Olivia Helland

Qu'est-ce qui est vrai, et qu'est-ce qui ne l'est pas ?
La vie est tellement prosaïque, et ce qui la compose tellement cafardeux.
Regardez-les, se croyant au-dessus de tout, alors qu'eux-même sont surpassés par leurs propres créations. Ils n'ont la maîtrise de rien, mais la prétention de tout, et c'est pour cela qu'ils peuvent se féliciter d'être piégés exactement là où il faut qu'ils demeurent : dans la bergerie.

Je m'appelle Olivia Helland, et je suis née du bon côté de Gotham ; à Diamond. Il n'est que question de ça, après tout : soit vous surplombez le monde, soit vous le subissez. Observez bien, et ne vous contentez pas simplement de vivre, car votre réalité n'est pas celle qui régit ce monde, et même peut-être bien cet univers. Dans un sens, ici, ils se sentent tous libres de la même manière, ils se sentent tous exceptionnels de la même manière, tous égaux de la même manière, tous déviants de la même manière. Tout n'est que logiques et rouages, tout est ordinaire, tant qu'ils ne s'intéressent pas à la manière avec laquelle on leur pisse à la gueule. Ils ont créé la finance, et ils en sont surpassés ; ils ont créé la technologie et en sont complètement dépendants, ils ont créé la politique et sont incapables de la gérer. Ils ont façonnés ce monde et s'y sont perdus.
C'est d'autant plus amusant, de les voir souvent s'exclamer sur des bases déjà faussées. Il y a bien plus de situations, dans la vie courante, similaires à des injections SQL qu'il y en a réellement dans le monde virtuel. On leur injecte des opinions, on s'attend à ce qu'ils réagissent d'une certaine manière car qu'ils le veuillent ou non, ils composent l'inconscient collectif.

Tout est comparable à ce schéma très simple, devenu tantôt un meme et un support très éloquent pour chacun : il y a l'iceberg et sa partie immergée. Il y a tout ce que l'on voit, sent, touche, goûte, entend, et il y a cet autre monde bien moins tangible. Et il n'est pas du tout étonnant de parler de cet autre bloc comme une partie invisible et quasiment insondable -car nous sommes conçus pour survivre, et non pour comprendre.
Si vous êtes un véritable enfant de Gotham, vous comprenez bien vite que la vraie richesse n'est pas l'argent, mais le pouvoir ; et le pouvoir n'est pas simplement celui de pouvoir contempler la ville dans un penthouse, comme j'ai toujours pu le faire lorsque je vivais avec mes parents, tous deux hauts placés chez Wayne.
Le véritable pouvoir n'est pas non plus celui du règne, d'assouvir des quartiers entiers, car cela ne suffit pas. La preuve : les gangs se tirent dessus, et ont réveillés un mal nécessaire. Vous savez de qui je parle, de cette légende d'une ombre vengeresse qui veille sur l'équilibre inexistant de cette ville. Ce justicier qui fait la une du Daily chaque matin, spécialiste de la distribution gratuite de salades de phalanges.
Le pouvoir n'est ni le règne, ni la force. Alors quel est-il ? C'est pourtant évident : le pouvoir est la connaissance. Connaître les secrets, connaître les rouages et fonder soi-même la logique. Le pouvoir, c'est disposer de n'importe quelle donnée, et avoir la possibilité d'en faire ce que vous en voulez, quand vous voulez.
Je suis née du bon côté car pour parvenir à ce pouvoir ultime, il faut passer par de nombreuses étapes. Il faut avoir les moyens pour avoir le pouvoir : le matériel, l'argent, le savoir.
Bâtir, construire et insuffler la vie afin de créer la machine, tout cela nécessite des moyens inestimables, et ce fut ainsi que les Wayne ont réussi à bâtir leur empire. Néanmoins, là où la famille Wayne possédait une limite, je n'en ai pas. Ce fut exactement cette détermination qui m'a permise de profiter de toute l'étendue des moyens mis à dispositions par mes parents : une apparence à la fois envoûtante et vénéneuse pour charmer, pour accéder aux secrets. Des équipements derniers cris pour créer et détruire, puis  de l'argent, pour tout perpétuer.

Vous devez penser que je suis extrêmement dangereuse, que j'ai dû passer sous les bureaux pour obtenir ce que je veux, mais ce n'est pas le cas. Je suis dangereuse pour quiconque veut se servir de cette grande machine pour assouvir. Je suis libre et je lutte pour la liberté -et quiconque veut enfreindre la mienne, se verra voler la sienne.
Je ne peux pas vous dire autre chose que ce qui est à la limite de la frontière entre la partie visible et la partie immergée de l'iceberg : je ne veux pas et ne peux pas. Je ne veux pas enfreindre votre ignorance, car elle est le moteur de votre liberté.

La famille Helland est connue à Diamond, et ça me plaît : si mes parents sont d'importants pontes de la société Wayne, leur fille est vue comme une prodige de la programmation et de la sécurité. On aime consulter son avis lors des débauches de victuailles, et on aime lui donner l'illusion qu'un jour, elle sera félicitée par le PDG en personne. C'est ce qu'ils disent tous après avoir écouté mes solutions en création de softwares. C'est ce que tout le monde vous dit après tout, lorsque vous sortez de la machine, et que vous en composez les rouages.
Ce sont des mensonges car ils attendent quelque chose de vous : que vous les aidiez, que vous les financiez, mais ne le faites pas. Ne vous retournez jamais lorsque vous sortez du bassin des illusions ; ne regardez jamais ce bassin aussi envoûtant qu'absurde, et avancez. Continuez de construire.
… Mais souvenez-vous : le véritable pouvoir n'est pas le règne, mais uniquement dans la connaissance. Rien ne sert de régner, car vous aurez la guerre. Je ne suis pas haut placée chez Wayne Tech : je ne suis qu'une chercheuse parmi d'autres, et je continue de vivre au sommet d'un penthouse.

Par ailleurs, il y a des secrets au sein même de la connaissance, et nous voilà à aujourd'hui : mon parcours de petite gosse de riche est fait et je n'ai rien vécu de particulier à Gotham, si ce n'est qu'une fois, j'ai été sauvée par le Batman. Il m'a sans doute sauvée d'un viol, alors que pour une fois, je n'avais pas eu le temps de me servir de la bombe lacrymogène cachée dans mon sac à main. Je l'ai vu de mes propres yeux, et ça n'a duré qu'une seconde : sa cape a recouvert les trois hommes qui m'entouraient et aussitôt, ils avaient disparu.
Personne ne sait qui est le Batman, mais je le saurai. Je ne répandrai pas ce savoir, je le garderai. Je le garderai et en ferai une force.

Mais même lorsque vous croyez être arrivé au bout d'un chemin, d'autres ramifications infinies vous surprennent.
Alors, qu'est-ce qui est réel, et qu'est-ce qui n'est l'est pas ?
Tout et Rien cohabitent. La Connaissance est infinie et le Pouvoir l'est tout autant. Le Pouvoir est peut-être celui qui réside au fond de vous. Un véritable pouvoir et dans mon cas, la télékinésie et la télépathie. Le véritable pouvoir tombe du ciel, et peut éradiquer un monde tout entier.
C'est ce qu'il s'est passé et c'est ce qui a détruit la machine. Notre réalité n'existe plus et fait désormais partie de cet immense masse incompréhensible, tout le temps chamboulée.

J'ai fait partie des réfugier retranchés dans des bunkers créés par Wayne Tech. J'étais au courant de leur existence et lorsque par hasard j'ai réussi à faire sauter la tête de deux paradémons, j'ai compris que le véritable pouvoir englobait toutes ces choses, et ne se définissait en aucun cas par d'autres mots que ce qu'il signifie à lui seul. Il a fallu bien du temps à Gotham pour se relever (quand vous êtes native de Gotham et que vous y avez toujours vécu, il n'y a que cette ville qui importe. Pas vrai, Monsieur Wayne ?).
De créatrice à survivante, tout ce qui importait était de pouvoir se cacher en attendant que de véritables dieux venant de la machine nous secourent. Vous pouvez vous imaginer qu'avec tout ce que j'ai appris, qu'avec tous les documents secrets que j'ai pu découvrir avant ce que nous appelions « le cataclysme », je n'étais guère étonnée de la présence de pareils êtres. Je ne me doutais tout simplement pas qu'ils étaient si nombreux, ni qu'au fond de moi, un pouvoir sommeillait, et c'est là, la seule limite à ma connaissance. Depuis quand suis-je une méta-humaine ? Quel secret ne puis-je pas connaître ?
Si tout se reconstruit peu à peu, rien n'est plus pareil : Tout et Rien existent et la limite semble encore plus lointaine qu'avant. A vrai dire, elle est invisible, mais a également suscitée en moi la volonté d'arriver à accéder à tout ce que je ne peux pas voir ni connaître.

Nous sommes misérables dans cet univers, et je refuse de succomber à ce fait. C'est une offense à ma liberté, et je veux la reprendre.
... Misérables au point où nous sommes voués à disparaître, surpassés par la puissance des Dieux. Nous, pauvres habitants de la Terre, n'avons qu'à faire confiance à des êtres capables de tout détruire, tout en ayant quelque part la crainte qu'ils échouent, ou qu'ils révèlent leur vraie nature. Un être suffisamment puissant pour déplacer la lune avait plongé notre monde dans une ère glaciaire, et ce fut là que j'avais compris l'importance de devoir ressasser, puiser au fond de moi afin de moi aussi, réveiller mes pouvoirs. Mais il ne suffit apparemment pas de serrer les poings, les muscles et le périnée pour y parvenir, ni de s'en convaincre.
Deux années à affronter une nouvelle catastrophe, à répondre à des appels aux dons, à envoyer des dizaines de bitcoins à des causes, tout en préservant mon anonymat. Mon anonymat le plus total, le plus horrible et le plus cauchemardesque. Enfermée dans ma chambre, les volets blindés de mon penthouse baissés, ma porte sécurisée d'une centaine de codes différents que je m'efforçais moi-même de taper à chaque entrée et sortie. Des jours durant dans le noir, dans la panne, triste et en colère. Renfermée sur moi-même, je tendais des fois les bras vers un objet, essayant de m'en saisir par la pensée, et ça ne marchait pas. Alors, je me pensais folle, et que ce qui était arrivé aux paradémons n'était pas de mon oeuvre. Ni ces quelques fois où par hasard, j'avais repoussé quelques pourris d'un simple geste de la main.
La solitude de deux années à agir par instinct me rendait folle : nue, griffée par mes propres ongles, au recoin de ma chambre, le chagrin généra finalement une nouvelle réaction : tout ce qui se situait autour de moi lévitait, et à peine après avoir pu le constater, mon lit, mes meubles retombèrent lourdement au sol.
L'ascension d'un nouveau héros ? Non. Ne rêvez pas. L'espoir était revenu en même temps que le jour, mais la frustration et la peur était toujours aussi grandes.
La réalité est telle qu'aucun de nous ne vaut quelque chose, et que nous sommes juste des insectes. Gotham, rattrapée par ses vieux démons, est pire qu'avant. Le monde tout entier est pire qu'avant, et moi, impuissante et en colère.

Cette même colère se transforma en détermination à aller plus loin, à acquérir une véritable valeur, car plus rien n'en avait pour moi. Tout ceux que j'aimais sont morts ou portés disparus. Mes petits prestiges, ma confiance en moi, mon confort, brisés par ces Dieux et ces Monstres. Et si au fond de moi mes pouvoirs pouvaient me permettre d'accomplir quelque chose, pourquoi ne pas le faire ? Car soit vous surplombez le monde, soit vous le subissez.