I saw the world from the stars' point of view. It looked unbearably lonely.
- Shaun D. Hutchinson
Le dernier corps venait de tomber sur Terre-IV, annonçant ainsi la victoire de notre monde sur le leur. L’ultime sacrifice de la résistance nous permit de l’emporter dans une guerre qui nous semblait déjà perdue d’avance. Nous étions ceux qui allaient vivre, mais personne n’avait le cœur à célébrer. L'humanité déportée avait ramené avec elle une tristesse dévastatrice. Chacune des âmes qui, comme moi, venait de réapparaître sur Terre-I était affligée d’un mal insoutenable. Je pouvais clairement le ressentir. Peu importe la distance qui nous séparait, leur chagrin était si grand que ce sentiment étouffant m'envahissait jusqu'au plus profond de mon être. Enlacée dans mes propres bras. J'essayais tant bien que mal de reprendre mon calme, mais plus je tentais de retenir mes larmes, plus ma respiration se faisait saccadée. Empathe depuis bientôt vingt-trois ans et jamais je n’avais eu autant de mal qu’en cet instant présent. Agenouillée par terre, mes mains se posèrent sur le sol mouillé par la rosée du matin tandis que mes doigts agrippaient désespérément l’herbe gelée. Tant de morts, d’horreur, de détresse. J’éclatai bruyamment en sanglot, laissant les émotions me submerger alors qu’un dôme se forma d’un coup autour de moi. L’énergie ténébreuse fonça à toute allure sur les enrivons, ravageant sans pitié la végétation sur son passage. Une brume mauvâtre commença s'échapper de ma personne. Le front posé contre mes poings fermés, je demeurai figée dans cette position, m’efforçant de reprendre mon souffle coupé.
-Azarath, Metrion, Zinthos… Répétais-je inlassablement à voix basse avec l’espoir de me ressaisir.
Il me fallut attendre une éternité pour que l’aura qui m’entourait ne disparaisse complètement. Mes yeux s’ouvrirent avec hésitation pour poser un regard sur mon environnement. Les cadavres de plusieurs dizaines de sapins reposaient au sol, victimes de ma perte soudaine de contrôle. Les lieux étaient devenus un véritable champ de bataille. Je me redressai sur mes jambes tremblotantes, tournant sur moi-même pour me situer: Des conifères à perte de vue qui n'en finissaient plus de monter toujours plus haut. Voilà tout ce que je voyais. Personne ne semblait avoir été témoin ce bordel, Azarath merci… J’essuyai les quelques larmes qui bordaient encore mes yeux du revers de la main. Il fallait que je me détache de tout ça, qui sait ce que je pourrais faire de pire si je continuais de me laisser mener ainsi par les émotions des autres? La peine du monde menaçait déjà de m’assiéger à nouveau, mais je trouvai cette fois-ci la force de fermer les yeux et de l’enfermer à double tour dans un coffre de mon esprit. La maîtrise de soi était la clé et il ne fallait jamais la perdre. Je devais constamment garder cela en tête.
La végétation ici présente portait à croire que je me trouvais à quelque part au nord. En Amérique? Peut-être pas, il n’y avait rien de certain. La seule chose que je savais, c’était bien que je n’étais pas à Star City, ni tout près de la ville. Je soupirai doucement en renvoyant mes cheveux vers l’arrière. Il fallait que je rentre à la tour. En temps normal, y retourner aurait été un véritable jeu d’enfant, mais j’étais profondément ébranlée par les évènements des derniers mois, ce qui rendait l’utilisation de mes pouvoirs assez imprévisible. Après ma petite prestation d’il y a quelques minutes, je refusais de prendre le risque de me téléporter où que ce soit. Je pouvais au moins monter là-haut voir un peu qu’est-ce qui m’attendait. Prenant une grande inspiration, mon corps se mit à léviter, m’élevant rapidement au-dessus des arbres. Mon regard valsa sur les plaines couvertes de forêt. Génial… Quelque chose de minuscule qui bougea plus loin capta mon attention. Une personne? Ici? Je plissai les yeux pour tenter d’identifier ce dont il était exactement question, mais fus soudainement interrompue : Je tombai quelques mètres sans crier gare, comme si mes capacités venaient tout juste de m’abandonner. En pleine chute libre, je fermai les yeux en récitant intérieurement mon mantra de façon précipitée. Azarath, Metrion, Zinthos! Je recommençai à léviter normalement l’espace d’une seconde, à deux mètres à peine du sol, puis tombai l’instant d’après sur mes rosiers. D’accord… Ça n’allait pas fonctionner.
Je me relevai à nouveau, secouant un peu mes vêtements déchirés avant de m’élancer en direction de ce que j’avais repéré là-haut. Je m’avançai ainsi vers la frontière de la forêt encore intacte, escaladant maladroitement les obstacles qui se dressaient sur mon chemin, puis fis quelques pas de course. Je voyais déjà la silhouette d’un homme qui semblait visiblement marcher en ma direction.
-Hey toi..! Lançais-je avant de m’arrêter d’un coup sec, un air confus au visage. ...Tim?
Etait-ce vraiment une victoire ? Tant de morts, tant de sang qui coulait pour les plaisirs fous d’un être dérangé. Ils étaient revenus sur leur planète, ils avaient gagné du temps, mais à quel prix ? Cette expérience laisserait des marques en chacun des humains qui avaient vécu quelques temps sur cette autre terre, qui avaient vu une autre version d’eux-mêmes. Tim n’y faisait pas exception et sa rencontre avec son propre double n’avait pas été de tout repos. Lui-même « jokerisé », un certain pierrot, palliant à la mort de Bruce Wayne dans l’esprit de la mère de ce dernier. Fou, dangereux… Il tuait pour le plaisir, pour avoir l’approbation de celle qui l’avait recueilli. Et… Il lui avait dit qu’ils n’étaient pas si différents. Suivre la famille Wayne, chercher l’approbation de quelqu’un quitte à se salir la main, à regarder la folie de leur monde en face. Leur confrontation s’était pourtant conclue d’une façon aussi abrupte que choquante. Après un rire qui persistait encore dans son esprit, son vis-à-vis s’était logé une balle dans le crâne sous ses yeux. Il savait son monde voué à la destruction, il avait voulu fuir avant de voir celle qui comptait pour lui comme sa mère disparaître, et il voulait imprégner cette image dans l’esprit de son adversaire du moment. Il trouvait cela ironique, destructeur, un exemple parfait d’une fin qui pouvait attendre n’importe qui regardait bien trop longtemps dans l’abysse. « Si je suis capable de le faire, qui te dit que cette idée ne te passera pas par la tête, à toi aussi ? » Avait-il dit, comme un dernier mauvais jeu de mot avant de fermer le rideau. Et maintenant le jeune homme était là, dans une forêt. La géographie du lieu et la flore tendait à lui prouver qu’il venait d’atterrir à la frontière américano-canadienne. A vrai dire, il aurait préféré un endroit qui lui aurait prouvé qu’il était bien revenu dans son monde. Personne ne savait si Brainiac tiendrait parole ou jouerait encore avec eux en les envoyant dans une nouvelle terre encore plus abominable que la précédente.
Pourtant, le calme de la forêt lui permis de se recentrer et de faire le vide dans son esprit. Bien sûr, croire qu’il pourrait oublier ce qu’il avait vu dans ce monde était illusoire, et ce n’était pas dans ses envies, non. Il devait simplement se focaliser sur plusieurs points. Le premier était de revenir à la civilisation, le deuxième, de contacter ses proches et ses alliés et enfin… Préparer une contre-attaque. Il se doutait que la ligue des justiciers en ferait de même, mais que ce soit la Young Justice ou ses amis des Teen Titans, ils ne resteraient pas sans rien faire. Ils arrêteraient Brainiac et vengeraient chaque vie perdue sur Terre-4. Il ne cherchait pas à passer à autre chose, non, il cherchait à utiliser son ressentiment comme un moteur pour trouver un moyen de faire chuter cet alien qui se jouait des toutes les vies de la galaxie et lui rendre définitivement la monnaie de sa pièce. Voyant le soleil au travers de la cime des arbres et regardant au pied de ceux-ci, il put commencer à avancer vers le Sud. C’est alors que dans le ciel, une chose, ou plutôt une personne semblait léviter, ce qui, sur le coup, l’étonna. Avec un peu de chance, c’était un allié… Avec moins de chance, il se retrouvait déjà avec un autre ennemi sur les bras à peine de retour. Déjà que des animaux sauvages risquaient de croiser son chemin, il n’avait pas envie d’avoir à faire à un Black Adam en colère ou autre général Zod en liberté. Ce n’était clairement pas le moment et il n’était pas préparé pour ça avec les trois quarts de son équipement rendus obsolètes. Et soudain la silhouette chuta, comme à cours d’énergie. Intrigué malgré tout, et surtout curieux de savoir s’il avait à faire à un ami ou un ennemi, le jeune homme s’avança vers le point de chute de la silhouette pour enfin croiser un visage des plus familiers pour lui qui l’interpela par son nom, avec le même air confus que lui sur le visage.
« Rae… ? » Lâcha-t-il, surpris de la trouver ici mais aussi de la chance insolente qu’ils avaient d’être tombés aussi proches l’un de l’autre. « Mais qu’est-ce que tu… Enfin, c’est toi qui était en l'air y’a deux minutes ? » Dit-il en pointant du doigt. Il se doutait déjà de la réponse, et, après avoir simplement repris son calme et ses esprits, il soupira de soulagement. Déjà, il savait qu’une de ses amies les plus proches était toujours en vie et se portait aussi bien qu’elle pouvait, et la deuxième bonne nouvelle était qu’il n’aurait pas à affronter un super-criminel maintenant. C’était toujours ça de pris, se disait-il, alors qu’il reprenait son calme. « Content de te voir en un seul morceau en tout cas. » Dire qu’elle allait bien aurait sûrement était de trop. Il connaissait les pouvoirs de son amie et ancienne camarade chez les Titans, et ne se doutait que trop bien de l’état dans lequel toutes ces morts et ces sentiments chaotiques qu’elle avait dû ressentir avaient pu la perturber. C’était aussi des raisons pour lesquelles il essayait de faire le vide dans son esprit à l’instant même, pour ne pas ajouter ses pensées au fardeau de son amie.
« Pas trop de casse de ton côté ? » Dit-il alors avec un léger sourire. Il ne connaissait que trop bien la propension de son amie à ne pas apprécier les contacts physiques comme les embrassades et ne la forçait jamais à cela. Si jamais c’était elle qui venait, il ne la repoussait pas, tout simplement. Ils avaient toujours bien travaillé comme ça et ce n’était pas après tant d’années qu’ils allaient changer leurs habitudes. Il regarda alors son propre état avant de se dire qu’il donnerait tout pour prendre une bonne douche chaude et s’habiller avec des habits moins déchirés.
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