Magic In The Air ( John)

Here we go again. Un autre jour, une autre nuit, une autre gueule de bois, et une autre affaire dans les ruelles désaffectées, crades et puantes de Gotham-la-belle. A ce rythme, John songeait qu’il pourrait bientôt en écrire un guide du Routard édition occultisme, puis se rappela qu’avec les grosses pointures qui traînaient en ville, ce n'était peut-être pas si surprenant que la ville du crime attire aussi quelques belles saloperies dans le genre. Les ténèbres appelaient les ténèbres, qu’elles fussent humaines ou de nature un chouïa plus… surnaturelles. Les mains enfouies dans les poches de son imperméable, John toisa de loin la bicoque de bois auprès de laquelle ses pas, et quelques tuyaux bien choisis, avaient fini par le mener. Ces derniers temps, il n’avait guère eu l’occasion de se pencher sur des affaires ‘normales’, coincé qu’il était entre un Nick revenu d’entre les morts, une Zee en proie à un démon, et une Rosalie convaincue qu’elle allait bien passer à trépas. Et à dire vrai, cette petite enquête faisait figure de parenthèse bienvenue dans l’ouragan infernal qu’était devenu son quotidien dernièrement. Enfin. Autant qu’une enquête sur une sombre secte à tendance plus ou moins sataniste pouvait constituer une parenthèse rafraîchissante dans la vie de qui que ce soit – mais John avait renoncé depuis longtemps à son droit à des pauses aussi sereines et normales que celles des autres. Et puis, il faisait aussi ça pour rendre service. Pas de bonté de cœur, Dieu l’en garde. Mais il était un peu à court de faveurs, ces derniers temps. Faire de Jason Blood son obligé en lui rendant ce petit service ne pouvait que lui servir, plus tard, quand ce serait à son tour d’avoir besoin d’un magicien avisé doublé d’un démon dévastateur.

Sans se départir de sa nonchalance habituelle, John gravit les marches du perron et s’aventura dans la minable petite maison – ça craque, c’est sombre, ça sent abominablement la chair plus ou moins fraîche et le sang poisseux. L’air fétide qui colle aux poumons et à la peau, comme un concentré de tout ce que Gotham a à offrir. Et des cadavres, évidemment. Classique. Aux murs, dessinés à la va-vite, et non sans une certaine maladresse – les traits étaient trop maladroits et incertains pour avoir été accomplis par des experts – trônaient des pentacles en tout genre, principalement peints au sang. La maison, elle, résonnait d’une énergie occulte indubitablement démoniaque. Mais qui commençait déjà à s’estomper. Quoiqu’il se soit passé ici, il arrivait trop tard. Soudain, un bruit attira son attention, et après un instant de pause, John s’aventura prudemment dans une pièce voisine. « Tiens tiens. Qu’avons-nous là ? » marmonna-t-il dans sa barbe, en s’agenouillant face à un drôle d’encapuchonné visiblement attaché. Celui-là avait été laissé pour compte derrière ? Pourquoi ? Tout en contemplant sa trouvaille, John tira de sa poche une cigarette, une de ses Silk Cuts habituelles, et la porta à ses lèvres. Et avant qu’il n’ait le temps de tirer son briquet de sa poche intérieure, le métal glacé du canon d’un revolver vint se loger contre l’arrière de son crâne.

Great.

Et sonore en plus, le bidule. John resta parfaitement immobile, tous sens en alerte – peu désireux de voir sa cervelle ajoutée à la déco lugubre de l’endroit, mais aussi peu désireux de se laisser intimider par le premier gugusse armé venu. On aimait un peu trop les flingues, dans cette ville. Dans ce pays en général. John avait appris à composer avec – bizarrement, les pistolets et autres armes à feu devenaient nettement moins intimidants quand on frayait avec des créatures issues tout droit des pires cauchemars de l’humanité. Il soupira, et obtempéra, posant lentement ses mains sur le sol. Puis accepta bien volontiers de répondre à sa question. « Je cherchais du feu. T’as pas une allumette ? » demanda-t-il en tournant la tête, un rictus insolent aux lèvres, cigarette éteinte encore suspendue au coin de la bouche, pour jeter un œil à son interlocuteur. Oh, formidable. Une armoire à glace. Et moche, avec ça. « J’invoquerais pas trop vite le bon Seigneur non plus, si j’étais toi. Ca fait une paye qu’il a déserté la baraque. Et qu’un truc nettement plus vicieux a décidé de l’y remplacer. » Estimant qu’il s’était plié aux exigences de son visiteur surprise suffisamment longtemps, John décolla ses mains du sol, lentement, et tout aussi lentement, se retourna pour lui faire face, prenant soin de montrer qu’il n’avait rien dans les mains. Rien dans les manches non plus. Le début d’un tour de magie, eh. Bon Dieu, qu’il était massif – pour peu John se serait presque attendu à un envoyé du royaume d’en-bas, mais il ne sentait aucune magie émaner de lui. Alors, il s’autorisa à laisser son esprit vagabonder et hacker les bribes d’énergie et de souvenirs que le brave homme n’était même pas conscient de laisser émaner. L’esprit humain d’un non-initié, pour un véritable télépathe, était vraiment comme un ordinateur sans pare-feu pour le hacker expérimenté. « GCPD, hein ? » rétorqua-t-il en le regardant avec curiosité. « C’est vrai qu’on aime la manière forte chez vous. Des fois c’est dur de dire la différence entre un poulet et sa cible. » Oui John, provoquer un flic qui a un flingue braqué sur ton front, quelle bonne idée. Que pouvait-il dire. Il n’aimait pas les flingues, il n’aimait pas les flics. Blâmez l’ex-punk qui sommeillait en lui. Anarchy in the UK remastered. Il soupira. « Le nom c’est Constantine, ‘Agent Fang’. Exorciste. Maître des arts occultes. La carte de visite est dans la poche de mon imper’. Je suis venu jeter un œil à cette histoire avant que la police et son indélicatesse ne foute tout en l’air. Je peux y retourner, maintenant ? » Il s’attendait à un bon gros ‘non’ bien sonore, mais hé. Qui ne tente rien n’a rien.


 

AVENGEDINCHAINS

Mais qu’est-ce que c’était que ça, encore. Pour la sixième fois ce mois-ci, John se prit à penser qu’il ferait vraiment mieux d’apprendre à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, même si une part de lui-même se refusait obstinément à regretter ses paroles – il avait une image de rebelle et d’insolent à tenir, et ça n’était pas un flic qui allait le convaincre du contraire. Ce n’était pas au vieux singe qu’on apprenait à faire la grimace ; mais il fallait bien avouer qu’il se serait volontiers passé de l’explosion de la détonation aussi près de son oreille, qui le fit tressaillir et lui laissa dans les tympans un affreux sifflement, pire encore que celui qu’il avait pu expérimenter dans sa jeunesse à la sortie de concerts particulièrement musclés. Bordel, c’était quoi leur problème, à ces amerloques et leurs joujoux. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, John dédia un regard mauvais au barillet avant de fusiller son interlocuteur du regard. Dans le doute, toujours adopter l’approche défi. Ca lui avait plutôt réussi jusque-là, non ? Alors en attendant que quelqu’un ait la bonne idée s’enseigner aux flics et à tout détenteur de flingue dans ce fichu pays que le Far West, c’était terminé depuis plus d’un siècle, il continuerait à jouer le rôle de l’anglais casse-burnes qui sait tout mieux que tout le monde et le sait. Parce qu’en plus, c’était vrai, qu’il savait tout mieux que tout le monde. Le gugusse en face ne le savait juste pas encore.

Mais tout de même, John n’en menait pas large, face à cet hurluberlu, et il sentit son sang battre un peu plus vite à ses tempes alors que la brute épaisse semblait se transformer sous ses yeux – what the actual fuck. John serra la mâchoire et se préparait déjà à lui lancer un sortilège quelconque à la figure, mais l’agent du GCPD – ou quoi qu’il fût vraiment – le saisit à la gorge avant qu’il n’ait le temps d’articuler la moindre syllabe, et son dos entra si brutalement en contact avec le mur qu’il en eut le souffle coupé. Instinctivement, ses mains vinrent s’agripper au bras de la taille d’un tronc d’arbre (à ses yeux de petit maigrichon) qui le maintenait si aisément collé au mur. Et il grimaça, évidemment, alors que la bête qui venait d’émerger lui rugissait à la face et lui crachait sa haine et sa rage à la figure. Littéralement. Oh bordel. Chas, mais où était Chas quand on avait besoin d’un type costaud avec plusieurs vies pour se sortir du pétrin, hein ? « T’es bouché en plus d’être moche, trouduc’ ? » cracha John à son tour, d’une voix étranglée, en essayant tant bien que mal de contenir les battements affolés de son palpitant et la sueur froide qui cheminait dans son dos. « Je suis un expert en forces occultes, c’est mon taf de savoir des choses quand une bande d’illuminés décide d’invoquer un démon et ne sont pas foutus de le contrôler derrière ! Désolé d’avoir froissé ta sensibilité, sunshine, mais ce qui a massacré ces pauvres andouilles ? C’est hors de votre juridiction, au GCPD. »

Il aurait pu – il aurait dû peut-être, il entendait d’ici les remontrances de Chas – en appeler au sang de démon qui coulait dans ses veines, et offrir à ce brave type une petite démonstration de pyromancie, pour échapper à sa poigne de fer qui lui enserrait la gorge à l’en étouffer. Mais non – John Constantine ne s’avouerait pas vaincu si facilement. « Et toi, t’es quoi ? Un loup-garou ? Nan, c’est pas la pleine lune, et t’as pas l’aura qui va avec. Un hybride ? Une belle saleté, en tout cas. Mais vu ce qui a ravagé cet endroit, c’est peut-être pas plus mal si tu comptes avoir une chance de survie. » Allez John, c’est le moment de prouver que t’as encore le meilleur bagout du pays. Rivant son regard dans celui, jaune et animal, de son interlocuteur, il articula encore, en se débattant pitoyablement avec sa prise : « Je plaisante pas. Y a des forces à l’œuvre ici, qui n’ont rien à voir avec les saletés qui pullulent d’habitude à Gotham… une connaissance garde un œil sur le phénomène depuis quelques temps… il y a eu d’autres incidents de ce genre – à Detroit et à New York. Première fois que ça prend une telle ampleur ceci dit… regarde dans la poche intérieure de mon imper, y a les photos des autres scènes qu’il m’a filées pour que je mène mon enquête… » John déglutit – ou tenta de déglutir. Il commençait sacrément à manquer d’air quand même, et ses poumons protestaient farouchement. « Par la barbe de Belzébuth, vérifie et coffre-moi si tu me crois pas ! Je sais de quoi je parle… et je sais que tu pars déjà sur la mauvaise piste, si t’ignores ce que je te dis. » Et c’était la vérité. Maintenant, de là à ce que cette armoire à glace décide de le croire, vu qu’il y mettait si bien les formes, il y avait visiblement un monde.



 

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Aujourd’hui ne serait donc miraculeusement pas le jour où John Constantine mourrait la tête écrasée entre les grosses paluches d’un flic complètement siphonné du bulbe – voilà qui était bon à savoir. John soupira de soulagement en sentant ses pieds toucher à nouveau terre et prit une grande inspiration sitôt que ses chers poumons furent libérés, mais sa gorge malmenée protesta en l’envoyant dans une grande quinte de toux alors que l’autre psychopathe s’affairait à lui rendre une dégaine à peu près présentable. Et en plus, il lui colla une clope dans le bec – et pas sa marque habituelle, avec ça. Complètement givré, ce type. John se contenta de le fusiller du regard en revalant sa fierté un poil écorchée, puis décida qu’il était plus raisonnable d’arrêter d’essayer de se le mettre à dos, surtout maintenant qu’il avait réussi à capter son attention de buffle monomaniaque. Aouch – et il faisait mal en plus, avec ses manières de brute épaisse. Manque total de classe et d’élégance, décida-t-il arbitrairement, en bon magicien qui portait donc un certain mépris envers la force brute – comme tout sorcier qui se respecte. Mais il semblait que, aussi fêlé soit ce Fang, ou quel que soit son nom complet, quelque chose dans ce qu’avait dit John l’avait intéressé, avant même de jeter un œil à ses photos et confirmer ses dires. Constantine nota l’observation dans un coin de sa tête. Après tout, si ce grand lascar pouvait avoir besoin de lui, ça voulait dire que lui aurait peut-être quelque chose à en tirer. Et il n’était pas idiot d’avoir un flic véreux de la GCPD dans la poche.

« Ouais, ben la prochaine fois, brosse-toi les dents avant. » grommela-t-il en tirant sur la gitane avant d’exhaler la fumée, une main dans la poche de son imper, pendant que l’autre s’intéressait à nouveau à leur petit prisonnier qui avait cru pouvoir adopter la technique du ver de terre pour s’enfuir pendant qu’ils avaient le dos tourné. Ouch, ça devait faire mal – John grimaça, mais ne remua pas le petit doigt pour intervenir. Il était venu pour résoudre un petit mystère, pas pour jouer au bon samaritain et encore moins au justicier, nom de nom. Plus malmené encore qu’il ne l’avait été quelques instants plus tôt, le malheureux prisonnier tenta tant bien que mal de protester, mais fut vite réduit à l’immobilité et au silence, une lame sur la gorge. « Gaffe à pas trop remuer mon vieux, ce sera dommage de t’égorger tout seul. » lança John au pauvre homme, avant d’exhaler une bouffée de tabac. Bon, au moins, il allait se tenir tranquille, et le flic semblait décider à enfin le laisser faire son boulot. Que demande le peuple ? A part une bonne pinte et la paix, évidemment. « Ok mon p’tit pote. Si t’as pas envie que le grand pote n’utilise ton sang pour faire du boudin, je te conseille de coopérer. A commencer par me dire ce que toi et tes petits copains avez bien pu invoquer ici pour que ce soit un tel merdier. »

Le justement nommé encapuchonné tremblait comme une feuille, et ses dents claquèrent avant qu’il ne réussisse à articuler quoi que ce soit. « Je-je-je s-s-s-sais pas, je sais pas ce qu’ils étaient, je… » « Ils ? Vous avez tenté d’invoquer tout l’enfer ou quoi ? » « Non non, il ne devait y en av-av-avoir qu’un mais… » Mais quelque chose était allé de travers, John connaissait la chanson. Il soupira et laissa son regard dériver sur le décor apocalyptique de la maison abandonnée, cherchant à identifier les quelques résidus démoniaques qui lui semblaient curieusement familiers. Ces crétins avaient réussi à faire apparaître un truc salement démoniaque, ça, c’était sûr. Mais quelle créature des bas-fonds avait bien pu remonter à la surface ? « T’as pas un nom à me donner, à tout hasard ? » demanda-t-il sans grande conviction. C’était souvent ça, l’erreur. Un nom mal prononcé, et c’était tout le rituel qui tombait à l’eau. « Ab… Abnega… » « Abnegazar ? » l’interrompit aussitôt John, l’air soudainement plus attentif. Le malheureux encapuchonné hocha vigoureusement la tête. John, quant à lui, porta ses mains sur ses hanches et commença à faire les cent pas dans la pièce, non sans lâcher un ‘fuck’ ou ‘bollocks’ occasionnel. Enfin, il s’arrêta en roulant des yeux au ciel, pour se fendre d’une explication. « Abnegazar, Ghast, et Rath. Trois frères démons, aussi connus sous le nom de Demons Three. De belles saloperies qui gouvernaient la galaxie il y a quelques milliards d’années, mais maintenant, relégués au plan de démons de seconde zone. Impossible de voir l’un sans voir les deux autres, ils sont inséparables. Je parie que vous avez essayé d’invoquer Abnegazar, et que ses deux frangins se sont pointés avec lui pour la fête ? » Le malheureux hocha à nouveau la tête. John poussa un long soupir. La nuit allait être longue. « J’ai entendu dire qu’Abnegazar s’était amusé à se fonder son propre petit culte sur Terre. Je parie que c’était pour profiter de la naïveté de ces crétins, qui s’amusent à l’invoquer sans se douter qu’il débarque avec les deux autres pour récupérer quelques âmes au passage. Un peu comme un site porno, t’as ta vidéo, mais tu te tapes la blindée de virus qui va avec. » expliqua-t-il, cette fois à l’adresse du flic. S’il décidait d’appeler Arkham pour le faire interner, il n’aurait qu’à disparaître dans la nature. « Et s’ils sont partis après leur dernier petit massacre, il y a fort à parier qu’ils sont encore dans le coin à la recherche de nouvelles victimes. T’as de quoi contacter les copains du poste de la GCPD pour qu’ils nous disent s’il y a un incident inhabituel en train de se dérouler là tout de suite ? » Quitte à se coltiner un flic, autant le mettre à profit tant qu'il en avait l'utilité, après tout.




 

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Monter dans la même bagnole que ce cinglé n’était pas exactement le plan que John avait envisagé – plutôt disparaître sans se faire remarquer une fois ses informations obtenues, et régler cette histoire tout seul – mais, contrit, il se ravisa, songeant qu’après tout, il pourrait encore s’avérer utile. Ne serait-ce que si les trois frères démons décidaient de faire de la résistance, et qu’il lui fallait un bouclier humain pour espérer survivre à cette rencontre, ou une autre âme à vendre que la sienne. Bizarrement, il avait la très nette impression que ce sergent Baranov ne faisait pas partie de la liste des bons petits garçons qui finiraient devant les portes de Saint Pierre une fois son heure arrivée. Mais quand même. Avoir un flic dans les pattes ne le réjouissait guère, encore moins un qui avait l’air sacrément novice dans le club des arts occultes, et qui ne pourrait que l’embarrasser ou le ralentir dans sa mission diplomatique. Où était Jim Corrigan quand on avait besoin de lui, hein ? L’hôte du Spectre était peut-être un rabat-joie de première classe, mais au moins, lui et John parlaient le même langage, la plupart du temps – surtout quand il s’agissait de débarrasser le monde d’une menace démoniaque ou d’une autre. Il nota mentalement de lui faire livrer une carte à son bureau de la GCPD, sertie d’une dizaines d’insultes pour lui dire qu’il n’était qu’un sale flemmard qui laissait les autres faire le sale boulot à sa place. Pas que Corrigan s’en offusquerait, mais au moins, lui, ça le défoulerait.

Surmontant sa hantise de monter dans une bagnole qui ne soit pas conduite par son habituel chauffeur de taxi attitré, John sauta dans le siège passager et sortit une de ses Silk Cut de la poche intérieure de sa veste et l’alluma, sans se soucier de si son nouveau sidekick tolérait la clope dans la voiture – quelque chose lui disait qu’il n’en avait strictement rien à foutre. D’autant que, curieusement, il avait l’air décidé à faire la conversation, le sergent. « Hm-hm. Ou au moins un amateur enthousiaste. » répondit-il en songeant qu’il fallait vraiment qu’il fasse changer ses cartes de visite. Sa question suivante, en revanche, le laissa plus songeur. John ne répondit pas tout de suite – prenant d’abord le temps de jeter une œillade de côté à son compagnon de route, son sixième sens cherchant la moindre trace de résidu de magie qui pourrait s’échapper de lui. Mais las. Il haussa les épaules. « Je te l’ai dit. Un trouduc. » rétorqua-t-il, sur le ton de la plaisanterie, avant d’ajouter plus sérieusement. « Nah. Si t’es autre chose qu’un humain, c’est pas moi qui pourrai te le dire. Y a rien de magique chez toi. Je l’aurais détecté. » Il souffla une longue volute de fumée, qui disparut par la fenêtre. « Y avait des résidus de magie noire importants dans cette baraque – je parie qu’ils se sont accrochés à ton sale caractère, et c’est ce qui t’a donné cet air monstrueux, l’espace d’un instant. Ca arrive, parfois. » Nouvelle bouffée de tabac. « Navré pour le faux espoir. »

Enfin, après de longues minutes de trajets, ils arrivèrent devant le manoir – une épaisse colonne de fumée se détachant sur le ciel sombre. John suivit Sergei, et observa, circonspect, la véritable armurerie qui s’offrait à ses yeux. Bordel, ils tenaient vraiment à leurs flingues, ces amerloques, hein. Ou russes. Au fond, ils étaient taillés du même bois, ce n’était que leur fierté mal placée qui avait provoqué la Guerre Froide. John grimaça en contemplant le pistolet qu’il lui avait collé dans la main. Seigneur, qu’il détestait les flingues. « Un conseil ? Tire pas sur les démons. Tes balles, ils en mangeraient en snack. » l’avertit-il en rangeant le pistolet dans la poche intérieure de son imper – allez, au cas où. Même s’il comptait sur Sergei pour servir de muscles, pendant que lui jouerait le rôle de cerveau de l’opération. « Et si on se retrouve face aux Demons Three, tu la fermes, et tu me laisses parler. Je cause, tu tires. Ca te va comme répartition des tâches ? » Et de toute façon, même si ça ne lui allait pas, c’était comme ça et puis c’est tout. D’un mouvement de tête, il enjoignit à Sergei de le suivre. La magie qui émanait du manoir puait la pourriture et le soufre – ils étaient là, aucun doute là-dessus. Avec une trentaine d’êtres humains, s’il avait bien compris les informations qu’ils avaient reçues. John retint un soupir. Soit ces imbéciles étaient venus volontairement, auquel cas ils méritaient franchement une bonne dérouillée, soit les Demons Three avaient fait preuve d’ingéniosité, pour une fois, et avaient eu recours à la manipulation mentale d’une manière ou d’une autre. Bizarrement, il en doutait. Sans doute qu’ils avaient simplement convoqué les membres de leur nouveau culte pour une ultime messe noire qui s’annonçait particulièrement sanglante. Ils approchèrent lentement, en silence, se fondant dans l’obscurité de l’allée, mais John ne put s’empêcher de poser une question à son étrange partenaire : « Ca a pas l’air de te perturber plus que ça, ces histoires de démons et d’occulte. Le dernier flic à qui j’ai eu affaire a voulu m’envoyer à Arkham – j’ai dû lui jeter un sort d’amnésie pour qu’il me foute la paix. T’es sûr que c’est ton premier rodéo ? »



 

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Sergei évoluait peut-être en dehors de ses plates-bandes habituelles, mais pour John Constantine, cette petite promenade n’avait finalement que des airs de déjà-vu qui finiraient par noyer cette aventure dans les méandres de ses souvenirs avec les autres, une énième affaire un peu louche et sanglante qu’il aurait réussi à étouffer avant qu’elle ne déborde trop et ne finisse pas s’immiscer dans le monde des vivants et de la lumière. Parfois, John se demandait si le club des capes et collants réalisaient à quel point lui et les autres gugusses de la prétendue Justice League Dark leur mâchaient le travail, à affronter les pires saletés que le monde et d’autres avaient à offrir avant qu’ils n’aient le temps de venir frapper à leur porte. Parce que s’ils en avaient conscience, ils s’étaient bien gardés de venir les en remercier. A part cette fois où Wonder Woman et Batman s’étaient alliés pour leur offrir cette crypte géante sous le Hall de Justice, un quartier-général pour leur petit gang – et finalement, lui et les copains leur avaient ri au nez et n’y avaient jamais remis les pieds, sauf une fois où Bobo avait décidé de fermer l’Oblivion Bar le temps de refaire la peinture. Les vieilles habitudes ont la vie dure, surtout dans le monde éclectique de la magie. Et si la tentative de Batman et Wonder Woman de transformer le fameux jeu de mot d’ARGUS en réalité était voué à l’échec, c’était bien qu’il y avait une bonne raison. Les gens dans leur genre et les gens dans leur genre ne se mélangeaient pas. Deux mondes irréconciliables. Même si c’était sympa de leur part d’avoir tenté.

Alors John restait sagement dans les ténèbres, où il se sentait de toute façon bien plus à l’aise, même si ça impliquait de se coltiner de drôles de zozos comme un flic déjanté du GCPD. Formidable, le copper cumulait non seulement l’autorité de la police, mais aussi un passif dans l’armée – deux des choses qui lui hérissaient le plus le poil, à ce punk vieilli qui n’avait jamais lâché ses convictions anarchistes. Oh, il ne doutait pas qu’on en voyait des vertes et des pas mûres, dans les forces armées, mais par la barbe de Mordru, jamais de la vie il ne trouverait en lui-même une once de pitié pour ces gens qui décidaient que faire carrière en servant de chair à canon et bourreaux au gouvernement était un plan valable, et pire, honorable. S’ils savaient ce qui les attendait, de l’autre côté, tous ces braves prêts à tuer pour défendre leur pays dans une guerre trop souvent imaginaire. L’enfer est pavé de bonnes intentions ; et de gens comme eux. « Sympa ton histoire. » se contenta-t-il de commenter en tirer sur sa clope, peu désireux de s’engager dans un débat politique avec son compagnon du jour. D’autant que les choses sérieuses, visiblement, allaient finalement commencer. Bang, Baranov enfonça la porte d’un coup d’épaule, et John le suivit à l’intérieur, l’estomac immédiatement retourné par l’odeur pestilentielle de pourriture et de soufre qui régnait dans la pièce. Il balaya le décor du regard, prêtant à peine attention aux suiveurs imbéciles des trois frangins démoniaques. Baranov pouvait bien s’en charger, de ceux-là. Lui, c’était les responsables, qu’il avait dans sa ligne de mire.

John adressa un regard peu amène à Baranov, mais passa devant lui à son invitation. Il était temps de tester un peu sa résistance face au bizarre et au démoniaque, après tout. « Ok les filles, fini de jouer. Abnegazar, Ghast, Rath, je vous vois là, les trois au fond. » lança-t-il, les mains dans les poches de son trenchcoat, en avançant entre les fidèles – sa voix se répercutant contre les parois du manoir, grossie par l’écho de l’endroit autrement désert et austère. Une série de ricanements lui répondirent, et dans la pénombre à peine illuminées par les bougies vacillantes du rituel qu’ils s’apprêtaient à exécuter, les trois formes des trois frères bougèrent, monstruosités mouvantes sur le sol, les murs, le plafond, jusque dans l’air lui-même. « Fais pas attention à l’odeur. Cadavre en décomposition et soufre, c’est le Chanel n°5 des démons. » glissa John à son partenaire improvisé. « Ok, les trois mochetés. Comment ça se fait qu’à chaque fois qu’il y a du grabuge à Gotham, c’est vous trois que je retrouve à tirer les ficelles ? Vous allez finir par vous faire botter le cul par un autre, et les gothamites sont autrement moins sympas que moi. » « Tu ne peux pas nous arrêter, Constantine, pas cette fois ! » « Notre armée d’imbéciles nous défendra fort bien par elle-même ! Fidèles, levez-vous, et jetez ces impies dans les flammes de l’Inferno ! » Et, avant que John ne puisse réagir, les fidèles jusque-là prostrés au sol se levèrent d’un bond et se jetèrent sur eux d’un même mouvement. Mû par un instinct de survie quasi-indéfectible, John bondit pour éviter l’emprise d’un de ces mal-lunés, et aboya en direction de Baranov : « Tire dans le tas ! Fais ce que tu veux, mais retiens-les pendant que je m’occuper des trois frères ! »




 

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Voilà. C’était pour ça qu’il détestait les cultes. Plutôt que d’avoir à gérer un seul démon, il se retrouvait à devoir se coltiner aussi leur horde de fidèles plus frappadingues les uns que les autres. Et en général, c’était là qu’il était bien pratique d’avoir un Chas Chandler dans sa poche, pour s’occuper des muscles pendant que lui se chargeait du cerveau de l’opération – Chas ayant l’avantage non-négligeable d’avoir une certaine réserve de vitalité, une tête et demi de plus que lui, et un talent certain avec les barres de fer et autres battes de baseball servant d’armes improvisées dans ces situations désagréables. Mais Chas n’était pas là ce soir, et à la place, John avait à sa disposition un flic un peu trop enthousiaste de la gâchette, mais pour une fois, il n’allait pas s’en plaindre. Tuer des gens, ça n’était pas dans ses cordes – les mener à une mort certaine, les pousser vers l’inévitable, en faire les victimes et dégâts collatéraux de ses machinations, ça, il savait faire. Mais faire mourir quelqu’un de sa propre main ? Même un dérangé du bulbe prêt à tout pour défendre les trois démons qui lui avaient lavé le cerveau ? L’exercice était plus compliqué. Alors il laissait volontiers le travail aux autres, et en l’occurrence, à Baranov, qui lui n’avait l’air d’avoir aucun scrupule à transformer tout ce qui lui passait sous la main en mannequin sans vie ou en chair à pâté. Seigneur. Ils embauchaient vraiment des cas, à la GCPD, ces temps-ci.

Mais John n’avait guère de temps à perdre avec ces considérations, et avait encore trois frères démons à gentiment renvoyer en Enfer. Les trois frangins avaient d’ailleurs profité de la pagaille pour disparaître de son champ de vision, et John étouffa un juron dans sa barbe, alors que Baranov, lui commençait sérieusement à s’impatienter. « Ca va, j’y travaille ! » aboya-t-il en retour, avant de s’élancer à la poursuite des trois démons. Il sentait encore la trace de leur aura – et comme un chien de chasse, suivit leur piste et grimpa l’escalier quatre à quatre pour atteindre l’étage. Tout le corridor empestait le soufre et la chair en putréfaction, mais lorsqu’il poussa la porte de la chambre derrière laquelle il les sentait s’être réfugiés ? John avait l’estomac bien accroché depuis le temps, mais cette fois, il crut bien pendant un instant qu’il allait rendre tout le contenu de son estomac. Au moins, il avait trouvé le centre névralgique de cette mini-version des Enfers que les trois frères avaient construit pour leur petit rituel. Les murs étaient recouverts de sang (et de boyaux ? Difficile à distinguer dans la pénombre du soir), et au sol, un pentagramme enflammé projetait des ombres presque palpables sur les murs. En son centre, les Demons Three trônaient, rois en leur ridicule royaume. A l’étage d’en dessous, les cris commençaient à s’estomper. Baranov avait-il réussi à se débarrasser de tous les fanatiques ? Hélas, il n’avait pas le temps de l’appeler pour vérifier. S’il était encore en vie, il le rejoindrait. Même s’il ferait mieux de retourner à son véhicule et ne plus jamais s’approcher de cette maison.

« Allez les frangins, fini de jouer. Vous avez réussi à ramasser des âmes pour tonton Lucifer, bravo – il est temps de rentrer à la niche, maintenant. » lança-t-il, une pointe d’énervement dans la voix. L’arrogance de ces trois-là était borderline insupportable. Trois crétins qui regrettaient leur gloire d’antan et se rêvaient poids lourds à nouveau, mais n’étaient plus que des has been délavés. « Maudit sois-tu, Constantine. Ce n’est qu’une question de temps avant que tu ne nous reviennes, de toute façon ! » éructa Rath. « Prenez un ticket, losers. La file est longue pour ma damnation. » rétorqua-t-il, avant de tendre une main devant lui – et aussitôt, il sentit le sang de Nergal bouillonner dans ses veines, impatient, semblait-il, de renvoyer ces abrutis du trou dont ils n’auraient jamais dû sortir. Ce sang de démon lui avait valu bien des ennuis, mais comme conduit d’énergie démoniaque pour faciliter les exorcisme et autres bannissements de démons, il avouait volontiers que c’était sacrément pratique. « La croix sacrée vous commande. L’étoile de David vous commande. L’Omkar, le Lotus, et le Shahada vous commandent ! Fuyez cet endroit ! Disperges in ventum! Ne soyez plus, et partez ! » A mesure qu’il récitait l’incantation, les flammes du pentagramme avaient léché les murs de plus en plus haut, et sous les pieds crochus des trois frères s’était ouverte la gueule béante des enfers. D’une seule voix, ils hurlèrent de frustration, le maudissant une dernière fois – et soudain, ils furent avalés, tous les trois, et disparurent dans les entrailles de l’inferno. Une dernière explosion de flammes ; et les Demons Three n’étaient plus, et le calme plat retomba sur la maison maudite. Epuisé par l’exercice, John se laissa glisser à terre, dos à un mur, en laissant échapper un long soupir. « Baranov ? » appela-t-il sans savoir s’il était encore en vie, ou même s’il avait assisté à la scène. « Toujours là ? »


 

AVENGEDINCHAINS

Alors celle-là, il ne l’avait pas vue venir. Le bruit qu’il avait entendu, ne s’avéra finalement pas du tout être Baranov, et il ne s’en rendit compte qu’en se retournant à la dernière minute pour voir son comparse braquer une arme, visiblement sur lui ; et il n’eut même pas le temps de protester ou chercher de quoi se défendre, qu’une deuxième silhouette, juste à côté de lui, qui lui avait complètement échappé, sortit de l’ombre. Nom de – Constantine, où sont passés tes réflexes ? John jura entre ses dents alors que les deux hommes se livraient à une bataille sans merci ; et il aurait bien voulu tenter un sortilège pour tirer son acolyte de ce pétrin, mais les deux hommes étaient bien trop proches pour qu’il puisse espérer de débarrasser de l’un sans sérieusement blesser l’autre. Merde. D’accord, il ne portait pas les flics, et encore moins ceux de la GCPD dans son cœur, mais il n’allait quand même pas se retrouver avec un dégât collatéral sur les bras ce soir ? Fort heureusement, Baranov se chargea d’apporter lui-même la réponse à sa question, en collant deux balles dans le malheureux qui avait eu la bonne idée de le charger. Le corps sans vie du pauvre type s’effondra par terre comme une chiffe molle. John le contempla un instant, avant de relever les yeux sur l’officier de police. « … merci. » lâcha-t-il, comme si ça lui arrachait la gorge – et c’était un peu le cas, mais ça, il ne pouvait pas changer qui il était, à savoir un ingrat patenté.

Le calme revint sur le manoir abandonné et maintenant clairsemé de cadavres particulièrement peu ragoûtants. La présence démoniaque qui l’avait presque étouffé lorsqu’ils étaient arrivés, avait pratiquement disparu, ne laissant derrière elle que des résidus qui disparaîtraient avec le temps. Peut-être qu’ils créeraient quelques esprits frappeurs, mais rien d’assez méchant pour qu’il ait à s’en soucier. Les Demons Three étaient retournés dans le trou par lequel ils étaient venus, et comme victoire, ça lui suffisait largement. Il pouvait bien laisser le ménage aux autres, physique autant que spirituel. Lui, tout de suite, il avait surtout envie d’une bonne pinte. La voix de baryton de Baranov le tira de ses réflexions, et il lui adressa une œillade de côté, avant de hausser nonchalamment les épaules en tirant une cigarette neuve de la poche intérieure de son pardessus. « Je fais mon boulot. Mais c’est vrai que de temps en temps, ce serait sympa que Gotham pense à me dédommager pour mes efforts, eh ? Tu feras passer le message aux grands chefs. Et pour m’en foutre une, fais comme les trois zozos, et prends un ticket ! » répliqua-t-il, clope au bec, en passant devant l’imposant colosse pour atteindre les escaliers et redescendre. Mais la question du sergent le coupa dans sa course. Sans réponse à propos de… ah oui. John prit le temps de la réflexion, observant attentivement son interlocuteur, avant de hausser à nouveau les épaules. « Je te l’ai dit. J’sais pas ce que t’es exactement, si t’es possédé ou si t’as besoin d’un bon séjour à Arkham. Mais hé, si la réponse était aussi facile à trouver, ce serait pas si intéressant, pas vrai ? »

Et, accompagnant ses dires d’un clin d’œil, John disparut dans les escaliers à la volée, et ressortit du sinistre manoir. La nuit noire de Gotham était à peine éclairée de lampadaires vacillants, et il entendait les sirènes des voitures de police résonner au loin, s’approchant tranquillement de la scène de crime après la bataille. Typique. Jetant un dernier coup d’œil derrière lui en cherchant la silhouette de Baranov à la fenêtre, John lui adressa un dernier geste de la main, nonchalant, et remonta le col de son imper avant de s’échapper sur le trottoir – désireux d’être le plus loin possible de ce trou lorsque les flics pointeraient le bout de leur nez. Quelque part, il se sentait presque désolé pour Baranov. Voir ce qu’il avait vu ce soir, surtout pour un fervent croyant du bon Dieu, ça remuait toujours les entrailles. Mais il s’en remettrait. Peut-être. Ou alors il aurait le bon sens de dire au Seigneur d’aller se faire foutre, et de continuer sa vie sans s’embarrasser de ces simagrées. La suite, elle était entre ses mains.


 

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