes ses variations comptaient bien peu, ne put que dire la première chose qui lui passa par la tête : « J’espère que tu n’as pas perdu ton alliance. » Honnêtement elle n’avait pas fait attention s’il en portait une à l’autre main. La façon dont il prononçait le mot « accident » en disait plus long sur le fait que ça n’en avait pas été un que n’importe quelle explication. Mais enfin, c’était son premier rendez-vous avec un homme marié alors c’était peut-être un peu tôt pour lui demander des détails. Et… malpoli… Tefé… aurait dit son père d’un air malheureux. « Je ne suis pas déçue. Je serai déçue si j’apprends que cet établissement ne trie pas les ordures et se chauffe au fuel l’hiver. Après, je trouve bizarre que pour te changer les idées d’un truc horrible, ta femme t’ait envoyé barboter dans une piscine avec une bombe en bikini. Enfin, ça aurait pu être une bombe en bikini. J’imagine que le cinéma ou le shopping, c’était pas ton truc, et puis de toute façon, vous faites bien ce que vous voulez. » Elle haussa les épaules. Ainsi, ils connaissaient déjà tous les deux la fin de l’histoire, ce qui n’était pas plus mal. Elle se vautra en arrière sur les marches de la piscine en offrant son visage au soleil brûlant. La photosynthèse, c’était merveilleux. Elle éclata de rire à sa remarque. « Ce n’est pas exclusif à la séduction, c’est juste un trait de caractère intéressant. Qui va souvent avec le refus des règles et au moins un peu de courage. J’aime bien. Ce serait cliché seulement si j’étais du genre à avoir peur des conséquences et à ne pas assumer mes décisions. Les femmes qui aiment les hommes comme toi, ce sont les plus fortes, tu vois le genre. » Ces filles qui clamaient qu’elles aimaient les bad boys uniquement pour gémir dès qu’ils prenaient le métro sans ticket…

Elle sortit son bras de l’eau. Le soleil avait beau taper, et sa peau avait beau être pâle, elle n’attrapait jamais de coups de soleil – et elle ne bronzait pas non plus. « Ta femme aussi est là alors ? Est-ce qu’on va la croiser à un moment, est-ce que ce sera bizarre ? » Elle fouillait la foule des yeux, à la recherche de cette licorne qui avait mis le grappin sur Jason et qui était assez sûre de leur amour pour l’envoyer entre les griffes d’un potentiel canon. Même si le canon du jour était plate comme une porte, tellement blanche qu’on aurait pu lui voir à travers et buvait l’eau de la piscine comme un caniche à qui on aurait oublié de donner son écuelle.
   

Totale franchise. Zéro filtre. Et c'est précisément ce qui t'arrache un rire, peut-être le premier depuis un bon moment. Cette fille, tu sais pas encore d'où elle sort, mais elle a au moins le mérite d'attiser ta curiosité – et parfois aussi ton amusement. Elle n'a pas tort dans ce qu'elle dit, ceci dit, puisque ce n'est pas dans un tel endroit que les épouses prennent plaisir à envoyer leurs maris. Interrogation pertinente, et tu ne lui en veux pas de remettre en cause les méthodes de Diana pour te sortir un peu de la maison où tu t'es caché trop longtemps comme un ours mal léché en pleine hibernation. Ce n'est peut-être pas son cas à elle, mais t'aurais très bien pu tomber sur une bombe – comme elle le dit si bien – qui aurait eu un tout autre objectif que d'évaluer les convictions écologiques de l'hôtel, et ainsi, t'aurais fait passer une journée complètement différente et bien moins agréable. A ses yeux, t'as bien compris qu'elle ne s'imagine pas comme étant la partenaire idéale, mais pour toi, elle est exactement ce que tu espérais trouver en acceptant la proposition de Diana. Une fille simple – enfin, tout est relatif – et avec pour unique attention de s'amuser, sans arrière pensée lubrique. Maintenant, reste à savoir la définition que donne Tefé à s'amuser. Tu t'attends à tout avec elle, et surtout à être surpris. « Ma femme se soucie elle aussi beaucoup de l’environnement, j'ai carte de crédit illimitée pour qu'on puisse passer une bonne journée, et en même temps faire un gros don pour la cause. » C'est vrai, ce n'est pas commun, mais disons que ta femme n'a rien de commun non plus. « Et elle a une totale confiance en moi. T'aurais pu être miss multivers qu'elle n'en aurait pas été inquiétée. » Sans offense, hein, elle est pas miss multivers mais elle est quand même pas mal non plus.

Tu écoutes son avis intéressant sur le type d'homme qu'elle pense que tu représentes. A vrai dire, tu ne t'es jamais vraiment posé la question, refusant depuis toujours de te rentrer toi-même dans une catégorie, estimant que la société le ferait de toute façon pour toi. Bad boy, c'est donc la tienne ? Ce n'est pas ainsi que tu te serais qualifié, mais pourquoi pas. Ton passé de délinquant des rues te colle toujours à la peau, sans même parler de ton alter-ego pour le moins... brutal et au-dessus des lois. Soit elle a le sens de l'observation, soit ton aura mystérieuse a foutu le camp. Car si ce n'est ta main fantôme, quels autres indices as-tu laissés ? « De ce que j'entends, t'as pas l'air très différente de moi. » Si c'est un trait de caractère qui l'attire chez les gens, ça signifie qu'elle-même éprouve un mépris des règles et des conventions, non ? Puisqu'elle avoue assumer les conséquences, t'es prêt à parier que sa liste de bêtises est peut-être tout aussi longue que la tienne. Simple supposition à l'heure actuelle, mais qui ne manquera pas de se confirmer ou de s'infirmer au cours de la journée. En voyant Tefé ainsi s'exposer au soleil, avec la blancheur de sa peau, tu rajoutes, un peu inquiet : « Tu devrais pas mettre de la crème ? » Crème bio ou ce qu'elle veut, tant qu'elle finit par sa soirée cramée à même plus pouvoir s'allonger sans gémir de douleur.

Si ta femme est ici ? Tu souris déjà, anticipant la réaction de ta partenaire quand elle découvrira l'identité de ta fameuse épouse. Tu te retournes, cherchant du regard Diana, qui tu le sais, est forcément pas loin, pour pouvoir garder un œil protecteur sur toi. Bingo. Du doigt, tu lui montres l'Amazone, aujourd'hui cachée sous une tenue estivale, mais reconnaissable entre mille malgré tout. Enfin, pour toi. « Elle est là. » Reconnaitra, reconnaitra pas ? Et sur ses genoux, Ophelia, qui s'agite en te faisant un coucou de la main. Un geste que tu lui rends, avec la gagatitude d'un père complètement fou de sa fille. « Et avec elle c'est ma fille. » Peut-être va t-elle mieux comprendre pourquoi ta femme n'a absolument rien à craindre. Qui irait voir ailleurs, quand Wonder Woman vous attend à la maison ?

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Jason & Tefé

Elle le regarda, la poire fendue, en entendant « carte de crédit illimitée ». Alors en plus d’être beau gosse et un peu vilain sur les bords, il était riche ? Bon techniquement, décider de ne quasi rien payer dans la vie – c’est-à-dire voler les choses dont elle avait besoin –, c’était aussi une forme de richesse. Si elle avait été plus attachée à la vie matérielle qu’elle ne l’était, ça lui aurait probablement fait un petit quelque chose. Mais les dons pour la cause, c’était bien, enfin à condition que la cause soit juste évidemment, ce sur quoi elle ne s’était pas encore fait d’avis. Quoiqu’il en soit, sa cervelle de parasite enregistra l’information, des fois qu’à la fin de la journée, Jason et elle soient devenus potes et aient échangé leurs numéros de téléphone. On avait toujours besoin d’un pote riche. Les potes riches faisaient le bonheur. Et puis, le refrain sur la confiance… Elle hocha la tête, pas convaincue, mais c’était son problème à elle, pas celui de Jason. Elle n’avait jamais eu l’impression que les gens étaient dignes de confiance. Surtout pas en amour – hommes ou femmes, même combat. Son tout premier petit copain, celui-là même à qui elle avait fait assez confiance pour le laisser la déniaiser, avait joué à la bête à deux dos avec sa meilleure amie même pas deux jours plus tard. Avec le recul et l’immeeeeense maturité dont elle se savait naturellement dotée aujourd’hui, ça la faisait rire – enfin, surtout le moment où elle avait fait éclater David de l’intérieur avant de les faire fondre, Catherine et lui, en une seule bouillie de chair. Elle s’était rendu compte de plusieurs choses après ça : elle n’était pas qui elle croyait être, une mise en bière était vachement compliquée quand on devait enterrer deux cadavres collés l’un à l’autre et, pour ce qui concernait ce grand moment de confiance et d’amour auquel elle assistait, là, tout de suite : on ne pouvait pas vraiment, à cent pour cent, totalement, faire confiance aux autres. Même quand on aimait. Même quand on était sincère. Et même si on avait tort de ne pas faire confiance. Mieux valait, dans un tout petit coin de sa tête, se préparer un minimum à la trahison. Elle pensa à la seule personne en qui elle avait une absolue confiance et chercha en elle cette petite voix qui lui soufflait de se méfier – et, ne la trouvant pas, se sentit trembler dans ses fondations. Merde alors, il allait lui apprendre une leçon sur elle-même en même pas dix minutes de discussion.

Elle gigota dans l'eau, grognant des trucs inintelligibles à base de « ouais, bon, la confiance, hein, tout ça », des arguments tellement imparables qu’elle fut contente que le sujet de conversation change. Elle aussi cherchait à tracer des parallèles entre eux, même inconsciemment. Ils s’étaient déjà mis d’accord officieusement qu’ils n’avaient pas besoin de s’impressionner. Même si pour le moment, elle était la clodo qui comptait bien profiter de cette petite sauterie pour bouffer à l’œil vu que son dernier repas datait de deux jours alors que lui était le mec riche, déjà marié et qui en plus était apparemment digne de confiance. Pour le moment, ils ne jouaient pas vraiment dans la même ligue, heureusement que ce n’était pas une compétition. Elle baissa les yeux sur ses bras et se sentit bizarrement remuée par son attention, vu que même sa propre mère ne s’était jamais inquiétée de savoir si elle craignait les UV ou pas. « T’en fais pas, tant que je garde les pieds dans l’eau je risque pas de me dessécher. » Hyper sérieuse, et tout. S’il y avait bien un truc à savoir sur Tefé c’était qu’elle ne s’entendait jamais parler et ne prenait pas la peine de vérifier si les mots qui sortaient de sa bouche faisaient sens. De toute façon, il y avait une question plus urgente à régler : sa femme était là ! Pour le surveiller, évidemment, se dit-elle. Elle suivit du regard l’endroit où il regardait et repéra une grande femme brune à l’opposé total, à exprimer en années-lumière, à ce stade, d’elle. Ah oui ben évidemment hein qu’elle pouvait avoir confiance, la bombe atomique pouvait bien avoir confiance en sa victime si celle-ci jouait avec un clac-doigt, c’est sûr ! Enfin, si cette comparaison avait seulement un sens. Tefé s’accrocha à la margelle de la piscine pour mieux observer la femme, qui lui disait vachement quelque chose. « T’as une fille ! T’as de la chance, elle sera toujours amoureuse toi, nous les filles on est comme ça avec nos papas. » Elle était mignonne, en plus, la gamine – Tefé aimait bien les enfants, qui n’avaient pas encore eu le temps de devenir les monstres d’égocentrisme, de cruauté et d’abyssale stupidité qu’étaient les humains adultes. Et certes ils étaient sales, mais toute la saleté qui sortait de leurs différents orifices n’était rien moins que naturelle, donc bon.

Elle reporta son attention sur la femme, qui regardait vers eux – un truc de couple, elle avait déjà vu ça mille fois, c’était comme s’ils étaient télépathes – et se hissa d’un coup hors de l’eau. « HEY MAIS C’EST WONDER WOMAN ! » Comment s’en empêcher ? Elle ne l’avait jamais vue qu’à la télé et elle avait adoré la voir botter des fesses, même si elle n’était pas fan du discours plein de compromis de la Justice League. Mais à chaque fois qu’elle avait vu les membres de la JL tous ensemble au journal télévisé, Wonder Woman au milieu des autres, elle avait toujours eu l’impression de voir une star hollywoodienne en train de sortir ses loulous de Poméranie. En gros. Tout le monde avait tourné la tête vers elle, qui venait de hurler, puis vers Wonder Woman en civil, qui était certes plus passionnante à regarder. Tefé se laissa retomber dans l’eau et voulu secouer Jason par le col, sauf que horreur ! il n’avait pas de col, il était en maillot, alors elle porta les mains à son propre visage en gémissant, puis, allez savoir pourquoi – un brusque complexe d’infériorité sans doute – à sa poitrine. « Noooooon, pourquoi il faut que je la croise aujourd’hui, en train de draguer son mari, pourquoiiiii ?? » Qui draguait qui ? Elle se plaqua contre le rebord de la piscine. « Tu es marié à Wonder Woman ? Comment ? Pourquoi ? Elle est pas en train de venir, hein ? Tu m’étonnes qu’elle a confiance, même moi je voudrais pas de moi, à ta place. »

Stress de la groupie : automatiquement, son système de défense à base d’un humour fabuleux et d’un subtil dosage de sarcasme et de sensibilité s’était mis en marche. « Et toi qui étais là, à me dire qu’on se ressemble… à une femme près, quoi. Je suis un peu jalouse. » What the fuuuuuuuuuuuuuuuck, Holland ?? Elle savait que plus tard, elle raconterait cette histoire à Mercury et sa copine lui collerait son poing dans la gueule en la traitant de débile asociale, et elle l’aurait probablement mérité. Elle s’enfonça dans l’eau, les yeux ouverts, en se demandant si elle pouvait rester là une heure ou deux, jusqu’à ce que Jason soit parti, parce que se noyer lui semblait être une meilleure option que devoir de nouveau lui adresser la parole. Et aussi, pourquoi est-ce que c'était devenu important pour elle ce qu'il pouvait penser d'elle. Mais là-dessous, c’était un festival de popotins difformes, de bedaines flageolantes et de mains baladeuses, non pas que les personnes présentes n’avaient pas absolument toutes l’air de mannequins en train d’attendre un photographe de Vogue, mais l’eau déformait tout. Et aussi, elle avait besoin de respirer. Elle remonta à la surface au doux son asthmatique de ses poumons en train de chercher de l’oxygène. C’était pour ça qu’elle était mieux dans une forêt à parler aux arbres. Les interactions avec les humains, c’était trop compliqué.
 

Bon, et bien, elle n'aura pas tardé à reconnaître l'identité de ta femme et à la hurler à tous les gens présents autour de la piscine, portant tous leur regard sur Diana, qui n'est évidemment pas passée à côté de cette attention soudaine pour sa personne. Un peu désolé, tu hausses les épaules en sa direction, suivi d'un signe de main pour lui faire coucou. C'est ta faute, t'aurais peut-être dû la prévenir avant, pour que la surprise soit moins brutale. Mais t'aimes pas trop anticiper leur réaction, t'as l'impression que ça fait trop présomptueux ou trop vantard. C'est vrai que t'es fier d'avoir pu ravir le cœur de l'Amazone, mais de là à le crier sur tous les toits, ou à la première personne venue, peut-être pas. Enfin si, parfois tu le fais quand même. Ça dépend de ton humeur et de ton level d'arrogance du jour. Tu l'as avoué à Artemis parce qu'elle appartient à sa communauté, et tu viens de le faire avec Tefé parce qu'elle aurait de toute façon fini par l'apprendre à un moment donné dans la journée. Et puis, faut le dire, c'est drôle, et tu ne caches pas le rire qui te secoue fasse à son étonnement pour le moins...bruyant. Et peu discret. « Oui, oui, c'est Wonder Woman. J'ai hésité à te le préciser avant. » La suite n'en est pas moins drôle, mais elle a quand même réussi à te faire ressentir une once de culpabilité. Tu n'avais pas du tout l'intention de la mettre mal à l'aise, et encore moins à ce qu'elle se sente coupable de quoi que ce soit. T'es ici de ton plein gré, sous les conseils de Diana elle-même, alors de quoi y a t-il à s’inquiéter ? « De me draguer ? C'est ce que t'étais en train de faire ? » Ton éclat de rire redouble, à la fois amusé et troublé par ta partenaire du jour. T'es venu pour te changer les idées et essayer de t'amuser, et très franchement, t'es tombé sur la femme idéale pour que ce soit pleinement réussi. Même si, la pauvre, ce coup-ci, c'est un peu contre son gré et à ses dépends.

Et subitement, t'arrêtes de rire, coupé dans ton élan. « Quoi, comment ça comment ? » Sourcils froncés, presque vexé, t'ajoutes : « T'es en train de dire que tu vois pas ce qu'elle me trouve ? » En fait, cette réflexion, tu l'as entendu plusieurs fois, et rarement tu t'en es offusqué, parce que toi même tu te poses parfois la question. Pourquoi toi alors qu'elle pourrait avoir n'importe quel homme de cette planète ? T'es chanceux, vraiment chanceux, et effectivement, maintenant elle peut enfin comprendre pourquoi ta femme n'a absolument rien à craindre des autres filles. Mais c'est pas pour autant qu'elle doit se mettre dans tous ses états. Parce que là toi, tu sais pas trop comment réagir. Gérer les états d'âme des gens, c'est pas ton truc. Tu sais pas ce que t'es censé faire. La complimenter ? La rassurer ? C'est compliqué parfois de se sociabiliser, surtout pour un mec mort et ressuscité qui a passé plus de temps à s'entrainer à devenir un assassin qu'à se faire des amis. Démonter et remonter une arme en dix secondes, facile, tirer en plein dans le mille d'un gros bout de carton à silhouette humaine, super facile, mais les interactions sociales basiques, super dur ! « Jalouse de moi parce que j'ai épousé Wonder Woman ? Parce que si c'est ça, c'est moi qui vais être jaloux. » Hum, est-ce que tout ceci a le moindre sens ? Peut-être, mais si il en a un, il t'échappe complètement. Cette conversation est allée beaucoup trop loin.

Ah, voilà maintenant qu'elle essaye de se suicider de honte. Bon, t'as pas mesuré correctement les conséquences de cette révélation sur sa personne. Visiblement, elle prend ça très à cœur. C'est donc l'heure d'agir. Alors qu'elle remonte à la surface après quelques secondes à faire des bulles, tu l'attrapes par la main pour l'inciter à sortir de la piscine. « Viens, on va se retrouver une activité sympa à faire. » But numéro un : l'éloigner de Diana, pour qu'elle arrête de se faire du mal toute seule. T'attrapes une serviette mise à disposition par l'hôtel et t'essuies avec, pour éviter ensuite la désagréable sensation des vêtements qui collent à la peau. « T'as envie de faire quoi ? La piscine c'est cool mais on va pas passer la journée là. » Est-ce qu'elle a la moindre idée d'à quel point c'est difficile de s'habiller avec une seule main ? Enfiler ton t-shirt, ça va. Remonter ton short – par-dessus ton maillot humide, brrr – jusqu'aux hanches, ça va. Mais il y a un petit truc où tu vas avoir besoin d'elle. « Tefé... » C'est un peu gênant. « J'ai besoin de toi. C'est un peu bizarre, j'en suis désolé, mais est-ce que tu peux fermer le bouton de mon short, j'arrive pas encore à le faire tout seul. » Le côté positif de la chose, c'est que t'assumes un peu plus ton handicape. Le mauvais côté, c'est que tu la mets dans une situation un peu délicate, avec, tu le sais, la présence non loin de Diana qui risque de la perturber. « T'inquiète, elle dira rien, elle sait très bien que c'est la galère avec une seule main. Et vaut mieux dans ce sens là que dans l'autre. » Et puis c'est bon, maintenant vous avez brisé la glace pas vrai, plus de tabou entre vous.

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Jason & Tefé

« Jalouse de vous deux, mais en vérité c'est très bien comme ça. » Tefé imaginait d’ici sa gueule si elle avait lu sur sa fiche de présentation, en note de bas de page corps 6, « au fait, marié à Wonder Woman, mais c’est un détail » ; jamais elle ne l’aurait choisi, lui. Pourtant elles ne se connaissaient pas, mais Tefé aurait eu l’impression de trahir son idole. Mais peut-être bien qu’elle aurait justement choisi Jason pour cette raison aussi, cela dit. Encore que ça aurait été un peu cruel. Quand il lui avait demandé pourquoi elle l’avait choisi, elle avait répondu honnêtement : il avait généré pas mal de curiosité en elle, et elle avait sincèrement apprécié ses quelques réponses, s’était dit spontanément qu’il était intéressant et n’avait pas été déçue. Mais si elle l’avait choisi pour sa femme, cette conversation aurait-elle pris une tout autre tournure ? « Pourquoi tu m’as choisi ? — Pour ta femme, casse-toi de mon chemin, maintenant ! » Naaaaaaan. En vérité, tout ça ne se passait que dans sa tête. Tefé appréciait une image qu’elle s’était fait de Wonder Woman, puisqu’elle ne la connaissait pas. Une image fantasmée depuis l’autre côté d’une vitrine de magasin de télés où, adolescente livrée à elle-même incapable de vivre en société comme les autres filles de son âge, elle se plantait dans n’importe quelle ville où elle atterrissait pour tenter de se connecter à cette humanité qu’elle ne comprenait pas. Et, en colère, elle se rêvait en femme plus puissante que n’importe quel humain, capable de leur botter le train à l’envie, comme Wonder Woman, qui dans ces moments devenait sa meilleure amie, sa mère, sa sœur, sa némésis tout à la fois, omettant délibérément tout le reste, ces choses qui paraissait-il caractérisait l’héroïne et que Tefé rejetait en bloc – la droiture, l’éthique, la morale…  Alors oui, elle était stupéfaite d’apprendre cette nouvelle, mais elle ne se faisait pas d’illusions non plus : il ne fallait jamais rencontrer ses idoles. Ne serait-ce que parce que c’était déjà dur des les admirer de loin… En l’occurrence, Tefé n’avait qu’une trouille : que Wonder Woman se ramène et la fasse se sentir comme une huître accrochée à son rocher – ou comme une jeune femme qui ne se sentait à l’aise nulle part dans ce monde accrochée à son bord de piscine en train de non-draguer son mari.

En plus de ça, elle avait probablement vexé Jason. Alors que bon, ce couple en disait long sur Jason lui-même, en vérité. Ça en disait long sur tous les deux. Il fallait bien être quelqu’un d’exceptionnel pour se faire aimer de Wonder Woman, non ? Une seule personne sur toute la planète, et c’était lui. Ce n’était pas ce que cherchait Tefé mais elle était tout à fait capable d’appréhender le phénomène. Et, preuve en était, quand elle remonta à l’air libre, il était toujours là. Elle avait tiré le gros lot, avec lui. Mais Wonder Woman l’avait tiré avant elle, normal. Au sens métaphorique du terme. Qu’elle l’avait tiré. Bref, elle se laissa entraîner hors de la piscine, non sans se dévisser le cou pour tenter d’apercevoir une dernière fois son idole, présentement en train de papoter avec deux grands types à l’air de mannequins pour sous-vêtements trop ennuyeux pour elle. Heureusement, Jason l’interpella et elle reporta son attention sur lui. Après tout, c’était lui, son rencart du jour. Ah. Elle pourrait se vanter d’avoir ce point commun avec Wonder Woman. Okay, stop. Elle pouvait compter sur Jason pour lui changer les idées. Forcément, elle riva le regard sur le bouton de short de Jason, vu qu’il en parlait. Elle n’y réfléchit pas longtemps, mais ce fut un temps déjà trop long vu qu’elle regardait son entrejambe. D’un geste vif, elle lui rendit cet immense service, non sans, comme toujours, balancer ce qu’elle pensait sans prendre une malheureuse seconde pour y réfléchir : « Vu la capacité des mecs à défaire un sous-tif ou un bouton de jean d’une seule main, je doute pas que tu sauras bientôt maîtriser ça à la perfection. » C’est vrai, quoi. Ce n’était pas parce qu’il lui manquait un bout qu’il en était moins un homme. « Et du coup, tu n’as qu’à t’entraîner avec ta femme. » Sainte Tefé-les-bons-conseils. Elle chercha ses affaires des yeux, trouva ses boots militaires qu’elle avait jetées dans un coin, attrapa un tee-shirt qui traînait sur une chaise longue et qui ne lui appartenait pas et l’enfila avec tout le naturel d’une voleuse biclassée prolétaire. Il lui tombait à mi-cuisses et sentait légèrement l’après-rasage, ce qui la fit éternuer avec violence, mains sur les genoux, le doux son d’un joueur de tromblon qui aurait avalé son instrument.

Que faire de drôle ? Jouer au billard ? Bah non. Babyfoot non plus. Ils pouvaient oublier l’atelier langage des signes, et puis bien sûr, pas possible d’aller s’inscrire au concours de marionnettes. Bon okay, elle ne savait pas si tous ces trucs existaient, elle essayait juste, pour une fois, de penser en fonction de la personne en face au lieu d’être égoïste, comme d’habitude, parce que c’était plus facile, et parce que la vie était courte, et parce que pourquoi elle aurait dû se soucier des autres, hein ? « Ce qui serait drôle, c’est qu’on trouve le manager de l’hôtel et qu’on le fasse parler, pour savoir si cet hôtel est vraiment ce qu’il prétend être ou si c’est juste une escroquerie de plus. Parce que, tu vois, que ce soit toi qui le tiennes, ou toi qui le cognes, tu peux le faire d’une seule main ! »  Non ? Non ? Peut-être que ça n’« amuserait » qu’elle. « Bon, sinon on va au buffet et on mange tout ce qu’on peut. Tu ne sais jamais quand sera ton prochain repas. » The name of the game is… se faire passer pour une personne civilisée. Mais, enfant sauvage devenue adulte sauvageonne, Tefé ne faisait pas illusion longtemps. En vérité, il y avait bien un truc qui l’aurait amusée, c’était de faire un tour en moto, mais pouvait-il conduire une moto d’une seule main ?

Ou alors… « … ou alors, tu pourrais m’apprendre à faire de la moto. J’en ai vu plein qui appartiennent à l’hôtel, branchées à des bornes électriques dans le parking. » Mais peut-être que ce serait retourner le couteau dans la plaie… Vite, une diversion. « Sinon, j’aime bien jardiner. » Elle tendit la main vers le plus proche mini-palmier esseulé dans son pot, lequel se pencha, s’arracha à sa prison de céramique et galopa jusqu’à elle comme un chiot, faisant hurler un serveur qui passait par là. Le type sauta en arrière directement dans la piscine avec tout son chargement de petits fours et de coupes de champagne, alors que le mini-palmier se plantait à côté d’elle, littéralement, ses racines perforant sans mal les dalles de pierre pour trouver la terre nourricière en dessous. Tefé posa la main sur son tronc, ses doigts devenant des brindilles qui se fondirent dans le bois du mini-palmier comme une caresse, mais elle gardait le regard rivé sur le type qui se débattait dans la piscine en hurlant qu’il ne savait pas nager. « Pourquoi il a accepté ce job s’il ne sait pas nager ? » WWWD ? What would Wonder Woman do ? Pour Tefé, un homme en moins sur la planète était un déchet de plus de recyclé – les cadavres étaient excellents pour nourrir la terre. Mais le temps d’y réfléchir, le serveur s’était déjà « sauvé » lui-même – vu qu’il avait pied, en fait. Elle arracha sa main au tronc du palmier. « On bouge ? » Et le palmier frétilla, comme s’il était d’accord, mais elle lui fit signe de ne pas bouger, comme à un animal de compagnie bien dressé – « Tu es très bien là où tu es, mon beau. »
 

Hé, qu'elle ne confonde pas ta technique de déshabillage à celle d'habillage, parce que c'est complètement différent. Bien sûr que tu peux défaire un soutif d'une seule main, et tout aussi bien que le bouton de ton pantalon – attention, on touche pas à ta fierté d'homme. Mais faut le dire, c'est quand même vachement plus compliqué quand il faut le refaire. Faut tenir à la fois le bouton et le tissu, pour que le truc rentre dans le trou de machin. Oui, c'est un peu tendancieux tout ça, mais faut bien commencer tout en bas pour ensuite devenir un pro des activités quotidiennes à une main. A défaut d'être encore le redoutable Red Hood, tu seras le redoutable Jason Todd, maitre dans l'art manchot. « Avec ma femme, je préfère m'entrainer dans l'autre sens. » Ouais, l'intérêt c'est plutôt de défaire. Mais tu le sens, si tu commences à partir dans un débat avec elle, vous risquez d'en avoir pendant des heures, avec un sujet qui serait porté à son aboutissement de long en large et en travers, et surtout, sans aucun filtre. Ce serait drôle, c'est vrai, mais pout l'heure t'as plutôt envie de partir d'ici. C'est sympa la piscine, l'hôtel et tout ça, mais c'est pas ton genre. Le sien non plus. Et puisque t'as promis dans ton profil que t'allais faire passer une bonne journée à ta partenaire, c'est le moment de commencer. Vous semblez être sur la même longueur d'onde, alors ça ne devrait pas être compliqué, même pour un noob des conventions sociales comme toi. « T'es en train de proposer au mec de Wonder Woman de frapper sur un pauvre innocent ? Tu me veux du mal ou quoi ? » Diana est tolérante, mais même elle a ses limites. Et frapper sur le gérant pour obtenir des infos sur le label bio de son hôtel, est probablement l'une d'elles. Tu viens de répondre très sérieusement à sa proposition, parce qu'avec Tefé, c'est un peu difficile à dire si elle le pense vraiment ou pas. Non, pire, t'as l'impression que tout ce qu'elle dit elle le pense vraiment. Du coup, tu pars du principe qu'elle est toujours très sérieuse dans ses propos. Quelle équipe de bras cassés. Et de main coupée.

La scène qui se dessine ensuite sous tes yeux te laisse interloqué et complètement pris au dépourvu. « Ouah. » Et pour te surprendre toi, qui pense déjà avoir tout vu sur cette folle planète, faut se lever tôt. Très tôt. T'en as côtoyé des trucs bizarres et des horreurs, surtout à Gotham. Mais là, pour une fois, ça n'a rien d'un truc bizarre ou d'une horreur, c'est juste un tout petit palmier sortit de son pot qui est venu prendre racine aux pieds de Tefé, aussi docilement que s'il s'agissait là d'un chat ou d'un chien. Peu préoccupé par l'homme dans la piscine, tu t'approches, et t'agenouilles pour regarder plus attentivement votre petit camarade. « T'es trop mignon toi. » Et voilà que tu poses tes doigts dessus, comme tu le ferais pour saluer et caresser un animal de compagnie. Bon, et bien, il semblerait que tu ne sois pas le seul à avoir des petits secrets. « Comment tu fais ça ? C'est tellement cool ! » Et ça te change du classique 'je peux transformer mes bras en lance-flammes pour te cramer' ou 'si tu me cherches j'envoie une bourrasque te faire voler à l'autre bout de la ville'. Et voilà que tu te surprends même à faire des plans dans ta tête, où Tefé, Monsieur Palmier et toi êtes vivez de folles aventures. Avant qu'elle ne brise tes rêves et ton imagination. Bam, comme ça, sans prévenir. Tu te sens comme Ophelia quand vous lui confisquez l'objet de son attention et de son désir le plus profond du moment – qui peut aller d'une épée à un rouge à lèvres. « Oh non, on peut pas le prendre avec ? Il a envie de venir, on va pas le laisser là. » T'es un père, tu sais de quoi tu parles quand il s'agit de bébés. Et ce bébé là, a envie de venir avec vous. Elle oserait vraiment lui briser le cœur ? Tu te relèves finalement, quittant difficilement des yeux le petit palmier. « Je t'apprends la moto si on le prend avec, deal ? » Et te voilà déjà en train de partir sourire aux lèvres, ne laissant finalement peu de choix à Tefé. C'est ce qu'on appelle la technique de la fuite.

Sur le parking de l'hôtel, tu trouves effectivement plusieurs motos nourries exclusivement à l’électricité. Mais c'est à qui ? Elles appartiennent aux clients ou elles sont mises à disposition ? Hum. Les clés sont là, alors en toute logique, vous pouvez les emprunter. Ce n'est pas la seule question, comment tu vas faire pour lui apprendre la moto avec une seule main ? Le challenge est conséquent, mais excitant. Tu débranches l'un des engins, et l'amènes à Tefé, pour commencer par la théorie. « Bon, comme tu l'as constaté, je vais pas pouvoir conduire. Mais je vais tout t'expliquer, t'enseigner les bases du démarrage, et ça devrait le faire pour une petite heure. Le temps de nous rende d'un point a à un point b. » En misant grandement sur sa capacité d'apprentissage et de compréhension. « Grimpe là-dessus. » Avec la béquille, évidemment. C'est comme le vélo et les petites roues, on commence toujours en douceur avant le grand envol. « Point mort. Embrayage. Bouton de démarrage. Et on met les gaz. » En même temps que tu expliques, tu mimes sur la moto tous les gestes qu'elle doit accomplir avant d'entendre le moteur se mettre en marche. Voyons maintenant comment elle se débrouille. Et elle connait le code de la route, hein ?

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Jason & Tefé

Bon, c'était un non sur la violence, c'était un peu frustrant, mais totalement compréhensible sachant que ce soir, c'était lui qui rentrerait dormir dans le lit de Wonder Woman, et elle ne voulait pas être celle à cause de qui Jason serait forcé de passer la nuit sur le canapé, c'était beaucoup trop de pression pour son petit cœur en bois mort. C'était pas très grave, elle pourrait toujours revenir plus tard pour tabasser le gérant de l'hôtel sans lui, comme ça, pas vu pas pris la main restante dans le pot de confiture. De toute façon, l'ambiance n'était clairement pas au tabassage arbitraire, il n'y avait qu'à regarder le cadre dans lequel ils se trouvaient. Pour bien faire, ils auraient dû s'emparer de deux coupes de champagne et aller se vautrer à la romaine sur des transats en essayant d'être les plus beaux possibles pour attirer l'attention, mais c'était fatiguant, et aussi, carrément ennuyeux. Non, c'était plus drôle de jouer avec le mini-palmier le plus proche, qui galopa vers elle avec énergie, et elle capta facilement les ondes de joie primaire, végétale, de la douce créature. Il était heureux, pas comme un humain pouvait l'être mais comme un mini-palmier planté dans une terre sans herbicide, arrosé juste ce qu'il fallait et bercé par la voix d'un jardinier cubain qui se levait à trois heures du matin pour s'occuper des plantes du jardin pour éviter de gêner les clients, et qui chantonnait tout en travaillant, ce que le petit palmier appréciait grandement. Bref, il avait tout pour bien vivre et c'était cela, pour un arbre, être content. Et tout cela traversa Tefé en quelques secondes, lui arrachant un sourire béat. Bon, elle avait un peu oublié où elle se trouvait, et avec qui, et l'exclamation de surprise de Jason l'arracha à sa séance de câlinage mental avec le végétal.

Pendant une fraction de seconde, elle crut qu'il se moquait d'elle, mais presque aussitôt, elle décida qu'il était tout à fait spontané, et sentit tout un tas d'émotions auxquelles elle n'était pas habituée l'envahir et lui ramollir les genoux. Elle était fière, déjà, de l'avoir impressionnée. Et fière que le petit palmier gagne autant d'attention. Les plantes, les fleurs, les arbres, c'étaient littéralement, dans la vie des humains, du décor, dont ils se fichaient royalement, d'habitude. Et aussi, elle était heureuse comme une gamine. Il disait que c'était trop cool. Il ne s'était pas enfui en courant et en hurlant en la traitant de monstre (même s'il ne l'avait pas encore vue lui fondre dessus, baby steps). « Vraiment, tu trouves ça cool ? Parce que les gens d'habitude trouvent ça dégoûtant alors... » Mais oui, elle savait qu'il ne mentait pas, il n'y avait qu'à voir les yeux qu'il posait sur le petit palmier, alors forcément, elle ne pouvait pas résister à sa demande. La brise agita les feuilles de l'arbre sous les doigts de Jason, ce qui pouvait être un hasard, ou pas. Les hommes auraient dû comprendre depuis longtemps que la nature voulait à tout prix leur donner tout ce qu'ils voulaient, si seulement le respect était mutuel, au lieu de ce rapport de domination qu'ils lui imposaient. Alors quand Jason partit vers le parking, elle se saisit du petit palmier et le glissa dans son dos où il enfonça ses racines, se mêlant sans peine à sa constitution d'élémentaire. « Sois sage, d'accord ? Ne me mets pas la honte, ça a l'air d'être un type bien, pour une fois. » Monsieur Palmier s'en fichait bien, de ça, il ne comprenait même pas ce qu'elle lui disait, mais tout de même.

Arrivée sur le parking, elle redéposa Monsieur Palmier par terre où il défonça joyeusement le goudron pour trouver la terre, et écouta attentivement ce que lui disait Jason. Elle sauta sur la moto avec la délicatesse d'un cow-boy sautant sur sa monture du haut d'un toit. Elle capta surtout "... et on met les gaz". « J'ai compris, c'est pas bien compliqué. Désolée que tu ne puisses pas conduire, mais monte derrière moi si tu veux, je t'emmène faire un tour ! » Dans la tombe, probablement, si on l'avait laissée faire, vu qu'elle n'avait jamais conduit de moto pour de vrai, mais heureusement, elle n'en eut pas l'occasion, du moins pas encore. Une voix entendue mille fois à la télévision retentit soudain en vrai et Tefé vit débarquer Wonder Woman avec un wonder bébé dans son porte-bébé. Elle ouvrit la bouche en grand, probablement pour hurler à nouveau que c'était Wonder Woman, mais tout le monde présent dans ce parking savait que c'était Wonder Woman, même Monsieur Palmier devait le savoir à un niveau subatomique. Que se passait-il ? Une invasion alien ? Une menace interdimensionnelle ? Non, juste le goûter de la petite, la compote avant le biscuit, ou l'inverse, franchement Tefé ne savait plus, elle ne comprenait même pas la scène qui se jouait sous ses yeux. C'était tellement normal. Tellement évident, aussi. Ben oui, la compote avant le biscuit, enfin ! Sa propre mère n'avait jamais exigé de son père qu'il lui donne la racine de pissenlit à manger avant la flaque de boue et du coup, voyez le résultat. Et puis ensuite, Wonder Woman vint sur elle et lui prit la main pour la serrer. Jusqu'à la fin de son existence, Tefé se souviendrait de ce moment avec un mélange d'horreur absolue et d'acceptation nostalgique, ce moment où, toujours le bec ouvert, la main aussi molle qu'une huître, elle s'entendit répondre : « Enchanté, Tefé, oui, merci, vous non plus. » Parfois, elle en rêverait la nuit, s'entendant hurler "vous non plus quoi, ne pas le laisser faire n'importe quoi à sa femme ? en quoi ça te concerne ??" mais ce serait pour plus tard. Non, pour l'heure, elle esquissa un sourire niais et récupéra son huître - enfin, sa main - sans quitter Wonder Woman des yeux.

Ainsi repartit son idole, en laissant sa fille à son mari, de sorte que sa mission du jour venait de connaître une upgrade, devenant "adopte un mec et sa descendance". Pour elle, c'était un plus - les enfants ne l'aimaient pas, mais elle aimait les enfants, un truc qu'il ne fallait pas trop dire à voix haute, à bien y réfléchir, et puis cette petite-là, vu son cocktail génétique, ne pouvait que devenir sa meilleure copine. Tout pour l'impressionner, opération enclenchée. Perchée sur sa moto électrique, sous le regard aveugle mais tout de même un peu moqueur de Monsieur Palmier, Tefé se gratta une joue. Point mort. Embrayage, bouton de démarrage, et vrrroum ! Elle démarra la moto dans un grondement un peu contreténor vu que le moteur était électrique et donc vachement petit-bras, mais tout de même. « Vous voulez monter ? On fait une balade ? Elle a dit que tu ne pouvais pas me faire faire n'importe quoi mais elle n'a rien dit pour moi. » Peut-être parce que le sous-entendu "ne tue pas mon mari ni mon enfant" était implicite, aussi. Elle prit une seconde pour s'imaginer sonnant à la porte de Wonder Woman pour lui dire qu'elle avait tartiné son bébé sur vingt-cinq mètres de bitume à la suite d'un malheureux accident. Meh. « Enfin, tu peux laisser ta fille à Palmier si tu veux, on fera juste un rond sur le parking. » Et, conciliant, Monsieur Palmier s'enroula sur lui-même pour former un genre de boucle au ras du sol où n'importe quelles fesses de moins de trois ans auraient pu se poser. « Sinon, tu me regardes faire ! » Et elle imagina ensuite Jason devoir annoncer à son père qu'il lui avait appris à se trucider en moto pendant un rendez-vous non-galant, et cela la fit sourire. Voilà, elle s'amusait bien, cette journée commençait à être assez extraordinaire.
 

Sous le regard attentif de Monsieur Palmier, Tefé prend sur le parking d'un hôtel écolo sa première leçon de moto. Le tableau est tout autant déroutant qu'amusant. Aussi bien parce que te voilà reconverti en moniteur, que par cette apparition d'un nouveau camarade pour le moins inattendu. T'aimerais bien lui poser des questions, à Tefé, mais ce serait trop impoli. Alors pour l'instant, tu te contentes de dresser des hypothèses dans ta tête – ce qu'on pourrait un peu appeler une déformation professionnelle. Tu ne te souviens pas l'avoir déjà vue dans les dossiers de Bruce sur le bat-computer, et comme il y a peu de chance que ta mémoire te joue des tours, la jolie blonde au goût fort prononcé pour le végétal – euphémisme – n'est vraisemblablement pas un danger potentiel. Ton côté méfiant et pessimiste t'inciterait à te méfier, vilain diable sur ton épaule, mais cette fois-ci, tu fais le choix d'accorder ta confiance. C'est assez rare pour être souligné, et bien trop peu courant pour qu'elle s'en sente flattée. Mais parmi toutes les choses que Diana t'a apprises, il y a cet effort à fournir pour cesser de voir le monde tout noir, et de commencer à l'accepter tel qu'il est vraiment, plein de nuance de gris. Alors voilà, tu invites Tefé à monter sur cette moto, et tu lui apprends les bases de la conduite, sans te soucier de ce qui pourrait advenir ensuite. Tu prends le moment tel qu'il est, en tirant le meilleur, et sans te poser plus de questions que tu le ne devrais. Tant pis si elle t'explique pas qui elle est vraiment et comment elle peut faire tout ça. Et tant mieux si elle le fait. En attendant, ça n'a pas d'importance, et ça n’enlèvera rien aux sourires qui se dessinent sur ton visage depuis qu'elle est venue à ta rencontre. Quelque chose dont tu avais réellement besoin, après des semaines à te morfondre sur ton sort. « Fais déjà quelques tours toute seule, hein. J'ai déjà perdu une main, je veux pas en perdre une deuxième. » Sans offense ! Mais si c'est la première fois qu'elle conduit une moto, c'est quand même mieux que Monsieur Palmier et toi vous vous contentiez de regarder de loin ses premiers pas.

Oh, mais regardez qui voilà ! Non, pas Inspecteur Gadget, mais ta femme et ta fille. Est-ce que c'est considéré comme étant pris en flagrant délit de bêtise ? Oui ? Non ? Ça a l'air de passer. Et pendant que Tefé fait la rencontre de l'une de ses idoles, ou quelque chose comme ça, tu prends les affaires d'Ophelia et la portes dans tes bras. « Coucou toi. » Tu passerais pour un gros niais si tu avouais devant elles que ta fille te manquait déjà, alors tu te contentes de déposer un bisou sur sa tête en guise de retrouvailles. Sobre, discret, sans en faire des tonnes. « Pour info, tout se passe très bien ! » Dis-tu, presque fier comme un coq, d'être parvenu à ne pas provoquer de dégâts et d'avoir endossé ta panoplie complète du parfait jeune homme de vingt-sept ans souriant et sociable. Où s'arrête la vérité et où commence l'illusion ? Mystère. Mais avec Tefé, les faux-semblants disparaissent peu à peu. Ce qui est génial avec elle, c'est que t'as même pas besoin de prétendre quoi que ce soit, elle a l'air plus intéressée par ton naturel – à comprendre, même ton pire côté naturel – que tout autre chose. Après avoir toi aussi reçu ton bisou et noté les consignes pour le goûter d'Ophelia, tu laisses Diana repartir auprès de ses camarades de la journée. Tous les deux main levée pour lui dire au-revoir, vous ne la quittez du regard qu'une fois entièrement disparue de votre champ de vision. Bon, et bien, de deux vous êtes passés à trois, et de trois vous voulez maintenant à quatre ! Plus on est de fous, plus on rit, pas vrai ? « T'as déjà fait du babysitting ? » Si c'est pas le cas, comme la moto, aujourd'hui elle apprendra !

Intriguée par cette nouvelle venue dans son entourage, Ophelia ne perd pas une miette des actions de Tefé, l'encourageant même d'un 'vroom' qui en dit long sur ta passion pour les motos, et la transmission déjà évidente d'un père à sa fille. « Tu fais deux-trois tours de parking et après je te rejoins. » Non, t'as pas changé d'avis, t'as toujours pas envie de prendre le risque tout de suite. Et ce brave Monsieur Palmier étant ce qu'il est, un siège tout désigné pour Ophelia se dessine dans ses branchages. Il n'en aura pas fallu plus pour que son attention aléatoire et souvent brève soit cette fois accaparée par votre ami le petit arbre. Bras tendus vers lui, elle ne se fait pas prier pour prendre place sur son trône, d'un rire cristallin qui te fait fondre, comme à chaque fois. La scène est grandiose, et tu t'empresses de prendre ton téléphone pour envoyer une photo à Diana. « Tu sais quoi ? Comme moi je viens de partager ma passion avec toi, si tu réussis à faire trois tour de parking sans te crasher, on ira tous ensemble à l'endroit de ton choix. Celui que tu préfères, ou que tu aimerais seulement nous faire découvrir. Comme tu veux, t'as carte blanche. » Parce que si elle est enthousiaste à l'idée d'explorer ton monde, toi t'es impatient d'en apprendre plus sur le sien.

AVENGEDINCHAINS

Yeah love is cool but have you ever stepped
on a crunchy leaf ?

Jason & Tefé

Vu que Jason était un père de famille, et que sa relation avec sa fille avait l’air sincère et spontanée – et forcément, Tefé songea à son propre père qui avait toujours su, à quelques exception près, s’attirer son amour et son admiration –, elle fut tentée de lui dire fièrement que oui bien sûr, elle avait déjà fait du babysitting. Daphne, sur laquelle elle veillait depuis pas mal de temps déjà, se portait comme un charme, ses racines étaient fermement enfoncées dans son petit pot de terreau, ses feuilles de laurier bien vertes, elle se dressait fièrement face au monde et tout. Mais enfin elle savait bien que s’occuper d’une plante et s’occuper d’un bébé, c’était pas tout à fait pareil. Encore que les plantes, ça pouvait être très fragile. Mais ça ne vomissait pas. Si vraiment on lui demandait de choisir, elle aurait choisi la plante rien que parce que la plante n'avait pas besoin qu'on lui change des couches. Bref, elle n’avait pas envie de mentir, non pas qu’elle ne le faisait jamais, mais elle n’avait pas envie de lui mentir à lui. « Non… Je ne connais pas de parents, enfin à part toi, maintenant. Je ne connais pas grand-monde tout court, surtout du monde capable de faire des bébés. » Non parce qu’elle connaissait plein d’arbres, d’élémentaires, d’animaux, mais enfin ils ne parlaient pas trop bébés, tous, quand ils se retrouvaient. Tefé écouta la proposition de Jason avec attention. Sa passion à elle ? Elle n’était pas sûre d’en avoir. Rien d’aussi cool que ce que les humains pouvaient imaginer – comme conduire des motos. « Okay, je vais y réfléchir. Deal ! » Elle regarda Ophelia poser ses petites fesses sur le petit palmier et adressa à ce dernier un regard sévère. Make me proud ! Et puisque Jason déclinait sagement sa proposition de monter derrière elle, elle adressa un dernier signe de marin quittant le port à ses trois nouveaux copains, puis serra le guidon de la moto entre ses mains et… vrrrroom, comme disait Ophelia.

La roue avant patina violemment sur le béton pendant quelques secondes sous l’effet du démarrage tout aussi violent de Tefé, puis la moto bondit en avant, et elle avec évidemment. Elle réussit à ne pas se faire éjecter direct en serrant les poignées de toutes ses forces, mais regretta immédiatement sa décision quand le véhicule partit en trombe droit vers le mur de l’autre coté du parking. C’est fou comme vingt mètres en ligne droite peuvent paraître sans fin. Cheveux dans le vent, tout ça. Elle s’entendit pousser un braillement digne d’une créature mi-chèvre, mi-éléphant, et puis quand même, avant d’aller embrasser le mur, elle s’auto-éjecta du véhicule de l’enfer, Christine version moto, cette chose était possédée, il n’y avait pas d’autre explication. Dans les films, le héros atterrit au sol sur le flanc avec la fluidité d’une feuille morte et fait quelques roulades sur lui-même avant de se relever. Tefé s’aplatit sur place comme une crêpe avec un « GAH » couvert par le doux bruit de la moto s’éclatant contre le mur. Elle se releva d’un bond et se figea. La moto était sur le flanc. Pas en miettes, mais quelques pièces de son carénage pas cher – ce n’étaient jamais que des véhicules de location après tout – s'étaient détachées. Tefé regarda la scène de longues secondes, et s'il y avait eu de la terre sous ses pieds et pas du béton, elle se serait littéralement cachée dans un trou. Au lieu de quoi, elle se retourna vers Jason. « C’est pas moi ! » Elle les rejoignit en courant. « Je veux dire, quelle idée aussi de laisser ces engins de l’enfer à disposition de n’importe quelle andouille ? » Comme elle. Elle dansait nerveusement d’un pied sur l’autre. « Bon, une de mes passions c’est fuir mes responsabilités, alors est-ce qu’on s’en irait pas d’ici avant qu’un employé nous demande de rembourser la moto ? Parce qu’une autre de mes passions, c’est de ne jamais avoir d’argent sur moi. »

Elle fit le compte de ses connaissances riches et arriva à zéro. Bande d'inutiles ! Aussi, elle n’avait pas la moindre égratignure, même si sa peau, au niveau du menton, avait l’aspect du bois encore vert, bizarrerie qui se résorbait à vue d’œil pour de la bonne vieille chair humaine. Monsieur Palmier sautillait doucement pour faire sautiller Ophelia, insensible à sa détresse totalement humaine. Grrr ! « Désolée... J'espère que quand ta fille aura l'âge d'apprendre à conduire une moto, elle sera plus douée que moi, sinon tu vas blanchir avant l'heure. Même si je parie qu'elle est invulnérable, elle aussi. » Ce cocktail génétique de la gloire... Elle baissa les yeux et sentit sa peau pâle brûler au niveau des joues, une horreur humaine, rougir, argh ! Parce que Jason lui avait bien tout expliqué mais qu’elle avait été nulle quand même, alors que c’était important pour elle de l’impressionner. Parce qu’il l’avait trouvée cool. Tout n’était pas perdu. Elle releva le nez. « Si on trouve un endroit avec plus de végétation qu’un simple palmier dans un pot… » Monsieur Palmier agita ses feuilles, vexé. « Je pourrai vous montrer quelque chose de vraiment bien. Qui est toute ma vie. » Est-ce qu’ils rentraient à quatre – enfin, deux plus un bébé plus un mini-palmier – sur une moto ? Y avait-il pas loin d’ici un jardin, un micro parc, un square, n’importe quoi ? C’était sa seule chance de se rattraper. Ça, ou prendre l’apparence de Robert de Niro, mais elle devrait d’abord se transformer en bouillie de chair pour ça et il lui restait encore quelques connexions neuronales intactes pour savoir que ce n’était pas le genre de spectacle à montrer à un mini-Palmier.
 

Parfois, c'est vrai, t'aimerais avoir Diana à tes côtés quand tu sens la situation partir en cacahuète. C'était une mauvaise idée. Une très mauvaise idée. Et c'est impuissant, que tu observes Tefé foncer droit vers le mur du parking. Ohoh. L'impact va être brutal. Si ta femme avait été là, elle aurait pu éviter rapidement la collision, et attraper la cascadeuse avant qu'elle ne mange le béton, mais toi, pauvre petit humain sans pouvoir, tu n'as pas d'autres choix que de fermer à moitié les yeux, dents serrées, et prier pour que la casse ne soit pas trop importante. Même si bon, soyons honnête, avec Diana, il y aurait peu de chance que l'idée même de mettre une moto entre les mains d'une novice soit allée plus loin qu'une simple hypothétique connerie à faire. Mais comme c'est toi, et bah, la connerie est bien évidemment allée jusqu'au bout. Boom. L'engin s'encastre dans le mur, laissant échapper quelques boulons et autres bidules mécaniques. Par chance, Tefé, elle, a eu le réflexe de s’éjecter avant de subir le même triste sort. Bouche-bée, Ophelia ne perd pas une miette du spectacle, et très vite, tu sens son regard se poser sur toi. Est-ce de l'amusement ou du jugement que tu lis dans ce regard ? Cette petite a autant de toi que de Diana, ce qui rend parfois l'interprétation de ses réactions approximatives. Mais pour cette fois, on va dire qu'elle est de ton côté. « Tu vois ma chérie, c'est pas donné à tout le monde de savoir rouler une moto. » Puis, subitement moins serein, sentant presque le serment omniscient de ta compagne, tu ajoutes : « Tu diras rien à maman, hein ? » Par chance, si Ophelia commence à s'exprimer, elle n'en est pas encore au stade de réussir à balancer son père. Pas comme ces maudits chats. Mais tu ne te fais pas d'illusions, un jour ou l'autre, elle n'y manquera pas. Et tu ne lui en voudras pas. Parce que hey, c'est vrai que t'as parfois besoin d'être recadré. La preuve.

Inquiet, et un peu coupable, tu vas à la rencontre de la baroudeuse, en un seul morceau, en apparence. « Tout va bien ? Tu t'es pas fait mal ? » Parce que le cri qu'elle a poussé n'avait vraiment rien de rassurant. Et maintenant que le crime a été commis, et que cette pauvre moto gît inconsciente sur le bitume, elle propose un délit de fuite. Quelle petite délinquante, t'as l'impression de te revoir quand tu foutais le bordel dans les rues de Gotham. En essayant de voler les pneus de la Batmobile, par exemple. « On peut partir, mais je vais laisser un mot et leur dire que je reviendrai la réparer. » Parce que tout ça, c'est quand même un peu ta faute. Et t'as pas envie qu'un pauvre employé soit viré dès le premier jour à cause de toi et des dégâts que t'as entrainé. En plus, t'aimes bien bidouiller les deux roues, alors tu feras d'une pierre deux coups, racheter ta culpabilité, et t'exercer à ta passion. Un challenge, avec une seule main, mais un challenge qui ne te fait pas peur. Disons que ça prendra simplement un peu plus de temps. « En plus, oublie pas qu'il y a eu un témoin. » Et oui, ni plus ni moins que Wonder Woman. De quoi dissuader votre délit de fuite. « Hé, tu t'es pas si mal débrouillée que ça, pour une première fois. Quand j'ai commencé, j'étais pas plus doué que toi. J'ai même eu une petite cicatrice sous le menton, après avoir volé la tête la première sur le trottoir. » Une cicatrice qui n'existe plus aujourd'hui, effacée dans le Puits de Lazare, en même temps que tes blessures profondes infligées par le Joker – mais ceci est une autre histoire. Tu lui dit tout ça pour ne pas qu'elle se décourage, c'est vrai, bien que ce ne soit pas un mensonge pour autant. Elle a fait vingt mètres, c'est déjà pas mal !

Après avoir récupéré Ophelia, laissant Monsieur Palmier attristé de l'absence soudaine de sa partenaire, tu écoutes la proposition de Tefé pour la suite de la journée. Hum, ça doit pouvoir se trouver, le problème, c'est que tu connais pas du tout Coast City. C'est la première fois que tu mets les pieds ici, alors si elle compte sur toi pour être le guide, c'est raté. Mais t'as quand même une petite idée pour résoudre votre problème. « L'avantage d'avoir de l'argent sur soi, c'est de pouvoir appeler un Uber. » Parce que ni elle ni toi n'êtes en état de conduire qui que ce soit sur une moto. De ton téléphone, tu commandes donc un chauffeur, qui sera là dans cinq minutes. Juste le temps de récupérer toutes les affaires d'Ophelia, de l'attacher au porte-bébé sur ton torse, et de laisser un mot avec ton numéro de téléphone pour les employés de l'hôtel. Voilà, on ne pourra pas te reprocher d'être un sale type. Quand votre Uber arrive, tu t'installes à l'arrière aux côtés de Tefé et de Monsieur Palmier. « On aimerait aller à l'endroit de Coast City où il y a le plus de verdure et de végétation. » Voilà, lui il connait la ville, qu'il se débrouille avec cette info. Et comme il acquiesce avec le sourire, tu te dis que finalement, des demandes loufoques, il en a probablement entendu de bien pires.

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Jason & Tefé

Comme Tefé n’avait encore rien trouvé sur cette planète qui soit capable de lui faire vraiment mal, de manière vraiment dangereuse et vraiment irrémédiable, elle était bien peu habituée à ce qu’on lui demande si ça allait. Bébé déjà, à l’âge d’Ophelia qui la fixait d’un air inquiétant, l’élémentaire se faisait exploser – littéralement – pour le plaisir. Incapable de trouver des mots utiles pour répondre à la question de Jason, elle agita la main devant elle, comme pour minimiser ce qui venait de lui arriver. « Faites que l’humiliation disparaisse vite, s’il vous plaît », ou quelque chose comme ça. Elle écarta les bras pour lui montrer qu’elle n’avait pas d’autre bobo qu’à son orgueil – son tee-shirt était déchiré, mais comme ce n’était pas le sien à la base, ce n’était pas grave. Elle adressa des grimaces à Ophelia comme elle avait vu faire souvent les adultes avec leurs enfants, mais la petite resta de marbre. Puis tapa dans ses mains en émettant un bruit qui ressemblait à « brrmmm » ou « bbrrff », sans se départir de son air sérieux. Soit l’accident lui avait plu, et alors en moins de deux minutes, Tefé venait de devenir le pire exemple de la création pour la fille de Wonder Woman, mais avec le propre père de l’enfant, donc torts partagés, soit il s’agissait là d’un débriefe assez correct de ce qui venait d’arriver. Dans tous les cas, Tefé ne voulait pas rester là à attendre de se faire pincer, sauf que Jason voulait laisser un mot. Elle le regarda avec des yeux ronds. « Mais… Ils sauront que c’est nous qui avons cassé la moto si tu fais ça… » Ce qui était justement le but, ce qui expliquait pourquoi Tefé ne comprenait pas pourquoi Jason voulait laisser un mot, mais alors elle repensa à Wonder Woman, elle croisa de nouveau le regard hiératique d’Ophelia puis le visage neutre quoiqu’intraitable de Jason, et laissa tomber le menton en avant. Bon, ce n’était pas grave. Elle n’avait pas de papier, même pas d’identité officielle. Et même si on la retrouvait pour lui faire payer ses dettes, elle n’avait pas d’argent.

Elle accueillit les encouragements charitables de Jason avec un sourire gênant à esquisser autant qu’à regarder. Mais elle ne s’en dressa pas moins sur la pointe des pieds pour observer son menton à la recherche de ladite cicatrice, qu’elle ne trouva pas. Alors, pieux mensonge ou anguille sous roche ? Après tout, elle ne savait pas qui il était vraiment – « le mari de Wonder Woman », ce n’était ni sa nature, ni son occupation, ni sa recette secrète. Elle-même n’avait aucune cicatrice parce qu’elle pouvait bidouiller sa chair à volonté, c’était même souvent indépendant de sa volonté. « Je vois rien. Mais enfin c’est pas grave. Les cicatrices sont là pour nous rappeler que le passé n’a pas été qu’un rêve. » Dit-elle avec sérieux. Alors que c’était une citation de La légende du Dragon Rouge, elle avait bien aimé ce film parce que ça tatannait dans tous les coins. Ou alors, ça venait d’un autre film, en fait, elle ne savait plus. Une histoire de dragon rouge en tout cas. Elle regarda Jason s’arnacher comme s’il se préparait à partir au Vietnam, et elle trouvait que c’était vachement de boulot d’être père, tout de même, surtout qu’Ophelia n’aidait pas du tout. Histoire de ne pas se sentir en reste, elle tendit la main à Monsieur Palmier, qui lui sauta à la figure comme un bébé alien qui sort de son œuf, et c’est avec un peu moins de grâce qu’elle réussit enfin à caler le végétal sur son épaule, où il planta derechef ses racines. Il commençait à se sentir un peu trop à l’aise, celui-là.

Ils s’entassèrent dans le Uber, Tefé faisant un peu la gueule jusqu’à remarquer que la voiture était électrique, ce qui était déjà ça. À la demande de Jason, le chauffeur, qui faisait très fort semblant de ne pas trouver leur petit groupe un peu louche tellement il était professionnel, hocha la tête en lâchant : « Oh, oui, le parc Jordan ! » Cela suffit à faire rire Tefé tout le long du trajet. « Tu te rends compte, tu sauves l’univers deux fois par semaine et en remerciements on donne ton nom à un parc. Ophelia, ne deviens jamais une héroïne, c’est trop de travail et un jour les gens attendront leur bus à l’arrêt Ophelia Prince-Todd. » Bon, ce n’était peut-être pas une chose à dire à un bébé, surtout quand il s’agissait du bébé d’une héroïne, surtout en présence de son père qui lui-même… Elle regarda Jason. « Tu travailles avec ta femme ? Toi aussi tu fais partie de la Justice League ? » Oui, c’était un peu brutal, mais enfin ils étaient censés apprendre à mieux se connaître, alors… Cela suffit à faire passer les quelques minutes en Uber jusqu’au parc Jordan, où Tefé descendit et attendit modestement que Jason paie la course – sinon, ils finiraient leur rencard au poste de police. Le parc était plutôt pas mal, des allées bien entretenues, mais dès qu’on les quittait, beaucoup de végétation, de l’herbe bien grasse, des arbres jeunes et droits, des bosquets de buissons qu’on laissait grandir comme ils le voulaient dans la limite du raisonnable pour un lieu public, et ornés de fleurs multicolores. Une nature de bord de mer, et de ville où le soleil brillait souvent, et elle sentait Monsieur Palmier gigoter dans son dos, tout content. Oh, je sais ce que tu veux.

Elle fit signe à Jason de la suivre hors d’un chemin, dans un petit bosquet d’arbres à l’abri des regards, puis elle se planta entre deux tamariniers au feuillage dense et posa une main sur chaque tronc, avant d’adresser un sourire à Jason. « N’aie pas peur, d’accord ? » C’était important pour elle de le préciser. Sa peau pâle se couvrit d’un hâle légèrement vert, à peine perceptible, et des brindilles poussèrent dans ses cheveux dont l’apparence ressemblait désormais à de la paille, et des fleurs s’épanouirent au bout des brindilles, et d’autres s’enroulèrent autour de ses bras jusqu’à ses doigts qui semblèrent fusionner avec les troncs des tamariniers, et alors ceux- frissonnèrent soudain, et leurs feuilles s’agitèrent en émettant un froissement doux, comme secouées par le vent. Partout autour d’eux, la végétation prenait vie, l’herbe poussait et ondulait, les buissons remuaient alors que de nouvelles branches se glissaient le long des autres et donnaient naissance à des feuilles un peu fantasmagoriques, et du lierre rouge et violet et jaune jaillit du sol pour s’enrouler autour des troncs des arbres et les branches s’abaissèrent sous le poids des feuilles et des fleurs qui s’ouvraient sur ses pointes, et tout ça faisait un vrai boucan, en fait, froissement, crissement, froufroutement, grincement, chuchotement, mais c’était la joie, la joie totale, sous l’impulsion de Tefé. Monsieur Palmier sauta à terre de lui-même et alla se planter, littéralement, sur un côté, tout content de se nourrir de la terre grasse où remontaient les vers, les coléoptères colorés, les petites souris et autres joyeusetés. Tefé baissa les bras et afficha un sourire radieux. « Alors, vous en dites quoi ? C’est joli, non ? C’est ça que j’aime faire. » Même si elle aurait eu du mal à définir ça.
 

Ouhlala, non, surtout pas. C'est vrai que ça peut porter à confusion, mais non, tu n'as rien d'un super-héros. Et elle pourra vite comprendre à quel point elle en est loin, avec ce hochement très vif de la tête. Toi, aucun risque que l'on renomme un parc en ton honneur. Il n'y aura jamais de parc Todd, ou de stade Red Hood. Parce que même si tu passes tes nuits à sauver des vies, et bien, disons que tes méthodes ne sont pas trop le genre à être louées par les autorités. Par les Gothamites, ça peut-être que oui, mais Gordon et le maire, pas franchement. « Un arrêt de bus ? Arrête, elle aura mieux que ça. » Parce que même si tu ne forceras jamais ta fille à entreprendre quoi que ce soit pour simplement suivre les traces de ses parents, tu te doutes pas que cela reste une très forte possibilité. Sans même parler de cette vision du Dr Fate, lors d'une attaque du Syndicat, qui t'a annoncé que ta fille deviendrait un jour l'espoir de l'humanité. Une information dont tu n'as jamais su quoi faire, mais que tu n'as jamais oubliée, malgré le peu de surprise ressentie sur l'instant. Ophelia est la fille de Wonder Woman, élevée dans la lutte perpétuelle contre le crime, nourrie aux idéaux de justice, alors oui, clairement, tu t'attends à ce qu'elle prenne un jour la relève. Celle de Diana, pas la tienne. Car même si tu crois fermement en ce que tu fais, et à tout le bien que tu apportes en ne permettant plus au criminel de récidiver, ce n'est pas une voie que tu souhaites voir prendre ta fille. Faire les choses biens, oui, mais pas en dehors des sentiers battus. « Et non, non. On travaille pas ensemble. Ma façon de voir et d'entreprendre les choses ne rentrent pas du tout dans le code morale de la Ligue. Et c'est très bien comme ça. » Est-ce que tu en as dit trop ou pas assez ? Qu'importe, si elle veut rester sur ce terrain là, tu y répondras avec le plus de franchise possible. Tu n'as pas honte de ton alter ego, encore moins en compagnie d'une femme qui semble partager tes tendances borderline. Et vraiment, ça fait du bien.

Après avoir payé le chauffeur, vous arpentez le fameux parc Jordan, qui effectivement, il ne s'est pas trompé, est joliment fleuri à cette période de l'année. Au milieu de la verdure, les éclats de rire des enfants troublent le silence qui s'est imposé naturellement entre vous, tandis qu'Ophelia cherche à attraper de ses petites mains tous les insectes qui ont le malheur de l'approcher d'un peu trop près. Désormais simple suiveur, tu laisses Tefé te guider dans les profondeurs inexplorées du parc, où l'entretient s'est arrêté plusieurs mètres en arrière. Une surface boisée, où la végétation s'est dispersée et épanouie sans influence humaine. Tu l'as bien compris tout à l'heure, elle est directement liée à cet environnement, et peut-être même qu'elle y appartient totalement. « J'ai pas peur. » Loin de là, t'es curieux d'en apprendre un peu plus sur ta mystérieuse camarade. Tu connais bien Poison Ivy, mais ses capacités à elle semblent différentes, bien que semblables en certains points. Est-ce d'une façon similaire qu'elle a obtenu tout son pouvoir ? Ou peut-être est-ce génétique ? Ou le dommage collatéral d'un accident biochimique ? Tant de questions, mais aucune que tu ne poses pour l'instant, préférant assister au spectacle sans le troubler d'une quelconque façon. Si tu as déjà eu un aperçu de son talent sur le parking, cette fois, le tableau qui se dessine sous tes yeux est incomparable. En communion parfaite avec la nature, fusionnant avec elle, Tefé fait naitre tout autour de vous une succession d'épanouissement naturel et absolu. L'herbe, les arbres, les feuilles, tous semblent même produire un son, comme un concerto de la nature en parfaite harmonie. « Oh putain. » Jamais tu n'avais assisté à quelque chose d'aussi beau. Ou peut-être qu'avant ça, tu n'avais pris vraiment la peine de regarder ? « J'ai l'impression d'être au pays des Merveilles. » T'as pas bu de thé, mais le résultat reste identique, un monde qui t'était complètement inconnu, mais qui loin de t'effrayer, te fascine complètement.

Et tu le sais, Ophelia reste elle aussi bouche-bée face au tableau de vert, de rouge, de jaune, et d'une centaine d'autres nuances de couleurs somptueuses. « Ce que j'en dis ? J'en dis que la moto et moi on peut aller se rhabiller. » Tu lui as proposé de rouler sur du bitume avec un engin dangereux, et elle, elle t'offre ce spectacle. Elle a largement gagné le prix du hobby de l'année. Enthousiasmée par tout ce qu'elle voit, Ophelia rit tout en ne sachant plus où donner de la tête. Pour elle aussi, c'est une belle première fois. « C'est magnifique. » Et tu l'avoues avec la sincérité la plus absolue. Cette journée aura, pour l'instant, était en tous points parfaite. Cet apaisement que tu ressens au milieu de tout ça, tu te demandes s'il est feint, ou si la végétation a une réelle influence sur toi. « Comment tu peux faire tout ça ? » Oui, tu n'as pas pu tenir plus longtemps, il faut que tu saches. Tu comprendrais qu'elle refuse de te conter son histoire personnelle et les circonstances d'une telle faculté, mais t'as pas pu te retenir plus longtemps. T'aimerais en apprendre encore plus, en voir encore plus. Parce que tu le sais, ce que t'est en train de vivre est précieux et unique.  

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Jason & Tefé

À bien y réfléchir, elle ne faisait pas ça souvent. Depuis toute petite, elle concevait la nature sous des angles plus aigus que son simple aspect esthétique, qui pourtant n’était pas simple, justement, et avait une réelle portée. C’était ancré si profondément chez les humains, que la nature était un simple second plan pour le film de leur propre existence, que c’en était même devenu un synonyme – paysage, décor, spectacle. Quelque chose à admirer, avec raison, mais pas quelque chose à réellement intégrer dans sa vie, et donc dont on n’avait pas besoin de prendre soin. Et pour Tefé, il y avait deux camps, la nature d’un côté (elle-même si complexe), et les hommes de l’autre. Et elle avait passé plus de temps à se servir de ses pouvoirs pour user de violence contre les humains que simplement pour magnifier ce qui était déjà extraordinaire, et encore moins pour l’attention d’humains. Même si Jason et Ophelia n’étaient pas des humains lambda – voire pas des humains du tout, pour ce qu’elle en savait. Même pour elle, ça avait fini par devenir accessoire, alors que ça aurait au contraire dû être l’élément le plus important dans sa vie, elle s’en rendait compte en voyant la réaction d’Ophelia. Les enfants, les pages blanches par excellence, c’était pour cela qu’elle les aimait bien, parce qu’ils incarnaient un possibilité, chacun d’entre eux, encore et encore. Celle que peut-être, un jour, une génération traiterait mieux la nature que la précédente, même si elle n’y croyait pas, c’était plus le discours de son père, ça. Peut-être que plus tard, Ophelia se rappellerait ce moment et se demanderait si la nature n’était pas vivante, et si du coup ça ne valait pas le coup de la choyer en tant que telle. Et Jason ? Ce qu’elle savait de lui jusque-là, c’était qu’il était probablement le type le plus passionnant de la planète Terre, entre son mariage, ses hobbies, son travail mystérieux mais dont, tout à l’heure dans le taxi, elle avait cru discerner les contours et s’y retrouver quelque peu, père de famille, blessé, et venu participer à cette drôle de fiesta dans un hôtel de luxe en dépit de tout, autant d’introductions pour autant d’histoires différentes qu’elle n’entendrait jamais, mais cette journée s’était totalement transformée en « Adopte une meuf-cheloue-mais-pleine-de-bonne-volonté-quand-ça-l’arrange ».

Il lui avait dit qu’il n’avait pas peur, et il n’avait clairement pas peur. Ni pour lui ni pour sa fille, ce en quoi elle voyait une marque ultime de confiance. De sorte qu’elle fit les gros yeux à un gros scarabée licorne tacheté qui s’approchait un petit peu trop près de l’enfant de peur qu’il n’aille tout gâcher, et la bestiole fit demi-tour, confuse – si, si, confuse, Tefé le voyait bien dans la façon dont il baissait sa petite corne. Ses bras retrouvèrent une apparence normale, de même que le reste de sa personne, alors que le petit coin de paradis, lui, resterait comme ça jusqu’à ce que la nature en décide autrement – ou une équipe municipale des espaces verts un peu trop zélée. « Je baptise cet endroit le « parc Ophelia » ! » Annonce qui ne déclencha pas grand-chose chez l’intéressée malgré toute la fierté dont Tefé se sentait pleine à craquer, mais bon, elle était petite, aussi, il aurait probablement fallu que Tefé soit une élémentaire de peluche ou de tétines pour briller un peu plus à ses yeux. Elle chassa une nuée de fourmis qui avaient commencé à escalader sa jambe droite d’un revers de main et se planta, métaphoriquement, à côté de Jason, pour observer la petite dont les yeux étaient toujours aussi écarquillés. Il lui demandait comment elle avait fait ça, et ça aussi ce n’était pas quelque chose qu’on lui demandait souvent, vu que d’habitude les gens avaient plutôt tendance à partir en hurlant face à elle – vu que d’habitude, elle avait plutôt tendance à s’en prendre à eux. « C’est ce que je suis, c’est comme respirer ou bouger un bras ou une jambe. Je ne suis pas complètement humaine, je suis… Euh, ben, à moitié plante. Pas la plante en pot de service, la plante aussi vivante que toi et moi. Les hommes disent que je suis une élémentaire, histoire que ce soit bien clair que je ne suis pas comme eux, mais ça me plaît bien. En vérité, d’habitude, je n’aime pas trop les humains. Mais toi, ça va. » Il ne pouvait pas en douter après ce qu’elle lui avait montré, non ? Même si le mot « vivante » n’était pas à prendre au sens strict de la définition. Elle aurait bien voulu lui parler de son père, maintenant, mais elle savait que des tas de savants fous et d’organisations secrètes du gouvernement rêvaient de lui mettre la main dessus et c’était un secret qu’elle ne pouvait pas balancer, même dans ce moment d’euphorie.

De toute façon, ils vivaient dans un monde où des aliens se baladaient main dans la main dans le ciel de toutes les villes ; où les alter ego maléfiques poppaient dans tous les coins depuis des mondes parallèles, où les immortels et les sorciers se marchaient dessus. Jason lui-même était marié à Wonder Woman. Alors il ne pouvait pas ne pas la croire. Bien sûr, manipuler la nature, ça resterait toujours moins impressionnant, presque plus « humain », que ce que faisaient Superman ou Green Lantern. « J’avais oublié que j’aimais faire ça. D’habitude, je me sers plus de mes dons pour… Tu sais… » Elle mima mollement un acte de violence par végétation, ce qui était impossible à mimer, donc ; doigts qui s’agitèrent vaguement dans l’air accompagnés d’un grognement de chihuahua, un bon résumé de ce qui était en vie puis qui était mort, non ? Il ne pouvait pas deviner si elle n’en disait pas plus, mais elle sentait quand même qu’il le pouvait un peu, tout comme elle avait cru deviner, dans ses propos nets et sans filtre, la façon dont il assumait de ne pas être comme sa femme. Mais oui, elle avait oublié le plaisir et la beauté de la nature pour n’en garder que sa violence, puisqu’après tout, elle pouvait aussi être d’une violence cruelle ou simplement pragmatique. « C’est un secret, d’accord ? Je ne veux pas me retrouver disséquée sur une table d’opération. » Puis après une pause elle ajouta avec tout le détachement et la coolitude dont elle était capable, c’est-à-dire pas beaucoup : « Enfin, tu peux en parler à ta femme si tu veux. » Et elle me trouvera cool *lunettes de soleil* yeaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Elle arrivait à se voiler la face efficacement sur ce sujet, sachant qu'elle avait plus en commun avec Jason qu'avec Wonder Woman.

Elle agita la main en guise d'adieu en direction de Monsieur Palmier, qui resterait là maintenant qu’il avait recouvré la liberté. Il fallait peut-être qu’ils retournent à l’hôtel, non ? Elle se sentait toute guillerette, et du coup, c’est sans retenue qu’elle reposa les yeux sur Jason. « Pour me décider à t’adopter ou pas, il faut que je sache : pourquoi est-ce que tu te bats, toi ? » Vaste, très vaste question, aux interprétations multiples, ce qui était le but. Elle préférait que Jason choisisse de la comprendre comme il le voulait, et lui dise ce qu’il avait envie de lui dire, pas ce qu’elle voulait savoir. Elle se battait pour le parc Ophelia, elle, en résumé, et ce n’était pas parce qu’il était joli, ce parc, que le combat était joli. Et lui, avec ses trois mille vies – de motard, de mari, de père, de propriétaire d’île déserte, de type du fond de la classe assis à côté du radiateur loin des membres de la Justice League au premier rang, de manchot, de mec qui s’attirait des problèmes sans pour autant avoir peur de les régler, et de tout le reste qu’il ne dirait jamais –, qu’est-ce qu’il était, finalement ? Même si elle savait déjà qu’à la fin de cette journée, de retour à l’hôtel, elle refuserait de signer les papiers d’adoption. Pour lui, en tout cas. Pour Ophelia, tout était encore possible.
 

Elle te touche, Tefé. Y a quelque chose en elle qui t'atteint en plein cœur. Peut-être que c'est cette impression qui se dégage d'elle, celle de ne pas être à sa place dans ce monde, et que tu as toi-même ressenti pendant de longues années. La société d'aujourd'hui est un piège à loup dont tu as longtemps essayé de t'extirper. Tu rentrais pas dans les bonnes cases, alors forcément, on a cherché à te foutre dans l'une d'elles un peu au hasard, parce que c'est la règle pour exister. T'étais le délinquant, le gamin des bas côtés qu'on regarde pas vraiment, de peur de sentir une culpabilité dont ne veut pas, et qui pourrait troubler le sommeil la nuit venue. Ton père était un criminel, ta mère une droguée, et quand l'un a été emprisonné et l'autre décédée, tu t'es retrouvé bien trop tôt à devoir apprendre à vivre tout seul. Sauf que personne ne t'a jamais réellement aidé. On te regardait bizarrement, parce que les gens sont toujours mal à l'aise face à la misère. Trimballé de foyer en foyer, tu savais pas qui t'étais, ni ce qu'on attendait de toi. T'étais une ombre dans une ruelle, un gamin qu'on a condamné trop tôt par sa différence. Une différence que tu n'as pas choisie, elle t'est tombée dessus, comme ça, sans que tu puisses y changer quoi que ce soit. L'orphelin qui a tenté de voler les pneus de la Batmobile, voilà ce que tu as été pendant longtemps. Et Tefé, quelque part, elle fait écho à ton propre passé. Parce que toutes ces merveilles qu'elle te fait voir, ces beautés pour les yeux et l'âme, elle les fait naitre dans un coin reculé. Elle les cache. Par peur qu'on vienne leur faire du mal ? Ou par crainte du regard des autres ? Parce qu'elle aussi, a été jugée différente. Comme s'il existait un tribunal qui prendrait les décisions de ce qui est normal et de ce qui ne l'est pas. Et c'est stupide, parce que si tout le monde voyait ce que toi tu vois maintenant, les cœurs n'en seraient que plus adoucis. « Alors chaque fois qu'on sera de passage, on viendra au parc Ophelia. » T'espères sincèrement que ta fille se souviendra de cet instant. Il est toujours compliqué d'estimer ce qu'un enfant conservera dans sa mémoire à un âge aussi peu avancé, mais vraiment, pourvu qu'elle s'en souvienne.

Pas complètement humaine, c'est ainsi qu'elle se définit elle-même. Et c'est précisément son aspect non humain qui est le plus beau. Tu ne veux pas avoir l'air trop fasciné – pour ne pas ressembler à tous ces gens qui en feraient tout autant mais avec une idée bien précise derrière la tête – bien que ce soit rudement difficile. « J'aime pas trop les humains non plus. » Pas besoin d'être catalogué mi-plante ou élémentaire pour avoir en horreur leurs manières. T'habites à Gotham, chaque nuit tu entrevoies leurs pires facettes, alors il est évident que Tefé prêche un convaincu. « Merci de me faire confiance, ça m'est très peu arrivé dans ma vie. » Parce que c'est de ça qu'il s'agit, pas vrai ? Tu ris quand elle mime approximativement un acte que tu reproduis toi-même très souvent, mais derrière cet aveu, il y a une confiance. Et c'est ça  que tu retiendras de cette journée inattendue. T'as fait la rencontre d'une fille qui n'a pas conscience d'à quel point elle est merveilleuse, et qui en plus, a trouvé en toi quelqu'un à qui s'ouvrir sans peur. Quoi qu'elle te dise, quoi qu'elle fasse, tu seras toujours le dernier sur cette planète à la juger. Tu comprends la colère. Tu comprends le mépris. Et jamais tu ne blâmeras qui que ce soit d'en faire parfois usage. Evidemment, la confiance est réciproque, et tu ne doutes pas que tous ceux qui sont passés entre ses griffes – enfin, ronces – l'ont bien mérité. Tu protèges ta ville, elle protège son environnement, en quoi son combat est différent du tien ? « Ton secret est bien gardé avec moi. Et avec Diana. Tu sais qu'elle peut parler avec les animaux ? Je me demande si elle peut le faire aussi avec les plantes, qui sont aussi des êtres vivants. Faudrait qu'on fasse un test, un jour. » Promesse sous-entendue de se revoir. Parce qu'évidemment, tout ceci ne peut pas s'arrêter à cette journée. Enfin, si elle le veut bien, bien entendu.

Et c'est maintenant à ton tour, de t'ouvrir à elle, sans peur. Tout ça, c'est son intimité, et c'est tellement plus représentatif que des mots ou qu'un accord à partager un lit. Ils doivent être carrément nazes les autres rendez-vous, comparés au tien. Jetant de temps à autre des regards à Ophelia pour être certain qu'elle ne fasse pas de bêtises, tu cherches comment exprimer une réponse à une question que tu te poses toi-même souvent. « Tu sais que je me le demande, parfois ? » Sourire figé sur les lèvres, à la fois emprunt de mélancolie et de doutes. Tous ces sacrifices pour une finalité qui n'aboutira peut-être jamais. « C'est cliché si je dis que je me bats pour un monde un peu meilleur ? Surtout depuis qu'elle est arrivée. » Tu désignes ta fille d'un signe de la tête. Tu te battais avant, pour un millier de raisons, et principalement pour extérioriser ta haine et ta frustration. Des vocations égoïstes mélangées à un but qui l'était beaucoup moins. Et puis Diana est arrivée, suivie d'Ophelia, et aujourd'hui, tu commences à voir les choses différemment. « Avant, j'étais bouffé par ma colère. En colère contre le monde entier, et surtout envers moi-même. Alors je sortais, et j'évacuais tout ça par la violence. Ça me faisait du bien, et en plus je nettoyais un peu les rues de Gotham. » Pas besoin de dire explicitement les choses pour qu'elle comprenne, non ? « Et maintenant, je crois que je me bats pour que ma fille n'hérite pas de nos erreurs. Je sais qu'elle est à moitié Amazone et qu'elle sera tout aussi douée que sa mère, mais je veux que cela devienne un choix, pas une obligation. Je veux qu'on assume nos conneries, et je consacre mon temps à essayer de les réparer, pour qu'Ophelia n'ait pas à le faire pour nous plus tard. » Vision peut-être utopiste, mais c'est en tout cas ta façon de voir les choses. Si ta fille doit sauver le monde un jour, qu'elle le fasse, mais pas sans avoir essayé de le faire toi pour elle avant.

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Jason & Tefé

C’était le moment où elle commençait à se sentir gênée. Ce moment où on avait fait des confidences, et où on ne savait plus comment rebondir, après ça, sans mettre l’autre mal à l’aise, s’il ne l’était pas déjà. De manière générale, elle ne parlait pas à grand-monde, elle vivait une vie de solitude et tapait la discute aux plantes et aux animaux, ou parfois à personne, pendant des jours, des semaines, voire des mois. Alors maintenant, elle hésitait entre une blague lourde et se servir d’Ophelia comme prétexte pour relancer la discussion, sauf que bien sûr, elle avait oublié qu’une discussion, justement, ça se faisait à deux, et qu’elle n’avait pas à se sentir seule embringuée dans cette galère. Franchement, elle ne pouvait pas dire si ça coûtait à Jason de lui parler, ou si se confier à elle ne lui demandait aucun effort. On pouvait se confier rarement, mais n’avoir aucun problème à le faire. En tout cas, elle pouvait comprendre quand il lui disait que les gens qui lui faisaient confiance étaient peu nombreux. Enfin, non pas qu’il émanait de lui une vive anti-confiance, hein. Pfou, celle-là, elle était contente de ne pas l’avoir dit à voix haute, elle n’aurait pas su s’en expliquer, ensuite. Mais bref, en tout cas sa femme lui faisait assez confiance pour le lâcher, tout en beauté et en short de bain, au bord de la piscine d’un hôtel en pleine séance de blind date, c’était déjà pas mal. Dans le fond, ce qui comptait, c’étaient les gens à qui on faisait confiance et qui nous faisait confiance, et pas leur nombre. En cela, Tefé n’était pas très douée non plus, comme elle avait du mal à déchiffrer les humains, mais elle compensait par une méfiance naturelle, pour ne pas dire génétique, et sa détestation quasi uniforme et généralisée de l’espèce humaine. Trait de caractère qu’elle partageait avec Jason, a priori.

Mais pas par sa femme. Qui parlait aux animaux. Ooooh boy, elle ne savait pas ça. Elle gigota sur place, elle avait forte envie d’en savoir plus, de lui poser la question, est-ce qu’elle était connectée au Red, du coup, ou est-ce que c’était un truc de déesse, après tout, dans la mythologie, les dieux parlaient plus aux animaux qu'aux hommes. « Elle est géniale ! La prochaine fois, je vous présenterai mon chien, il adore parler aux humains. » Même si les humains ne le comprenaient pas. Même Tefé ne le comprenait pas toujours, cela dit. Il était un peu bizarre, son chien, parfois. Mais elle s’y voyait déjà, invitée au repas familial du dimanche, à table, entourée de son héroïne, son ex-futur mari et sa belle-fille d’une autre vie – un vrai scénario de film d’horreur, vu de l’extérieur, le paradis pour elle, sauf qu’elle était mal élevée, qu’elle n’avait jamais mangé à table de sa vie à part dans sa chaise haute de bébé en mangrove quand elle était petite et que voilà, du coup, elle n’était pas prête à s’humilier après tout ce chemin parcouru auprès du couple. Elle baissa les yeux sur Ophelia, qui faisait sa vie sans s’occuper d’eux, elle avait bien raison, avant de regarder de nouveau Jason. Un sourire en coin étira son visage. Elle comprenait ce qu’il lui disait et en même temps elle ne pouvait pas comprendre. Elle comprenait celui qu’il était avant, et les combats qu’il menait avant, parce qu’elle en était elle-même là de sa vie – tuer, nettoyer les rues, enfin plutôt les forêts, et la colère, ah ça oui, elle savait faire. Mais elle ne pouvait pas comprendre sa version d’un monde meilleur, parce qu’ils n’avaient probablement pas la même vision du monde, justement. Un monde meilleur pour Ophelia sera un monde où la nature ne serait pas morte, asséchée, transformée en cendres. Mais pour sauver la nature, Tefé était prête à se débarrasser des hommes. En fait, il n’y avait pas d’autre solution, là, tout de suite. Si un jour les humains devaient apprendre, ce serait dans cent, deux cent, trois cents ans peut-être. Et elle, elle ne vivrait pas trois cents ans. Enfin elle ne croyait pas… Et puis, elle n’aurait pas d’enfant, ça en revanche, elle en était sûre. En revanche, elle avait un père qui sortait de l'ordinaire, tout comme Ophelia.

« J’avoue que ça tombe plutôt bien que ta fille vous ait tous les deux comme parents. Elle a de la chance. Je suis du genre à penser que le monde que tu vas lui laisser sera pire que celui dans lequel tu as grandi. Mais je comprends pourquoi tu le fais. Je suis juste pas certaine que ça serve à quelque chose. » Mais enfin, ne pas être sûr de changer les choses n’était pas une excuse pour ne rien faire. Cependant, en rage comme elle était, elle pensait encore que la manière forte était plus efficace. Peut-être que ça ne réglait rien. Mais ça débarrassait un sacré paquet d’ordures, même si les ordures humaines, c’était sans fin. « J’imagine qu’on n’a pas la même définition d’un monde meilleur. Mais je pourrais croire en un monde où elle serait heureuse. » Elle regardait Ophelia en disant cela. Oui, voilà le terrain d’entente. Et sinon, c’était bien trop complexe à expliquer pour un premier rencard. Encore qu’elle était sûre qu’elle n’avait pas besoin de tout expliquer. « Cela dit, c'est pas parce que ton but est différent et tes méthodes doivent foncièrement changer. Gotham, en plus, c’est une sacrée poubelle. Enfin, tant que ta prochaine étape n’est pas de faire de la politique… » Elle poussa un sourire faussement déçu. « Pfff, c’est dommage… Tu étais presque le mec parfait… Mais je crois que ça ne marchera jamais entre nous, toi le justicier, moi la criminelle… » Et là, elle eut une fraction de seconde pour décider, tel un ordinateur passant en revue toutes ses options dans les films, entre tenter le high-five, déposer un baiser sur sa joue, lui serrer la main, oh wait, l’autre main, finalement leva le bras, amorça un mouvement louche qui s’acheva en claque façon bro code sur le bras.
 

Et bien, toi qui ne te considérais déjà pas comme un grand optimiste, il semblerait que tu viennes de trouver encore pire. C'est d'un rire franc que tu accueilles la franchise de Tefé face à ton discours un peu cliché mais terriblement sincère. Mais est-ce que tu peux lui donner tort ? Non, pas vraiment. Et il est plus que probable que si tu n'étais pas devenu père, tu aurais embrassé exactement la même opinion un poil négative quant à l'avenir du monde. Un monde qui ne se limite pas à Gotham ou aux menaces venues d'ailleurs. Votre planète, vous n'avez pas besoin d'eux pour la détruire. Une cause pour laquelle se bat activement Tefé, et que tu devrais, peut-être toi aussi, accorder beaucoup de temps. Les océans, la nature, tous souffrent de votre néfaste influence. Est-ce que t'as été égoïste en te focalisant uniquement sur ton petit univers à toi ? Qu'est-ce qui te différencie de tous ceux qu'elle cherche à éviter – dans le meilleur des cas – si tu ne prends pas part à son combat ? « Un peu d'espoir, Tefé. » Bien que ce soit facile à dire sans connaître réellement sa vie. Peut-être l'a t-elle eu, l'espoir, avant qu'il ne soit anéanti par les actes et la méchanceté des tes confrères. Et toi-même, jadis, tu l'a perdu, avant de le retrouver auprès de Diana. Comment pourrait-il en être autrement aux côtés d'une déesse aux valeurs si exemplaires. Du mec de la rue sombre et violent t'es devenu porteur d'aspiration. Et t'aimerais croire qu'un jour, quelqu'un saura faire voir les choses à Tefé comme tu les vois toi aujourd'hui. Oui, tout est loin d'être parfait. Et oui, il est possible que tout finisse par empirer par la suite. Mais ce n'est pas dans ce climat là que tu fais le choix de vivre. Tu préfères y croire, et te battre pour que la promesse faite à ta fille ne soit pas rompue. Tu ne peux pas te permettre d'adopter son point de vu, sinon, tu ne verrais même plus l'intérêt de te battre les nuits pour ceux qui ne peuvent le faire eux-mêmes. C'est important comme sentiment. Quand tout est vain, quand la lumière s'éteint, que reste t-il, si ce n'est le néant absolu.

Un monde où elle serait heureuse. Oui, c'est un bon compromis, et tu pourrais t'en contenter. C'est ce que chaque parent espère pour leurs enfants. Et si, plus tard, son bonheur est synonyme de sauver le monde que tu n'auras pas pu épargner pour elle, et bien tu l'accepteras. Tu verrais ça comme un échec, clairement, mais tu l'accepteras. « Presque, c'est déjà pas mal. Ça me laisse le temps de le devenir complètement. » La conclusion à ce rendez-vous t'arrache un large sourire. C'était génial. Vraiment. Si t'as accepté de venir ici, c'était uniquement sous demande insistante de Diana, désireuse de te voir sortir un peu après t'être lamenté des semaines sur la perte de ta main. Et elle avait raison. Avec Tefé, t'en as complètement oublié ton horrible mésaventure, en plus d'avoir fait la rencontre de quelqu'un que t'aimerais beaucoup revoir par la suite. « Le justicier et la criminelle ça donne de très belles histoires parfois. Mais la nôtre ne sera placée que sous le signe de l'amitié. Et c'est déjà bien plus que ce que j'avais espéré en arrivant ici. » Ouais, tu l'avoues, tu t'attendais à tomber sur une bimbo bronzée aux uv et à la conversation inintéressante. Et tu n'aurais pu plus te tromper, pour ton plus grand plaisir. « J'espère qu'on pourra se revoir. Au parc Ophelia ou n'importe où ailleurs Je veux absolument rencontrer ton chien. » Et ça, ça devrait être une promesse pas difficile à tenir. Hop, tu récupères ton petit monstre qui s'est sûrement amusé tout autant que toi, et il est temps de dire au revoir. Vous ne partagerez définitivement par le même lit ce soir, mais vous avez trouvé bien mieux. « Merci pour cette journée, je regrette absolument pas d'être venu. Et pour tout ce que tu m'as montré. » La beauté de son milieu naturel et de sa véritable nature. Une confiance sacrée que tu ne trahiras jamais. « Par contre, la moto, évite, c'est vraiment pas fait pour toi. » Sourire taquin, avant de lui taper à ton tour sur le bras, geste identique au sien. Vous venez peut-être d'inventer un truc.

Et ainsi s'achève cette journée. Tu ne lui as pas proposé de rentrer à l'hôtel avec toi, préférant lui laisser le choix de ses occupations. Sans doute en a t-elle assez vu pour aujourd'hui, et tu la comprendrais parfaitement. D'un geste de la main, Ophelia dit elle aussi au revoir à sa nouvelle amie, le regard encore empli de merveilles, et probablement déjà en manque de Monsieur Palmier. Mais tu le sais, tout ceci n'est pas un adieu.

sujet terminé

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