To Be Human Or Not To Be [Feat. Zatanna]

to be human or not to be

Les lieux qui auparavant lui apportaient du réconfort lui étaient devenus difficilement supportables, et les visages familiers autant de rappels douloureux du poids des erreurs qui pesait sur sa conscience. Deux semaines, cela faisait deux semaines qu’elle attendait que, magiquement, aha, ses souvenirs pâlissent et ses fautes deviennent de simples souvenirs pâlis, qui cesseraient de s’incruster sans cesse dans son quotidien, un quotidien dont elle se fichait bien qui plus est, et qui se fichait bien d’elle par-dessus le marché. Elle tournait en rond, alternant entre rester enfermée entre les millions de murs de la Maison, enroulée autour d'un lapin nain, d'un exorciste ou de ses bouteilles d'alcool, déplacer des objets dans son manoir de Gotham en beuglant des classiques comme au karaoké pour ne pas entendre ses propres pensées et errer dans le monde comme une âme en peine. Au moins, son âme était là. De quoi elle se plaignait, exactement ? Ce n’était pas elle, la victime. Parfois, elle croisait son propre regard dans un miroir ou le verre d’une fenêtre et elle se rappelait ce que c’était que de vivre sans âme, sans conscience, et à quel point ça lui aurait facilité la vie, à présent… et puis cette pensée lui donnait la nausée et elle se flanquait des gifles ou laissaient échapper des cris de rage et de détresse, et elle attendait que ça passe, alors même qu’elle savait que ça ne passerait jamais. Il n’y avait pas pire sentiment sur Terre que ces deux-là : culpabilité et regret. Et elle savait que tout le monde devait vivre avec ça, mais elle ne savait simplement pas comment tout le monde faisait, et pourtant, elle avait un modèle d’expert en la matière sous les yeux. Sauf qu’elle ne pouvait pas poser les yeux sur lui. Elle ne pouvait pas. Avec lui, en plus de la culpabilité et du regret s’ajoutait la honte. Et la colère. Même si la colère avait été un dérivé agréable, mais même lui, qui s’en voulait tellement, ne pouvait pas supporter qu’elle se défoule sans cesse sur lui juste parce qu’il était là et qu’il avait l’habitude d’être le coupable de tout le monde. Non, cette fois, la coupable, c’était elle, et elle n’y était pas habituée, la petite fille à son papa, la gosse de riche, la force du bien, mademoiselle parfaite-en-tout.

Une seconde assise au milieu de son lit, en tailleur, les yeux fermés, à essayer de méditer, la seconde d’après, sous l’assaut des images atroces qui ne cessaient de l’envahir, elle était dehors, haut dans le ciel, les mains pressées sur les yeux, la bouche déformée par un grand cri silencieux. Elle n’avait pas complètement abandonné l’idée de se lancer un sort d’oubli sur elle-même. Sauf que la dernière personne à qui elle avait fait ça se faisait désormais dessus dans une maison de repos, le regard dans le vague, la bave aux lèvres, le légume parfait. Elle lui avait détruit l’esprit, encore un chouette moment offert pour vous par Zatanna Zatara. Elle baissa les mains et se rendit compte qu’elle s’était téléportée en simple tee-shirt et shorty au milieu de nulle part. Sous elle s’étendait une forêt sans fin, le ciel était d’un bleu éclatant et glacial et ses bras et ses jambes nus couverts de chair de poule. Elle fit apparaître une cape doublée en fausse fourrure autour d’elle et ferma les yeux. Elle pourrait bien se laisser porter par la brise ainsi jusqu’à elle ne savait où. Puis une image lui déchira l’esprit, des petites jambes qui battaient l’herbe haute, une enfant aux cheveux noir corbeau qui courait le long d’une falaise battue par la mer, et elle porta de nouveau les mains à ses tempes. « Assez !! » Elle plana doucement vers le sol, repéra un village et se laissa porter jusqu’à lui, comme par la force d’attraction d’une petite lune. Bourgade sans nom, quelques rues, quelques pick-ups boueux, des magasins et des cafés, des maisons plantées ici et là. Elle se posa pieds nus sur le bitume à proximité d’une baraque en bois à la peinture écaillée par les hivers rigoureux, un peu à l’écart, et regarda un long moment une jeune femme en train d’étendre du linge sur une corde. Et en la regardant, Zee songea que la vie avait vraiment repris son cours. N’était-ce pas ce qu’elle faisait toujours, après tout ?

Soudain, un bout de tissu s’envola de la corde, droit vers elle, et elle tendit la main pour dévier la course de l’habit et l’attraper au vol. Un réflexe. De toute façon, plus aucune de ses décisions n’étaient censée, ces derniers temps. Et elle resta là, immobile, le tissu humide à la main, serrant sa cape de l’autre. La jeune femme venait vers elle, la remerciait déjà. Et Zee se contenta de rester là, le bec ouvert, avec l’envie de hurler contre l’Univers. Elle connaissait cette femme. Et en d’autres circonstances, elle lui aurait immédiatement sauté à l’a gorge, car en d’autres circonstances, elle n’était pas une amie, et elle était dangereuse. Sauf que Zatanna savait parfaitement qu’elle était inoffensive, cette jeune femme. Elle le savait, parce que c’était à cause d’elle que la Banshee n’était plus. Elle recula d’un pas, l’inquiétude d’avoir une ennemie en face d’elle remplacée par la peur de devoir affronter les conséquences de ses actes. Et cette jeune femme, dont elle ne connaissait même pas le vrai nom, en était une, de conséquence, et pas une petite. « Désolée… » Mais de quoi s’excusait-elle exactement ? Et de quel droit ? Zee tendit l’habit à la femme et se força à ajouter : « Désolée, je crois que ceci vous appartient ? » Qu’avait-elle senti de la présence de cette jeune femme sur cette planète, et dans quelle mesure elle s’était téléportée ici exprès, même inconsciemment ? Oui, en permanence, elle regrettait les jours affreux où elle avait mis sa conscience en veilleuse en se croyant maline, sans avoir pensé aux conséquences pour tous les autres qu'elle-même.

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C’était surréaliste. Dans ce décor emprunt de normalité, cette scène tout à fait sereine, ce tableau fait de félicité que rien n’aurait dû venir obscurcir, Zee sentait une angoisse insondable l’étreindre. Et alors qu’elle voyait Siobhan s’approcher d’elle, le sourire aux lèvres, le visage lumineux, sa propre panique ne fit que s’accroître, ses doigts se resserrer sur l’étole qu’elle tenait bêtement à la main. Elle avait l’impression qu’une main immatérielle s’enfonçait dans sa gorge pour empêcher l’air de passer, jusqu’à serrer son cœur, et ses tempes et tout son cœur battait au rythme de cette crise de panique stupide qui la submergeait soudain. Alors qu’elle ne craignait rien. C’était bien cela, le problème : elle ne craignait rien. Cette femme ne pouvait rien lui faire. Ne voulait rien lui faire, même. N’était-ce pas merveilleux, n’était-ce pas fantastique ? Et pourtant, elle hyperventilait comme une gamine, parce que tout ce qu’elle voyait quand elle posait les yeux sur Siobhan, c’était se superposer la silhouette au rictus cruel et démoniaque de la Banshee, et tout ce qu’elle entendait traverser ses lèvres, c’étaient des hurlements à faire se soulever des tempêtes, et elle sentait le goût métallique du sang sur sa langue. Elle avala difficilement sa salive en tentant de lutter contre les images qui l’assaillaient, ces terribles moments qui avaient tracé leurs chemins respectifs jusqu’ici, jusque maintenant, où elles se retrouvaient de nouveau face à face.

Zee sursauta quand la femme lui demandait si elle allait bien. Et cette seule question, venant de cette personne-là précisément, fit monter les larmes aux yeux de la magicienne. Eh bien, elle pourrait toujours passer comme la cinglée de la ville, de passage seulement, après une telle scène. Cependant, elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle pleurait sur son sort, et elle pleurait sur le sort d’une femme qui pourtant avait l’air heureux. Par ses actes, Zee avait ôté du monde une grande menace, sans pour autant avoir à la tuer, n’était-ce pas merveilleux ? N’était-ce pas une victoire absolue ? Non, c’était la pire des choses aux yeux de Zee. Quelque chose qui la rendait malade et qu’elle s’était promis de ne jamais recommencer, mais que le démon lui avait fait faire : utiliser ses pouvoirs pour priver un être, même dangereux, même infâme, de son libre-arbitre, pour le priver de tout choix, de toute liberté, et lui imposer sa volonté malade. Elle n’aurait pas souhaité une telle chose à son pire ennemi. C’était un acte du démon, ni plus ni moins, et cela rendait à cette situation toute l’horreur dont la paix apparente du moment semblait la priver. « Je… ça va. Excusez-moi. » Pour tout. Elle essuya ses larmes du revers de la main et se demanda ce qu’elle était censée faire, maintenant. Disparaître, probablement. Mais pour aller où ? Il lui semblait insupportable de s’en aller, d’emporter avec elle ce poids qu’elle sentait peser sur sa poitrine, et de l’amener ailleurs, où il n’y aurait rien ni personne pour l’empêcher de sombrer dans les ténèbres. « Je suis de passage, je… Cette ville s’en sort bien, je trouve cela fantastique, ça m’a rendue un peu… »

Impossible de trouver les mots pour mener son mensonge au bout. Le regard compatissant de Siobhan n’aidait en rien, évidemment. C’était terrible. Était-elle heureuse ainsi ? Si elle savait qui elle était, l’aurait-elle toujours été, heureuse ? Était-ce un choix qu’elle aurait fait si on lui en avait laissé la possibilité ? Impossible de savoir. Malgré tout, elle ne put s’empêcher de demander : « Et vous, vous allez bien ? Vous êtes heureuse, ici ? » C’était un peu singulier, mais cela pouvait passer. La catastrophe avait été mondiale et dans ces moments-là, les gens avaient moins d’inhibitions à se demander, entre inconnus, si tout allait bien. Elle tenta un sourire, incapable cependant de soutenir le regard de Siobhan. « Est-ce que vous avez besoin d’aide ? » À étendre le linge ? Formidable, Zatanna. Heureusement que personne ne la connaissait ici, parce qu’elle allait finir par la gagner, sa réputation de folle du village. Enfin, presque personne ne la connaissait. Eh bien, elle n’allait pas retirer son offre, aussi fou que ce soit.

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Elle n’avait pas le droit de pleurer, en tout cas pas devant Siobhan. C’était bien être la pire des garces, comme si elle cherchait la pitié de quelqu’un à qui elle avait causé du tort. D’autant plus qu’elle n’aurait pas voulu de la pitié de la Banshee. Et que la femme qui se tenait devant elle, qui qu’elle soit désormais, ne lui devait rien. Dans tous les cas, c’était stupide. Et Zee ne pouvait rien y faire. Oh, en vérité, elle pouvait probablement utiliser sa magie, s’engouffrer violemment dans l’esprit de cette toute nouvelle personne au visage apaisé et tirer sur les fils qui l’attachaient encore à celle qu’elle était. Parce que ces choses-là ne disparaissaient jamais, la personne qu’on était ne disparaissait pas, on l’oubliait, c’est tout. Et à moins de détruire l’esprit de quelqu’un complètement, on ne pouvait pas l’effacer. Zee s’était rendu coupable de ces deux crimes désormais. L’une de ses victimes gisait dans un hospice anonyme, condamné à se baver dessus pour le restant de ses jours, et l’autre se tenait là, devant elle. Et Zee aurait pu, oui elle aurait pu tenter de rappeler la Banshee. Mais pourquoi faire ? Pour apaiser sa propre conscience ? Ramener sur Terre une menace pour qu’elle, elle se sente mieux ? Eh bien oui, oui, car elle pouvait gérer la menace et au moins, elle n’aurait pas imposé sa volonté à une autre. Mais il restait cette femme, cette inconnue. Si Zatanna faisait ça, c’était elle qu’elle tuerait, cette fois. Non, ce qui était fait était fait et si cela devait être défait, ce serait par la Banshee elle-même, ou par quelqu’un d’autre, ou quelque chose d’autre, hasard ou destin. Et la magicienne savait que, aussi dramatique que ce serait, elle en ressentirait aussi un immense soulagement. Et puis il y avait pire que la culpabilité étouffante qu’elle ressentait en cette seconde, c’était la compassion que lui renvoyait la femme. Si elle savait… Même sans se souvenir, juste si elle savait, probablement qu’elle ne serait pas si accueillante.

Et donc, tout allait bien. Zee savait que tout n’allait pas bien, mais du point de vue de cette femme, tout semblait allait bien. Une personne nouvelle, ou du moins ancienne et revenue à la vie – on ne disparaissait pas, on s’oubliait seulement. Elle se permit même un petit sourire en coin quand Siobhan la complimenta pour son attraper de linge. Qui était-elle, cette femme, finalement ? Zee savait qu’elle gagnerait à le savoir. C’était la moindre des choses. Elle hocha la tête en réponse à l’invitation polie. « Je ne dirais pas non à une boisson chaude. » Une petite voix dans sa tête la traita de folle et lui hurla de fuir, de fuir loin d’ici et ne plus jamais croiser la route de la femme, mais elle la fit taire impitoyablement, trop heureuse de se punir ainsi. « Je m’appelle Zatanna. » Elle s’interrompit de nouveau. Peut-être que son seul nom pouvait déclencher quelque chose. Elle était vraiment folle de jouer à ce petit jeu. Mais après tout, son visage, son nom, et même ses activités étaient connues de nombreuses personnes. Cela ne servait à rien de faire des secrets. Elle suivit Siobhan vers ce qu’elle supposait être sa maison. « Je volais, si vous voulez tout savoir. Je suis magicienne, une vraie magicienne, et cela me détend, de voler au hasard. » Est-ce que quelqu’un sur cette Terre se souvenait de ce que ça faisait, dix ans auparavant, d’annoncer ce genre de chose ? « Je suis magicienne », ça vous valait un aller simple pour Arkham. Mais en 2020, les aliens faisaient leur coming-out, les îles mystérieuses jaillissaient de la brume et le monde entier était menacé par des dangers intersidéraux à peu près tous les ans, alors…

L’intérieur de la maison était coquet, simple et sobre. Les signes qui auraient pu indiquer que les lieux avaient été vidés de ses occupants ou figés pendant six mois ne se voyaient pas, en tout cas pas au premier regard. Zee ne put pas s’en empêcher. « Vous habitez ici, alors ? Vous avez pu… retrouver votre foyer ? Après tout ce qu’il s’est passé… » Elle était presque curieuse de savoir ce que la femme allait lui répondre. Zee savait très bien où elle était durant ces six mois : sur New Themyscira, elle était bien placée pour le savoir. Elle était déjà bien inquiète de savoir sous quel nom elle avait se présenter également. Et pourquoi pas, quelle histoire elle allait lui raconter… « J’ai vu que le village avait l’air de bien s’en sortir. Vous habitiez ici avant que Brainiac ne vienne se mêler des affaires du monde ? » Après tout, peut-être que oui. Car que savait-elle de la Banshee, Zatanna ? Pas beaucoup plus que l’inconnue qui se tenait en face d’elle en cette seconde.

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Kiara. C’était le nom qu’elle portait aujourd’hui, mais Zee savait que ça ne pouvait pas être me sien. Elle avait fait en sorte que la Banshee oublie tout, jusqu’à son prénom, ce prénom qui façonnait une existence, le premier qui franchissait les lèvres d’une mère, le premier que l’enfant entendait, celui par lequel ensuite on ne pouvait pas ne pas répondre… Oui même cela, elle le lui avait arraché. Alors, c’était Kiara aujourd’hui. Hier, Silver Banshee, et demain… Elle restait plutôt silencieuse, Zatanna, observant les gestes assurés de son hôte avec le linge. Qui devinrent un peu plus raides une fois que la magicienne lui eut avoué ce qu’elle était : une magicienne. Peut-être avait-elle eu tort, peut-être pas. En toute honnêteté, elle n’en avait cure en ce moment. Le mal avait déjà été fait. Les conséquences étaient déjà là. Si Kiara voulait la chasser de chez elle à coups de balai, cela ne la dérangerait pas, cela ne changerait en rien ce qu’elle ressentait. Elle fut simplement désolée de la voir si mal à l’aise, mais le monde était ce qu’il était, peuplé des gens qui y vivaient, c’était ainsi. Et pour ce que Zee en savait, cette prudence soudaine, cette défiance ; venait peut-être bien d’une partie inconsciente, de ce qui restait de la Banshee en Kiara, qui peut-être hurlait et griffait dans sa bulle intérieure. La magicienne considéra un moment l’idée de partir, tout simplement. Cela n’avait vraiment aucun sens, et plus encore maintenant que son hôte semblait si gênée. Elle attendit tout de même poliment que Kiara réponde à sa question, puisqu’elle l’avait posée. Elle hocha la tête en entendant sa réponse – eh oui, tous, ils étaient arrivés quelque part, mais pour la plupart, ils avaient eu un endroit où retourner et des proches à retrouver. Au moins ici, Kiara semblait avoir trouvé la paix.

De nouveau, elle hésita, mais de nouveau, elle songea que cela serait encore plus déstabilisant si maintenant elle prétendait ne rien vouloir boire, alors, dans un souci de bonne éducation, elle sourit et répondit poliment : « Du thé, ce sera très bien, merci. » La Banshee sortant de sa tombe. La Banshee étreignant ses pouvoirs, clamant le monde pour elle. Et le démon, qui déjà savait ce qu’il lui ferait, qui savourait ces paroles, ces promesses de grandeur avortées. Elle serra les poings et revint à la réalité en entendant la question maladroite de Kiara. Malgré tout, cela la fit sourire. Oui, oui, bien sûr que les gens étaient mal à l’aise. Personne ne voulait que les rêves deviennent réalité. Tout le monde voulait croire qu’il y avait un truc. Sinon, cela devenait réel, et cela devenait effrayant. Tout comme le monde craignait Superman, en vérité. Une vraie malédiction. « J’avais besoin de me changer les idées. Certains prennent leur voiture et vont rouler des kilomètres, mais ce n’est pas très écolo, et puisque moi je peux voler, je ne m’en prive pas. » Quand Kiara lui tendit son thé, elle s’en saisit pour se réchauffer les mains, et y trempa les lèvres pour le plaisir de sentir le liquide brûlant dans sa gorge. « Je viens de l’autre côté de la frontière. En ce moment, c’est plutôt facile de faire la traversée. Et j’aime ces paysages. Je suis contente de savoir que des endroits comme celui-là ont été épargnés par la folie des hommes en ce moment. Dans les grandes villes, ce n’est pas beau à voir. Elle laissait les mots franchir ses lèvres sans trop savoir pourquoi. C’étaient des choses qu’elle ressentait, mais n’avait pas eu l’occasion de dire, d’en discuter avec quiconque. En fait, cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas autant parlé.

Elle aurait tant voulu pouvoir lui dire la vérité, à Kiara, à propos d’elle-même. Tout lui expliquer, et une fois cela fait, lui donner le choix de rester ainsi ou de récupérer ses souvenirs, un vrai choix, même s’il était difficile. Mais elle ne pouvait pas, elle ne pouvait plus. Elle resserra les mains autour de son thé et releva la tête. « Les amis, en ce moment, c'est ce qu'il y a de plus précieux, non ? Je suis contente en tout cas que vous en ayez retrouvé une. » Un seul point d’accroche dans une existence, cela faisait tout. De nouveau, elle faillit lui demander si elle était sur New Themyscira, mais se retint encore. De toute évidence, quand elle aurait fini son thé, elle prendrait congé. Et alors, probablement qu’elles ne se reverraient jamais, et que Kiara/Siobhan rejoindrait la longue liste ses erreurs que Ztanna avait commises dans sa vie. Une galerie qui commençait à bien se remplir, avec le temps. « Merci encore pour votre hospitalité. En ce moment, la plupart des gens ne brillent pas par leur générosité, mais on a tendance à oublier que même dans les pires moments de l’histoire, il reste des gens qui tendent la main aux autres, n’est-ce pas ? » Des gens comme Kiara, après tout. Ou comme l’amie qui lui avait tendu la main à elle, quand bien même Zee savait que cette « amie » n’en était pas une, en tout cas pas la première fois que Kiara et elle avaient dû se rencontrer.

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En d'autres lieux, en d'autres temps, Zee aurait ri de cette situation. Hier encore, Siobhan et elles étaient de forces de la magie noire, deux créatures que n'aurait pas renié l'enfer, Zee parce qu'elle était réellement possédée par un démon et Siobhan parce qu'elle était Silver Banshee et que c'était là la voie qu'elle avait choisie. Et toutes deux faisaient trembler le ciel et la terre et les hommes entre les deux rien qu'en faisant étalage de leurs pouvoirs, dans un monde à l'agonie, au milieu des ruines, des cendres et des cadavres. Et aujourd'hui, elles étaient là, deux jeunes femmes en apparence totalement normales, à boire des boissons chaudes dans un petit salon douillet d'un petit village niché dans la nature canadienne, à discuter de banalités. C'était complètement dingue et, oui, à mourir de rire. Bien sûr que Zee n'y aurait pas cru, si on lui avait dit ça quelques semaines auparavant. De toute façon, elle n'était plus vraiment là, une semaine auparavant. La tristesse absolue qu'elle ressentait en cette seconde, en revanche, et qui était aussi un peu drôle, dans le genre cynique, c'était qu'elle était la seule à pouvoir en rire. Siobhan n'aurait pas trouvé ça drôle - parce qu'elle ne se souvenait pas de ce passé commun bref et destructeur, ni qu'elle avait été la Banshee, et s'en serait-elle souvenu là, tout de suite, qu'elle n'aurait certainement pas ri non plus. Alors, seule avec cette ironie de l'histoire, Zee ravalait son amusement qui tenait plus de l'hystérie qu'autre chose de toute façon. C'était fou. Complètement fou. Elle se répétait ça en boucle alors que son hôte sortait des biscuits pour accompagner thé et chocolat. Si un jour la Banshee revenait, et si elle se rappelait cette scène, ô comme serait en rage. Cela aussi, Zee aurait pu le trouver amusant. Mais elle pouvait aussi voir les choses de son point de vue : pour la Banshee, ce serait une humiliation horrible. Ce n'était pas dans l'intention de Zee de l'humilier mais c'était ainsi qu'elle le verrait. Et la magicienne… s'en fichait. Peu importait sa réaction. Peu importait qu'un jour, la Banshee défonce sa porte et la vaporise.

Elle remercia Kiara d'un hochement de tête et se força à sourire. Non, elle ne se forçait pas : c'était véritablement compliqué dans les villes. Vrai de vrai. Et c'était à prévoir. « C'est difficile, oui. Il y a beaucoup de monde, peu de ressources, la plupart des gouverneurs ont décidé d'utiliser l'armée et la police pour parer au plus pressé, évidemment, ce qui génère de la violence et encore plus de panique…" Ah ça, elle en avait vu, des scènes odieuses. Et puis Gotham partait de tout en bas. C'était encore plus difficile pour une ville aussi pauvre, aussi gangrénée par le crime, crime qui bien sûr avait trouvé, comme toujours, le moyen de profiter de la situation. Malgré tout, il y avait une solidarité par le bas qui ne se démentait jamais dans cette ville. « Et puis, comme vous dites, ici j'imagine que tout le monde se connaît. La ville, c'est le grand cirque de l'anonymat, et c'est facile alors de ne plus penser qu'à soi… Enfin, nous nous sortirons de ça comme nous avons surmonté toutes les autres crises. » C'était juste… fatigant. D'enchaîner ainsi les épreuves. Ça l'était pour ceux qui luttaient, et ça l'était aussi pour le commun des mortels, qui passait son temps à reconstruire une vie pour la voir détruite à nouveau deux mois après. Ici, au moins, il y avait, comme Kiara le disait, une communauté. « Je suis de passage, je pense repartir dès que je me serai réchauffée. » Elle resserra sa prise sur son thé pour souligner ses propos.

« Vous avez dit avoir "découvert" cette communauté, vous y vivez depuis longtemps ? » Après tout, qui sait ? Il s'agissait peut-être là d'un pan de la vie de Siobhan dont Zatanna ne savait rien. Elle avait rencontré la Banshee. Pas sa contrepartie. Libérée, délivrée. C'était pour ne pas l'affoler que Zee ne se levait pas d'un bond pour s'enfuir, mais au lieu de quoi, elle flirtait dangereusement avec une zone rouge.

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C’était officiel, il fallait qu’elle s’en aille. Déjà sensible d’habitude, elle était plus que jamais à fleur de peau désormais après les épreuves traversées. En faisant de son corps un nid douillet, Nebiros avait tout détruit, tout cassé, fouillé dans chaque repli de son esprit pour faire siennes les faiblesses et les fautes de la magiciennes, exposé ses peurs, mis à nu ses doutes, et quand John l’avait enfin chassé, il n’avait laissé qu’un champ de ruine émotionnel. Elle avait l’impression que chacun de ses nerfs était exposé à la lumière et à l’air libre et elle ressentait le moindre changement de courant puissance mille. Son hôte regrettait de l’avoir fait rentrer chez elle, était mal à l’aise, avait probablement peur, indépendamment de leur histoire commune ou pas, cela bien sûr Zee ne pouvait pas le dire. Et puis il y avait sa posture, la légère raideur qu’elle dégageait et bien sûr, ses regards qui étaient devenus fixes, appuyés, et ses réponses lapidaires. C’était là le court normal des choses et Zatanna en était presque soulagée. Oui, voilà une situation qui redevenait normale. Peu importait comment et pourquoi Zee était arrivée ici, c’était sa personne propre qui posait problème, et la logique voulait que le phénomène allait s’aggraver. Il n’y avait rien qu’elle pourrait dire ou faire pour apaiser la jeune femme. C’était un signe, le symbole qu’il était encore trop tôt pour elle pour se balader ainsi dans le monde en espérant y trouver des réponses, voir des mains tendues pour lui permettre de se racheter. La preuve aussi que certaines choses étaient brisées à jamais. Elle devait rentrer. Retourner à la maison, là où John l’attendait, et commencer par tenir la promesse qu’elle lui avait faite, à lui, le jour où il l’avait ramenée à la vie : rester à ses côtés. Pour que peut-être, au moins, quelque chose de bien sorte de toute cette histoire.

Elle se redressa d’un mouvement fluide, terminant ostensiblement sa tasse de thé et la posant sur la première table venu, puis, en prenant bien garde à laisser de la distance entre elles deux, hocha la tête en souriant en réponse à la réponse de Kiara, qui de fait lui donnait congé, probablement une bonne chose pour toutes les deux. Ainsi, elle retrouverai son quotidien de paix dans ce village perdu et isolé, sans que le reste du monde ne puisse la retrouver et surtout pas lui rappeler qui elle avait été, et Zatanna n’aurait pas d’autre prétexte pour ne pas rentrer chez elle. Elle allait saluer son hôte et lui annoncer qu’elle s’en allait quand Kiara à son tour lui posa une question, une question qui aurait pu sonner comme une réplique de série télé tellement elle était classique, sauf que dans leur cas précis, c’était la seule question qui avait du sens, la seule question qui avait de l’importance. Consciemment ou pas, Kiara avait mis le doit sur le problème, avait cerné exactement la raison de son malaise, de leur malaise à toutes les deux. Et parce qu’elle s’y attendait depuis le début, en vérité, parce que depuis la première seconde elle craignait d’entendre cette interrogation, elle savait déjà ce qu’elle allait répondre, ce qu’elle devait répondre. Elle sourit de nouveau, sans heurts, sans hésitation, et sa voix était calme et naturelle. « Tout le monde m’a déjà vue quelque part, ou presque. Sans me vanter, mais un peu quand même, je suis assez connue. » Et elle ponctua ses paroles d’un rire un peu gêné, vu qu’elle l’était, mais au moins, ça, ce n’était pas un mensonge, et ça expliquait tout. « Moi, je ne vous ai jamais vue, en tout cas. » S’il devait y avoir une seule raison pour que le destin les ai fait se retrouver, c’était indéniablement pour ce moment, et ce mensonge. Et qu’ainsi, ce simulacre de paix puisse peut-être se changer en quelque chose de plus réel, de plus tangible, et de plus durable.

Elle se dirigea vers la porte et, une fois sur le palier, se retourna vers Kiara pour la contempler encore une fois. «Merci pour votre hospitalité, et pour le thé. Cela me redonne de l’espoir de voir qu’au plus fort de la tourmente il y a encore des gens qui se préoccupent des autres. C’est de cette façon que l’on s’en sortira tous. » Là encore, c’était un mélange de sincérité, parce que c’était ce qu’elle ressentait en général, et d’hypocrisie absolue, parce que c’étaient ses lèvres qui prononçaient ces mots. Mais le dégoût d’elle-même qu’elle ressentait n’était rien comparé à ce qu’elle avait fait, c’était bien peu cher payer. Et si cela pouvait leur permettre de couper ce dernier fil qui les reliait l’une à l’autre et dans lequel Kiara était à deux doigts de s’emmêler, alors Zatanna pouvait bien supporter de ne pas se regarder dans le miroir ce soir, et tous les autres soirs. S’il n’était pas déjà trop tard, si le voile fragile qui les avait séparées n’était pas déjà déchiré.