blood is thicker than water (LAYLA & FLOYD)

Ah non, pas encore. Stupéfaite et interdite, Layla n’osait pas détacher son regard de l’imposant Tower Bridge, là où une seconde plus tôt à peine, elle observait ce qui avait un jour constitué le marché de Covent Garden, alors qu’elle et Floyd étaient repartis en exploration pour renflouer leurs stocks de munitions, sérieusement entamés par les quelques expéditions qu’ils s’étaient risqués à faire à l’extérieur. Ils étaient là, et puis elle avait cligné des yeux, et ils n’y étaient plus. Au lieu de ça, elle se tenait sur la route qui longeait la Tamise et menait au plus célèbre pont de Londres, et un étau vint brutalement lui enserrer la poitrine en réalisant ce qu’il venait de se passer. Encore une téléportation. Encore une fois, Brainiac se jouait d’eux comme des pions – et peut-être qu’il les avait à nouveau séparés. « Floyd ? »  Etouffée par une peur sourde, sa voix quasiment aphone perça à peine le silence de mort qui régnait sur Tower Bridge. Pas encore, bon sang. Pas alors qu’ils avaient réussi à se retrouver, pas alors qu’ils faisaient front commun contre cette horreur dans laquelle ils avaient été plongés malgré eux, pas au moment où une nouvelle séparation était, à ses yeux, en pole position des pires choses qu’il pouvait encore lui arriver sur cette maudite Terre. S’arrachant enfin à sa contemplation ahurie, elle fit volte-face, ses mains agrippées à son fusil d’assaut, et scanna le paysage du regard, incapable de trouver sa respiration – jusqu’à ce que ses yeux ne se posent sur la silhouette de son partenaire à quelques mètres de là, l’air à peu près aussi désorienté qu’elle. Et ses poumons acceptèrent aussitôt de fonctionner à nouveau, et son cœur cessa sa chute libre jusque dans les abysses, et le monde se remit à tourner à l’endroit.

Mais quelque chose n’allait pas. Un frisson désagréable remonta le long de son échine, alors que sur sa langue dansait soudainement le parfum particulier de l’eau de mer – et une alarme s’alluma dans son esprit alors qu’enfin, elle remarquait à quel point Floyd s’était matérialisé près de la rive. « Floyd ! » l’appela-t-elle encore en n’écoutant que cet instinct qu’elle maîtrisait à peine, mais qu’elle avait appris à écouter quoiqu’il en coûte ; et elle bondit par-dessus le capot d’une voiture abandonnée sans doute depuis des mois ou des années, et courut jusqu’aux côtés de son partenaire pour l’attraper par le bras et l’entraîner le plus loin possible de cette Tamise menaçante et grouillante et bouillonnante de poison. « Ecarte-toi de l’eau, tout de suite. » lui intima-t-elle, une urgence dans la voix. Pourtant l’eau ne bougeait pas – pas plus qu’un fleuve ne devrait le faire, en tout cas – mais depuis quelques temps, ça n’était clairement plus par les yeux qu’elle ressentait quoi que ce soit sitôt qu’il s’agissait d’eau. Savamment cachée dans la poche intérieure de sa veste, elle sentait l’artefact arraché aux Atlantes pulser, comme un deuxième cœur contre le sien. Elle était proche. Tapie dans l’ombre, prédatrice attendant son heure. Ils reculèrent de plusieurs mètres, tous les deux, et Layla garda les yeux rivés sur la Tamise, ostensiblement méfiante, jusqu’à ce qu’ils soient dos à un bus et suffisamment éloignés de la rive à son goût. « C’est elle. Mon double. Elle est quelque part dans l’eau, mais je ne sais pas pourquoi elle n’attaque pas. » De ce qu’elle en avait vu, hostile était un faible mot pour la décrire. Hésitait-elle à cause de l’objet qu’elle avait dérobé dans la Tour de Londres ? Qu’importe : son calme retrouvé maintenant que son partenaire l’était aussi, elle se tourna enfin vers lui, le soulagement lisible sur son visage en dépit du stoïcisme vers lequel elle s’orientait naturellement dans ces situations d’urgence.

« Ca va ? » demanda-t-elle, un peu pour rien parce qu’il était évident qu’il n’avait rien de cassé, mais c’était la première chose qui lui était venue à l’esprit après cette frayeur qu’ils n’avaient demandé à personne. « J’ai cru que je t’avais encore perdu, pendant un instant. » Mais non, il était là, et ils étaient dans les ennuis jusqu’au cou, s’il fallait en croire les avertissements sinistres de ce Brainiac, mais au moins ils l’étaient ensemble. Comme au bon vieux temps, cette fois sans masques, sans distance, sans incertitude quant à l’identité de celui qui couvrait l’autre. Cette image-là, Layla aurait voulu la graver dans son esprit. Mais elle n’en eut pas le temps. Une détonation déchira l’air trop calme de Tower Bridge, et presque simultanément, le verre des vitres du bus qui les abritait explosa en un millier d’éclats tranchants contre lesquels seuls leurs bras levés et leurs vêtements furent en mesure de les protéger. Sniper. La conclusion qui s’imposait d’elle-même, aboyée d’une voix autoritaire dans sa tête ou de vive voix, elle n’aurait pas su le dire, mais le résultat était évident : quelqu’un leur tirait dessus. Elle avait trop prise au dépourvu pour voir d’où le tir était venu, mais en relevant les yeux vers Floyd pour vérifier qu’il n’était pas blessé, son regard tomba sur le rétroviseur tordu du bus. Dans son reflet, une silhouette, lointaine encore, mais identifiable entre mille. Elle portait juste les mauvaises couleurs.  « Floyd… » souffla Layla, en lui désignant le reflet d’un bref mouvement de tête.

L’autre Deadshot.

Cette fois, c’était officiel : ils étaient vraiment mal barrés.

AVENGEDINCHAINS

Comme un disque rayé, le cauchemar se répète. La téléportation t'a projeté près de la Tamise, sans aucun signe de Layla aux alentours. Tu le sais, parce que c'est la première chose que t'as faite, chercher sa main, chercher son regard, en vain. Tout ce que tu as trouvé à tes côtés a été cette douloureuse absence. Un néant aussi violent qu'un coup de maillet derrière la tête. Non, par pitié, pas encore. Toi le non croyant, tu pourrais presque prier un dieu qui n'écoutera pas, supplier pour que l'on te rende celle que tu ne veux plus voir t'être arrachée. La gorge nouée et le cœur battant, tu parviens à peine à prononcer son nom. « Layla. » L'arme que t'avais sur toi lors de votre escapade à Covent Garden est toujours attachée dans ton dos, bien maigre consolation qui ne suffit pas à contrebalancer la disparition de ta partenaire. Mais se laisser abattre n'est pas une solution, alors déjà tu envisages de commencer tes recherches. Retour à la case départ. Vous aurez à peine eu le temps de vous retrouver que déjà il vous faut reprendre la douloureuse labeur de traquer les traces de l'autre. Pourtant, après une profonde inspiration pour tenter de faire taire les battements abruptes de ton palpitant, t'as l'impression d'entendre sa voix. Tu l'entends t'appeler, là, tout près. Vivement, tu te retournes à temps pour la voir courir vers toi et te tirer loin de l'eau. A la fois soulagé et secoué par le brutal ascenseur émotionnel que tu viens d'éprouver, tu ne parviens pas à dire quoi que ce soit tout de suite. Elle est là, tout va bien. T'étais peut-être pas loin de te faire attraper par son double, mais ceci n'est qu'un détail sans importance maintenant que vous venez de vous trouver. T'aimerais pouvoir la toucher, attraper son menton, caresser sa joue et t'assurer qu'elle va bien, mais ton instinct te murmure à l'oreille qu'il serait mal avisé de négliger ta concentration dans une situation aussi périlleuse. Vous n'êtes pas là par hasard, et tu crains que les gestes d'affection n'aient pas leur place ici. Vous voilà à nouveau plongé en pleine guerre.

Après un dernier regard sur la Tamise d'où aucune menace ne semble pour l'instant vouloir émerger, tu te tournes vers elle, discret sourire aux lèvres. « Je vais bien. » Et finalement, tu cèdes à l'appel des sentiments, allant à l'encontre du bon sens, en déposant un bref baiser rassurant sur son front. Toi aussi t'as eu peur, mais la catastrophe que tu redoutais ne s'est pas concrétisée, te mettant presque le doute sur une hypothétique force supérieure au-dessus de vous qui écouterait vos lamentations. Presque. Et non, tu ne parles pas de Brainiac. Ce taré vous a envoyé dans une arène, où un monstre aquatique pourrait surgir pour vous bouffer à tout moment. Un monstre qui jadis portait les traits de Layla. Voilà maintenant plusieurs jours qu'elle t'en as parlé, mais t'as toujours pas réussi à te faire à l'idée. Est-ce que vos armes seront suffisantes pour en venir à bout ? Quand va t-elle se décider à attaquer ? Trop d'inconnues dans cette équation, et le matheux en toi n'apprécie guère ne pas parvenir à la résoudre. Mais il est déjà trop tard pour espérer reprendre le calcul. La vitre du bus à côté de vous éclate en mille morceaux, désignant très clairement l'existence d'un second adversaire dans le jeu. Tu attrapes le fusil dans ton dos, tout en te servant de la carcasse métallique pour te camoufler. Bon, il va falloir que vous analysiez la situation. Comme avant. Quand vous alliez vous battre ensemble, formant une équipe redoutable. Mais qu'en sera t-il maintenant que vos sentiments se sont ouvertement manifestés ? Déjà là, ta seule envie est de la mettre à l'abri. Tu sais qu'à deux vous serez plus efficaces, mais il y a cette partie de toi qui aimerait la savoir en sécurité, loin du champ de bataille. Une inquiétude si brutale qu'elle te ferait presque perdre pied. Jamais tu n'as été aussi anxieux face à une difficulté, et tu vas devoir te ressaisir avant de prendre une quelconque décision sur la suite de l'affrontement. Avant, c'était facile, maintenant, la peur de la perdre est si tenace que tu ignores comment la mettre en sourdine.

Deadshot. Tu vois son reflet dans le rétroviseur qu'elle te désigne. Ton double. Celui tant redouté. Son image se dessine très clairement, perché sur un bâtiment élevé où il vous tient en joug. Tu distingues même la couleur de son costume, bleu, identique au tien sur tous les points, sauf celui-ci. « Il nous a manqué. » Et ceci, est de toute évidence impossible. Ce qui ne peut vouloir dire qu'une seule chose : il n'a pas cherché à vous tuer. « Il veut jouer. » Tu le sais, parce que quelque part, il est toi. Sans être certain que ce soit réellement ton visage qui se cache sous son masque, tu peux néanmoins certifier qu'il est tout aussi doué au tir. Mais pour en avoir le cœur parfaitement net, tu lances une pierre trouvée à tes pieds plusieurs mètres au-dessus de vous, et sous les quelques morceaux qui retombent éclatés après un bref bruit sourd, un seul constat, il sait effectivement parfaitement viser. A ton tour. Discrètement, tu cherches à verrouiller ta cible, œil dans le viseur, prêt à en finir le plus rapidement possible. C'est à lui qui touchera l'autre le premier. « Je dois trouver un meilleur angle. Ce fils de pute s'est parfaitement positionné. » Libre de ses mouvements tout en étant couvert. Il est doué, l'enfoiré. Okay, okay, Floyd, réfléchis. Là bas, à quelques mètres seulement, y a cette statue couchée de tout son long, de quoi t'offrir un meilleur angle tout en restant cachés. « Tu vois la statue ? Il faut qu'on y aille. Très rapidement. D'abord toi, pendant que je te couvre. » Et tu ne lui laisses pas le choix. Déjà en position, quand elle s'élance vers votre second spot, tu tires le plus de coups possible dans sa direction. Des coups imprécis, mais qui devrait néanmoins troubler sa précision et empêcher Layla d'être touchée. Pour ton cas à toi, et bien, tu verras après, quand elle sera à l'abri.
 

AVENGEDINCHAINS

Il veut jouer. Parce qu’il y a encore des gens qui arrivent à prendre leur pied dans cette situation de merde, dans ce monde de merde, où la plupart mouraient et où les plus forts pouvaient se comporter en hyènes triomphantes pour profiter de la suprématie qui leur était accordée. Layla serra la mâchoire, détermination revêche dans le regard qui y faisait naître un feu ardent et concentré. Elle ignorait qui se trouvait sous le masque de cet autre Deadshot autant que Floyd, mais avec ce tir de sommation, il avait signé d’une balle une déclaration de guerre. Une guerre qu’elle aurait préféré éviter, mais quel choix avaient-ils, maintenant ? Ils étaient à nouveau menacés – et cette fois, les enjeux étaient différents. Cette fois, ils avaient autant à perdre, mais les conséquences ne seraient pas les mêmes, pas vrai ? Sans mot dire, son cœur trop à l’étroit dans sa cage thoracique, Layla regarda Floyd s’emparer d’un caillou et le jeter en l’air pour tester les réflexes de cet autre Deadshot – ben voyons, évidemment qu’il était aussi bon que lui. Layla se laissa aller contre la carrosserie du bus qui leur servait d’abri, et prit une profonde inspiration ; avant de faire sauter la sécurité de son fusil d’assaut. Ils n’avaient pas le choix. Quand bien même la tentation de la panique était palpable, quand bien même ils pouvaient prier de toutes leurs forces pour que l’autre soit épargné dans la bataille qui s’annonçait, ils ne pouvaient compter sur personne d’autre que sur eux-mêmes pour s’en sortir, et elle, elle refusait fermement, catégoriquement, de perdre à nouveau son partenaire. Pas maintenant. Pas après ces derniers jours. Ou de céder la moindre parcelle de victoire au faux Deadshot. Initial success, or total failure – il résonnait à nouveau dans sa tête, le motto officieux de l’EOD, et elle tourna la tête vers Floyd avec une résolution nouvelle peinte sur ses traits fatigués. Ils s’en sortiraient, ensemble – ou ils ne s’en sortiraient pas du tout.

Suivant ses instructions, elle avisa la statue couchée qui pourrait, s’ils parvenaient à l’atteindre, leur servir de cachette un peu mieux positionnée que ce bus qui leur obstruait la vue, et elle hocha la tête, ignora ce coin de sa tête qui lui soufflait qu’elle n’aimait vraiment pas l’idée de le laisser derrière ; mais il le fallait, pourtant. Elle n’avait pas le choix. Qu’elle traîne la patte, ou qu’elle hésite une fraction de seconde, et c’était lui qui pouvait en payer le prix. Une pensée qui lui était plus insupportable qu’elle ne l’avait jamais été, et qu’elle ne pouvait pas se permettre de laisser devenir un frein. « Roger. » répondit-elle machinalement, en ajustant sa position, prête à bondir hors de sa cachette pour filer sur l’objectif. Mais avant ça, elle avisa une dernière fois son partenaire, déjà en position. Et comme une vague la poussant dans le dos, elle sentit une bouffée d’émotions, affection, confiance, peur, inquiétude, amour, la submerger toute entière. Elle était terrifiée, elle aussi. Evidemment. Jamais, auparavant, n’avait-elle autant senti le poids de la terreur l’étrangler à la gorge, parce que jamais auparavant n’avait-elle eu autant conscience du danger pensant sur l’homme qu’elle aimait. Une première fois dont elle se serait bien passée ; mais, invoquant toute la force de sa volonté parfois excessive, Layla se força à s’extraire de ces sables mouvants. Oui, elle était terrifiée ; et tant mieux. Cet autre Deadshot n’y connaissait vraiment rien, s’il se figurait que la peur n’était pas le plus extraordinaire moteur pour qui lui était un peu familière. Pour ne pas déranger la position de Floyd, elle se contenta de lui caresser une dernière fois la joue, puis ne résista pas et se pencha pour s’emparer une dernière fois de ses lèvres, dans un ultime baiser qu’elle se força à rompre rapidement. Inutile de rendre les choses encore plus difficiles. « Attends mon signal. Et sois prudent. » Et sans plus attendre, elle s’élança au grand jour.

Elle courut le plus vite possible, à grandes enjambées, les yeux fixés droit devant elle et gardant les bras le plus près possible du corps pour offrir le moins de surface possible à celui qui l’avait ans aucun doute dans son viseur – et comme ils l’avaient prévu, de nouvelles salves de tirs résonnèrent dans l’air et une pluie de balles s’abattit tout autour d’elle, mais Floyd canardait, lui aussi, et ça avait l’air de fonctionner. A deux ou trois reprises, elle sentit une balle la frôler, mais toutes finirent leur course dans le sol en soulevant un nuage de poussière sur son passage sans la toucher ; et elle piqua un dernier sprint avant de plonger derrière l’imposante statue, saine et sauve. Elle se releva aussitôt de sa roulade et brandit son arme, la calant sur une surface suffisamment solide, et riva son œil au viseur à la recherche de leur cible. Bingo. Floyd avait eu raison : ils avaient un bien meilleur angle d’ici. Restant parfaitement immobile, elle se contenta de tendre le bras sans quitter sa cible des yeux, pour intimer à Floyd de rester en place. Elle ajusta légèrement son angle de tir. Puis baissa le bras pour reprendre prise sur son arme, et ouvrit le feu à son tour. « Maintenant ! » s’exclama-t-elle sitôt qu’elle aperçut la silhouette dans son viseur remuer, dérangé par la salve qu’il se prenait de plein fouet. Ca avait encore l’air de fonctionner, et elle continua de tirer sans s’arrêter jusqu’à percevoir du coin de l’œil la silhouette de Floyd s’écraser à son tour à ses côtés, en un seul morceau – enfin, elle espérait. « Il t’a pas eu ? » demanda-t-elle en l’inspectant rapidement, avant d’indiquer leur adversaire haut perché d’un mouvement du menton. « Regarde son perchoir. » Le toit d’un immeuble, hors de portée, mais complètement démoli par la guerre qui avait ravagé la planète. Démoli, instable, risqué. « Toute la structure sur laquelle il se tient a l’air à deux doigts de s’effondrer. Si on peut trouver le point qui soutient tout, on peut le déloger. » affirma-t-elle en se souvenant – vaguement – de la formation de démolition qu’elle avait suivie dans une autre vie. « Une balle bien logée, c’est tout ce dont on a besoin… » Et c’était Floyd le meilleur tireur. Une balle bien logée, qu’elle se répétait comme un mantra en scannant la surface du béton qui s’offrait à eux alors qu’en face, Deadshot reprenait ses rafales. « Là, ces fissures sous la fenêtre, à onze heures ! » Et elle, elle se remit aussitôt à tirer en direction de l’autre Deadshot, espérant à moitié lui loger une balle dans le nez au passage. Elle n’était pas le quart du tiers de la moitié du tireur qu’était Floyd – mais elle pouvait bien distraire l’autre pendant que lui s’essayait au tir décisif qui rééquilibrerait les forces de cet absurde duel.

AVENGEDINCHAINS

Difficile de rester concentré après un baiser aussi fougueux qu'inattendu, au goût de trop peu. Tête dans les nuages, t'as besoin de quelques secondes pour reprendre tes esprits avant d'ouvrir le feu sur l'ennemi. Depuis que Layla t'a parlé de lui, tu n'as eu de cesse de te questionner sur son identité. Qui se cache sous le masque ? Toi ? Lui ? Ce qui est certain, c'est que vous vous ressemblez comme deux gouttes d'eau. Le même reflet dans le miroir, ou presque. Et alors que tu mitrailles sa position pour permettre à ta partenaire d'atteindre la statue, tu ne peux t'empêcher de te dire que celui que tu vises est peut-être un homme que tu n'aurais jamais pensé revoir un jour. L'idée te fait l'effet d'un violent coup dans l'estomac. Tu pourrais même presque en vomir, secoué par cette possibilité qui fait étrangement son bout de chemin dans ton esprit au point de devenir une toute nouvelle obsession. Il est doué, il embrasse les mêmes méthodes que toi, mais il y a quelque chose de différent chez lui. Une nuance minime mais suffisante pour renforcer le doute qui te colle à la peau depuis des jours. Tu sais qu'il te jauge autant que tu le fais, et probablement se pose t-il les mêmes questions. Il n'a pas cherché à vous tuer tout de suite parce qu'il est curieux, il veut savoir, et c'est un avantage dont vous allez pouvoir vous servir. Au signal de Layla, tu cesses de tirer et cours jusqu'à la statue pour la rejoindre. Efficacité maximale. A vous deux, même s'il prend son temps, vous êtes des cibles redoutables. « Je vais bien. » Grâce à elle. Mais maintenant, il va falloir passer à la seconde étape du plan, le mettre hors d'état de nuire. D'où vous êtes, tu vas pouvoir avoir un meilleur angle de vue, même s'il va falloir que tu sois rapide, ce n'est qu'une question de secondes avant qu'il ne s'en rende compte et change lui aussi de position pour garder l'avantage.

Layla a raison, la structure sur laquelle il est positionné est instable. Tout ici est en ruines, conséquences de combats incessants entre Amazones, Atlantes et Résistance, et ça aussi, vous allez pouvoir en tirer profit. Tu places ton fusil, œil dans le viseur, à la recherche du point de soutenance à abattre. Le mur porteur qui fera s'écrouler tout le reste dans un jeu de dominos en bitume. « T'es parfaite, tu le sais ça ? » Et tu le penses réellement. Malgré la peur qui te tenaille, l'avoir à tes côtés est un atout non négligeable. T'es plus fort quand t'es avec elle, ta partenaire, et tellement plus encore. Bon, allez, c'est l'heure de passer à la contre-attaque. Tu cherches, tu cherches, et puis, bingo, elle trouve le parfait spot. Des fissures sous une fenêtre, témoins d'une instabilité avancée. Un tir là-dedans et Deadshot s'écroule. Okay, concentration. Avant chaque balle, c'est comme si le temps s'arrêtait. Ta respiration ralentit, et ta tête calcule tous les facteurs environnementaux autour qui pourraient fausser ton tir, ou au contraire, le faciliter. Quelques secondes, pas plus, et tu ouvres le feu. Bam. En plein dans le mille. Un bruit de métal et de béton raisonne, puis tout s'emballe. Tu vois dans la loupe de ton fusil qu'il commence à paniquer, mais il est déjà trop tard pour prendre la fuite, le bâtiment s'écroule dans un brouhaha qui agresse tes tympans et recouvre la zone de poussière. Champ de bataille devenu champ de ruines. « Aucune chance qu'il soit crevé. » Parce que, et bien, tu te connais. T'arrives toujours à te tirer des pires situations, aucune raison que ce soit différent pour lui. Toujours à l'aide de ton viseur tu surveilles le moindre mouvement dans les décombres, et ce que tu trouves, au milieu de cet amas de débris, c'est sa silhouette bleue, allongée, et visiblement inconsciente. Avec ce qu'il s'est pris sur la tête, rien d'étonnant. Et c'est le moment. Votre occasion d'en finir.

Votre fenêtre d'ouverture est mince, très mince, alors qu'elle te pardonne, mais tu refuses de perdre la moindre seconde, inutile de tergiverser. « Je vais achever ce salopard. » Et te voilà en train de courir dans sa direction, séparant rapidement les mètres qui vous séparent dans une course effrénée contre la montre. Mais pas assez encore, puisque tu le vois déjà reprendre connaissance. Et merde. Tu accélères la cadence dans cette nouvelle mission suicide, sentant Layla te suivre dans ton dos, mais t'as pas le temps. T'as pas assez de temps. La grenade vol dans votre direction et s'arrête à tes pieds. D'un réflexe entretenue depuis tes années chez les Marines, tu shootes dans l'engin explosif pour le renvoyer à l'expéditeur. Et voilà que tu repars dans l'autre sens, te jetant sur elle pour la couvrir de la détonation qui éclate non loin de vous. Okay, peut-être que c'était stupide, mais c'était votre seule chance et tu te devais de la saisir. Ecrasés sur le sol, allongé sur elle pour la protéger, tu te rends vite compte que Deadshot ne tire pas. Soit parce qu'il est encore complètement sonné – ce qui est plus que probable vu le choc – soit parce qu'il prépare autre chose. La grenade qu'il a lancé a été sa diversion, et vous êtes désormais seuls sur le terrain de guerre. Où il est passé ce fils de pute ? Après avoir secoué tes cheveux imprégnés de poussière et de morceaux de béton, tu tournes la tête vers Layla, soulevant un peu ton corps pour ne pas complètement l'écraser. « Hey. » Sourire taquin, tu trouves moyen de tirer profit de cette situation cocasse, parce qu'il est important de décompresser un peu après ce pic élevé de tension. Enfin, selon ton avis de légendaire roublard. Elle t'en veut ? Un peu ? Beaucoup ?
 

AVENGEDINCHAINS

Est-ce que c’était mal, ou inapproprié, de songer qu’il y avait quelque chose de grisant, dans le fait de se retrouver à nouveau sur le champ de bataille avec lui ? Après tant de combats menés seule en cinq ans, à devoir assurer ses arrières et ceux des autres par la même occasion parce qu’elle n’avait jamais réussi à accorder sa confiance comme elle l’avait accordée à Floyd, l’avoir à nouveau à ses côtés pour ce nouveau conflit avait quelque chose de libérateur. Floyd lui avait dit, un jour, n’avoir jamais réussi à se séparer du soldat qui sommeillait en lui. Aujourd’hui, plus que jamais depuis leurs retrouvailles, elle sentait son propre soldat intérieur démolir les barrières artificielles, et sacrément fragiles, qu’elle avait un jour construites dans une vaine tentative de laisser tout ça derrière elle… juste avant de s’embarquer dans de nouvelles guerres, dissimulées sous le couvert d’autres noms savamment choisis : écologisme, militantisme, activisme, tout autant de mots tournés en dérision et qui dissimulaient tous la même vérité. Autant de guerres qu’elle avait menées sans lui, avec un succès mitigé : maintenant, que le Deadshot d’en face se tienne prêt. Le meilleur duo à avoir jamais gracié les sables d’Afghanistan n’avait visiblement rien perdu de sa superbe. Layla s’autorisa à adresser un sourire en coin à son partenaire qui venait de la rejoindre et d’écouter son bref exposé : « Oui, mais c’est toujours agréable de t’entendre le dire. » rétorqua-t-elle, avant de tomber dans le silence, le laissant se concentrer, préparer son tir, et… la détonation déchira l’air, un coup de tonnerre sous le ciel gris londonien. Et comme tous les coups de tonnerre dignes de ce nom, celui-ci était annonciateur d’un orage. Un orage qui se répercuta conte chaque paroi, chaque morceau de ruine de cette arène arbitraire, alors qu’une balle avait suffi à forcer le terrain à changer du tout au tout. Boom.

Les yeux protégés sous son bras, elle s’autorisa à risquer un œil dehors dès que le vacarme de l’éboulement s’atténua, suivant l’exemple de Floyd. L’autre Deadshot gisait là, au milieu des décombres. Sonné, sans aucun doute, mais de là à affirmer qu’il était mort… mais avant qu’elle n’ait le temps de dire un mot, Floyd obéissait déjà à son intuition légendaire – celle-là même qui ne le trompait jamais, mais qui, couplée à la folie du moment, pouvait parfois le pousser à prendre des décisions… déraisonnables. « Floyd ! » s’écria-t-elle en le voyant s’élancer bille en tête, et elle se jeta à sa suite sans perdre une seconde, prête à limiter les dégâts, quand un éclat métallique brilla dans le ciel. Grenade. Merde. Heureusement, impulsivité ou non, Floyd conservait des réflexes fulgurants, et elle n’eut que le temps de cligner des yeux avant qu’il ne se jette sur elle au moment même où l’explosif relancé à l’envoyeur explosait au-dessus de leurs têtes. Le choc de son dos sur le bitume et le poids de son partenaire sur elle lui coupèrent le souffle, mais elle était en un seul morceau – ou elle en avait l’impression, du moins. Et Floyd ? Un déferlement de panique s’écrasa dans son esprit à l’idée qu’il avait peut-être été touché par un morceau de shrapnel, ou une balle dans la grenade ; mais le sourire de filou qu’il lui dédia en se redressant sur ses coudes chassa vite toutes ses inquiétudes. Elle soupira de soulagement. « Hey handsome. » répondit-elle avec un sourire, bien trop heureuse de le savoir en un seul morceau pour se fâcher de son inconscience. « Tu me préviens, la prochaine fois, s’il te plaît ? » Quand même.

Le silence était retombé dans l’arène, mais ils savaient tous les deux que l’autre Deadshot n’avait pas battu en retraite – Brainiac ne l’aurait même pas laissé faire. Alors, aussi cocasse soit la situation, aussi tentée fut-elle de lâcher une plaisanterie ou deux au sujet de leur drôle de position, Layla se dévissa la tête pour scruter les ruines derrière elle, guettant la moindre trace de leur ennemi. « Il en a profité pour aller reprendre ses esprits. On doit se mettre à couv… » Da-dum. Une pulsation, un battement de cœur tout près du sien – immédiatement suivi, dans ses tympans, par le gargouillement cristallin si distinctif de bulles remontant à la surface d’un fleuve lisse, unique dérangement dans le cours tranquille de l’eau habituellement calme. Un écho diffus se propagea à l’intérieur de son crâne, diffus, étouffé, et pourtant clair comme le silence palpable des profondeurs. Un écho diffus dont les ondes parfaitement lisses se propagent, avant d’être dérangées par une nouvelle pulsation, da-dum, légère onde de choc dans l’eau, mais dans l’eau, même une légère onde se faisait annonciatrice d’un raz-de-marée. Les doigts de Layla se crispèrent sur la veste de Floyd. « Elle arrive. Relève-toi, vite. » Précipitamment, elle se redressa sur ses deux pieds sitôt que Floyd lui en laissa la possibilité, les yeux rivés sur les rives de la Tamise. Et d’abord, il n’y eut rien d’autre que le silence ; jusqu’à ce que, après un instant de battement, un grondement nébuleux ne parvienne à leurs oreilles, alors que la Tamise se mettait à bouillonner. Et soudain, poussant un rugissement venu tout droit des abysses les plus profondes des océans, la Tamise se souleva en vagues entières, violentes, agitées, qui se regroupèrent entre elles en faisant pleuvoir un torrent d’eau salée sur les rives du fleuve alors que devant eux se dressait, à peine humanoïde, et non moins monstrueuse, l’élémentaire d’eau dont les Atlantes de cette planète étaient si fiers. A a vérité, Layla ne l’avait, jusqu’ici, jamais croisée que de loin. Et maintenant qu’elle se trouvait nez-à-nez avec elle, elle s’estimait presque heureuse de constater qu’il ne restait presque plus rien de l’originale dans cette créature. Presque. « Trouve un point en hauteur. N’importe quoi, le plus haut possible – cours, maintenant ! » finit-elle par aboyer, au moment même où Reef laissa ce qui s’apparentait à sa voix rugir de nouveau – ou plutôt, laissa échapper ce qu’elle ne pouvait que qualifier de cri déchirant, entre fureur et désespoir. Voilà, ce que les Atlantes ont fait au Blue. Mais elle n’eut pas le temps de les maudire : à peine avait-elle commencé à courir elle aussi que la créature aquatique se gonfla en une seule vague, une unique lame gigantesque, et s’abattit sur le rivage, engloutissant tout sur son passage dévastateur. Et les laissant, tous les deux, avec une question cruciale : comment, s’ils survivaient à cette première déferlante, se débarrasser d’une élémentaire entièrement faite d’eau ?

reef in pics sort of:

AVENGEDINCHAINS

Un jour peut-être aurez-vous un bref moment de répit. Sans double pour venir vous casser les pieds. Sans révélations tonitruantes. Sans emmerdeur aux cheveux longs. Mais pas aujourd'hui. Alors que tu lui rends son sourire, tu sais qu'il va vous falloir vite retrouver l'usage de vos deux jambes, en ne cédant pas à la tentation de vous reposer un peu sur vos lauriers. Et en espérant que son dos ne soit pas trop douloureux. Désolé, mais c'était ça ou la mettre en première ligne pour l'explosion de la grenade. Chose, évidemment, que pour rien au monde tu n'aurais risqué. Elle a raison, ce moment de flottement va lui servir à reprendre ses esprits, et c'est un avantage que vous ne pouvez pas vous permettre de négliger. Il ne peut pas être bien loin, avec ses blessures, vous pourrez en plus le traquer aisément, quelques minutes de recherches dans les décombres devraient suffire à mettre à un terme à tout ça. Ou au moins, à avoir quelques réponses. Qu'importe qui se cache sous le masque, tu arracheras la vérité de tes doigts s'il le faut. Et puis... Quoi ? Tu tournes en direction du bruit assourdissant qui vient rompre brutalement tes pensées vagabondes. Qu'est-ce que c'est maintenant ? Elle arrive ? Qui ça, son double ? Il y a un temps pour les questions, et un temps pour l'action. Là tout de suite, c'est définitivement un temps pour l'action. « Bordel de merde. » Tu te relèves à la hâte, piétinant les graviers sous tes semelles en prenant appui pour te remettre debout. T'as entendu parler d'elle de la bouche de Layla, et t'as essayé plusieurs fois de t'imaginer à quoi elle pouvait rassembler. Mais maintenant que vous êtes le point de vous retrouver face à elle, la curiosité laisse place à l'appréhension. Si tu te souviens bien, ce double ne fait qu'un avec l'eau, ce qui laisse supposer une incapacité à pouvoir l'atteindre avec les armes basiques en votre possession. Contre elle, ton flingue ne sera d'aucune utilité. Et faire écrouler un immeuble à ses pieds non plus. En d'autres termes, vous voilà potentiellement dans la merde.

Les cris se matérialisent, et sous vos yeux se dresse désormais cette forme humanoïde qui n'en a que l'apparence. Le reste n'est qu'une étendue d'eau prête à s'abattre sur vous. Le souffle coupé, tu fixes intensément ce double agressif, cherchant en lui les traits disparus de celle que tu aimes. Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? Comment tout ceci a pu arriver ? Il ne s'agit pas seulement d'une créature d'un autre monde, c'est aussi ce qu'aurait pu devenir Layla chez vous, dans d'autres circonstances. Cette femme qui partage ta vie et sans qui tu es désormais incapable de t'imaginer vivre, aurait pu subir ce même sort si le destin en avait décidé autrement. Alors oui, être là, juste devant elle, ça te serre le cœur dans un étau. T'aimerais pouvoir faire quelque chose. T'aimerais choisir une autre issue que celle qu'on cherche à vous imposer. Parce que quelque part, au plus profond d'elle, existe ce qu'elle fut jadis. Comme celle qui se trouve à tes côtés. L'élémentaire prêt à attaquer, c'est Layla qui te sort de ta torpeur en t'ordonnant de courir. Un ordre qui te fait hésiter l'instant de quelques secondes, incertain de ce qu'elle fera elle ensuite. Si tu cours, c'est pour qu'elle en fasse autant. Tu la connais, elle est comme toi, vous avez cette tendance appuyée à toujours vouloir protéger l'autre, qu'importe ce que vous devez subir pour y parvenir. Alors tout en te mettant à fuir à grandes enjambées, tu t'assures que Layla n'est pas loin derrière toi. Parce que tu ne feras rien sans elle, jamais. « C'est trop risqué ! » T'as déjà le souffle court, courant le plus rapidement possible en direction du plus haut bâtiment de la zone, tout en sautant par-dessus les débris qui parsèment votre course effrénée contre la montre. « Tout est en ruines, la vague pourrait tout détruire et nous emprisonner dans les décombres ! » Si une seule de tes balles a pu faire s’effondrer un immeuble, quand sera t-il d'une puissante poussée d'eau ? Même si par miracle vous parvenez à atteindre un endroit en hauteur, le risque que tout s'écroule est beaucoup trop grand. Vous serez pris au piège des débris, sous l'eau, sans aucune chance de remonter à la surface.

Alors tu t'arrêtes brusquement. Profitant des quelques secondes d'avance pour venir déposer un baiser sur ses lèvres, tout en misant absolument tout sur votre capacité à vous tirer des pires situations. Ce ne sera pas le dernier, promis. « Ça va mouiller, prends ton inspiration. On se retrouve de l'autre côté. » Quand la vague vous frappe, tu te bats envers et contre tout pour garder sa main dans la tienne. Mais bon sang que c'est difficile, tout tourbillonne, et parfois, tu sens des morceaux de béton te frapper le dos et les jambes. Encore quelques secondes à tenir en apnée, et vous pourrez remonter à la surface. Le choc sera passé, et le courant brutal ne vous empêchera plus de battre des pieds jusqu'à l'air libre. Mais quelques secondes suffisent aussi à changer la donne. Et emporté par la force de l'eau, tes doigts relâchent les siens, t'emportant au loin sur plusieurs mètres. Tu cries son prénom, usant tes dernières réserves oxygène bêtement, mais sans être capable de faire autrement. Ça va aller, elle est meilleure nageuse que toi, pas vrai ? Elle va s'en sortir. Si quelqu'un peut se tirer de ce merdier avec brio, c'est bien elle. Peut-être même que sa connexion au Blue pourra lui être utile. T'en sais rien. Mais tu l'espères. Tout en étant ballotté dans tous les sens. T'as presque l'impression de sentir tes poumons imploser, quand subitement, toute l'eau autour semble se retirer, comme une vague le long d'une plage, ou une baignoire que l'on viendrait de vider. A l'air libre, tu prends une profonde inspiration, avant de commencer à tousser bruyamment. Bordel, ce que c'est douloureux. T'es encore sonné, mais tu comprends ce qui vient de se passer. Au loin tu entends les tirs de l'autre Deadshot, visiblement la nouvelle cible de la créature. Par chance, elle s'est délaissée de vous pour s'occuper de celui qui cherche à l'atteindre. Formidable, parfait timing. « Layla ! » Ta voix est faible, sans presque aucune portée, mais tu tiens à utiliser toute ton énergie pour la trouver le plus rapidement possible. Celle qui détient la clé de votre fragile réussite, c'est elle. Et t'as vraiment besoin qu'elle te dise comment faire, avant de subir une nouvelle vague de colère.
 

AVENGEDINCHAINS

Ensemble, ils auraient pu tout affronter. Des armées, des Amazones, des Atlantes, des secrets si noirs qu’ils auraient pu empoisonner tout ce qu’ils touchaient – mais en sentant la présence démesurée de Reef dans son dos, et la vague abattue déferler sur la rive à toute vitesse, Layla se demanda s’ils n’avaient pas atteint leur limite. Comment combattre une élémentaire, elle n’en savait rien, elle ignorait même si c’était possible, ou si eux en étaient capables. Il était loin, le souvenir du calme absolu du Parlement des Vagues, au cœur du Clear : Reef, elle, avait pris l’autre extrémité du spectre et s’était faite incarnation de toute l’horreur et la violence dont la mer était capable. Floyd avait raison : en hauteur ou non, la force de la déferlante les exposait de toute façon à des risques démesurés. De là à affirmer qu’ils étaient plus en sécurité au sol, elle n’aurait pas été jusque-là, mais sitôt que son compagnon força leur course à prendre fin en emprisonnant sa main dans la sienne, et en capturant ses lèvres avec les siennes, elle renonça à son plan foireux pour adopter le sien. Foutus pour foutus, autant prendre le risque à deux. Déjà, ce baiser avait un goût de sel, et surtout, l’estomac noué, elle refusait de lui accorder un goût d’adieu. « On se retrouve de l’autre côté. » répéta-t-elle dans un souffle, ses iris bleus accrochés à ceux de Floyd alors que le grondement de la vague se rapprochait à toute vitesse. Tout miser sur eux. Ses doigts s’agrippèrent un peu plus fort à ceux de son partenaire, son cœur tambourinant dans sa poitrine ; et soudain, le choc. Les obstacles avaient beau avoir ralenti la vague, l’ondée les avait quand même frappés de plein fouet, et tout d’un coup, tout fut sombre, et froid, et tous leurs repères avaient filé par la fenêtre.

Brindilles insignifiantes dans le tourbillon d’eau de mer, elle sentit la main de Floyd lui échapper, et pendant un bref instant, faillit paniquer et se mettre elle-même en péril en ouvrant la bouche pour crier son nom, et oublier toutes les autres règles de sécurité qu’elle connaissait par cœur. Mais ça recommençait. Ce même phénomène qu’elle avait ressenti à la Tour, et même avant ça, dans le Parlement des Vagues, avec Tefé ; sitôt la panique formulée dans sa tête, son esprit jaillit hors de sa prison de chair, conscience soudainement étendue aux molécules aqueuses tout autour d’elle, reflets d’une myriade infinie de miroirs qui lui montraient tout ce qu’elle avait besoin de voir, y compris Floyd malmené par les flots, mais Floyd aussi recraché à la surface, poussé là par un heureux courant. Prise de court entre stupéfaction et soulagement, elle faillit s’en oublier elle-même – jusqu’à ce qu’un bloc de béton, poussé par le courant, ne manque de peu de la transformer en pancake sous-marin. D’une pirouette de dernière minute, elle l’esquiva, et s’accrocha à une barre de métal afin de reprendre son équilibre. Et sous l’eau, dans l’eau, au cœur de l’eau elle-même, c’était une bataille des volontés, qui s’engageaient, deux consciences à l’assaut l’une de l’autre, sans avoir pu s’y préparer, ni même s’y attendre. Confusément, Layla sentit le toucher froid de Reef qui l’enveloppait, méfiante, furieuse, craintive, et aussi, un peu curieuse. Elle était confuse. Elle ne savait pas à quoi s’attendre. Parfaitement immobile afin d’économiser au mieux ses forces dans ce milieu particulièrement hostile, Layla patienta, l’air coincé dans ses poumons, refusant de céder à la panique. Et soudain, la pierre cachée dans sa veste émit à nouveau un de ces curieux battements – une onde de choc à peine perceptible pour les autres, mais qui donnait à Layla l’impression de tenir le cœur du Clear contre le sien. Et aussitôt, elle sentit l’eau s’agiter à nouveau. Oh. Reef n’avait pas aimé ça. Pas du tout.

L’élémentaire s’agitait, et Layla décida que s’éterniser dans l’eau finirait mal pour elle ; d’une poussée vigoureuse, elle profita de la déroute momentanée de leur adversaire pour traverser l’eau en quelques brasses – et rêvait-elle, ou est-ce qu’un courant salvateur l’aidait à s’éloigner plus rapidement de l’épicentre du pouvoir de l’élémentaire ? Elle décida, relativement sagement, qu’elle n’avait pas le temps d’y réfléchir, et enfin, creva la surface de l’eau pour s’échouer peu gracieusement sur un reste d’immeuble effondré, les poumons en feu, la tête aux prises avec un vertige particulièrement déroutant et un millier de question ; mais au moins, en un seul morceau. « Floyd ? » appela-t-elle aussitôt, la voix étranglée, en fouillant le paysage des yeux, refusant de croire au pire, refusant même de l’envisager, et – Dieu merci, il était là. Secoué, lui aussi, mais indemne. Le soulagement était palpable, et elle adressa un sourire triomphant à son partenaire bloqué de l’autre côté du canal creusé par la vague ; avant de faire volteface sur ses coudes en entendant les tirs de l’autre Deadshot déchirer l’air. « Ca fonctionnera jamais. » articula-t-elle péniblement en reprenant son souffle. Contre sa poitrine, l’amulette continuait de pulser, doucement, métronome hypnotique, et Layla fouilla dans sa poche pour l’en sortir, sourcils froncés, et effleurer du bout des doigts la surface lisse et irisée de l’étrange objet. La créature avait réagi à ce machin, dans l’eau. Peut-être qu’elle était là, la réponse. Dans la colère d’une élémentaire forcée de s’attacher à un objet, à un peuple d’esclavagistes, contre son gré. Une colère révoltée, mais surtout, lasse, et désespérée. « Et si c’était comme Amy ? » demanda-t-elle tout à coup à voix haute, avant de faire fi de toute sécurité et de s’arracher à son immobilisme pour sauter au-dessus du courant et rejoindre Floyd – Reef et Deadshot étaient encore trop occupés pour faire attention à ses acrobaties. Et leurs complots. « Floyd, et s’il fallait la libérer de l’emprise des Atlantes ? » demanda-t-elle en arrivant à sa hauteur. « C’est à ce truc-là, qu’elle est attachée, contre son gré. Comme Amy s’était attachée à moi – la Layla de cette Terre est morte et est bloquée dans cette pierre au lieu de pouvoir reposer en paix, ça tient la route, non ? » Finalement, l’histoire était-elle si différente ? Les Atlantes avaient réussi à tirer parti de sa mort et à corrompre le Blue, mais si la source du mal était la même, alors… ? « J’ai déjà essayé de la détruire, mais les Atlantes ont l’air de l’avoir protégée contre le Blue. Mais peut-être que si toi, tu essayes… » Ses yeux se relevèrent pour croiser ceux de son partenaire. Seigneur, que n’aurait-elle pas donné pour que Vixen apparaisse à nouveau, et les emmène loin d’ici, en sécurité, loin des conflits et des jeux morbides d’un cinglé intergalactique. BANG, nouvelle détonation, et Reef poussa un nouveau cri en s’abattant sur le perchoir du second Deadshot… avant de se reformer et tourner sa silhouette sans visage dans leur direction. Ils étaient à court de temps. « ll faut qu’elle soit détruite dans l’eau. » déclara-t-elle sans savoir d’où elle tenait cette certitude. Mais elle savait. « Je risque moins de me noyer, et toi, t’as besoin d’avoir le champ libre pour tirer. Tu penses que tu peux le faire ? » Tant pis pour Reef, tant pis pour Deadshot – faisant face à son partenaire, elle prit son visage entre ses mains, les yeux rivés dans les siens. Cette fois, ils n’avaient rigoureusement pas droit à l’erreur. Cette fois, c’était le point culminant de six mois de terrain dans le désert, à réussir à survivre à tout. Plonger avec la pierre, survivre à Reef quelques minutes, elle s’en savait capable. Tout comme elle savait, aussi et surtout, que Floyd ne ratait jamais sa cible. « Si tu me dis qu’on y va, on y va. » Le saut de la foi. La confiance absolue. Et la certitude que s’il donnait sa parole, la balle trouverait sa cible, même si le monde décidait soudainement de se mettre à tourner dans l’autre sens.

AVENGEDINCHAINS

D'un geste beaucoup trop nonchalant dans une situation aussi périlleuse, tu adresses un salut de la main à Layla de l'autre côté du canal. A moitié encore en train de cracher tes poumons, tu t'allonges sur le dos, poussant un long soupire d'exaspération qui fait du bien. A quoi va t-il encore falloir survivre maintenant ? Le seul avantage de tout ce bordel, c'est que peut-être, l'autre Deadshot se fera noyé par la créature. Si au moins elle pouvait vous rendre ce service, vous le méritez bien, après avoir déjà un peu trop enduré. Sans jamais baisser les bras, t'as quand même la désagréable sensation que votre victoire est l'équivalente du bout du monde. Un terrain miné qu'il vous faut traverser pour avoir une chance de vous sortir d'un piège plus grand encore. Un labyrinthe d'emmerdes. Une spirale sans fin qui bouffe chaque fois un peu plus ton énergie, mais à l'origine d'un drôle de paradoxe. Ici, tu es libre de tes mouvements. Il n'y a personne pour t'envoyer dans une nouvelle mission suicide, personne pour t'obliger à repartir. Et malgré tout ce que vous êtes obligés de subir, Deadshot, Brainiac et compagnie, maintenant que tu l'as retrouvée, c'est comme si ce n'était plus si grave. Pas aussi insurmontable. Et tu redoutes déjà l'heure où il vous faudra retrouver la normalité. Une normalité qui rime avec chaines dans ton triste cas. Aucun monde n'est parfait, mais ici, t'as quand même retrouvé ta liberté. Et t'es pas prêt à ce que l'on t'en prive à nouveau. Perdu dans tes pensées, l'arrivée de Layla à tes côtés te fait presque sursauter. La pierre, celle dont elle t'a déjà parlé, et qui pourrait être la clé de votre victoire. Tu comptais sur elle pour proposer une solution, et elle ne t'a pas déçue. Tu t'autorises même un sourire, alors que tu observes l'objet synonyme d'une potentielle salvation. Elle a raison, il y a de fortes chances que le schéma se répète, et que la créature soit liée à la pierre. C'est même logique. Layla était rattaché à Amy, et son double l'est à ça. Elles sont différentes tout en étant similaires. C'est comme ça que ça marche ici, vous n'êtes pas vous, mais quand même assez pour que le reflet dans le miroir se confonde.

Quand tu croises son regard, tu comprends aussitôt ce qu'elle attend de toi. T'es le seul à pouvoir détruire la pierre, c'est donc ta responsabilité. Elle nage, tu tires, rien de plus logique. Pourtant, tu te sens oppressé, comme si ta confiance acquise après de longues années de pratique irréprochable venait de s'envoler. Sous l'eau et en mouvement, il y a tellement de variables à prendre en compte. La vitesse n'est pas la même, et la précision doit pouvoir compenser. Il faut que tu calcules absolument tout, de a à z, car une seule petite erreur pourrait être dramatique. Une fausse donnée, et c'est Layla qui hériterait de la balle. Et ça, tu ne peux pas te le permettre. Alors tu réfléchis. T'as déjà tiré sous l'eau, t'as une idée de la résistance exercée, mais un autre facteur important rentre en compte : le poids de la balle. T'as perdu ton fusil sniper après l'impact de la balle, tout ce qu'il te reste, c'est le 9mm accroché à ta ceinture. Une arme légère, qui va t'obliger à te rapprocher le plus possible, malgré l'avantage non négligeable de tirer à la surface et non en-dessous. La balle va être rapidement freinée dans son inertie, mais il n'y a rien d'impossible. Ses mains sur ton visage, tu plonges ton regard bleuté dans le sien, conscient que c'est ta réponse qui décidera de la suite. Et oui, bien évidemment que tu vas le faire. C'est toi Deadshot. Tu ne manques jamais ta cible. Et si t'as décidé de faire éclater cette putain de pierre, alors elle éclatera. « On y va. » Main dans la main, comme toujours. Une équipe. Deux âmes unies dans l'adversité. Un passé et un présent qui se mélangent. C'est maintenant qu'il va falloir briller. Encore plus qu'à l'ordinaire. Profonde inspiration, nouveau baiser arraché à ses lèvres, et c'est parti.

A l'instant même où Layla plonge sous l'eau, l'élément à ses trousses, tu te relèves sur ton ilot de bitume, fermement appuyé sur tes jambes pour un bon équilibre, et le bras tendu dans leur direction. Tu le sais, ta fenêtre d'ouverture sera très brève, et si tu la manques, tu pourrais ne pas en avoir une seconde. Mais tout est tellement millimétré. Tu ne te souviens pas de la dernière fois où tu t'es senti aussi angoissé à l'idée de rater un tir. C'est de celle que tu aimes dont il s'agit, et si tu venais ne serait-ce qu'à la blesser, tu ne te le pardonneras jamais. La première fois, Eddie est mort. Tu ne laisseras pas l'histoire se répéter. C'est ta chance d'éradiquer le passé, de t'en libérer, tout comme tu libéreras son double de l'emprise des Atlantes. Il y a tellement en jeu dans ce seul tir, et c'est précisément pour tout ce que cela signifie que c'est important et terrifiant. Tu vois que ça s'agite sous l'eau, et plus tu tardes, plus le risque est grand. Allez Lawton, c'est le moment de faire ce que tu fais de mieux, ne pas manquer ta putain de cible. Maintenant. La balle part, traverse l'eau, et termine sa course dans la pierre. Est-ce que ça a marché ? T'as du mal à distinguer ce qui se passe là-dessous, est-ce qu'elle est réduite en morceaux ? Une réponse qui ne te tarde pas à arriver d'elle-même, quand la créature cesse tout simplement d'exister. Comme d'un claquement de doigts. Un cauchemar qui disparaît au réveil. Les remous, les cris, les formes, tout s'arrête d'un seul coup, pour ne laisser qu'une étendue d'eau calme et inoffensive. Aussitôt, tu tends ta main à Layla pour l'aider à remonter à la surface. « Bon boulot, partenaire. Elle est libre. » Vous avez réussi. Vous l'avez fait. Et le sourire qui illumine ton visage est largement justifié. Un de disparu, à l'autre. « Maintenant, on s'occupe d'Eddie. » Oui, tu ne voulais pas lui en parler avant d'en être sûr. Mais tu le sens du plus profond de toi-même, celui qui se cache sous le masque du Deadshot bleu n'est nul autre que ton frère. Et honnêtement, tu ne sais pas encore quoi faire de cette certitude, ni de ce qu'elle te fait ressentir.
 

AVENGEDINCHAINS

Nouveau baiser volé à l’arrachée, ou dernier baiser ? Layla préférait ne même pas y penser. Leur plan était aussi dingue que suicidaire – elle avait entièrement foi en les capacités de tireur de Floyd, mais sa capacité à elle à ne pas se noyer si Reef décidait de lui compliquer la vie, ou qu’un autre imprévu se dressait sur leur chemin, c’était une toute autre paire de manches. Mais il était trop tard pour reculer – alors Layla se déroba à son regard, et traça tout droit en direction de l’eau, avant de plonger la tête la première. Reef était partout, tout autour d’elle ; elle était dans l’eau, elle était l’eau elle-même, et Layla sentait son âme froide et morte qui cherchait à noyer la sienne comme elle chercherait à se débarrasser d’un organisme étranger. Coinçant l’oxygène dans ses poumons, elle se hâta de sortir la pierre de sa veste, et, avec la détermination d’une huître accrochée à son rocher, s’agrippa à un rocher de béton bien planté sous les débris. Elle en avait connu des tempêtes, Layla, des baignades volontaires ou non en plein tumulte, mais jamais, de mémoire de sirène ratée, n’avait-elle affronté des flots aussi violents. Les courants fusaient dans tous les sens, la compressant, compressant ses poumons, cherchant à lui faire lâcher prise, l’eau cherchait à se frayer un chemin dans son nez, sa bouche, mais chaque seconde qu’elle tenait, à retenir la plus petite bulle d’oxygène qu’elle pouvait encore avoir dans le corps. Ca devenait difficile. Le bras tendu, la pierre iridescente et palpitante fermement tenue entre ses doigts, elle grimaça, alors que le temps passait, et que des étoiles familières commençaient à danser devant ses yeux. Encore un peu. Juste encore un peu. Et pan. Etouffée par l’eau, la détonation ne lui parvint que de loin – mais elle sentit, presque aussitôt, la pierre voler en éclats entre ses doigts, petits fragments qui devinrent poussière avant même qu’elle n’ait le temps de le réaliser. Et un ultime battement secoua l’eau, comme un sursaut du cœur avant de pousser son dernier soupir. Devant elle, sculptée dans les remous et les bulles de l’écume, elle crut apercevoir, en plissant les yeux, une silhouette inconfortablement familière. Puis l’écume se dissipa ; la houle retrouva le calme plat d’un fleuve tranquille, et elle sentit, confusément, l’âme perdue coincée dans cette créature disparaître tout à fait. C’était fini. Reef n’était plus.

Encore secouée par cette ultime vision avant la disparition de son double, Layla en oublia de retenir sa respiration correctement, et une gorgée d’eau crut bon de s’infiltrer dans sa gorge, et ses poumons ; la poitrine soudain complètement comprimée, elle obéit à ses réflexes de survie et poussa vers la surface, crevant l’eau et attrapant au passage la main tendue et salvatrice de son partenaire. Elle se laissa hisser sur la surface rocheuse et bien tangible des ruines et se laissa fort élégamment tomber par terre, trempée, passant de poisson à rampante, le temps de laisser ses pauvres poumons maltraités tousser et cracher toute l’eau qu’ils venaient d’ingurgiter contre leur gré – le top du glamour. Mais quelle importance : ils avaient réussi. Et sitôt qu’elle fut en mesure de respirer et de relever la tête, elle rendit son sourire à son partenaire de l’impossible. « Je savais que c’était dans la poche, avec toi. » Hélas, le moment n’était pas aux réjouissances – pas encore. Le nom d’Eddie, enfin lâché, achevait de sceller le dernier acte de leur drôle de tragédie, et son sourire s’effaça pour laisser place à une détermination résignée. Elle avait bien vu, la façon dont Floyd avait essayé de ne pas formuler à voix haute les pensées qui avaient agité son esprit depuis qu’elle lui avait parlé de cet autre Deadshot ; mais maintenant, ils ne pouvaient plus courir. S’il pensait que c’était Eddie, sous ce masque, elle se fierait à son instinct. Et elle maudirait ce Brainiac pour se cruauté, et Eddie pour s’être révélé leur ennemi. Et elle se battrait aux côtés de Floyd, quelles que soient les décisions qu’il ait à prendre, et quelle que soit l’issue. « Ca va aller, d’accord ? Quoiqu’on ait à faire, on… » Le déclic bien distinct d’un fusil automatique l’interrompit dans sa tirade – sa main suspendue dans l’air alors qu’elle allait pour effleurer sa joue dans un geste qu’elle espérait réconfortant. Sur le champ de bataille, il n’y a pas de place pour le réconfort. Surtout quand on se trouve au bout du canon d’un adversaire que, dans la confusion, on n’a pas vu approcher.

Lentement, Layla recula, et, les mains levées, tourna la tête pour dévisager enfin cet autre Deadshot qui ne se tenait plus qu’à quelques mètres d’eux, le canon de son arme rivé sur elle. « Désolé les tourtereaux. Je crois qu’on a des comptes à régler. Debout. » Tout aussi lentement, les mains levées, elle adressa un dernier regard à Floyd, puis obtempéra. S’il était vraiment Deadshot, lui non plus ne manquerait pas sa cible. Et il avait beau être tout de bleu vêtu, elle ne pouvait s’empêcher de sentir quelque chose en elle se serrer de désarroi, en avisant ce costume tellement familier, et cette arme pointée droit sur elle. Mais, et c’était un petit mais, mais un mais qui comptait quand même, elle remarqua tout de même que l’inflexion de sa voix était différente – similaire, mais nettement distincte. Floyd avait raison. Ce n’était pas lui, sous ce masque. Masque qui dissimulait encore son visage, et ses yeux, mais des yeux qu’elle sentait malgré tout braqués sur elle, puis sur Floyd. « Elle t’a appelé Floyd, avant. » remarqua l’autre Deadshot d’un ton détaché, presque froid, et elle, à son tour, ne put s’empêcher de reporter le regard sur Floyd. « Marrant. J’ai connu un Floyd, il y a très longtemps. » Dans les ruines de Londres, l’âme de Reef avait peut-être disparu – mais les fantômes, eux, se mirent soudain à souffler un vent glacial, qui la fit frissonner d’horreur. « Ca remonte à loin. Quand j’étais petit. » Eddie. C’était sûr, maintenant, c’était forcément lui – et elle aurait dû garder les yeux sur lui, mais c’était plus fort qu’elle, c’était le visage de Floyd qu’elle sondait anxieusement. Qu’il ne perde pas patience. Qu’il ne perde pas son sang-froid. Et en même temps, comment lui reprocher de le faire, alors qu’un reflet adulte de son frère se tenait face à lui, arborant son nom, son costume, son propre talent forgé dans le sang d’un fratricide ? « Je me demande s’il te ressemblerait. » Laisse-le tranquille, aurait-elle voulu crier. Mais ouvrir la bouche, pressentait-elle, signifierait une balle dans la tête, ou une balle dans sa tête à lui, ou les deux. Alors, elle ravala ses paroles, impuissante, spectatrice du dernier acte. Et à la fin, il n’en resterait qu’un.

AVENGEDINCHAINS

Ça va aller. Trois mots que tu te répètes inlassablement pour essayer d'y croire un peu. Vous êtes quatre à être entrés dans l'arène, et vous serez deux à en ressortir. Elle et toi. Il n'y a aucune autre possibilité. Ce frère perdu trop tôt, qui a eu la chance de vivre dans cet univers, veut autant votre mort que tu aimerais pouvoir épargner la sienne. Mais tu ne te laisseras pas prendre au piège des regrets et de la nostalgie, tu sais ce que tu dois faire. Pour protéger Layla, tu dois tuer ce fantôme devenu bien trop concret. Et en parlant du loup, en voilà la queue. Le coup de fusil raisonne et te tire de tes méandres intérieurs, un cas de conscience que tu chasses aussitôt d'un revers de main, refusant d'exprimer la moindre faiblesse qui pourrait vous coûter cher. L'homme qui se tient devant vous, ce n'est pas vraiment lui. Ton Eddie est mort il y a bien longtemps et rien ni personne ne pourra te le ramener. Ça aussi, tu te le passes en boucle pour t'en convaincre. Cette voix. Cette allure. C'est donc à ça qu'il ressemblerait aujourd'hui ? Et son visage. T'aimerais pouvoir le contempler, imprimer son image dans ta tête. Tu veux voir les traits plus âgés de ce frère que tu as assassiné pour te transformer en ce que tu es aujourd'hui, une épave échouée le long des côtes du désespoir. Une tragédie qui a condamné ton existence à l'échec constant, au fond d'un gouffre dont tu commences seulement à sortir, grâce à la femme qui se trouve à tes côtés, et dont tu ne le laisseras pas toucher un seul cheveu. Le regard sévère, tu t'exécutes sans broncher, bien que ton esprit soit déjà à mille à l'heure pour tenter de trouver un échappatoire. T'as plus de flingue, alors tu vas devoir lui en emprunter un. Réfléchis, Floyd. Quelles sont vos probabilités ? Est-ce que l'homme sous le masque réfléchit de la même façon que toi ? Il en a l'apparence, mais peut-être que la ressemblance s'arrête à un costume semblable et une dextérité au tir. Pour reprendre le dessus sur une situation qui vous échappe, il va falloir accepter les risques qui vont avec. La routine, donc.

T'as pas envie de faire de connerie, mais le voir braquer son arme sur Layla t'est insupportable, et tu crains d'être proche d'un dérapage incontrôlé. Poings serrés, le regard rivé sur lui, finalement, il emprunte le chemin parfait pour rendre les choses moins difficiles. Même si chaque mot qui sort de sa bouche reste un coup dans l'estomac et une séquelle sur le cœur. Est-ce qu'il s'agit de provocation ? De froide indifférence ? De simple ignorance ? Eddie était tout pour toi. L'exemple à suivre, le grand frère à qui tout devait réussir et qui aurait pu te sortir avec lui de l'enfer familial. Il a subi pour toi, t'as subi pour lui. Et tout ça, ce courage et cette prévenance, tu ne parviens pas à les trouver chez celui qui vous menace. « Arrête de braquer ta putain d'arme sur elle. » Ricanement moqueur. Normal, il a l'avantage. « Sinon quoi ? » Une fraction de seconde de perte de concentration. C'est tout ce que tu espérais. Trop occupé à en rire, il n'anticipe pas ton violent plaquage, et vos deux corps s'écrasent lourdement sur l'amas de débris qui jonche le sol épargné par les flots. Sans répit, tu abats ton poing contre le masque, pour à peine l'ébranler alors que tu entends tes phalanges craquer. La contre-attaque ne se fait pas attendre, et c'est sa main à lui qui vient maintenant percuter ton visage. Confusion d'une bagarre que tu as toi-même initiée, et ce, dans un but précis. Tout ce que t'espères, c'est que Layla te fasse assez confiance pour ne pas intervenir. Les coups que tu reçois ne sont qu'une peine minime en comparaison de ce que vous pouvez y gagner. Il y a quelques minutes, en l’observant attentivement, t'as remarqué la bosse à sa cheville. Sous le pantalon, grossièrement cachée, une arme de secours. Plus que lui, c'est elle ton objectif. Tant pis pour tes doigts fracturés, tant pis pour ta lèvre fendue, tant pis pour ta tête presque assommée par la lourdeur de son casque. T'es parvenu à faire tomber le glock par terre, et à l'envoyer en arrière le plus discrètement possible avec ta semelle. Pour qu'elle puisse le ramasser et le planquer sur elle. Au bon moment, c'est une carte qui pourrait vous faire remporter la partie.

Allongé et abîmé sur le sol, c'est lui qui te relèves brutalement pour te faire passer devant, le fusil planté dans ton dos. Bien, il ne s'est rendu compte de rien, et sa méfiance à ton égard l'a complètement détourné de celle représentée par Layla. « Alors ça, tu vas le regretter, mon pote. Avancez devant tous les deux. » Direction l'un des rares immeubles encore débout, où grimpant chaque étage, il vous amène sur le toit d'où s'étend sous vos yeux l'entièreté de l'arène engloutie. Le regard que tu adresses à ta partenaire, chaque fois que tu en as l'occasion, et malgré ta probable sale allure, se veut rassurant. Tu sais qu'elle ne doit pas approuver le risque, mais t'avais pas le choix. Sans arme, vous n'aurez eu aucune chance. Et si cet homme est aussi bon que tu l'es, vous en avez grandement besoin. Le costume, tu le sais pour le porter presque quotidiennement, n'a aucune faille exploitable. La seule et unique chose que tu dois maintenant réussir à faire, c'est le pousser à ôter son masque. Pour viser la tête. Pour que l'histoire se répète. Même si t'es pas certain de parvenir à conserver ton calme quand son visage se dessinera clairement, et qu'enfin, tu verras à quoi il aurait pu ressembler. Une chance et une malédiction. Un paradoxe dont la pression écrase de plus en plus ta poitrine, presque au point de t'empêcher de respirer. Tout en gardant cette fois une bonne distance entre vous, c'est à nouveau Layla qu'il pointe de son arme. « Bon, je crois que c'est l'heure des présentations, vous êtes qui ? Lui, qui il est ? Dis-moi qui il est ou je te jure que je te t'éclate la cervelle. » Ne pas rentrer dans son jeu, ne pas céder à ses provocations. Cette fois, le moindre écart pourrait mettre la vie de Layla en danger, alors tu te tiens à carreaux, te contentant de le dévisager avec toute la haine qui ronge tes tripes. « Et si tu mens, c'est celle de ton mec que j'explose. » Ton prénom, c'est la seule raison pour laquelle vous êtes encore en vie. Il a besoin de savoir. Et soit la vérité scellera votre sort, soit elle vous donnera une belle opportunité. C'est un pari à prendre, dangereux, et c'est à votre tour de miser.
 

AVENGEDINCHAINS

Incroyable comme, à chaque fois qu’ils essayaient d’avancer, de laisser derrière eux un passé fait de violences et de guerres, le cycle avait l’air de chercher à se répéter. Près de six ans plus tôt, elle avait regardé, impuissante, Floyd se faire passer à tabac par leurs geôliers dans une prison afghane, volontairement, pour lui épargner, elle, le même traitement et lui donner une fenêtre d’ouverture pour leur trouver une porte de sortie. Et aujourd’hui, sur une autre planète, c’était le même schéma qui se mettait en place : elle cria son nom alors que, sans avertissement, il se jetait sur son double pour le plaquer au sol, le canon du fusil bien trop près de sa tête à son goût, et pendant une fraction de seconde, elle fut prête à se jeter dans la mêlée elle aussi, et tant pis pour les conséquences. Un déroulé de film au ralenti qui la saisit à la gorge ; mais alors qu’elle était sur le point d’intervenir, un raclement bien familier parvint à ses tympans. Machinalement, son regard entraîné trouva la source du son suspect. Un pistolet. Et elle comprit. Oh, Floyd. La boucle était bouclée – et grâce à lui, elle tenait leur ouverture. Mais bon sang, quelle violence fallait-il qu’elle se fasse, pour qu’elle se concentre sur ce foutu flingue et pas sur le bruit cauchemardesque des coups assénés à son partenaire. Plus déterminée encore à ne pas gaspiller le sacrifice de Floyd, elle profita du dos tourné d’Eddie pour se jeter sur le Glock, et se hâta de le planquer dans sa propre ranger, dissimulée sous son pantalon de pompier juste assez large pour que la forme de l’arme soit à peine visible. Le temps qu’ils se relèvent tous les deux, et elle était de retour au point exact où ils l’avaient laissée ; elle, feignant d’être encore sous le choc de leur brève altercation pour justifier son immobilisme tétanisé. Le risque avait été absurde et bien trop cher payé à son goût – mais grâce à Floyd, ils tenaient peut-être la clé de leur victoire.

Désarmés – en apparence – ils se laissèrent guider dans les escaliers, le canon du fusil dans leurs dos offerts, et Layla tenta de rendre à Floyd chaque regard qu’il tentait de lui envoyer ; rage et détresse tempêtant dans sa poitrine chaque fois qu’elle apercevait sa lèvre fendue, sa main abîmée, sa tempe tuméfiée. Et à chaque fois qu’elle regardait à nouveau droit devant elle pour ne pas éveiller les soupçons d’Eddie, la rage laissa la place à la détermination, ses yeux bleus brillant d’une nouvelle résolution, calme et inébranlable. Eddie avait franchi la ligne de trop. Et même si elle savait la portée dévastatrice de ce nom, de ce frère perdu à qui tenaient tant de choses, elle voyait, bien trop clairement, que tant qu’il serait debout, il représenterait un danger pour l’homme qu’elle aimait. Au-dessus de leurs têtes, à nouveau à l’air libre sur ce toit désaffecté, les lourds nuages de New Themyscira accompagnaient leur tragédie, étouffants, nourrissant le drame qui se jouait entre eux d’une électricité douloureuse. Ils n’avaient plus droit à l’erreur. Le canon du fusil à nouveau braqué sur elle, elle affronta sans ciller le regard d’Eddie qu’elle devinait à travers la lunette opaque de son masque. A quoi il ressemblait, Eddie ? Est-ce qu’il ressemblait à Floyd ? Est-ce qu’ils pouvaient raisonner avec lui ? Plus les secondes s’égrenaient, plus elle en doutait. Et du temps, ils n’en avaient presque plus. Il attendait d’elle des réponses, et soudain, elle eut l’impression d’être tirée plus de six ans en arrière : elle, une bombe, et des choix à faire dans lesquels elle n’aurait pas de seconde chance. Ni elle, ni Floyd.

« T’as très bien entendu comment je l’ai appelé. » rétorqua-t-elle, le cœur tambourinant dans sa poitrine – lentement, mais tellement sonore qu’elle se demandait s’ils pouvaient l’entendre, tous les deux. Les yeux rivés sur Eddie, elle vit sa prise se raffermir sur son arme, sans qu’il ne décide pourtant de presser la détente. Retenant son souffle, elle se demanda pourquoi il ne tirait pas. Il jouait avec eux ? Elle avait touché un point sensible ? Ou bien perdait-il patience ? L’indifférence, en tout cas, ne faisait clairement pas partie de ses prérogatives. Peut-être bien qu’il serait là, leur deuxième avantage. « Si tu es vraiment Deadshot, t’es un survivant. Quelqu’un qui sait ce qu’il fait, et qui ne se laisse pas prendre par surprise. Tu sais très bien que des gens ont débarqué d’ici en venant d’une autre planète, non ? » En face, Eddie garda un instant le silence. Oh oui, il savait. « J’ai entendu parler de doubles. Des gens complètement paniqués qui racontent des histoires délirantes de doppelgängers qui leur ressemblent à s’y méprendre. » confirma-t-il sans que son arme ne bouge de place. Mais au moins, il parlait. Ils avaient son attention, et ils repoussaient, seconde après seconde, l’échéance inévitable de la détente pressée et de la balle qui part. Une lutte acharnée pour le contrôle, alors qu’ils étaient complètement à sa merci. La gorge sèche, mais concentrée, Layla se força à ne pas regarder vers Floyd – parce qu’elle n’osait pas imaginer ce qu’il devait ressentir, lui, face à ce frère désormais traître et renégat, et que si elle osait l’imaginer, elle craignait de perdre ce fil ténu qui tenait le doigt d’Eddie encore éloigné de la gâchette. « Tu sais déjà qui il est. » souffla-t-elle. Il n’avait pas demandé qui elle était, elle – pas vraiment. Celui qui l’intéressait, c’était Floyd. « Tu l’as vu tirer. Et tu sais très bien que ce prénom, c’est pas une coïncidence. Et ça te le sais pas, mais même votre costume est le même, à la couleur près. Alors qu’est-ce que tu cherches exactement avec tes questions ? » Il hésitait ? Peut-être, peut-être pas ; mais c’était cet intérêt-là, qui l’empêchait de se débarrasser d’eux là dans l’instant, qui était en train de leur sauver la vie, et leur donnait le temps de trouver un moyen désespéré de retourner la situation à leur avantage. Contre sa cheville, le froid du Glock lui brûlait presque l’épiderme. Trop consciente qu’avant la fin de cet entretien, elle aurait certainement à s’en servir : ils avaient entendu Brainiac… et Eddie aussi.

AVENGEDINCHAINS

Le facteur déterminant de cette situation, autrement appelé facteur émotionnel, ne doit surtout pas empiéter sur le reste. Les missions suicides, c'est ton quotidien. Combien de fois t'as réussi à t'extirper d'immeubles en feu ou d'embuscades ? Combien de fois t'as cru passer l'arme à la gauche – et l’espérer, quelque part – pour finalement te laisser guider par un instinct de survie infaillible ? Beaucoup trop pour compter. Alors aujourd'hui ne sera pas différent. Peu importe qui se trouve face à vous. T'as les jambes qui tremblent et le cœur au bord des lèvres, mais tu ne peux pas l'autoriser à te distraire, l'aboutissement est bien trop important. C'est celle que tu aimes qu'il braque de son arme, et finalement, c'est  exactement ce qu'il fallait qu'il fasse pour te permettre de te détacher de son souvenir. Au moins pour quelques minutes, les plus cruciales d'une mission extrêmement dangereuse, tu dois devenir un être dépourvu d'émotions. Mettre au placard votre histoire commune. Enterrer les regrets. Ignorer la souffrance. Pour être au meilleur de ta forme quand viendra l'instant décisif. Faussement impassible, l'esprit en surchauffe, u ne rates pas une miette de l'échange entre Layla et lui. Elle, le sang-froid, à la limite de l'imprudence, et lui, perdu et agacé, incapable de comprendre. Toi aussi il t'a fallu du temps pour encaisser la nouvelle de son existence, et c'est précisément là votre avantage. Même si sa présence alimente beaucoup d’incertitudes quant au déroulement du plan, t'as pu te familiariser avec cette idée. Lui, non. C'est Layla qui lui révèle ce qu'il a, au mieux, soupçonné. Et tout ce que t'espères, dans ce moment important d'échanges, c'est que le souvenir de son frère suffira à vous offrir une belle fenêtre offensive. Utiliser sa faiblesse, tout en ayant la même, c'est un procédé difficile à assumer quand c'est à lui que tu dois le faire subir, mais c'est votre unique chance de vous en tirer, et pas même Eddie te pousserait à mettre la vie de Layla en danger. Tu n'as aucune autre priorité que de la sortir de cet enfer. Vous êtes dans une arène, et la seule conclusion envisageable à ce bordel est sa survie.

Tu constates dans la simple observation de son comportement qu'il est différent de toi. Vous êtes tous les deux doués au tir, mais ça s'arrête là. Il est agité, peut-être même impulsif, et ça, c'est pas bon pour vous. Théorie qui se confirme rapidement. « DIS-MOI QUI C'EST BORDEL !! » Il attend d'elle une réponse concrète. Il a besoin de l'entendre clairement pour l'assimiler. Et tu sens qu'il vous reste peu de temps pour reprendre le contrôle. Bientôt, il pourrait exploser sous l’assaut de multiples émotions contradictoires. Une bombe à retardement. « Eddie, stop. C'est moi, Floyd. Dans notre monde, tout s'est passé différemment. » Tu l'appelles par son prénom pour attirer son attention, la dernière carte à jouer, pour le détourner d'elle et de sa propre colère sur le point de vous mettre en péril. Et t'as presque l'impression que ça marche. C'est toi qu'il braque maintenant, mais tu sais qu'il ne tirera pas. Pas maintenant. La vérité vient de le frapper violemment, et il va devoir l'encaisser avant d'être en mesure de prendre des décisions. « D'où je viens, en voulant vous protéger de papa, c'est toi que j'ai tué. Et je suis presque certain qu'ici, c'est tout l'inverse qui s'est produit. » Bien sûr que tu te sers de votre triste passé commun pour le perturber, mais bon sang, que c'est douloureux. Beaucoup plus que tu ne l'avais imaginé. Ton émotion est si forte que tu peines à la masquer. Ta gorge se serre, tes mots tremblent, et tu tu n'arrives plus bien à différencier la stratégie du véritable aveu. Cette chance là, pouvoir retrouver ton frère, changer ce qui a été le traumatisme de ton existence, t'as tellement prié pour l'obtenir. Et maintenant que le miracle arrive, inespéré, tu sais déjà que tu n'auras pas d'autres choix que d'y renoncer. « Je sais ce que t'as traversé, parce que j'ai vécu avec la même souffrance. Enlève ton masque, Eddie. Laisse-moi te regarder. » Le mensonge est insoutenable, parce que tu ne sais plus vraiment où il commence et où il s'arrête. Tu veux le voir. Tu veux contempler les traits de ton frère. Tu veux pouvoir distinguer à quoi il aurait pu ressembler, si il avait eu la chance de vivre. Mais aussi, fatalement, t'as besoin que sa tête soit à découverte. Parce que c'est là l'unique endroit où vous pourrez le toucher. T'es un traitre. Un traitre dévasté.

Est-ce qu'il te ressemble, Eddie ? Tu ne saurais le dire. Probablement. Brun, barbu, le regard sombre, t'as du mal à retrouver le gamin de ton enfance, tout en ayant aucun doute qu'il s'agisse bien de lui. Et maintenant ? Ton regard est incapable de se détacher du sien, tu t'imprègnes avidement de son visage, pour ne jamais oublier. « C'est toi, mon frère. » Oui, c'est toi. Et en guise de réponse, tu te contentes d'acquiescer, frapper par cette vision de l'au-delà qui rouvre un nombre infini de cicatrices mal guéries. C'est dur de contenir tes larmes. Dur d'accepter cette nouvelle fatalité. Un recommencement qui te donne envie de vomir et te tord les tripes. « Désolé, frangin, mais tu sais tout aussi bien que moi qu'un seul de nous deux sortira d'ici vivant. » Tu t'es planté. Celui qui a été paralysé par le face à face, c'est toi. Mais par chance, pas assez pour te laisser surprendre par le coup. De justesse, t'évites la balle, et t'attrapes le canon de son fusil pour l'empêcher de tirer à nouveau. « Tu m'as pris pour un idiot ?! T'as cru que je voyais pas clair dans ton ptit jeu ?! » Il n'y a plus d'humanité en lui. Autre monde, autres souffrances. T'as misé votre chance de survie sur une émotion qu'il n'éprouve pas, et cette erreur pourrait tout vous coûter. Mais cette fois au moins, tu peux lui balancer tes poings en pleine face. Bam le premier. Bam le second. Si tu le lâches, tu ne reprendras plus l'avantage. Votre fenêtre, elle est là. C'est dans les prochaines minutes que tout va se jouer. Le cœur en berne, les poings en sang.
 

AVENGEDINCHAINS

C’était dangereux, mais le déstabiliser était leur seul moyen de s’assurer une possibilité, aussi mince soit-elle, de reprendre l’avantage alors même qu’ils étaient désarmés. Elle était peut-être imprudente de provoquer la bête de la sorte, mais dans leur situation, la prudence était-elle seulement une option ? Ils étaient face à un fantôme du passé, déformé, vicieux, qui n’aurait aucune pitié, alors ils ne pouvaient pas se permettre d’en avoir non plus – et à dire la vérité, elle avait beaucoup moins de scrupules que Floyd, quand bien même l’idée de devoir affronter son frère, ce grand frère modèle qu’elle aurait aimé rencontrer dans d’autres circonstances, dans une autre vie, lui collait du plomb dans le cœur et un goût amer dans la bouche. Et Eddie, lui, perdait complètement patience. Mais Floyd intervint, et Layla aurait été incapable de dire si c’était une bonne chose ou non ; retenant son souffle alors qu’elle devenait, inévitablement, spectatrice d’un terrible et cruel face à face. Il faisait de son mieux pour garder la tête haute et froide, Floyd, mais elle la voyait bien, la souffrance dans son regard, et elle l’entendait, la cassure dans sa voix. Et sa résolution froide et implacable vis-à-vis d’Eddie disparut pour laisser place à un douloureux sentiment d’impuissance, alors que Floyd devait affronter, seul, la seule personne au monde qu’il n’aurait jamais dû avoir pour ennemi. C’était injuste, songeait-t-elle, la gorge serrée. Une injustice dévastatrice de plus dans la longue série que semblait constituer son quotidien, comme s’il ne pouvait jamais être assez puni pour ses crimes et ses erreurs, pris au piège dans un cycle infernal dont la source et les contours avaient disparu depuis longtemps. Qui pouvait encore s’étonner, avec ça, de ce qu’il était devenu ? Elle reporta son regard sur Eddie, qui, lui, ne la regardait plus du tout, alors même qu’elle l’implorait en silence. Pour qu’il ne s’ajoute pas au cycle, pour qu’il ne devienne pas, surtout pas lui, même si ça n’était pas vraiment Eddie, un autre instrument d’acharnement contre lui.

Mais il était perdu, Eddie – et le sang de Layla se glaça dans ses veines sitôt qu’il consentit enfin à lâcher quelques mots qui n’étaient pas que les aboiements furieux d’une bête sauvage énervée et impulsive. Réagis, Floyd. Ses yeux se dardèrent à nouveau sur son partenaire, figé sur place. Floyd, réveille-toi, dis quelque chose, le suppliait-elle, le cœur tambourinant insupportablement dans sa cage thoracique, et c’était horrible de lui demander ça, mais elle était trop loin, et si elle bougeait, Eddie tirerait, alors il fallait que ce soit Floyd, même si elle aurait préféré n’importe quoi tant qu’elle pouvait lui épargner ça, et un poignard glacé se planta dans ses tripes alors que la détonation du fusil déchirait l’air. Bang. Pendant un quart de seconde, elle en craignit le pire – mais non, Floyd et son instinct de survie avaient réagi, et avant qu’elle n’ait le temps de voir quoi que ce soit venir, les deux frères étaient l’un sur l’autre, et elle, elle reprit, difficilement, sa respiration. Floyd était au-dessus, il avait le dessus, coup de poing après coup de poing, l’injustice qui continue et qui s’acharne, et elle faillit, faillit s’élancer pour lui prêter main forte, avant d’être retenue par une main invisible. Ca n’était pas son rôle. Ce que Floyd faisait, c’était leur donner l’avantage, en attendant qu’ils puissent maîtriser Eddie et en finir une bonne fois pour toutes : elle, elle devait assurer ses arrières. Être l’autre poing de leur duo. Et de près, elle ne ferait que se mettre en travers d’eux, et risquait même d’offrir à Eddie la distraction nécessaire pour reprendre le dessus. Alors, même si ça faisait mal, même si elle n’aurait rien tant voulu de que lui attraper les mains et lui dire d’arrêter, qu’elle prenait le relais, qu’ils trouveraient une autre solution, il fallait qu’elle se résigne, et fasse sa part du boulot, pour que le sacrifice et la souffrance de Floyd ne soient pas en vain.

Il ressemblait à Floyd, Eddie – mais cette sauvagerie peinte sur son visage, ça, ça n’était rigoureusement pas lui, et ce fut la dernière claque dont elle avait besoin pour réagir : avisant le masque désormais inutile de Deadshot sur le sol, elle aperçut aussi la main d’Eddie, celle qui ne s’agrippait pas à son fusil ni n’essayait de virer Floyd d’au-dessus de lui, palper le sol à la recherche du précieux objet. Que ce soit pour frapper Floyd avec ou essayer de le remettre, ça n’était que du point de détail : il ne fallait pas qu’il l’atteigne, alors, la mâchoire serrée et les réflexes aiguisés, elle profita de leur lutte et d’un moment de distraction d’Eddie pour s’approcher avec la vivacité d’un petit singe, arracher le masque aux doigts d’Eddie qui venait de le frôler, et reculer tout aussi précipitamment, avant de jeter le masque de toutes ses forces dans le vide, largement hors de portée de son propriétaire. Le faux frère laissa échapper un hurlement furieux ; sans se laisser démonter, elle continua de profiter de la diversion de Floyd pour s’agenouiller, et remonter la jambe de son pantalon. Le Glock était toujours là. Nouveau regard vers les deux frères. Ca n’était plus qu’une question de temps, maintenant. Soit elle allait devoir faire passer l’arme à Floyd, qui ne raterait pas sa cible, soit il allait s’emparer du fusil d’Eddie, soit… soit elle n'aurait pas droit à l'erreur. Ignorant le poids sourd dans sa poitrine, elle tira discrètement l’arme de sa cachette, et en ouvrit le magazine pour l’inspecter rapidement. Chargeur presque plein. Clic, le magasine se remet en place, clic, elle fait sauter la sécurité. Et le compte à rebours final, enfin, s’enclenche pour de bon.

AVENGEDINCHAINS

T'as été idiot. Ton moment de flottement aurait pu vous coûter très cher si tu n'avais pas eu l'ultime réflexe de survie – par chance aiguisé depuis que tu appartiens à la Suicide Squad, là est bien le seul avantage. Même si, bien sûr, personne ne t'en voudra d'avoir perdu pied en découvrant le visage adulte de ton frère décédé enfant, et encore moins Layla, dont tu sens la présence à la fois rassurante et angoissante dans ton dos. Un frère devenu ennemi contre lequel tu te bats, abattant tes poings contre son visage découvert, tandis qu'il cherche à en faire tout autant. Il était tout pour toi. Ton ami, ton protecteur, ton exemple à suivre. Eddie, il était destiné à se barrer de cette maison de fous, et à réussir sa vie très loin de là bas. Il avait tout le potentiel pour devenir quelqu'un d'important, quelqu'un de bien. Il s'élevait contre votre père quand il sentait la situation déraper, et toi, jeune petit con, tu tentais de suivre ses pas, bien qu'ils aient toujours été bien trop grands pour toi. Vous étiez très différents, pourtant. Lui, il réussissait tout ce qu'il entreprenait, toi tu t'es très vite tourné vers les conneries. Mais jamais tu n'as éprouvé la moindre jalousie à son égard. Bien au contraire, Eddie était celui que tu rêvais de devenir quand tu serais plus grand. Un modèle de réussite, déjà plein de valeurs, et toujours enclin à faire les bon choix. Tu l'aimais. Tu l'aimais tellement. Et il a fallu que tu détruises tout par excès de zèle. Une branche qui craque, un coup qui dévie, et voilà marqué au fer rouge sur ta peau le premier traumatisme de ton existence. Cette histoire, alors que vous vous battez sur le sol d'un immeuble qui tient à peine debout, tu t'évertues à ne pas y penser. Parce que l'homme que tu frappes n'est pas celui que tu as connu. Il n'a rien de ce frère exemplaire qui a si souvent pris des coups pour toi. Cette colère, ce n'est pas lui. Cette haine, ce n'est pas lui. Et finalement, toutes ces différences te soulagent, car cela rend la confrontation un peu moins déchirante.

Tu n'as pas pu lui demander de ne pas intervenir, mais sans surprise, Layla n'a pas eu besoin que tu le fasses pour prendre elle-même l'initiative de rester loin de toi. Si tu parviens à avoir le dessus sur Eddie, c'est uniquement parce que tu la sais en sécurité. Se mêler à la bagarre fracasserait brutalement la maitrise de tes gestes, et contenir ton frère deviendrait moindre priorité en comparaison de protéger celle que tu aimes. Alors même si tu ne peux rien lui dire pour l'instant, tu la remercies sincèrement de te faire assez confiance pour te laisser gérer seul cette rixe déterminante pour votre survie. Etre partenaires, c'est aussi parfois savoir prendre des risques, et ne pas simplement foncer tête baissée à deux dans le tas. Vous êtes réfléchis, minutieux, et votre façon de faire vous a déjà plusieurs fois tirés du bourbier. A commencer par cette capture en Afghanistan, où sans réellement vous connaître, vous êtes parvenus à vous faire assez confiance pour réussir ensuite à travailler en parfaite cohésion, et vous offrir la bonne ouverture pour échapper à vos geôliers. Tu vas en avant pour accuser la charge, et elle reste en arrière pour trouver l'occasion parfaite de finir le boulot. Comme là, alors que tu vois le masque d'Eddie s'échapper à son emprise, avant qu'il ne puisse le remettre, et vous priver ainsi de votre seule chance de l'abattre. Bien joué, partenaire. Elle est là, elle surveille tes arrières, et grâce à son soutien, t'es certain que rien ne pourra vous empêcher de sortir victorieux de cette arène.

Galvanisé par le back-up efficace de Layla, tu parviens à asséner l'ultime coup, celui qui l'assomme des quelques secondes nécessaires pour récupérer son fusil. Plus de masque, plus d'arme, toujours placé au-dessus de lui, il n'a désormais plus aucun échappatoire. « T'as perdu, Eddie ! » Le rouge a définitivement pris l'avantage sur le bleu. Et ce n'est pas une question de force, d'entrainement ou de chance. Si t'as réussi à remporter ce duel, c'est uniquement parce que toi, t'avais Layla. Sans ce moteur si important, qu'on pourrait aussi appeler l'amour inconditionnel, la finalité aurait pu être bien différente. Plus que jamais, c'est à deux que avez remporté ce combat. « C'est terminé. » Et maintenant, vient le moment fatidique. Celui que tu redoutais plus que tout : abattre pour la seconde fois ton frère. Fusil braqué sur lui, doigt sur la gâchette, t'es à une seule seconde d'en finir. De gagner. De sortir Layla de tout ce bordel. Alors pourquoi c'est aussi difficile ? Ta mâchoire te fait souffrir de trop serrer les dents. Et ton cœur n'a de cesse de déraper dans ta poitrine. C'est ton frère, oui, mais il n'a rien de celui que tu aimais. Il n'a rien de ton Eddie, si ce n'est les traits vieillis de son visage. Alors fais-le, Floyd. C'est l'un des tirs les plus importants de ta putain d'existence, et celui-là, tu peux pas le rater. Cette fois-ci, tu dois réellement l'abattre, lui, d'une balle dans le crane. « AAAAH ! » Tu hurles pour extérioriser tout ce qui t'assaille soudainement. La colère, le regret, la souffrance, le doute. Le souvenir se superpose au présent, et ce n'est plus cette version âge de lui qui se trouve bloqué entre tes cuisses, mais celui qu'il était enfant. Quand t'as manqué ta cible et ôté sa vie. Le gosse à l'avenir fauché. Le frère tant aimé. C'est lui au bout de ton viseur. Et t'y arrives plus. Tu bloques. T'es paralysé par la traitre mémoire. Tu veux pas revivre tout ça, tu veux plus être son bourreau. Et cette hésitation, c'est exactement ce dont il avait besoin. Doucement, sa main glisse vers une poche où se trouve un couteau. La lame est crantée, et elle t'est destinée. Une seconde, c'est tout ce dont vous disposez. Une seule seconde qui va déterminer le reste de vos vies. Une seule seconde dont quelqu'un doit porter la responsabilité.
 

AVENGEDINCHAINS

Qu’elle était loin, la plage de Morro Bay. Qu’il était loin, ce ponton sur lequel ils s’étaient retrouvés bien trop tard, les mains enfoncées dans les poches, sans vraiment se trouver à se dire comme les deux soldats en berne qu’ils étaient alors. A se demander s’il y avait encore quelque chose à réparer, et s’ils en étaient seulement capables, eux qui avaient plus l’habitude de détruire que de construire. Mais contre toute attente, ils avaient réussi, à leur manière, toujours un peu maladroite et brusque mais toujours sincère, comme quand, au milieu des terrains minés et des murs criblés de balles, ils créaient leur petite oasis de répit en dépit de tout. Et c’était dur, parfois, de lutter, quand le monde entier leur crachait à la face, ou quand leur avenir ne dépendait pas vraiment d’eux, mais d’une ribambelle de fantômes et de menaces déterminés à leur enfoncer la tête dans le sable. Mais ils s’étaient accrochés, bec et ongles, quitte à y perdre des plumes et devoir panser leurs plaies après, mais ils s’étaient accrochés, même quand la fin du monde était sur le pas de la porte et que le ciel s’embrasait de carmin sanguinaire. Chaque nouvelle révélation, chaque lutte, ils en étaient sortis vainqueurs, avec, comme prix à payer, de s’enfoncer chaque fois un peu plus dans un extrémisme qui, aux yeux d’autrui, aurait pu lacer les sangs : eux deux contre le reste du monde, prêts à tout pour protéger l’autre, sans regarder à la dépense ni au sacrifice. Il y en avait beaucoup pour s’accorder sur le fait que l’amour, c’était se soutenir quoiqu’il arrive ; en vérité, elle n’était pas sûre que beaucoup de gens réalisent vraiment ce que ça voulait dire, ou ne veuillent même se poser la question. Jusqu’où on était prêt à aller, pour quelqu’un qu’on aime ? Agenouillée à quelques mètres des deux frères, la main sur la crosse froide du pistolet, Layla avait atteint la limite, le bord du précipice, et le vent soufflait dans son dos pour l’y pousser dans une dernière chute vertigineuse. Floyd était là, au-dessus d’Eddie, à le marteler de coups, son propre frère, ce frère qui hantait encore ses cauchemars et qu’il admirait tant – pour elle, pour eux, pour qu’ils sortent d’ici ensemble. Et elle, elle était là, le doigt sur la détente, prête à abattre de sang-froid le fantôme d’une des personnes que Floyd avait aimé le plus au monde. Jusqu’où on était prêt à aller, pour protéger quelqu’un qu’on aime. Un à un, les coups de Floyd résonnaient dans l’air, comme un décompte ultime avant l’inévitable résolution de ce duel – comme un moyen cruel de repousser l’échéance. Elle avait deux choix. Laisser Floyd revivre son pire cauchemar, au risque de ne plus jamais réussir à l’en extirper ; ou prendre l’initiative, et devenir elle-même le bourreau d’un frère qui avait déjà bien trop souffert. Avoir sur les mains le sang d’un aîné qui n’aurait jamais dû mourir deux fois – et prendre le risque que Floyd ne puisse jamais se retirer cette image-là de la tête. Laisser faire Floyd, ou tirer à sa place : qu’importait la configuration, ce sombre épisode finirait dans les larmes de son partenaire. Intervenir ou le laisser faire – la cruauté triomphait quelle que soit la voie choisie. Et eux, ils ne s’en relèveraient peut-être pas, cette fois. Peut-être que ce saut de la foi, cette nouvelle extrémité, serait finalement le dernier.

Il reprend le dessus, Floyd. Cette fois, Eddie n’a plus d’échappatoire. La poitrine sur le point d’exploser tant l’attente est insoutenable, elle le fixe du regard, alors qu’il braque sur propre fusil sur ce frère renégat qui ne leur avait voulu que du mal, même après que la vérité ait éclaté au grand jour. Eddie n’est pas quelqu’un de bien, Eddie voulait leur mort à tous les deux, Eddie s’en foutait d’essayer de trouver une solution commune au chantage infernal de Brainiac, il fallait qu’il tire, Floyd, même si c’était dur, même si… et elle capte, dans ses yeux, cet instant précis où sa volonté flanche. Il peut pas, Floyd. Béni soit-il, le malheureux, il ne peut pas. C’est trop. Trop lui en demander, à lui qui ne reculait devant rien, et encore moins devant ce que le monde avait de plus horrible à offrir, mais son frère, ou son presque frère, c’était trop. Comment lui en vouloir. Son hurlement d’impuissance lui déchire le cœur, mais Layla, elle a la distance – et surtout, elle a l’œil attentif. Tuer un frère, c’est trop en demander à Floyd – mais pas à Eddie. Elle la voit, la main qui bouge. Elle le voit, le couteau cranté dont l’éclat lui saute aux yeux et à la gorge. Et elle le sent, le vertige alors qu’elle franchit le pas du précipice. Jusqu’où on est prêt à aller, pour quelqu’un qu’on aime. La question ne se pose même pas. Et la réponse s’impose d’elle-même, alors que sa prise s’affirme sur le pistolet, qu’elle pointe directement sur Eddie. Il n’y a pas besoin de réfléchir. Il n’y a pas le temps de réfléchir, de toute façon. L’air coincé dans sa poitrine lui fait mal, mais sa main ne tremble pas – elle n’avait jamais tremblé, sa main, quand la vie de Floyd avait été en jeu. La lame est dressée, prête à frapper. La tête d’Eddie, elle, est dans sa ligne de mire.

Aujourd’hui, il n’y a pas de punchline. Pas de petite phrase bien sentie comme dans les films, pour asseoir leur triomphe dans ce moment de désespoir. Tout ce qu’elle aurait pu dire meurt sur ses lèvres – elle ne peut avertir ni Eddie, ni Floyd. Parce que le moindre son sortant de sa gorge, c’est un quart de seconde de perdu ; et c’est un quart de seconde pendant lequel elle pouvait le perdre, lui. Rien pour redonner un éclat d’héroïsme à ce moment, rien pour faire briller le feu sous la cendre. Il n’y a qu’elle, et Eddie, et l’inévitabilité de l’évidence qui s’impose. Aujourd’hui, il n’y a rien à dire. Bang. Son doigt presse la gâchette avant même que son cerveau ne suive le mouvement. Bang. L’écho de la détonation se répercute dans l’air chargé d’humidité. Et le corps d’Eddie s’agite d’un dernier soubresaut, sans qu’elle ne puisse dire s’il était causé par la surprise du coup de feu, ou par la balle qui lui traverse la tempe. La lame crantée retombe sur le béton dans un bruit de tonnerre, à l’instant même où l’air se déplace alors que, sans qu’ils ne le voient, l’arène de Brainiac disparaît. Et enfin, ne retombe que le silence, comme ultime note d’une symphonie en deux frères. Lentement, Layla laisse retomber son bras le long de son flanc. C’est fini. « C’est fini. » lâche-t-elle dans un souffle, les yeux rivés sur le corps sans vie d’Eddie. Eddie est mort. Encore. Elle avait tiré le coup de grâce, et maintenant, ils n’ont plus rien à craindre. Ils ont gagné – même si rien, absolument rien, dans cette scène, n’a le moindre parfum de victoire. Le visage blême, elle s’approche, lentement. « C’est fini. » Et eux, ils vivront. Mais dans quel état, se demande-t-elle, dans un état presque second, en baissant les yeux vers Floyd. Peut-être qu'il était là, le point final. Jusqu'où on était prêt à aller, par amour - parfois, la réponse, c'était un point de non-retour.

AVENGEDINCHAINS

Bang. Son si familier qui se siffle à ton oreille. Le bruit d'une détonation, comme souvent entendu autrefois, que ce soit sur le terrain enflammé des assauts afghans, ou perché sur les toits de Gotham, à exécuter une cible pour quelques millions. Et cette odeur de poudre qui trouve son chemin jusqu'à tes narines, intime elle aussi, certitude que le but est accompli. Mais celui qui a pressé sur la détente, ce n'est pas toi. Toujours face à ton frère, c'est empli de désarroi que tu contemples sa tête retomber sur le sol, une flaque de sang commençant doucement à l'auréoler dans une triste peinture morbide. C'est un cadavre que tu fixes. Pour la seconde fois en une seule vie, Eddie meurt sous tes yeux, d'une balle dans la tête. Mais tout en étant presque identique, l'histoire ne se répète pas, puisque qu'en jetant un œil sur le côté, tu remarques Layla, arme au poing, le canon encore fumant. C'est elle qui a commis le crime. Elle qui l'a abattu. Elle qui vous a sauvé. Tu le vois bien, elle redoute les prochaines secondes, incapable de déterminer quelle sera ta réaction après s'être emparée du fardeau pour toi, jugeant que tu serais incapable, cette fois-ci, de vous sortir du gouffre. Et en vérité, pour l'instant, tu ne sais pas quoi faire. Ni quoi dire. Tu restes pétrifié, incapable de te dégager du corps inerte de ton frère, t'imprégnant une dernière fois de ses traits d'adulte. Oui, tout est fini. Vous avez gagné. Mais à quel prix ? Celui de perdre à nouveau un être tant aimé, et de laisser filer ta chance de réparer le passé. Ce remord, tu le laisses prendre le contrôle un bref instant. Juste quelques secondes de colère à essayer d'imaginer ce qu'il se serait passé si vous étiez parvenus à le ramener du bon côté. Et puis, rapidement, la raison reprend le dessus. Ce qui se serait passé, c'est le courroux de Brainiac. C'était lui ou vous, tu le sais depuis le début. Alors ce remord, tu le chasses, tout en te retirant du dessus de ton frère pour tenter de retrouver le fonctionnement de tes jambes tremblantes. T'arrives toujours pas à détacher ton regard. Tu vois l'arme, à côté de sa main, le couteau à la lame crantée. Et tu comprends que Layla a pris une décision dans l'urgence la plus absolue, et que sans elle, c'est toi qui tremperait dans ton propre sang sur le toit. Elle a vu clair quand toi t'étais dans la pénombre totale, plus que jamais, elle est le phare qui te sort des ténèbres.

Et tu t’effondres. Pas littéralement, psychologiquement. Les larmes coulent sans que tu ne puissent les contrôler, puisque finalement, en vingt-cinq ans, c'est la première fois que tu t'y autorises vraiment. Avant, t'étais qu'un gamin choqué et apeuré, incapable d'exprimer ses émotions autrement que par la colère et le mutisme. T'as pas pleuré Eddie, parce que ta phase de deuil est restée bloquée au déni. Y a pas de schéma classique quand il s'agit d'un fratricide, et t'as géré cette perte avec la sagesse d'un gamin de douze ans. Autant dire, presque inexistante. Mais maintenant, adulte et déjà tellement meurtri par la vie, tu peux enfin te laisser aller à toute cette tristesse accumulée. Cette souffrance auparavant sourde qui aujourd'hui s'exprime à travers des pleurs incontrôlés. C'est bien de tout lâcher, mais tu veux pas le faire devant elle, alors tu t'éloignes de quelques mètres, le dos tourné, pudique dans la douleur. T'espères qu'elle comprendra que ces quelques minutes seul face à toi-même son primordiales. C'est ton moment d'acceptation. C'est la fin du deuil, pour enfin passer à autre chose. C'est des années de trop plein émotionnel qui surgissent brutalement, sans prévenir, et que tu n'as plus la force de contenir dans ta coquille vide. Si tu veux avoir une chance d'aller de l'avant avec elle, il faut que tu brises les chaines de ton passé. Eddie est mort. Il ne reviendra plus jamais. Mais ton avenir ne sera plus marqué par ton erreur. Son fantôme a pris beaucoup trop de place dans ta vie, et si Layla est parvenue à se débarrasser du sien, tu peux en faire tout autant avec le tien. Grâce à elle. Grâce à sa main levée et au coup tiré. Elle a assassiné ton traumatisme. Elle a tué ton démon. Et pour ça, ce n'est pas de la colère que tu éprouves à son égard, mais une profonde reconnaissance. D'avoir été assez forte de faire pour toi ce dont t'aurais été incapable. Ta partenaire qui a sacrifié un bout d'elle-même pour que toi tu continues de respirer.

Après avoir essuyé les dernières larmes, tu retournes vers elle, et doucement, tu la prends dans tes bras. Autant pour elle que pour toi. Une étreinte qui referme définitivement la blessure. « Merci. » Que dire d'autre ? Merci de m'avoir libéré. Merci d'être constamment à mes côtés. Tu serres un peu plus fort, avide d'un contact salvateur après un terrible et long combat. Vous avez vaincu vos doubles, les barrières sont levées, et vous êtes maintenant libres de poursuivre le cours de votre vie un peu barrée. « Et je suis désolé. Tellement désolé de t'avoir obligée à le faire pour moi. » Bien sûr que tu t'en veux. Prendre une vie n'est jamais chose aisée, encore moins quand c'est aussi personnel. Alors le faire subir à Layla, qui a laissé la guerre loin d'elle depuis longtemps, c'est synonyme de culpabilité pour toi. T'aurais aimé trouver le courage nécessaire. T'aurais aimé lui épargner un cas de conscience aussi difficile à assumer. Regret et gratitude, voilà entre quoi tu oscilles après cette fin de partie douloureuse. Enfin non, il y a une dernière chose qui submerge ton cœur. Un sentiment encore plus fort que les deux autres. Pour se faire, tu t'écartes un peu, et tu prends son visage entre tes mains. Et simplement, sans te poser de questions, tu exprimes la seule chose qui compte réellement maintenant. « Je t'aime. » Sans cri, sans dispute, sans malentendu. Droit dans les yeux, sous un ciel assombri, perché sur le toit d'un monde en ruines. Tu l'aimes, et même si tout autour de vous n'est que chaos et mort, c'est son amour pour elle que tu choisis aujourd'hui. Il est indestructible. Il est sans limite. Et tout ce qui vient de se passer ne fait que le prouver, et le renforcer d'autant plus. On vous a obligé à combattre, mais c'est en lui confessant une nouvelle fois tes sentiments que tu fais le choix de mettre un terme à cette folie. Sans la force de ce qui vous unit, nous n'auriez sûrement pas remporté la partie.
 

AVENGEDINCHAINS

D’abord, le choc. La réalisation que ce n’est pas lui, qui a tiré – Layla voit bien la confusion, puis l’horreur et l’incompréhension dans le regard hanté de son compagnon, alors qu’il fixe des yeux le corps désormais sans vie de ce frère renégat. Il ne pleut pas, mais le sang d’Eddie s’écoule quand même sur le béton en rougissant cette toile déplorable. Et elle, elle attend le verdict. Le pistolet dans sa main pèse une tonne, et son cœur dans sa poitrine essaye de forcer son passage à travers ses côtes alors que les secondes s’égrènent avec une lenteur désespérante. Elle a tué son frère. Elle l’a fait pour de bonnes raisons, et elle ne le regrette pas, ne le regrettera jamais, mais ce sang-là est sur ses mains à elle, et ça aussi, peut-être, serait quelque chose avec lequel ils allaient devoir vivre. S’ils pouvaient vivre avec. Tout dépendait de Floyd. Et le poids dans sa poitrine s’alourdit un peu plus, alors qu’elle le voit se relever, et fixer Eddie, et le couteau, et comprendre, et elle aurait pu jurer l’entendre, ce quelque chose qui se brise en lui alors qu’il connecte tous les points. Le double de son frère avait voulu le tuer, et sa partenaire avait dû l’assassiner en conséquence. C’était une configuration cauchemardesque – mais c’était aussi leur réalité. Quel choix avaient-ils, sinon d’y faire face en serrant les dents, les épaules voûtées, en espérant que, miraculeusement, la douleur abrutissante finisse par s’en aller un jour ? Eddie était mort, et Floyd était en vie, et même si ce triomphe ne lui laisse aucun goût de victoire dans la bouche, bien au contraire, elle sait qu’elle n’a plus qu’à attendre de savoir quel sera le prix à payer pour cet ultime sacrifice. Des cauchemars, lorsqu’Eddie reviendrait inévitablement hanter ses rêves, ou tout ce qu’ils avaient cherché à construire depuis ce fichu ponton, là était la question.

Elle le voit, le visage de Floyd qui se tord de tristesse, juste avant qu’il ne se détourne d’elle, et elle doit se fait violence pour ne pas immédiatement tenter de le rejoindre et le prendre dans ses bras. C’était lui, qui s’éloignait, lui, qui marquait la distance, et même si c’était comme de l’huile brûlante jetée sur une blessure à vif, elle décida de le laisser faire. Il ne s’agissait pas d’elle, là, tout de suite. C’était lui qui souffrait, lui qui absorbait le coup monstrueux qui venait de lui être infligé, lui qui affrontait des années de traumatisme et de regrets – qu’il prenne son temps. Qu’il aille à son rythme. Elle, elle n’allait nulle part ; et si c’était ce qu’il voulait, elle serait encore là après. Lentement, elle glisse le pistolet dans sa ceinture, et baisse les yeux vers Eddie auréolé de son propre sang. Puis elle s’accroupit, et, prudemment, ferme ses paupières pour clore à tout jamais ses yeux ahuris de mort qui n’a même pas eu l’occasion de comprendre ce qui lui arrivait. C’est fini. Pour de bon, cette fois. Elle se relève et croise les bras sur sa poitrine, silencieuse, attentive uniquement au bruit du vent qui porte les sanglots trop longtemps réprimés de son partenaire. Et de ses pas, qui lui font faire volte-face sitôt qu’elle l’entend bouger. Le coeur coincé dans la gorge, elle reste là, impuissante, immobile, à scruter son visage alors qu’il s’approche – creusé de sillons de larmes séchées et d’un épuisement de vingt-cinq ans. Et tout se remet en marche, sitôt qu’il referme les bras sur elle. Ils avaient tenu parole. Leur promesse de ne plus jamais s’éloigner – ils avaient tenu parole dans la pire situation imaginable. Maintenant, c’était vraiment fini.

Layla laisse échapper un long soupir de soulagement  en nouant ses bras autour de Floyd et de lui rendre son étreinte, en serrant fort, elle aussi. Qu’il sache qu’elle est là, qu’elle ne bouge pas, autant qu’elle sait qu’il est là, et qu’il n’ira nulle part. Après être passée si près de le perdre à nouveau, elle ne sait pas si elle sera capable de le relâcher un jour, et entend à peine ses remerciements, alors qu’elle enfouit son visage dans son cou et resserre son étreinte. Son corps contre le sien. Son odeur. Sa voix dans son oreille. Vivant. Blessé, meurtri, mais ça, ce sont des choses qui se réparent, non ? Au moins un peu. Au moins assez pour qu’ils essayent, à deux, petit à petit, comme ils avaient si bien su le faire jusqu’à maintenant. « Je suis désolée que tu aies eu à voir ça. » souffle-t-elle, retrouvant finalement l’usage de sa voix. « Ce type n’était pas ton Eddie. Quoiqu’il arrive maintenant, souviens-toi de ça, d’accord ? Il était – c’est ce monde, et ces guerres, qui l’ont trop abîmé. Pas toi. » Il n’y avait probablement plus eu d’espoir depuis bien longtemps, pour Eddie Lawton de Terre-4. Ca n’enlevait rien à la douleur, mais est-ce que ça pouvait faire du mal de s’en rappeler ? Les mains de Floyd sur son visage pâle et poussiéreux sont aussi douces et salvatrices qu’un baume sur une plaie à vif. Il l’aime. Son cœur se contorsionne une dernière fois dans sa poitrine et expire enfin, soulagé d’un affreux tourment qui avait failli l’en étouffer. Il l’aime, même dans les ruines, la poudre et le sang. Ce n’est pas la première fois qu’ils s’élèvent dans l’adversité, main dans la main, mais c’est la première fois qu’ils l’affirment aussi fort, aussi drastiquement, aussi irrévocablement. Et bon sang, ce qu’elle peut l’aimer, elle aussi. « Je t’aime aussi, Floyd. » Assez pour baigner ses mains de sang. Assez pour savoir qu’elle le referait sans hésiter. Assez pour que même toutes les guerres de leur planète et d’autres planètes ne puisse ne serait-ce qu’entailler la forteresse qu’ils se construisaient à la force de leur bras et de leurs cœurs à la dérive. Tant pis si c’était déraisonnable, d’aimer comme ça ; et comme un dernier défi à la face du ciel, elle dépose un baiser sur ses lèvres, au parfum de tristesse et de deuil, mais surtout, avant tout, profondément amoureux. Cette fois, plus de doutes, plus de questionnements, plus de secrets, plus de fantômes. Rien qu’eux, et les ruines d’un monde et d'un passé dont ils s’extirperaient encore ensemble, ou pas du tout.

AVENGEDINCHAINS