De l'autre côté du miroir [Feat. Zatanna]

De l'autre côté du miroir

Debout au milieu de la jungle qu’était devenu son jardin en six longs mois d’absence, Zatanna dardait ses yeux clairs sur l’île d’Arkham, qui comme d’habitude semblait séparé du reste de la ville non pas seulement par le fleuve mais par une brume épaisse et grisâtre. Enfant, Zee croyait que l’île était comme Avalon, le royaume des sœurs, protégée par de la magie. L’un des rares souvenirs qu’elle avait de sa mère était Sindella la portant dans ses bras et lui expliquant que c’était bel et bien une île magique, qui abritait des créatures uniques, des chimères du monde des hommes. Elle avait pleuré et trouvé ça cruel, et c’était son père qui était venu, avec sa roideur habituelle, briser le mythe et sermonner sa femme sur les histoires stupides qu’elle racontait à leur fille. Zee avait grandi avec la silhouette noire de l’asile se découpant dans le ciel morne et plus d’une fois avait entendu ses sirènes d’alarme sonner. Plus d’une fois aussi elle avait trouvé un détenu planqué dans son jardin ou dans celui des voisins. L’endroit n’avait plus rien de chimérique désormais, ce n’était que la sobre et triste réalité. Elle se demandait comment était la situation là-bas. Elle ne doutait pas que Bruce avait pris des nouvelles à peine de retour sur cette Terre. Elle fit quelques pas dans son jardin en caressant du plat de la main les herbes qui lui arrivaient jusqu’aux hanches. Peut-être était-ce dû à la magie des lieux, au fait qu’il y avait déjà des endroits dans cette maison où le temps ne s’écoulait pas de la même façon, mais ici, si les hommes avait été gelés dans le présent, la végétation avait continué de vivre sa vie. Zee n’avait pas eu le cœur à tout couper. Elle aimait son jardin comme ça, plus sauvage. Et puis, elle n’avait pas particulièrement la main verte… C’était l’endroit préféré de sa mère, pas le sien. Elle, elle ressemblait plus à son père, elle se plaisait plus dans le manoir poussiéreux et ses multiples pièces cachées.

Son téléphone vibra dans sa poche et elle regarda qui essayait de la joindre, sachant déjà qu’elle ne répondrait pas. Solveig. Sa manager/PR tentait de la joindre depuis ce matin déjà. Zee savait qu’elle organisait quelques petites représentations un peu partout dans la ville pour lever des fonds pour aider Gotham à se relever du choc. Zee s’était fendue d’un sms pour accepter sa proposition, mais ne se sentait pas capable de lui parler de vive voix. Elle ne sentait pas plus capable de monter sur une scène, même pour dix minutes, encore moins de faire face à des gens. Elle avait demandé à sa banquière de verser des dons à coups de million à droite à gauche, sachant très bien que ce n’était pas la catastrophe que vivait la ville qui empêcherait ses administrés de détourner la moitié de l’argent des donateurs pour se le mettre dans la poche, mais elle s’en fichait. Elle tourna les talons et traversa le jardin pour retourner dans sa maison. Au moment où elle franchissait le double-battant vitré, son cœur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine. Quelque chose, comme le fil fin et doré d’un cercle que créée un caillou lâché dans une étendue d’eau lisse et calme, l’avait traversée. Une onde de magie, ce qui en soit n’était pas extraordinaire car il y avait de puissants êtres magiques à Gotham City, mais cette aura-là lui était si familière qu’elle porta la main à son cœur, la gorge serrée.

Si elle n’y prêtait pas attention, si elle ne fouillait pas la sensation plus avant, elle aurait pu croire qu’il s’agissait de la signature magique de son père. Elle tituba dans les couloirs jusqu’à son salon, se forçant à embrasser cette essence, à l’analyser, alors qu’elle semblait se rapprocher d’ici. Non, ce n’était pas son père. Bien sûr que non. Les deux auras n’étaient même pas si proches que cela, mais il y avait quelque chose, indubitablement quelque chose de similaire. Et ce n’était pas Zach non plus, dont elle aurait reconnu la présence magique entre mille. Le fait qu’elle ait pensé automatiquement aux deux seuls membres de sa famille, dont un était mort de toute façon, la fit frissonner. Ce ne pouvait pas être un hasard, mais c’était probablement plus de l’ordre de ce qu’elle fantasmait, en cette période où elle se sentait si seule et à la fois si anxieuse à l’idée de croiser d’autres personnes. Elle se figea devant sa cheminée, les yeux fermés, suivant le fil de cette magie à mesure que la personne approchait. Puis s’immobilisait. Là, devant son manoir. Zee rejoignit sa fenêtre et vit une silhouette debout devant les barres en fer forgé qui encerclaient sa maison. D’ici, elle ne distinguait que les contours d’une silhouette féminine vêtue de noir. Etait-elle folle de vouloir ouvrir sa porte à cette inconnue ? Mais, de toute façon, accordait-elle la moindre importance à sa vie en ce moment ? Elle retourna devant sa cheminée et alluma un feu d’un claquement de doigts alors que dehors, le portail s’ouvrait devant la visiteuse, de même que la porte d’entrée, une invitation à entrer on ne peut plus claire.

Zee sentait les vibrations des défenses magiques du manoir, un diapason si léger qu’il était presque inaudible, même pour elle. Le signe que, alors que la femme s’avançait, la maison ne réagissait pas vraiment à sa présence. Acceptait la venue de cette inconnue. Les défenses magiques ne pouvaient pas connaître les intentions des gens, évidemment. Zee esquissa un sourire triste. Si cette personne était venue lui faire la peau, ce n’était pas les défenses telles qu’elles étaient installées qui l’en empêcheraient. Voilà qui était nouveau, et intéressant. Portant, elle les sentait, maintenant, les différences. Certes la personne avait quelque chose de similaire en elle qui suffisait à tromper les sorts de protection, mais elle avait aussi beaucoup de choses très différentes. Et surtout, uniques. Zee pourrait facilement reconfigurer les défenses. Mais en attendant, elle se tourna vers la visiteuse, debout sur le palier de la maison. Unique, oui. Il y avait en elle quelque chose d’unique, quelque chose qui n’était pas d’ici. Toute chose sur Terre émettait quelque chose, une vibration qui s’accordait sur quelque chose, et l’aura de cette jeune femme n’était pour le moment accordée sur rien, comme nouvelle dans ce monde. Comme si elle venait de naître. Puis elle observa son visage, et croisa ses yeux violets, inimitables, et alors elle sut qui elle avait devant elle. Eh bien, elle ne savait pas qui c’était, mais elle savait qu’elle l’avait déjà vue. « C’est toi. Tu n’étais pas qu’une illusion, un fantôme dans mon miroir. » Des fantômes, il y en avait dans cette maison, et ils adoraient apparaître devant son reflet pour l’agacer. C’était ce que son père lui avait répondu à l’époque, il y a bien quinze ans, quand Zee lui avait parlé de cette étrange vision, cette étrange enfant dans son miroir. C’était quelques semaines avant sa mort, et ça n’était plus jamais arrivé. Mais Zee se souvenait encore du choc qu’elle avait ressenti, de la fascination que ces grands yeux mauves avait générée chez elle, de son envie de tendre le bras et de toucher ce visage… Zee ne put s’en empêcher et esquissa un geste embrassant son salon. « Bienvenue chez moi. Fais comme chez toi. »

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

Bienvenue, semblait chanter la maison, bienvenue. Ou bien «  bon retour », même. Oui, c’était ainsi que Zee ressentait les choses. Comme si cette jeune femme aux traits fins et aux yeux si particuliers lui était déjà familière, et c’était un peu le cas en quelque sorte. Familière et inconnue à la fois. Elles s’étaient déjà trouvées face à face sans jamais se croiser en personne, s’était déjà vues sans jamais s’être connues. Cela au moins eut le mérite de lui faire oublier ses sombres pensées. Cela, oui, était ce que Zee appelait de tous ses vœux : un élan. Quelque chose qui soudain, sans prévenir, la propulsait en avant, par la force des choses. Et parce qu’elle le sentait, elle en aurait envie. Elle en avait déjà envie. Elle voulait tout savoir de cette jeune femme, et c’était fou, c’était complètement fou, et en même temps complètement naturel. La magicienne s’approcha de sa visiteuse, doucement, mais sans peur non plus : pas pour elle-même évidemment, mais pas non plus l’inconnue. Elle ne craignait pas que celle-ci s’enfuie, car c’était elle qui était venue. Et Zee voyait bien qu’elle n’était pas venue par hasard, mais comme poussée par une brise magique, celle-là même qui poussait la magicienne en cette seconde. Elle prit les mains de la jeune femme dans les siennes et les tourna vers le plafond – leurs quatre paumes offertes au ciel. Et puis enfin, elle entendit sa voix. Et eut la conformation qu’elle n’était pas la seule à ressentir de telles émotions. Familière, si familière, comme ne pouvaient l’être que les membres d’une famille, tout simplement. Mai cette idée était si folle que Zee refusa de s’y attarder. Cela faisait trop mal, de penser à la famille.

Elle sourit aux paroles de la jeune femme. Un voyage. Des kilomètres parcourus. Des épreuves endurées, bien sûr. Elle voulait tout savoir. D’un regard, elle fit se refermer la porte de son manoir, pour les enfermer toutes les deux dans ce cocon, pour empêcher le monde extérieur de venir briser cet instant de paix. Puis elle plongea de nouveau ses yeux bleus dans les iris violets de la jeune femme. Un jour, il y avait très longtemps, elle avait déjà contemplé ce visage. Elle cherchait dans le miroir ses propres traits, tendus, en colère, angoissés. Sa peau pâle, ses lèvres crispées qui déjà retenaient les hurlements d’horreur qu’elle s’apprêtait à pousser sans encore le savoir, ou ces mots blessants qu’elle jetterait au visage du seul homme qu’elle aimerait jamais, les condamnant tous les deux à s’adorer de loin pour l’éternité. Elle cherchait dans son reflet le visage inquiet d’une jeune, trop jeune magicienne, qui aurait pu lui dire de ne pas faire ce qu’elle s’apprêtait à faire, et de sauver ainsi la vie de son père, sa relation amoureuse, et de s’éviter des cicatrices. Au lieu de quoi, c’était ce visage-là qu’elle avait vu, plus jeune ; il arborait toutes les rondeurs de l’enfance, mais ces yeux, oh, ces yeux ! Jamais, jamais elle ne les avait oubliés. Des yeux d’un autre monde, d’une autre vie, d’un autre âge, aussi. L’enfant avait grandi, mais ses yeux étaient restés les mêmes, car déjà à l’époque ils portaient toute leur ascendance, toute leur lignée… Et de nouveau, Zee songea, espéra peut-être – était-ce cela, était-ce le sang de sa lignée qui chantait dans leurs veines à toutes les deux ?

Homo magi. Le sang des très anciens. Celui qui portait en lui, au niveau moléculaire, la magie, et qui provoquait cette vibration, cette sensation. Les homo magi étaient rares désormais, particulièrement ceux dont le sang n’était pas totalement dilué. Zee avait trouvé Rosalie, et Rosalie l’avait trouvée. Et désormais, il y avait cette jeune magicienne-là. « Dis-moi ton nom. Dis-moi d’où tu viens. » Elle attira la jeune femme jusqu’à son canapé, la fit s’asseoir, s’assit à côté d’elle sans lâcher ses mains, comme si elles formaient un cercle, ou plutôt un anneau de Moebius. « Excuse-moi, je suis sous le choc. Je ne m’attendais pas à te revoir un jour, encore moins en chair et en o, devant moi, et aujourd’hui qui plus est. Je t’ai cherchée souvent dans mon miroir, je t’ai appelée… » Mais cela n’avait eu aucun résultat. Et cette enfant était devenue comme un autre des fantômes qui hantaient cette maison, pour Zee. « Je m’appelle Zatanna Zatara. Mais peut-être que tu le savais déjà. Je sens ta magie, et elle est si familière à la mienne… Tu es une homo magi, n’est-ce pas ? Mais tu n’es pas de ce monde. » Sa mère avait grandi dans un autre monde. Zee n’avait eu le temps que d’entendre ses histoires, toute petite, trop petite pour s’en souvenir. C’est dans les livres ensuite qu’elle avait dû chercher ses origines. Et elle avait encore du chemin à faire. Cette magicienne-là en était la preuve vivante et vibrante.

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

Rayna Brodveldt. Un nom tout en courbes et en boucles. Fille de Varn et Melleah Brodveldt. L’annonce d’un arbre généalogique aux branches entremêlées. Homo Magis de génération en génération. Cela, Zee l’avait déjà deviné ; tous les homo magis étaient magiciens, mais tous les magiciens n’étaient pas homo magis. Chez Rayna, le gène était là, indéniable, et à plus d’un titre. Arcadia, un royaume de la dimension du Dark World. Zatanna se redressa en hochant doucement la tête. Ce mot, « Darkworld », évoquait des sentiments contraires en elle. Sa famille du côté de sa mère était issue de cette dimension, sa propre mère y avait passé des années, et y était retournée pour s’y faire tuer. Le roi Arion était l’ancêtre le plus célèbre de la lignée de Sindella Zatara. Mais pour Zee, cet endroit était aussi le lieu qui créé la force emprisonnée dans la gemme Darkworld, une pierre de pouvoir dont elle n’avait jamais entendu parler avant de croiser son double sur New Themscyra, une Zatanna possédée par Darkworld, qui avait tué son propre père et s’était mise au service de Diana. Ce qui en soi était déjà assez désagréable, et aurait pu en rester là si en plus, Zee elle-même n’avait pas, aidée de Rosie, trucidé ladite Zatanna-Darkworld. Alors, elle avait certes entendu parler de cette dimension, de tout le folklore qui l’entourait pour les homo magis de la Terre, dont certains y voyaient un genre d’après-vie, quand bien même c’était une croyance stupide. Cette nouvelle ressemblance, cependant, ne pouvait qu’interpeller la magicienne. Rayna venait du même monde qui avait vu naître la lignée de sa mère. « Je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller. Mais je me suis promis qu’un jour je m’y rendrai. » Tout comme elle s’était déjà rendue sur certaines autres dimensions créées par les Atlantes, au sens homo magi du terme, lorsque leur civilisation s’était effondrée, pour s’y réfugier.

Comment ne pas croire en effet que cette apparition n’avait été qu’une illusion. Si à l’époque, Zee avait bien vu que l’enfant dans le miroir la voyait, elle, elle n’avait jamais songé à ce que la fillette avait bien pu penser de cette expérience. Peut-être une petite magicienne en herbe, peut-être une fenêtre sur un autre monde, peut-être une vision de l’avenir, cela aurait pu être n’importe quoi en vérité, tant le monde de la magie avait des moyens tordus et parfois complexes de faire passer ses messages. Mais il avait simplement suffi de faire preuve de patience. Elle leva les mains en souriant pour ralentir le flot de questions de son invitées, même si elle pouvait tout à fait la comprendre, tant elle-même aurait voulu l’abreuver de sa curiosité. « J’ai trente-quatre ans, et je n’ai pas d’époux, ni d’enfants. Sur ce monde, c’est à la fois considéré comme acceptable et très mal vu ! » Elle avait dit ça d’un ton léger, moins pour donner son avis sur une question dont elle-même se fichait pas mal, étant complètement imperméable aux pressions sociales de ce genre, que pour gagner du temps quant à la suite de sa réponse. Elle prit aussi le temps de se demander pourquoi Rayna lui posait des questions aussi personnelles, et en même temps pourquoi elle-même lui répondait avec tant de facilité. C’était comme retrouver un membre de sa famille depuis longtemps disparu. « Mes parents sont morts, et je n’ai pas de frères et sœurs. » Elle la gratifia d’un sourire pour éviter tout malaise. Elle avait fait la paix depuis des années avec son statut d’orpheline, même si de temps en temps, une apparition impromptue du fantôme de son père lui rappelait douloureusement que ce dernier était en train de brûler en enfer – et qu’elle avait eu l’occasion de l’en sortir moins d’un an auparavant, et qu’elle ne l’avait pas fait.

« Je fais de la magie de scène, et oui, j’en vis. Est-ce que vous avez ça sur ton monde ? J’imagine que non. Ici, la magie est si rare qu’elle est devenue un mythe et qu’elle façonne les histoires et l’imagination. Les gens n’y croient pas, alors elle fait un excellent divertissement. Si tout le monde se baladait ici en faisant de la magie, tout le monde se ficherait que l’on coupe une femme en deux sur scène ou que je fasse sortir des lapins de mon chapeau ! Oh, est-ce que tu as seulement une idée de ce que je raconte ? Excuse-moi ! » Elle ne voulait quand même pas que Rayna croie qu’il était normal ici que des femmes se fassent couper en deux à tous les coins de rue. « Mais dis-moi, pourquoi as-tu quitté ta dimension, pourquoi un voyage si périlleux ? Il y a bien une raison à ta présence ici, tout comme il y avait une raison à ton apparition dans mon miroir. Je sais que ce n’était pas de mon fait. » Elle sourit de nouveau à la jeune femme. « Rayna, est-ce que c’était toi ? »

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

C’était comme si une nouvelle fenêtre sur cet autre monde s’ouvrait devant Zatanna. Mais cette fois, elle pouvait faire plus que simplement l’observer depuis l’autre côté du miroir. Bien sûr, chaque parole de Rayna générait en elle dix nouvelles questions. Elle avait lu des livres, elle avait posé des milliers de questions à son père qui avait toujours rechigné à y répondre et surtout, elle avait entendu les histoires que lui racontaient sa mère, mais à l’époque la magicienne était si petite que Sindella n’avait certainement pas détaillé à sa fille tous les secrets du fonctionnement de Darkworld. Elle avait quelques bases, mais clairement, elle manquait de contexte, et surtout de contexte immédiat, tout ce qui concernait Rayna elle-même. Elle l’écouta sans l’interrompre, mais déjà quelques mots la faisaient ciller et son esprit se projetait ailleurs, vers l’avant, vers l’avenir et vers tous ceux qui sur Terre allait avoir envie de s’intéresser à son cas, pour le meilleur comme pour le pire. Pourtant, la première réaction de Zee après cette avalanche d’information fut d’effleurer à nouveau les mains de son invitée. « C’est ce que font les mères. Bien sûr que je comprends, et bien sûr que je ne t’ai pas oubliée. Je pensais simplement ne jamais te revoir, tout simplement. » Et jusqu’à présent, cela ne lui avait pas semblé inimaginable, puisqu’elle ne savait pas de quoi il retournait. Et ce monde était plein de bizarreries et d’occasions manquées, de questions sans réponses et de signes impossibles à interpréter.

Mais son attention revint rapidement à l’histoire que lui avait brièvement contée Rayna. Que la magie soit considérée comme une source de pouvoir, un outil de coercition et un prétexte à la domination ne l’étonnait nullement. Il en avait toujours été ainsi, partout, de tout temps et dans toutes les dimensions. Combien de sorciers malintentionnés marchaient sur cette Terre, combien de menaces ils avaient déjà dû affronter… Il n’y avait pas de fusible, pas de bouton « stop », pas de filet de sécurité, avec ce genre de pouvoir. Certaines personnes en étaient dotées et à l’image de Superman, ou même d’elle-même, seuls leurs choix de ne pas s’en servir pour faire le mal les distinguaient des criminels. Oui, ce n’était qu’un choix propre, qui ne dépendait d’aucun facteur extérieur. Superman ne détruisait pas la Terre uniquement parce qu’il en avait décidé ainsi, et rien, aucune armée, aucun tribunal, ni personne, n’aurait pu l’influencer, car il était au-delà de toute influence tant il était puissant. Ce qui intéressait Zee en cette seconde ce pendant, c’était que Rayna semblait évoquer un système plus que quelques personnes isolées. « Peux-tu m’en dire plus sur ces personnes dont tu me parles et à qui tu as échappé ? Sont-ils nombreux ? Organisés ? Si je te comprends bien, ils ont la possibilité de te suivre jusqu’à Midgard, n’est-ce pas ? » Ce nom lui rappelait les voix des anciennes qui planaient autour de Rosalie, mais elle aurait l’occasion de s’en émerveiller plus tard. Car si elle comprenait bien ce que lui disait Rayna, celle-ci allait probablement amené avec elle un danger jusque-là restreint à Darkworld, et il fallait donc qu’elle lui en dise plus.

Ne serait-ce que parce que, elle en était certaine, Rayna avait déjà probablement attiré l’attention de plusieurs personnes. Un portail dimensionnel ouvert sur une dimension aussi colossale que Darkworld pouvait tout à fait faire office de phare dans la nuit pour la communauté magique de la Terre. Rien que de penser aux ordures qui pouvaient tenter de se servir de cette brèche la rendait en colère, mais elle devait aussi se rendre à l’évidence : la bande de bras-cassés de l’Oblivion Bar allait aussi s’en rendre compte. Elle était sûre que Mme Xanadu avait prévu la venue de Rayna depuis déjà des jours, encore que le fait qu’elle ne soit pas venue pousser des cris de Banshee dans ses oreilles poussait Zee à penser qu’elle ne voyait pas en la jeune femme elle-même un danger immédiat. « Cet homme que tu as aidé, a-t-il encore besoin d’être protégé ? Et ceux qui vous poursuivent, possèdent-ils la même magie que toi ? » C’était elle désormais qui l’abreuvait de questions, mais c’était nécessaire.

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

Une fois encore, Zatanna garda le silence pendant que Rayna parlait. Elle buvait chacune de ses paroles, parce que chaque mot avait de l’importance. Certains étaient familiers à ses oreilles, elle était sûre que son père l’avait déjà mise en garde contre ces « fondateurs », mais ça avait été difficile pour elle à l’époque d’en savoir plus et surtout d’avoir un point de vue objectif sur la question. John Zatara considérait inutile de parler des choses qu’il désapprouvait, un genre de fuite que sa femme, la mère de Zee, lui avait toujours gentiment reproché. Parce que ce n’était pas en n’en parlant pas que l’on s’en protégeait. La preuve, aujourd’hui plus que jamais, Zee avait besoin d’en savoir plus sur Darkworld, heureusement, si John était mort, Rayna était apparue dans sa vie. Mais Zatanna savait très bien pourquoi son père avait été si réticent à lui donner des détails sur ce monde : il était celui qui avait dévoré Sindella, son âme sœur, la femme de sa vie. Et en plus de ça, même s’il n’avait pas eu l’occasion de le lui dire, Zee en était sûre : il devait haïr ce système de fonctionnement de la magie, cette hiérarchie qui impliquait que ceux qui avaient le pouvoir exerçaient le pouvoir. Pourtant, il n’avait jamais été un partisan de la magie pour tous. Lui plus que quiconque, il en connaissait le prix, savait qu’elle avait toujours un coût et qu’elle ne pouvait se trouver entre les mains du plus grand nombre tant que le plus grand nombre n’était pas prêt. Ce pays avait déjà un problème avec les armes à feu, que tout le monde pouvait se procurer, alors la magie ? Malgré tout, il était évident qu’un tel Conseil, sans garde-fous, sans contrepouvoir, pouvait mal tourner, et de ce qu’elle comprenait des mots de Rayna, c’était ce qui se passait. Alors que la jeune femme parlait, Zatanna se demanda pourquoi, en l’écoutant, elle pensait autant à ses parents et à son passé, si bref avait-il été, avec eux. Pourquoi ce lien entre sa famille et la situation présente lui semblait si naturelle, si évidente. Comme une continuité.

Elle écouta donc les explications de Rayna jusqu’au bout, sans douter d’un seul mot. Pour elle, il était évident que son invitée disait la vérité. Zee savait déceler le mensonge, et même les omissions. De sorte qu’une fois que Rayna eut cessé de parler, la première chose qu’elle fit fut de la remercier. « Je te suis reconnaissante pour ta franchise. J’imagine que ce n’est pas facile de donner tous ces détails à une inconnue. Même si en toute franchise j’ai l’impression de te connaître depuis longtemps déjà. Et je me reconnais en toi. » Oui, car avant même les implications que sous-entendaient ses explications, il y avait autre chose qui avait marqué Zee, de plus anecdotique mais aussi de plus personnel. Ce mélange d’amour et de besoin de la magie, et de crainte malgré tout. Non pas une peur de la magie elle-même, mais de ce qu’elle, en tant que mage, pouvait en faire. Zee avait toujours vécu avec cette dichotomie, alimentée par son père pendant des années et dont elle ne pouvait plus se défaire désormais, surtout parce qu’elle-même, à son âge, après tout ce temps et toutes ces épreuves, n’était toujours pas foutue de se toujours se contrôler. Une peur qu’elle avait exprimé trois mille ans plus tout, ironiquement, et qui la poursuivait encore aujourd’hui, alors qu’elle sortait tout juste d’un cauchemar qu’elle devait uniquement à son manque de contrôle, à son manque de raison. C’était une malédiction, ou du moins quelque chose de neutre qu’elle-même avait transformé en malédiction, qu’elle devait à son sang d’homo magi, elle le savait, et elle ne doutait pas une seconde qu’il en allait de même pour Rayna. Il n’y avait pas plus puissante magie que celle des Anciens.

Mais, même si elle aurait voulu entraîner Rayna sur un terrain plus personnel, parce qu’elle sentait qu’elles avaient des découvertes à faire qui seraient importantes pour toutes les deux, il lui fallait d’abord s’occuper du plus pressé. Se mettre de côté, toujours, non pas nier les sentiments mais les étouffer quelque peu, quitte à forcer Rayna à suivre ce chemin avec elle. Zee s’en voulut, mais à terme, c’était aussi pour Rayna qu’elle devait éclaircir certains points, parce que sa présence dans ce monde allait causer une onde qui allait en faire tout le tour, à n’en pas douter. « Tu es puissante, et tu ne te laisses pas faire. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me rend fière. À toi toute seule, tu as déjà fait tant de choses ! » That’s my girl. Elle se renversa en arrière sur son canapé, pensive. « Je ne m’inquiète pas trop pour les fondateurs qui ont franchi le portail avant toi, si ce n’est pour cet humain évidemment. Il va falloir que nous le retrouvions avant eux. Il y a des gens ici qui seront capables de le retrouver facilement, avec les bons renseignements. Et quant aux fondateurs… Tu verras, à n’en pas douter, que dans ce monde, il existe des êtres bien assez puissants pour s’occuper de n’importe quelle menace. » Zee n’avait pas l’impression que Rayna était elle-même inquiète outre mesure, mais elle voulait malgré tout la rassurer, juste au cas où. D’autant qu’elle-même était inquiète pour d’autres raisons. « Ici, la magie appartient à tous ceux qui sont capables de la pratiquer, en bien ou en mal. Il n’y a aucune autorité chargée de la contrôler. » Enfin, en théorie, mais en pratique aussi puisque personne ne reconnaissait l’autorité des Lords of Chaos et des Lords of Order dans la communauté magique. Mais elle craignait un peu que Rayna soit associée à ces fondateurs, soient elle aussi considérée comme une menace. Et puis surtout… « Je suis soulagée de savoir que ton monde ne cherchera pas à envahir le mien, mais ce n’est pas par hasard si j’ai tout de suite pensé à ça. Comme je te disais, ici, la magie n’est pas très répandue, souvent incomprise et, comme de juste, crainte par beaucoup. Et Midgard est, hmm… Assez belliqueuse. Ces dernier temps, mon monde a traversé des épreuves très dures. Si ta venue ici, l’existence de Darkworld et surtout d’un portail potentiel venaient aux oreilles de certaines autorités humaines, cela serait très mauvais, pas pour Midgard, enfin pas tout de suite, mais pour ton monde. Je ne doute pas une seconde que certaines organisations ici n’hésiteraient pas à franchir ce portail juste pour anticiper la menace, qu’elle soit réelle ou pas. » ARGUS. Nightshade. Le gouvernement américain, tout simplement, pas besoin d’aller chercher loin. Cela la rendait malade par avance. Il fallait absolument que toute cette histoire n’attire pas l’attention, ne sorte pas de la communauté magique en tout cas. Elle retrouva le sourire, cependant. « Je sais pourquoi ton monde souhaite rester isolé. Comme tous les autres mondes où les Atlantes se sont réfugiés quand leur civilisation et leur cité se sont effondrées. Je le comprends, et je souhaite que les choses restent ainsi, selon la volonté de chacun. Ma mère descend des Atlantes, et c’est d’elle que je tiens le peu que je sais de ton monde. Mais j’ai l’impression qu’en t’ayant trouvée, je vais pouvoir en apprendre bien plus. » Et cela la rendait heureuse, et elle ne pouvait pas le cacher alors que son visage s’animait d’un réel bonheur depuis la première fois depuis longtemps.

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

Oui, il y avait de nombreux problèmes à envisager et de nombreuses menaces, là-dehors, et elle pouvait toujours en faire la liste, l’exposer à Rayna, cela ne servirait à rien tant que le moment venu n’était pas arrivé. Elle n’avait sincèrement pas le courage de réellement affronter la réalité de l’extérieur, là tout de suite, et voir que Rayna était sur la même longueur d’onde qu’elle tout en gardant son calme et son sourire réconfortait grandement la magicienne. Non, il n’y avait pas de quoi paniquer. Tout cela, c’était pour demain. Et c’était à l’extérieur. Entre ces murs, là, tout de suite, elles étaient à l’abri, et il n’y avait qu’elles, et Zee ne voulait qu’une chose, en profiter au maximum. Tant que la paix durait, tant que la menace n’était pas encore sur le pas de sa porte. Brainiac, démons ou sorciers d’un autre monde, tous pouvaient attendre si elle en décidait ainsi car rien ne pouvait franchir les murs de son manoir. Il lui semblait que toutes les deux avaient commencé par le plus dur, et que maintenant que tout avait été dit sur ce qui les attendait, elles pouvaient se détendre, et parler un peu d’elles-mêmes. Oui, oui, le monde passait avant, l’humanité passait avant. Mais tout de même, elles avaient bien le droit de penser un peu à elle aussi. Comme un point final apaisant, Rayna la gratifia d’un ultime sourire, s’accordant avec elle pour s’occuper de n’importe quel problème si un problème survenait, et cela suffisait à Zatanna, au moins pour les quelques heures à venir, pendant lesquelles elle comptait bien cesser de s’inquiéter, si elle en était seulement capable. Surtout que son invitée avait beaucoup de choses passionnantes à dire, et pour commencer, la magicienne hocha la tête en réponse à sa question. « Oui, je le sens. C’est en partie grâce à notre sang homo magi, mais c’est plus que cela. Toute chose émet de l’énergie dans ce monde, particulièrement la magie, et la tienne vibre comme un diapason pour moi. » Elle n’osa pas lui dire que c’était presque plus que ça, presque comme une vibration familière.

« Ta grand-mère est-elle encore en vie ? As-tu encore de la famille qui t’attend de l’autre côté ? » Une question certes personnelle, et sensible compte tenu de l’histoire que Rayna lui avait racontée, mais cette fois, la magicienne pensait à des gens comme cette grand-mère que la jeune femme évoquait avec tendresse, des gens qui comptaient pour elle, pas ceux qui en voulaient à sa vie. Par le passé, Zatanna s’était déjà sentie seule au monde, et elle avait détesté cela. C’était vertigineux. Maintenant qu’elle avait une nouvelle famille, maintenant aussi qu’elle pouvait s’aventurer à se sentir à deux et non plus seule, elle se sentait mieux, et elle voulait déjà que Rayna ne se sente pas seule ici, sur Midgard. Et puis, sa question sur la famille de Rayna, bien sûr qu’elle n’était pas innocente, encore que totalement inconsciente. Elle sentait que la clé de l’énigme était là. Malgré tout, elle voulait aussi tout dire à la jeune femme de ce monde, et particulièrement de la magie, car s’il y avait une différence majeure entre elles, c’était celle-là, clairement. « Je t’ai dit qu’ici, tout le monde en théorie peut pratiquer la magie, mais paradoxalement, bien peu de personnes le font réellement. Il y a les créatures qui ne sont pas humaines et qui ont des dons liés à leur nature, il y a les gens comme toi et moi, les descendants d’homo magi, et il y a les simples hommes qui ont tout appris. Il n’y a aucune règle, chacun est responsable de lui-même, de ses actes et de leurs conséquences. Cela veut dire aussi que nous avons régulièrement des ennuis avec des mages un peu mégalomanes ou pourris jusqu’à l’os. Mais ce genre de menace, c’est à nous autres de nous en charger. Ce que je veux dire, c’est qu’ici tu seras libre de pratiquer ta magie comme bon te semble, mais que le commun des mortels, cependant, n’y est pas habitué et te craindra peut-être. Et qu’aucun Conseil ne te donnera d’ordres, mais que si tes actes dépassent les limites de la morale et de l’éthique, quelqu’un quelque part sur cette planète prendra certainement l’initiative de t’arrêter. »

Dit comme ça, ça avait vraiment l’air d’être le foutoir, mais ça l’était. En théorie, tout le monde était censé obéir aux lois, celles des hommes et celles de l’éthique. On ne tue pas. On ne blesse pas. On ne profite pas des autres. Mais en pratique, magiciens ou simple criminel braqueur de banque, les gens faisaient bien ce qu’ils voulaient. Seulement, ils devaient en assumer les conséquences. Un tour de passe-passe devant le mauvais public, et les voisins appelaient la police. C’était très aléatoire. Mais la liberté était réelle – particulièrement celle de se tromper, de commettre les pires des fautes. Elle sourit à Rayna. « Ce que j’essaye de te dire de manière maladroite, c’est que tu dois faire attention quand tu te sers de la magie. Tu as le droit de la pratiquer comme bon te semble, mais tu dois quand même faire attention, je sais, ça a l’air contradictoire, mais il y a une certaine logique. La magie, c’est du pouvoir, et ceux qui n’ont pas ce pouvoir la craignent automatiquement. Il y a des organisations sur Midgard qui en ont particulièrement peur. » Mais elle n’avait pas envie d’assombrir tout de suite le ciel sans nuages qui semblait éclairer ce moment au-dessus de leur tête. Oh, elle parlait trop bien sûr, mais elle avait tellement de choses qu'elle voulait dire, et qu'elle voulait savoir. « Mon père n’était pas homo magi, mais il était l’un des plus puissants magiciens de ce monde, descendant d’une longue lignée de mages et d’alchimistes. Il a toujours été réticent à me parler de ton monde mais il ne semblait pas apprécier ce fameux Conseil. Que t’a dit ta grand-mère, à notre propos ? Mon père m’a dit que de l’autre côté, la liberté était restreinte, mais je me doute que ce n’est pas si simple. Et toi, quelle image as-tu de Midgard ? »

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

Zatanna n’avait pas l’intention d’insister sur le sujet de la famille, quand visiblement, Rayna avait encore du mal à en parler, et la magicienne pouvait discerner la peine sur son visage. Elle se contenta de hocher la tête et de serrer à nouveau ses mains dans les siennes, un signe universel pour lui dire qu’elle comprenait, qu’elle comprenait parfaitement, et qu’elle n’avait pas à en dire plus si elle ne le souhaitait pas. Oui, Zee pouvait comprendre, et la présence d’un être important à ses côtés tout le long d’une vie, et le vide aigu, intense, que cette personne laissait derrière une fois qu’elle avait disparu. Et clairement, c’était une histoire qui avait l’air compliquée, car liée non seulement à la famille, mais aussi à des enjeux plus vastes, où se mêlaient la magie et le conseil d’Arcadia. Elle était sûre qu’elles auraient tout le temps d’en parler, toutes les autres occasions se présenteraient. Et en réponse à la question de Rayna, elle esquissa un sourire plus large qu’elle ne l’aurait voulu. Comme toujours à chaque fois qu’elle pensait à Zach, dépit, frustration et amour se mélangeaient en elle. « J’ai un cousin, plus jeune que moi, du côté de ma famille paternelle. Il est un peu idiot, mais je l’aime quand même. Il fait de la magie de scène, comme moi et mon père avant moi. » Quant à dire que Zach faisait de la vraie magie, c’était peut-être aller un peu trop loin. Oh, c’était un magicien. Pas un homo magi, de sorte qu’il avait dû apprendre tout ce qu’il savait, ce qui était exactement le problème et la limite, avec cet idiot. Il n’avait jamais été particulièrement attentif aux cours que Zatara leur dispensait à tous les deux, il n’aimait pas étudier, n’avait rien à faire des choses positives qu’il aurait pu faire s’il s’était acharné. Ce qu’il aimait, ce pour quoi il vivait, c’était l’illusionnisme, la prestidigitation, et Zee ne pouvait pas le blâmer pour ça. Et il était doué, plus qu’elle, même. Il ravissait les foules, et elle l’aimait pour ça aussi, mais elle regrettait que son potentiel ait ainsi été gâché.

Elle revint à la réalité alors que Rayna lui demandait qui était ce « nous » dont elle parlait, et Zee hésita quelques secondes, mais après tout, elle en était sûre : la JLD allait venir aux devants de la jeune sorcière, ou le destin la pousserait vers elle. La magicienne ne pouvait pas anticiper les réactions des uns et des autres, mais elle pouvait au moins prévenir Rayna, sans mettre les autres en danger. « Certains mages, sorciers et autres entités magiques de ce monde, des, hm, amis, ont décidé d’intervenir quand un danger magique apparaît quelque part. Parce que nous le pouvons. Tu comprends ? C’est important, c’est… La magie, tout le monde ne peut pas s’y frotter, encore moins la combattre si elle est mal utilisée, alors nous avons le devoir de le faire à la place de ceux qui ne peuvent pas se défendre. » Elle avait l’impression d’enjoliver la réalité. Des amis, ben voyons… Enfin, elle, elle s’entendait bien avec la plupart des autres idiots, cela dit. Et puis, elle avait l’impression d’imiter Steve Trevor en parlant d’eux comme d’une Justice League… magique, oh, bref ! « Tu seras amenée à croiser certains d’entre eux. Il faudra que je leur parle de toi, qu’ils ne s’inquiètent pas, et puis si tu en rencontres, eh bien… Mon seul conseil, c’est de ne pas entrer dans leurs jeux idiots, ou en tout cas, de le faire en toute conscience. Mais d’après ce que tu m’as raconté, tu es une femme qui défend ses valeurs, alors ça ira. » Oui, elle ne se laisserait pas impressionner. Malgré tout, Zee se ferait son avocate si besoin. Elle se renversa en arrière alors que la conversation revenait sur Darkworld, et elle tourna la tête vers un imposant portrait suspendu au-dessus de la cheminée, représentant ses parents. Quand elle était petite, elle le trouvait terrifiant, puis, à la mort de Sindella, son père l’avait décroché et remisé au grenier, et le rectangle clair sur le bois avait encore plus choqué l’enfant qu’elle était. Elle avait raccroché ce tableau quand son père était mort, aussi lugubre soit-il.

« Ce sont mes parents que tu vois là. Ils étaient beaucoup plus lumineux que cette représentation austère ! Ma mère venait de Darkworld, comme je te disais, et elle n’a jamais coupé les ponts avec ses origines. J’étais trop petite quand elle est morte de sorte que je n’ai jamais eu le temps d’apprendre d’où elle venait. Mais mon père l’a plus d’une fois suivi là-bas et il était du genre à vouloir tout savoir, tout écrire, tout cartographié. Ma mère lui a beaucoup appris des différents mondes de Darkworld et au-delà. Puis elle est morte à cause de Darkworld, et mon père a détruit toutes ses recherches et a toujours refusé de m’en dire plus. » Ce qui n’était pas très malin de sa part, mais enfin, elle avait cessé depuis longtemps de voir son père comme un être omniscient et omnipotent. Il avait ses défauts, il avait ses faiblesses. Le grand John Zatara, poussé à la faute pour une raison aussi stupide et banale que le chagrin… Elle secoua la tête, un sourire attendri sur les lèvres. Elle ne connaissait pas deux êtres qui se soient plus aimés que ces deux-là, mais elle était probablement très impartiale. Elle sourit à nouveau à Rayna et hocha vigoureusement la tête. « J’imagine que pour le moment, toi, tu ne peux pas m’emmener à Arcadia, n’est-ce pas ? Mais un jour, j’aimerais vraiment voir ton monde, et visiter tout Darkworld. J’ai à peine commencé mes recherches sur le sujet, à peine effleuré la surface. Mais en attendant, je te montrerai Midgard. » Après tout, d’un claquement de talons, elle pouvait emmener Rayna n’importe où. Et elle pensait déjà aux centaines de merveilles qu’elle voulait lui montrer. Le Sahara. Kyoto. Le Yellowstone. Disneyworld… Manger des frites sur une terrasse face à l’océan. Aller caresser des chiots dans une animalerie – et très probablement repartir avec un animal, Zee se connaissait. « Ce n’est pas vraiment un monde de liberté totale. Tu verras qu’il est plein d’injustice, d’horreurs et de drames. Mais il y a aussi tout ce dont te parlait ta grand-mère, c’est vrai. Les humains son compliqués et simples à la fois, capables du pire comme tu meilleur. Tu ne seras pas déçue. Pas toujours. Et je sais déjà où je veux t’emmener, un de mes endroits préférés dans ce pays. » Et pourquoi pas ? Pourquoi pas, après tout ?? Elle tendit le bras et ouvrit un portail dans son salon. De l’autre côté l’attendait une large poutre métallique rouge à plus de deux cent mètres de hauteur au-dessus de la mer, battue par un vent tiède, et une structure colossale enfouie sous une épaisse couche de nuages qui dissimulait tout le reste, comme si la poutre jaillissait tout simplement des nuages sans rien dessous. Zee se leva, invitant de la main Rayna à la suivre. Si elle le voulait, si elle lui faisait confiance.

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

Zee sourit de voir Rayna sourire. Elle-même aurait voulu voir cet endroit pour la première fois, même si, l’ayant vu des centaines de fois à présent, elle l’adorait toujours autant. La vue, la sensation de hauteur et bien sûr, tous les souvenirs associés à ce pont, à cette ville, les bons comme les mauvais. Il n’y avait rien de cet endroit dont elle se débarrasserait. Mais elle avait eu la chance de visiter d’autres mondes, elle avait encore la chance d’aller de dimension en dimension, et elle connaissait cette sensation, celle de découvrir un lieu pour la toute première fois. Les lieux, les gens, les sensations – les premières fois vous marquaient toujours, après tout, pour le meilleur ou pour le pire. Zatanna n’avait pas tout à fait dix-huit ans quand Nicolas l’avait emmenée ici pour la première fois, d’un claquement de langue impérieux, sourcils levés et regard amusé comme il en posait sur elle au début. Avec la grandiloquence qui ne l’avait jamais quitté, il avait embrassé la ville d’un geste du bras et lui avait balancé une réplique de film à base de « je peux t’offrir San Francisco, love, et c’était idiot, bien sûr, mais cela avait suffit. Elle avait claqué la porte de son père sur ses hurlements et avait suivi le sorciers jusqu’ici, et cela avait été le début d’une existence qui lui semblait désormais beaucoup trop longue. Le soir, la nuit, le matin complètement bourrés, Nick, John et elle s’étaient retrouvés ici, à boire, à chanter, à pratiquer de la magie… Mais pour l’heure, tout ce qu’il y avait à voir, c’était une épaisse couche de nuages blancs et lisses. Une vue habituelle, mais Zee voulait montrer plus que cela à Rayna et, joignant la pointe du pouce et de l’index, elle plaça le cercle ainsi formé devant ses lèvres et souffla doucement.

La brise légère se transforma en vent et elle s’agrippa à un énorme rivet métallique, s’assurant que sa jeune comparse en faisait autant. Doucement, comme de gros mammouths duveteux, les nuages se mirent en branle, s’enroulant les uns autour des autres, s’éparpillant, révélant petit à petit la ville et ses tours de verre, ses quartiers s’étendant à l’infini, nichés entre les collines, et la mer qui s’infiltrait partout, et la forme colossale du pont sur lequel elles étaient perchées toutes les deux. « Cette ville s’appelle San Francisco. Dans ce pays, elle a la réputation d’être accueillante, et c’est tout à fait vrai. J’ai commencé ma carrière ici. Des millions de gens y vivent, malgré tout, et comme toutes les villes du monde, il est aussi facile d’y garder l’anonymat. C’est un endroit paradoxal mais qui résume bien Midgard, en tout cas cette partie de Midgard. » Elle s’assit sur la poutre en métal, ses cheveux battus par le vent, et adressa un sourire à Rayna. « Je ne sais pas ce que tu comptes faire à présent. Si j’étais toi, j’aurais envie de tout explorer, et c’est ce que tu devrais faire. Si tu as des ennuis, tu sais où me trouver, et même comment me contacter. » Rayna n’avait-elle pas réussi à entrer en contact avec elle alors qu’elle n’était qu’une enfant et qu’elles vivaient toutes les deux dans deux mondes différents ? Alors ici, ce serait de la petite bière, pour elle.

« Quand tu es à Gotham, n’hésite pas à passer au manoir, j’ai plein de chambres à disposition. Oh, j’imagine que je devrais aussi te faire un topo sur Gotham… Et Metropolis, et… Enfin disons que dans ce monde, il y a beaucoup d’autres êtres extraordinaires et qui n’ont rien de magique. » Oui, Rayna avait tellement de choses à découvrir, et Zee se sentait optimiste à ce propos. Quand bien même il y aurait forcément des chocs, des déceptions et des creux et des bosses sur la route, ça restait quand même une sensation merveilleuse. Était-ce ce que sa mère avait ressenti en arrivant ici la toute première fois ? Comme elle regrettait aujourd’hui d’avoir été trop jeune pour lui poser ce genre de questions… Mais il lui semblait qu’avec Rayna, elle avait une deuxième chance.

Codage par Libella sur Graphiorum

De l'autre côté du miroir

« Bien sûr, je comprends tout à fait. Et si tu le veux bien, je souhaite t’aider. Même si c’est la partie la moins agréable de toute cette histoire, j’aimerais que tu me donnes tous les détails, et si me le permets, je le chercherai avec toi. Je ne sais pas faire grand-chose en dehors de la magie, mais j’ai quelques amis précieux et doués pour retrouver les gens. » Et elle ne parlait pas forcément de la clique de l’Oblivion Bar. Ceux-là savaient beaucoup de choses, mais pas toujours des choses utiles, pas toujours le moment voulu et surtout, n’étaient pas toujours d’humeur à partager leurs connaissances. Quand ils ne répondaient pas carrément aux questions par d’autres questions ou des acrobaties mentales et verbales incompréhensibles – Madame Xanadu devait éternuer en ce moment même. Non, il y avait des méthodes plus traditionnelle et plus efficace pour retrouver des gens, au vingt et unième siècle : le bon vieil Internet. Pas grand-monde ne pouvait échapper aux caméras de surveillance de la planète et aux compétences de Barbara Gordon ou de Felicity Smoak, deux personnes que Zee mettait souvent à contribution. Elle avait aussi ses entrées auprès de pas mal de services de police du pays, et en désespoir de cause, il y avait Bruce, évidemment. Penser à lui comme un dernier recours la fit sourire intérieurement. « Je veux que tu saches que désormais, tu ne seras plus jamais seule. » Bon, ça pouvait sonner un peu menaçant dit comme ça, mais après avoir entendu son histoire à Arcadia, Zee savait que plus jamais Rayna n’aurait à subir la solitude.

Elle se releva, les cheveux soulevés par le vent, et tendit les mains à sa jeune amie pour l’aider à se relever à son tour. Elle hocha la tête vigoureusement, lui lâchant une main pour lever le poing vers le ciel. « Superman, Wonder Woman, tu les verras passer dans le ciel des fois, et ce sera tout à fait normal, et je ne te parle même pas de Green Lantern qui lui se bat dans l’espace contre des menaces extraterrestres. » Oh ça oui, elle en avait encore à découvrir, des choses. Mais plus tard. Le plus dur avait été fait : elles s’étaient trouvées. Et à présent, elles avaient tout le temps qu’elles voulaient pour faire connaissance et se lancer dans des quêtes dangereuses. Rayna venait d’un autre monde, et avait visiblement traversé une partie de celui-là, pas étonnant qu’elle soit fatiguée. Même si on jugement sur la télévision était tout à fait approprié. « J’avoue que cette invention-là a fait beaucoup de mal à l’humanité, et il n’y a pas de retour en arrière possible. Mais attends de voir une saison de Masterchef… » Avec de la junk-food sur les genoux en plus d’un plaid extra moelleux et une tripotée de lapins. Non, non, ce n’était pas du tout ainsi que Zee passait parfois ses soirées. Ou peut-être que si.

D’un geste, elle rouvrit un portail menant directement dans une pièce du manoir et entraîna Rayna au travers. La chambre d’amis était vaste, un peu poussiéreuse, mais cela faisait six mois que Zee n’avait pas fait le ménage, après tout, et confortable : un lit, une coiffeuse, une armoire et un miroir de plain-pied. Une autre porte menait à une salle de bains attenante à la chambre. « Et voilà.Il y a du linge propre dans la salle de bains. Fais attention aux portes verrouillées par la magie, elles sont piégées et je n’ai pas le temps d’y faire quoi que ce soit. Tu les sentiras, je te fais confiance. Et tu peux sortir quand tu veux, le manoir se fermera à clé tout seul, au cas où je ne suis pas là quand tu émerges. Si tu n’as pas encore de téléphone portable, c’est le premier truc  qu’il faudra t’acheter, comme ça quand tu voudras revenir chez moi, tu n’auras qu’à m’appeler. Repose-toi bien, Rayna. Fais comme chez toi. » Et ces mots n’étaient pas dénués de sens, dans ce cas précis, c’était même tout le contraire. Sur un dernier salut, elle s'en fut, comme pour retourner à la réalité.

Codage par Libella sur Graphiorum