« Bon sang, je hais les humains des fois. Cassez-vous de mon chemin, ou vous allez le regretter les morveux. »
Barda n'était pas d'humeur, et c'était un sacré euphémisme. Sur le point de se coucher après une journée longue et infructueuse, la New Godess avait cherché à retirer son armure et à s'étaler dans son lit, lorsque la voix d'un homme visiblement très intelligent et très puissant avait réussi à l'expédier ailleurs. Ou plutôt, l'homme l'avait fait, et sa voix l'avait profondément dérangée. Pas spécialement parce qu'elle était désagréable, mais parce qu'elle la privait d'une bonne nuit de sommeil réparateur, et qu'elle avait du coup atterri dans un tas de décombres.
Fatiguée et déboussolée, la guerrière devait maintenant empêcher des enfants sales et impolis de lui voler ses affaires.
« M'dame, on veut juste à manger ! »
« J'ai rien sur moi, désolée. Maintenant, soit vous m'expliquez ce qu'il se passe, soit vous dégagez avant que je m'énerve. Pas d'adultes avec vous ? »
Pour toute réponse, elle n'eut droit qu'à des regards fuyants et des mines apeurées. Elle ressentait de la pitié pour ces gosses, car ils étaient certainement terrifiées par sa présence ; une grande femme en armure, ça faisait toujours son impression sur les simplets. Mais ils avaient l'air pauvres, affamés, et de pas avoir vu un bain depuis des années. Et surtout, autour d'eux, il faisait froid, gris, et il y avait beaucoup trop de décombres. Peu importe l'endroit où Barda avait atterri, elle avait l'impression d'avoir loupé un épisode d'un de ces trucs que les humains appelaient « une série ». Voir plusieurs épisodes, en vérité.
Du remue-ménage lui parvint alors dans son dos ; se retournant avec vivacité, Barda écarquilla les yeux lorsqu'elle vit que trois adultes avaient fait prisonnier quelqu'un, dans un filet de pêche. Elle décida de réagir aussitôt, pointant sa masse dans leur direction :
« Hey ! Qu'est-ce qui se passe, là ? Vous kidnappez les femmes, maintenant ? »
Elle s'attarda un peu sur la femme en question, prisonnière des filets. Sa peau était noire comme le chocolat, et elle lui disait vaguement quelque chose. Une puissante magie semblait émaner d'elle, comme si elle était une incarnation ou quelque chose dans ce goût-là. Barda n'aimait pas la magie. C'était notamment une des faiblesses exploitables contre elle.
« Je me répéterai pas. Vous faîtes quoi avec elle ? »
« On l'a chopée en train de fouiner ! C'est peut-être une espionne, alors on a décidé de s'emparer d'elle. Mais elle est sacrément coriace, la donzelle, elle a failli nous étriper ! Mais à ce que je vois... on a le droit à quelqu'un de plutôt coriace, là. T'es une Amazone, toi ? Une Atlante ? Pourquoi que tu as une armure hein ? »
Barda fronça les sourcils, sans comprendre. Mais elle nota dans son esprit que ces gens-là, en plus d'être particulièrement démunis, avaient probablement des ennuis avec les Amazones et les Atlantes. Une guerre qui se déroulerait sur Terre ? Peu probable, mais au vu des décombres autour... Elle avait du arriver dans une autre réalité, un autre point dans le Multivers.
Barda perdait patience, et cela se voyait. Elle serrait les poings, fixant d'un air mauvais l'humain qui lui parlait de manière agressive. L'arrivée inopinée d'une autre personne sembla être toutefois la solution pour débloquer un peu toute cette situation. Les pillards et kidnappeurs se tournèrent vers l'inconnue, tandis que Barda lui jetait à peine un coup d’œil. Elle préférait se concentrer sur ce qu'elle avait devant elle, et surtout, sur ce qui risquait de finir en compote d'ici quelques instants.
Elle perçut du mouvement dans son dos.
Elle croisa les bras, feignant de ne pas avoir entendu. Avec un sourire hautain, elle toisa les pillards, avant de reprendre la parole.
« Visiblement, vous autres les humains, vous avez parfois l'esprit bien lent. Vous semblez vivre dans un état presque permanent de paranoïa, même lorsque tout va bien. Et quand tout va mal, la seule chose que vous devriez faire, c'est vous soutenir les uns les autres. Au lieu de ça, vous préférez vous agresser, et kidnapper des gens parce que vous pensez qu'ils sont des espions. Humaine, es-tu une espionne ? »
La pauvre, dans son filet, n'eut même pas le temps de parler qu'elle recevait un coup de bâton dans les côtes. Son hurlement de douleur crispa un peu plus Barda, qui échangea un regard avec l'inconnue à la peau noire. Avait-elle, elle aussi, perçu le danger dans leurs dos à toutes les deux ? Probablement. Il y avait une aura étrange avec elle.
« On va compter jusqu'à trois, et après, toutes les deux, vous nous donnez vos noms. Sinon, on la frappe. Un. Deux... Tr...! »
« Ferme-la un peu et écoute, petit homme ! »
Choqué par la phrase de Barda, le pillard s'arrêta.
« Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe ici, et je ne sais pas quelle extrémité te pousse à croire que cette femme est une espionne. Mais visiblement, ce n'en est pas une. Alors maintenant, tu vas bien gentiment posé ton bâton, reculer, me laisser libérer la prisonnière, et ensuite tu m'expliqueras ce qui se passe ici. Car je ne me suis pas farci des heures d'errance dans cet endroit désolé pour que tu ignores ma requête aussi facilement. Donc, à toi de voir. Soit tu fais ce que je te dis, soit je te cogne. Mais crois-moi, je frappe plus fort qu'une Amazone ou une Atlante. »
Tout se passa alors très vite. Les pillards reculèrent, y compris ceux dans le dos de Barda et de l'inconnue à la peau noire. La New Goddess s'approcha alors de la prisonnière, et l'aida à se défaire du filet qui la retenait. Dès qu'elle fut debout, elle voulut ouvrir la bouche pour remercier l'aide providentielle qu'elle avait reçu.
Puis un coup de feu retentit.
Le torse de la femme explosa, et elle s'effondra sur Barda. Cette dernière savait qu'on venait de lui tirer dessus, et le fauteur était un des pillards, lequel brandissait une arme de poing humaine. Voyant rouge, la guerrière dégaina sa masse d'armes, et se précipita d'un bond sur le tireur. Ce dernier fut projeté contre un mur, où son corps se brisa dans un bruit écœurant.
« Attaquez ! Ce sont des espionnes des Amazones ! »
Il ne fallut pas longtemps à Barda pour réaliser qu'elle ne serait pas mise en difficulté dans ce combat. Les humains qu'elle affrontait étaient faibles, décharnés, désespérés même, et ils ne savaient pas très bien comment réussir à s'en tirer. Ayant pitié d'eux, la New Goddess préféra leur accorder des fins rapides plutôt que de s'attarder sur leurs motivations et leur désir de se défendre contre ce qu'ils croyaient être des Amazones. La guerrière ne perdit toutefois pas de vue cette phrase ; elle la rangea dans un coin de sa mémoire, consciente qu'elle avait sans doute beaucoup plus de valeur qu'il n'y paraissait.
C'était peut-être une première clé pour savoir ce qu'il se passait ici.
Très vite, l'affrontement tourna à la débandade pou les pillards. Plusieurs d'entre eux morts, certains par Barda et d'autres par cette inconnue qui sentait la magie, le reste décida qu'il était temps de battre en retraite et qu'il fallait sauver sa peau. Hurlant de peur, et pointant du doigt des « Amazones déchaînées », enfants et adultes se mirent à courir en tout sens en espérant ne pas être poursuivis. La guerrière n'eut même pas un mouvement pour les pourchasser. C'eut été parfaitement inutile, et elle regrettait déjà d'avoir du en arriver là.
Scot aurait su comment les sortir de cette situation sans combat.
Mais bref. L'heure n'était pas aux regrets. Barda contempla brièvement l'étendue des dégâts autour d'elle. L'innocente kidnappée était morte, aucun doute sur ça. Les pillards inanimés aussi. Il ne restait personne pour parler, hormis l'inconnue magique qui intrigua beaucoup la New Goddess. Belle femme à la peau noire comme l'ébène, elle paraissait très dangereuse et surtout, terriblement agressive elle aussi. Une métahumaine, comme disaient ceux de l'ARGUS, qui avait des talents cachés bien dangereux.
« Eh bien... ils auraient du écouter. Foutus humains. »
Piètre entrée en matière. Mais elle n'était pas très douée pour parler.
« Merci pour ton aide, qui que tu sois. Sais-tu ce qu'ils voulaient dire, en parlant d'espionnes des Amazones ? J'ai l'impression que nous ne sommes plus vraiment sur la Terre que je connaissais, et cette phrase ne cesse de tourmenter mon esprit. Sommes-nous dans le futur?Je crois que je viens de votre année 2019 ou quelque chose comme ça. »
Les mains sur les hanches, Barda attendit une réponse, espérant que des pillards ne viendraient pas contre-attaquer aussitôt. Ses yeux parcourent le corps de la femme noire, essayant de déterminer ses atouts, physiques et autres, par un simple coup d’œil. Nul doute qu'elle devait attirer l’œil facilement, avec ses formes diverses. Et nul doute qu'elle était dangereuse, car sa magie sentait l'animosité, et elle avait une lueur dans son regard qui, clairement, indiquait qu'elle ne ferait qu'une bouchée de l'importun qui l'attaquerait.
Ça, et le fait que la guerrière avait vu la métahumaine faire preuve d'un comportement assez sournois durant l'affrontement. Elle était du genre à prendre son adversaire par surprise, là où il s'y attendait le moins. Un plan efficace, bien sur, et qu'il ne fallait pas sous-estimer. Par précaution, Barda ne rangeait pas son arme... des fois qu'il s'agisse quand même d'une ennemie.
Déesse de la faune, hein ? Et une reine, apparemment, même si Vixen tenta de dissimuler cette information par la suite. Barda hocha doucement la tête, essayant de se remémorer ce qu'elle savait des cultes terriens. Le cheminement ne fut pas bien long, mais elle était certaine d'une chose : la faune n'était pas un culte primordial chez les humains. Elle rangea donc cette dernière dans la catégorie des métahumains magiques, à l'instar de Wonder Woman... même si cette dernière était probablement très différente de la femme noire.
Moins pragmatique, moins réservée, bien plus dictée par ses émotions. En d'autres mots, plus faible et moins intelligente.
Barda ne s'était jamais cachée qu'elle n'appréciait pas les Amazones, pas plus qu'elle n'appréciait les Kryptoniens comme Superman ou les humains comme Batman. La Trinité, les leaders de la Justice League, avait le respect de Scot mais pas le sien. Certes, ils faisaient du bon travail à leur manière, et ils savaient gérer des situations de crise : mais il y avait, quel que soit l'angle sous lequel on regarde, un déséquilibre énorme entre eux. Ces gens n'avaient pas la notion de pouvoir stable. La chauve-souris était le seul véritable humain, mais les deux autres ressentaient les choses plus naturellement que lui. L'Amazone était celle supposée sans faiblesse, mais elle en avait beaucoup et les deux autres les exploiteraient sans pitié si besoin. Le Kryptonien, lui, était supposément un dieu, alors que ce n'était qu'une bonne poire.
Croiser une âme qui réfléchissait comme elle, ou du moins semblait-elle le faire, était une opportunité inespérée !
« Pour se battre, je te retourne le compliment, Vixen de la faune terrienne. Moi c'est Barda. Je me suis retrouvée ici alors que je cherchais désespérément à retrouver mon lit. Malheureusement... on me prends pour une Amazone, visiblement. »
Elle mit ses mains sur les hanches, examinant la divinité avant de reprendre la parole. Par précaution, elle décida de livrer peu et de demander davantage, se réservant quelques secrets pour éviter d'en dire trop... et d'en dévoiler trop. Il ne servait à rien d'être imprudente.
« Je ne suis pas là depuis peu, mais il semblerait que beaucoup de choses soient différentes de la Terre que nous connaissons alors. Tu es là depuis longtemps ? Ces pillards semblaient avoir la certitude d'être dans leur droit, et surtout, ils agissaient comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Un tel comportement me choque un peu, surtout que si les humains peuvent s'avérer cruelles, ils ne sont pas pour autant idiots au point de faire ça devant nous. Du moins... je pense. »
Elle marqua une pause, regardant autour d'elle.
« Je propose qu'on s'éloigne d'ici. Si d'autres pillards arrivent, ils sauront immédiatement ce qu'il s'est passé, et je préfère éviter de passer ma journée à me battre. Et je ne tiens pas spécialement à croiser les Amazones dont ils parlaient. Disons que... elles et moi on ne s'entend pas très bien. Une sorte de mésentente féminine sur la marche à suivre. »
Et sans vraiment attendre, elle s'éloigna, partant d'un pas décidé.
Avant d'avoir pu répondre à la femme noire, Barda entendit tout aussi bien que cette dernière le message qui leur provint alors. Etait-ce un message enregistré ? Une voix désincarnée qui n'était que trop désagréable prononçait des mots qui n'auguraient rien de bon. Un collectionneur avec visiblement la puissance suffisante pour transporter des centaines de personnes d'un univers à un autre... ce qui n'était pas une mince affaire.
En vérité, il n'y avait qu'une poignée d'individus capable de faire ça. Barda avait la liste de leurs noms bien ancrée dans sa tête, mais elle préféra ne rien dire. Malgré les capacités évidentes de sa nouvelle partenaire... ou plutôt à cause de celles-ci... elle préférait garder cela tu. Elle ne pouvait pas pleinement lui faire confiance, pas sans la preuve qu'elle n'était pas une ennemie au service des Atlantes, des Amazones... ou encore de ce collectionneur inconnu.
Elles n'avaient pas vraiment le temps de s'attarder à ne rien faire, en plus. Partant du postulat qu'elles étaient pour le moment dans le même camp, Barda fit signe de continuer.
« Allons plus loin, avant d'en discuter. Je me sens encore plus observée, maintenant, alors que je ne veux pas rester dans les parages. Si jamais tu sais qui est ce collectionneur, je t'en prie, éclaire ma lanterne. »
Il était plus intelligent de passer pour quelqu'un n'ayant aucune idée de ce dont il s'agissait, plutôt que d'en dévoiler trop au risque de passer pour une ennemie, ou de découvrir que l'autre en était une. Aussi puissante et solide soit-elle, Barda sentait que la solitude lui pesait un peu depuis la disparition de Scot. Elle tritura machinalement les doigts de sa main gauche, là où les Terriens mettaient leurs anneaux de mariage – une coutume amusante qu'ils avaient adopté. Où était-il, ce Mister Miracle ? Le roi de l'évasion avait-il réussi à échapper au piège de ce collectionneur ? Ou était-il lui aussi ici ?
Elle était certaine, ou plutôt, voulait croire, que si Scot avait été là, il lui aurait fait un signe. Qu'il aurait cherché à la trouver aussi, et qu'il l'aurait rejointe aussi vite que possible avec l'aide de sa MotherBox. Elle tourna la tête autour d'elle, espérant futilement voir un signe de sa tenue rouge et or, de sa cape verte, ou même de voir son visage. Elle espérait vraiment pouvoir le retrouver vite, car il lui manquait, tout simplement.
Il ne servait toutefois à rien de ruminer des pensées aussi sombres. Alors elle engagea la conversation sur autre chose, se rappelant la question de sa comparse.
« Pour te répondre, au final, je ne suis pas une Amazone, ou une Atlante, ou une humaine. Je suis une femme d'Apokolips, et j'ai longtemps été une servante de Darkseid avant de me retourner contre lui et de venir vivre sur Terre. Je crois que pour vous, je suis une New Goddess, ou quelque chose comme ça. Non pas que j'ai des pouvoirs divins, mais je peux aisément affronter Wonder Woman ou Superman et ne pas rougir devant leurs capacités. »
Barda esquissa un sourire un brin mesquin. Oh, elle savait plein de choses sur les Amazones et sur les Atlantes, et qui pourraient expliquer leurs déboires sur cette version apocalyptique de la Terre. Elle se doutait, toutefois, qu'en dévoiler de trop ne serait pas plus prudent que de tout dévoiler à son propre sujet. Mais si elle voulait s'assurer de la bonne foi, et surtout, de couper dans l’œuf toute tentative de poignardage dans le dos, elle devait montrer qu'elle savait assez de choses pour dissuader son interlocutrice.
Dans le cas où elle serait, effectivement, une ennemie et non pas une alliée de circonstances.
« Eh bien... il y a des centaines de raisons pour lesquelles les Amazones et les Atlantes se taperaient dessus. Mais je pense qu'on peut en exclure la plupart, car ça ne mènerait pas non plus à une guerre aussi vaste. »
Elle marqua une légère pause, avant de reprendre la parole.
« Soyons honnêtes : les Amazones et les Atlantes se battraient en permanence depuis des milliers d'années s'ils n'avaient pas, jadis, décidé qu'il valait mieux se séparer. Les tribus des humains ne sont pas faites pour bien s'entendre sur le long terme : trop de différences, trop de mépris, et surtout, trop de déséquilibre. Les Atlantes maîtrisent l'océan, et ils sont fiers de leur respect de la faune et de la flore. Les humains normaux, eux, sont faibles mais débrouillards, et ils ont tendance à corrompre un peu tout ce à quoi ils touchent. Les Amazones... »
Barda fronça les sourcils, marquant une nouvelle pause d'un silence songeur. Elle n'aimait pas les Amazones, et ne s'entendait pas avec elles. Ce faisant, les décrire comme elle s'apprêtait à le faire n'était pas objectif. Plutôt très antipathique.
« Disons que les Amazones ont leur vision des choses. Une vision archaïque, dépassée, profondément égoïste, et surtout, xénophobe. Leur égérie, Diana, se veut bonne et généreuse, grande et forte, implacable, un vrai symbole de ce que les Amazones veulent et peuvent faire. Mais en vérité, elle n'est qu'une version exacerbée et plus puissante des autres. Elle a la domination et la guerre dans le sang, et sa vanité, qu'elle n'assume pas, la pousse à prendre des décisions irréfléchies. Il a certainement suffi d'un petit rien pour qu'elle ne décide de dominer le monde au lieu de l'aider. Elle est la seule, parmi son peuple, à être capable de devenir assez puissante pour défier la Terre. Les autres... bon. »
Non, elle n'aimait définitivement pas les Amazones.
« Pour autant, elle n'est pas invincible, comme elle aime parfois le croire. Une bonne arme peut la tuer aussi aisément que l'on a résolu le problème des pillards, tout à l'heure. Si dans cet endroit, il existe une Diana différente de celle qu'on connaît... eh bien, j'imagine qu'il va falloir démontrer la véracité de mes propos. Sous peine de rester coincés ici sur une Terre qu'on ne connaît pas et qui se trouve être, pour notre plus grand bonheur, la version la plus apocalyptique qu'on puisse imaginer, ou presque. »
Elle se fendit d'un trait d'humour.
« Ça pourrait être pire. On pourrait avoir Darkseid en maître absolu. »
Barda s'arrêta, avant de fixer intensément et longuement Vixen du regard. C'était le moment où, effectivement, il allait falloir choisir si elle devait lui faire confiance ou non. C'était tôt, rapide, mais elle n'avait plus vraiment le choix... d'autant que le silence attentif de la femme noire laissait plutôt présager qu'elle n'était pas une ennemie. Et dans le pire des cas, la New Goddess se faisait confiance pour réussir à gérer une telle adversaire. Elle pouvait tenir tête à une Amazone, à une horde d'humains, elle avait affronté et repoussé Steppenwolf ; pourquoi pas elle ? Elle décida qu'elle ne risquait pas grand chose à lui répondre.
Mais il allait falloir le faire intelligemment, car cette Vixen semblait en savoir plus également de son propre côté. Elle avait aussitôt dit qu'elles n'étaient plus sur une leur Terre ; comme si elle l'avait senti, ou était au courant de quelque chose de plus. Ça n'inspirait évidemment pas la confiance, mais dans ce jeu de dupes et dans cette épreuve, il allait falloir se serrer les coudes, comme disent les humains. D'autant que ce Collectionneur prendrait sans doute un malin plaisir à les voir se déchirer dans une lutte puérile.
« Disons que j'ai longuement eu l'occasion de les observer, de les étudier. Sur Apokolips, on ne se souvient que trop bien des premiers affrontements entre Steppenwolf et les tribus des Terriens. Si les simples humains sont restés plus faibles, ce n'est pas le cas des Atlantes et des Amazones, même s'ils ont choisi de vivre séparés. Pour de bonnes raisons : les trois se ressemblent tellement qu'ils ne sont pas faits pour vivre ensemble. Cela ne peut mener qu'au conflit, à l'ascendance, à la domination d'un par rapport aux autres. Ici, ça semble être les Amazones. »
Simple supposition, mais ça paraissait logique au vu de ce qu'elles avaient entendu précédemment.
« Comme je l'ai dit, il suffirait de pas grand chose pour que les Atlantes et les Amazones se mettent sur la tronche. Un conflit d'intérêt entre les dirigeants des deux partis ? Une rivalité trop intense entre Aquaman et Wonder Woman ? Les humains qui essayent de s'immiscer entre eux et ça ne leur plaît pas ? Tout peut arriver, car les trois peuples sont très susceptibles. Connaissant Diana comme je la connais, il est probable qu'elle se soit laissée emporter – encore une fois – par ses émotions à une seule reprise, et depuis, elle a lâché prise. Ou alors, ce peut être la même chose du côté d'Arthur Curry. Impulsifs comme ils sont, Atlantes et Amazones se refrènent, se forcent à adopter un calme relatif... mais ils ont la guerre et le conflit dans le sang, eux aussi. Ils veulent, au fond d'eux-mêmes, être sauvages, libres, et forts. »
Cela la fit sourire.
« En un sens, ils sont exactement comme nous, les New Gods, ou comme les simples humains. Chaque peuple, à des degrés divers, a cette force de volonté de se modérer jusqu'à ce que ça lâche. Les Amazones et les Atlantes ont, de surcroît, les capacités de dominer la planète où ils vivent, donc leur contrôle est d'autant plus nécessaire... et d'autant plus redoutable quand il lâche. Je ne peux pas te dire ce qu'il s'est exactement passé ici, car je n'en ai aucune idée. Mais c'est forcément lié à Diana et Arthur. »
Avant même d'avoir pu confirmer qu'elle avait bien entendu, Barda vit sa comparse se transformer en oiseau et s'envoler. Mettant les mains sur les hanches, la New Goddess se fendit d'un soupir qui aurait pu passer pour quelque chose de comique, si la situation s'y prêtait :
« Pourquoi ils ont tous le pouvoir de voler ? Ça devrait pas être réservé à certains, normalement ? Superman a du soucis à se faire, bon sang. »
Mais il n'y avait pas le temps de tergiverser. Elle regarda autour d'elle, essayant de voir d'où provenait les bruits et l'explosion. Elle espérait, évidemment, que dans tout ce foutoir elle ne retrouverait pas Scot ici, et que celui-ci finirait par réapparaître indemne et souriant, comme à son habitude. Ce serait une bonne occasion de le gifler, et elle savait qu'il aimait ça, mais...
Elle secoua la tête.
Ce n'était ni le lieu, ni le moment, pour s'abîmer dans ses pensées, et il fallait qu'elle agisse au plus vite. Vixen semblait capable de se débrouiller seule, mais l'abandonner ici aurait été un peu dommage, et surtout suspect. Sortant son arme, Barda effectua une série de bonds, qui la propulsèrent vite et loin, afin de se rapprocher du lieu du grabuge. Elle put alors non seulement retrouver sa camarade, toujours sous la forme d'un oiseau, mais également observer ce qui semblait être une véritable boucherie.
Une dizaine de corps gisait aux pieds de trois Atlantes, ces derniers armés de leurs tridents si faciles à identifier. Ils adoraient les utiliser, comme une sorte de fétichisme malsain avec ces trucs pointus. En face du trio, d'autres personnes, des humains, qui tentaient tant bien que mal de leur tirer dessus et de les ralentir. Evidemment, ils n'avaient pas trop de chance de s'en sortir, et leurs ennemis le savaient. Ils souriaient, sous leurs casques, et ils prenaient un grand plaisir à faire durer la saveur de leur victoire.
C'était un combat inégal, mais surtout, c'était un vrai massacre. Ces Atlantes ne se contentaient pas de tuer les humains ; ils jouaient avec. La New Goddess se contenta alors de tourner le regard vers Vixen, et de lui indiquer le trio marin.
« Ecoute, je sais qu'on se connaît pas, et qu'on a tapé sur des humains tout à l'heure. Mais là, ils sont en train de se faire massacrer par trois amoureux du trident. Je te propose qu'on s'allie, une fois de plus, pour aller les empêcher de continuer leur petite sauterie. En plus, je suis à peu près certain que si on intervient pas, ils finiront par nous voir et il s'attaqueront quand même à nous. »
Un raisonnement logique.
Mais qui n'empêcha pas Barda de se jeter directement sur les trois combattants d'Atlantis. En soi, le combat restait complètement inégal, mais dans des proportions différentes. Les humains avaient cessé de tirer, ils ne comptaient donc plus : mais la guerrière d'Apokolips était bien trop forte pour les Atlantes. Entraînée depuis son enfance, stratège et combattante presque sans égale, ils n'avaient pas la moindre chance de s'en sortir. L'aide de Vixen était donc superflue, si elle venait... mais elle aurait moins le mérite de sauver les apparences.
Et d'éviter qu'on ne propage la rumeur d'une femme ressemblant aux Amazones qui parviendrait à tuer trois Atlantes d'un coup.
Son invective eut l'effet espéré : d'un seul mouvement, les trois Atlantes se tournèrent vers Barda, perplexes face à ce qu'elle venait de dire. Ils n'avaient sans doute pas l'habitude de voir quelqu'un se dresser ainsi contre eux, et surtout, d'avoir l'air aussi menaçant. La New Goddess se ferait donc un plaisir de les aider à corriger cette erreur, et ce de la manière forte s'il le fallait. Elle fit un bond, atterrissant juste devant le trio armé de tridents, en leur adressant un sourire assez provocateur.
Vixen était sans doute là, quelque part, à attendre le bon moment pour frapper et pour s'occuper d'un des trois. Car si elle voulait en interroger un, d'accor, pas de problèmes. Mais Barda n'allait pas s'ennuyer de ces détails.
« Alors, on s'amuse ? On terrorise des humains ? »
Les regards des Atlantes se durcirent. Ils n'avaient pas envie de répondre, ou alors ils cherchaient quoi dire. A moins que leur hésitation ne vienne d'ailleurs ? Peut-être qu'ils n'osaient pas frapper une femme, ou ce qu'ils prenaient pour une Amazone ? C'était peut-être un moyen de la jouer encore plus facilement, se dit-elle. Donc autant essayer !
« Je serais vous, chers Atlantes, je cesserais aussitôt de vouloir massacrer des humains ; après tout, ils vous ressemblent, et ils sont déjà vaincus. Pourquoi ne pas vous en prendre à quelqu'un de plus costaud, comme moi par exemple ? Ou... je sais pas, moi, qui d'autre ? Superman ? »
Elle voyait bien que cela les démangeait, mais elle n'avait pas l'intention de leur faciliter la tâche. C'était sa propre tâche à elle qui s'en retrouvait facilitée : car les humains étaient désormais partis, cachés, dissimulés, et ils ne risquaient plus rien. Alors Barda fit un geste, dégainant son arme d'un geste désinvolte... ce qui eut pour effet de crisper les Atlantes et de les faire serrer leurs armes plus fortement.
« Recule, Amazone. »
Ce à quoi la New Goddess eut un sourire mesquin :
« Oh, pauvre de toi, je ne suis pas une Amazone. »
Comme l'Amazone, l'Atlante moyen n'était pas spécialement incroyable. Il était certes, théoriquement, plus fort et plus rapide qu'un humain, mais ça s'arrêtait là. Sans entraînement, ils ne valaient rien, et ces gars-là en manquaient cruellement. D'un bond, Barda fut sur le trio, et Vixen passa à l'attaque au même moment, parfaitement coordonnée. La Furie en prit deux de son côté, éjectant l'autre pour sa comparse, et elle les attaqua avec une férocité surpuissante.
Très vite, ils furent dépassés, et cherchèrent à fuir.
Elle ne leur en laissa pas l'occasion, toutefois. Fauchant les jambes du premier, elle donna une bourrade à l'autre, le faisant trébucher sur un corps. Il tomba à la renverse, alors que son camarade se relevait juste à temps pour voir son crâne se fendre sous le coup de masse de Barda. Elle ne laissa pas de répit pour le survivant : elle se jeta sur lui, et en quelques mouvements, lui brisa un bras, des côtes, et le fit tomber à genou en lâchant son arme.
Elle aurait pu avoir pitié et le laisser partir. Mais avoir pitié pour l'auteur d'un massacre n'était pas la bonne chose à faire. Alors elle l'acheva, froidement. Vixen avait son prisonnier, la guerrière d'Apokolips avait ses deux victimes. Elle se tourna donc vers son alliée, espérant qu'elle s'en sortait aussi bien.