Assise dans ce fauteuil inconfortable, tu laissais ton regard se perdre à travers le hublot. Tes paupières étaient lourdes et tu commençais à te sentir partir. Le docteur t'avait donné un tranquillisant parce que tu avais peur, peur de ne pas te contrôler. Le sommeil était apparemment le seul état où tu étais sereine, le seul état où tes pouvoirs ne se manifestaient pas spontanément au grès de tes émotions. Quelle ironie... Le seul moment où tu étais véritablement libre était celui où tu n'avais conscience de rien. Tu te sentais donc plus sereine d'avoir pris cette petite gélule qu'il t'avait donné. Tu te laissais partir, impatiente d'ouvrir enfin les yeux à Star City, là où tant de promesses et d'espoirs t'attendaient. Tu devais y rencontrer Nathaniel Heywood, un méta-humain que le docteur Mid-Nite t'avait fortement recommandé de voir pour régler tes petits... soucis d'ajustement. Depuis que Lex Luthor avait fait de toi l'un de ses cobayes, tu avais en effet développé des pouvoirs extraordinaires, des pouvoirs que tu ne maitrisais absolument pas et tu étais terrorisée. Jamais tu ne t'étais sentie aussi seule de toute ta vie et pourtant... tu en avais eu des occasions de te sentir seule.
En réalité, ce n'était pas un problème jusque là, au contraire. Tu étais une grande timide, réservée et solitaire. Une ermite casanière qui aimait par dessus tout rester seule chez elle. Un paradoxe quand on connait ton métier, journaliste. Mais c'était là le piège car tu n'étais absolument pas la même personne quand tu enfilais ta casquette de journaliste. Cela t'aidait d'ailleurs assurément à en berner plus d'un. D'une femme discrète et peureuse, tu passais à une vraie force de la nature, curieuse et intrépide. Mais depuis l'épisode de Lexcorp, depuis ton carnage là bas, tout cela n'avait plus d'importance. Tu n'étais plus la même femme et tu souffrais de cette solitude qui te terrorisait désormais. La seule personne sur cette Terre avec qui tu avais envie d'être, la seule personne sur cette Terre qui parvenait à t'apaiser... tu avais du te résoudre à ne plus la voir. Jason Bard... Il éveillait en toi de telles émotions que tu ne maitrisais plus rien en sa présence. Ça avait bien failli très mal tourner la dernière fois que vous vous étiez vus et tu avais dû prendre une décision. Aussi douloureuse soit-elle. Tu aimais cet homme, tu le savais. Tu l'aimais d'un amour sincère et passionné, pourtant vous ne vous étiez même jamais embrassés. Mais tu n'avais pas besoin de cela pour savoir qu'il était ta moitié. Et c'était bien à cause de ça que tu avais du le repousser, que tu avais du l'écarter de ta vie. Pour le protéger. Pour protéger les autres de ce que tes sentiments envers lui pouvaient impliquer. Ça avait été dur, très dur, mais tu savais que ce n'était que temporaire, le temps que tu apprennes à maitriser ces foutus pouvoirs... En espérant que tu y parviennes réellement un jour.
Alors, quand Mid-Nite t'avait parlé d'un homme qui pourrait t'aider à Star City, tu n'avais pas hésité une seule seconde. Déjà parce que tu savais que tu avais cruellement besoin d'aide. Tu avais besoin d'un méta-humain comme toi, un méta-humain expérimenté et prêt à te transmettre son savoir. Et puis partir aussi loin de Gotham, aussi loin de Jason, c'était exactement ce qu'il te fallait. Le savoir si près de toi, respirant le même air que toi, t'observant peut être au loin comme il avait l'habitude de le faire pour s'assurer que tu allais bien... C'était beaucoup trop dur. Une véritable torture. Prendre tes distances, autant de distances, ne pouvait que te faire du bien. Tu avais hâte, tellement hâte de rencontrer Nate. Tu fondais tous tes espoirs en lui. Tu lui étais profondément reconnaissante de bien vouloir te prendre sous son aile. Toutes tes pensées étaient tournées vers lui alors que tu sombrais paisiblement dans le sommeil. L'avion entamait sa descente vers l'aéroport de Star City lorsque tes paupières s'ouvraient à nouveau. Tu regardais alors immédiatement autour de toi pour t'assurer que tous les passagers allaient bien, que l'avion était en un seul morceau... Oui, tout allait bien, rien à signaler. Tu étais rassurée. Mid-Nite avait raison, avoir des pouvoirs ne t'empêchaient pas d'avoir une vie normale. C'était toi et toi seule qui t'en empêchais. Il savait vraiment ce qu'il faisait, il t'avait dit qu'il n'y avait aucun danger avec cette pilule, tu avais eu raison de lui faire confiance.
Tu baillais alors comme une carpe et t'étirais les bras comme un chat qui venait de se réveiller d'une bonne sieste. Tu avais presque l'impression d'être normale lorsque tu te réveillais ainsi. Puis les angoisses revenaient et les images terribles de Lexcorp t'assaillaient. Tout cela s'était bien produit, ça n'avait pas été qu'un terrible cauchemar. Tu chassais rapidement ces pensées de ton esprit pour ne pas te laisser dominer par elles et tu te concentrais sur ta respiration. Un autre conseil de Mid-Nite. Une fois l'avion posé, tu attrapais ton bagage à main et tu descendais avec les autres passagers. Tu prenais une profonde inspiration lorsque tu posais le premier pied dehors. L'air frais te faisait le plus grand bien. Tu descendais ensuite les marches et tu suivais le courant humain jusqu'à ta porte de débarquement. Mid-Nite t'avais succinctement décrit Nate, tu le cherchais alors du regard mais ne le trouvais pas. Tu espérais sincèrement qu'il ne t'avait pas fait faux bond. Il avait dit qu'il viendrait te chercher en personne. Tu appréhendais mais tu étais aussi très excitée par cette rencontre.
L’aéroport de Star City. Dire que Nate en connaissait désormais tous les recoins par cœur aurait été un euphémisme – toujours un pied dans la valise pour voler d’un bout à l’autre du pays pour ses conférences, et avec une fâcheuse tendance à se pointer beaucoup trop à l’avance, il en avait exploré les moindres recoins de long, en large, et en travers. Mais pour une fois, il n’était pas venu pour faire le voyage lui-même. Avec les vols qui avaient récemment repris et les aéroports qui venaient de rouvrir, le hall d’arrivée comme celui des départs était blindé de monde, et Nate se retrouvait à devoir prudemment zigzaguer entre les voyageurs pour éviter de déboîter une épaule ou deux par accident. Marmottant dans sa barbe, il leva les yeux sur le panneau d’affichage à la recherche du vol en provenance de Gotham, et s’éclipsa aussitôt pour gagner la bonne porte de débarquement. Il ne manquerait plus qu’il rate Vicki, tiens. Fort heureusement, il était à l’heure, et Mid-Nite, à défaut de lui fournir une description visuelle, avait au moins pu lui confirmer qu’il s’agissait de la même Vicki Vale que celle du Gotham Gazette, dans lequel il avait déjà aperçu ce nom auparavant. Une recherche Google avait rapidement fait le reste. Dans quoi s’était-il embarqué exactement en accédant à la requête de son vieil ami, il n’en avait aucune idée – mais si Nate avait bien appris une chose en trente-six années de vie, c’était qu’on ne disait pas non à Pieter Cross. Et que de toute façon ça ne servait à rien, parce que Pieter Cross avait toujours raison. Ce qui était assez agaçant, mais aussi sacrément utile, dans le monde des superhéros, alors quand il lui avait demandé s’il acceptait de rencontrer une parfaite inconnue, à visage découvert, pour l’aider à s’accoutumer à des pouvoirs qui venaient tout juste de se manifester, il n’avait eu besoin de réfléchir qu’une seconde et demi avant d’accepter.
Il aurait pu, techniquement, donner rendez-vous à Vicki ailleurs dans Star City – un endroit discret, où il aurait pu apparaître dans le costume de Citizen Steel et préserver son anonymat, mais d’après le récit que lui avait fait Pieter, la jeune femme était bouleversée, confuse, et Nate ne pouvait que compatir de tout cœur à la terreur intense qu’on pouvait ressentir en sentant sa vie basculer du jour au lendemain ; alors, il avait refusé d’en rajouter une couche en maintenant un secret qui, dans cette situation, lui paraissait superflu. Si Vicki était bien dans la situation qui lui avait été décrite, la dernière chose dont elle avait besoin, c’était une raison supplémentaire de s’inquiéter ou de se poser des questions. Donc tant pis, il prenait le risque. Même si, en attendant, c’était lui qui avait la tête pleine de questions. Comment elle et Pieter s’étaient rencontrés, comment ses pouvoirs s’étaient-ils manifestés, dans quelles circonstances – tout autant de mystères qui entouraient encore la journaliste pendant que lui devait mettre son impatience en veilleuse. Heureusement, il n’avait plus très longtemps à attendre : dans le groupe de passagers fraîchement arrivés de Gotham, il repéra rapidement le visage familier de la reporter, et, rasséréné, se faufila adroitement jusqu’à sa hauteur, la gratifia d’un sourire chaleureux en guise d’introduction. « Miss Vale ? » demanda-t-il, rhétoriquement. « Nate Heywood. C’est le Dr Mid-Nite qui m’envoie. Bienvenue à Star City. » Malgré les circonstances, évidemment. Mais l’accueillir en soulignant tout de suite la gravité de la situation, il n’était pas sûr que ce soit la bonne stratégie. Elle venait de débarquer de l’autre côté du pays, avec une vie complètement retournée : un peu de cordialité ne pouvait pas lui faire de mal, si ?
Conforté dans l’idée qu’il avait trouvé la bonne Vicki Vale, il esquissa un geste pour l’inviter à le suivre et à lui donner son sac de voyage. « Le voyage est long depuis Gotham – et les sièges de cette compagnie sont horriblement inconfortables, soyons honnêtes. Et personnellement, je n’ai pas encore déjeuné, donc si ça vous tente, on sort de cet aéroport bondé, et je vous emmène au meilleur café de Star City. » Ce n’était certainement pas ici qu’ils allaient commencer à trouver des solutions au problème de la jeune femme, et un café, ça avait l’avantage d’être neutre, réconfortant, sécurisant. Pour un premier contact, c’était sûrement ce dont ils avaient besoin. Alors qu’ils s’éloignaient en direction du parking, Nate observa Vicki à la dérobée – et ce qui le frappait le plus, c’était à quel point elle avait l’air épuisée. Et le brave professeur soupçonnait qu’il ne s’agissait pas que du long trajet en avion. Qu’est-ce qu’elle avait pu traverser, la pauvre ? De plus en plus intrigué, Nate tâcha néanmoins de n’en rien laisser paraître, peu désireux de se montrer trop intrusif trop vite, et poussa la porte pour lui laisser le passage sur le parking ensoleillé. « C’est un peu le bazar sur l’autoroute depuis le retour de la population de Terre-4, mais à cette heure-ci, ça devrait aller. Je peux vous déposer à l’hôtel si vous voulez vous reposer un peu ? » Après tout, ils n’étaient pas si pressés que ça – pas au point de lui mettre la pression alors qu’elle venait tout juste d’arriver en ville. Qu’elle prenne le temps qu’il lui fallait, lui, il se contenterait d’aller à son rythme. Il ne connaissait pas encore les détails de son histoire, mais il était passé par là, lui aussi. La déroute, la confusion. Et la dernière chose dont il avait eu besoin, à l’époque, c’était qu’on l’abandonne, ou, au contraire, qu’on exige trop de lui, trop vite. Trouver le bon équilibre, il serait là, leur challenge. Et il espérait sincèrement qu’il serait à la hauteur.
Sortant de ta porte d'embarquement, tu cherchais donc du regard un grand type bien bâti et barbu avec un air qui inspirait confiance. Voilà comment Mid-Nite t'avait décrit Nate. Une description qui t'avait arraché un large sourire. Des grand types barbus, c'était pas qui manquait dans le monde. C'était plutôt à la mode d'arborer ce look là... Enfin... pour les types qui avaient la chance d'être grands, bien bâtis et d'avoir un système pileux fonctionnel. Bref, ce n'était pas du tout rare de tomber sur ce type de description, surtout dans un lieu aussi fréquenté qu'un aéroport, que ce soit à Gotham ou Star City. Mais en revanche, ce qui était beaucoup et largement plus rare, c'était l'air qui inspirait confiance. De nos jours, avec tout ce qu'on pouvait voir et entendre, difficile de ne pas se méfier de tout et de tout le monde. Surtout lorsque vous êtes une femme. Alors un type avec un air qui inspirait confiance, tu ne pouvais pas le louper, tu en étais sûre. D'ailleurs, très vite, tu crus le repérer au loin mais tu n'osais pas trop foncer dans le tas, tu te trompais peut être, auquel cas tu passerais pour la pire des idiotes. Et envoyant que lui aussi t'emboitait le pas, tu avais compris que tu ne t'étais pas trompé. C'était lui, le fameux Nathaniel Heywood. Mid-Nite n'avait pas menti. Grand, bien bâti, barbu et un air qui inspirait confiance. Il t'accueillait avec un large sourire, tu en faisais de même parce que, étrangement, ce type te donnait envie de sourire. Pas que tu le trouvais drôle ou que tu te moquais, certainement pas. Tu avais toi même assez souffert des moqueries au cours de ta vie pour en accabler les autres. Mais Nate, il avait ce petit truc. Ce petit truc sympa qu'ont souvent les acteurs de sitcoms. Le type là que vous connaissez à peine mais que vous avez l'impression de connaître depuis toujours. Le type avec qui vous avez envie de partager une bonne pizza et un pack de bière devant un match de football américain. Ouais, ce Nate il te faisait sourire parce qu'il te rassurait, il avait un côté familier et réconfortant. Deux choses dont tu avais bien besoin ces derniers temps. Surtout depuis que tu avais dû renoncer au seul homme qui s'apaisait t'apaiser et de te réconforter... Jason Bard.
Mais assez de penser à Jason, ce n'était de toute manière qu'une passade, le temps que tu apprennes à contrôler tes pouvoirs. Une fois que ça irait mieux, tu irais tout droit courir dans ses bras pour t'y blottir pour l'éternité. Vraiment Vicki Vale? Oui, ça c'est ce que tu voulais, c'est ce que tu rêvais presque toutes les nuits mais tu savais très bien comment vos retrouvailles allaient se passer. Tu n'étais pas du genre entreprenante, jamais tu n'oserais lui sauter dans les bras alors que tu en mourrais d'envie... Peut être que d'ici là... Peut être que tu en trouverais le courage. Tes pouvoirs te changeaient déjà, tu le sentais. Tu en avais d'ailleurs parlé à Mid-Nite, c'était comme si ces pouvoirs n'avaient pas qu'un impacte sur ton physique, comme pouvaient en témoigner tes cheveux devenus soudainement blonds platines et tes yeux gris-argent. Non, ces satanés pouvoirs made-in Luthor impactaient aussi sur ton caractère. C'était encore trop faible pour en tirer des conclusions mais tu le sentais, jour après jour tu changeais. Parfois dans le bon sens, parfois dans le mauvais. Et cela, ça te faisait peur. Tu espérais vraiment que Nate saurait te donner des réponses et surtout, te donner des solutions.
« C'est bien moi! Ravie de vous rencontrer monsieur Heywood. Merci pour l'accueil, merci d'être venu me chercher, merci pour tout. »
Répondais-tu le plus sincèrement du monde et à toute vitesse en bonne piplette stressée que tu étais dans ce genre de situation. Mais c'était bien vrai, tu étais tellement reconnaissante, tellement heureuse de trouver de l'aide, que tu voulais le remercier mille fois pour tout ce qu'il faisait pour toi. Tel un gentleman, Monsieur Heywood s'emparait de ton sac de voyage.
« Merci! »
Le pauvre... Il avait pas fini de t'entendre dire merci, t'en avais au moins pour 24h comme t'étais partie là. Il te proposait alors de t'emmener boire un café pour récupérer de ton voyage. Tu n'allais pas refuser, ça te ferait assurément le plus grand bien.
« Je vous avoue que c'est pas de refus. J'ai peut être dormi du début à la fin de ce vol mais je suis quand même exténuée. »
Lui confiais-tu avec un petit sourire voilé. Puis, tu le suivais jusqu'au parking. Il faisait beau à Star City, le soleil te faisait vraiment du bien. Tu fermais d'ailleurs les yeux un instant pour profiter de la chaleur de ses rayons sur ta peau. C'était extrêmement agréable.
« Allons boire un café avant, vous n'avez pas fait le trajet pour jouer les chauffeurs de taxi. »
Répondais-tu sur le ton de la plaisanterie.
« D'ailleurs c'est moi qui vous paie le café. Il me tarde tellement de faire votre connaissance monsieur Heywood. J'aurais tout le temps de me reposer cette nuit. »
Ouf, elle n’avait pas l’air de paniquer, la jeune femme fraîchement débarquée de Gotham – à vrai dire, elle avait même l’air contente de le voir, et ça le conforta un peu dans son idée qu’il avait sûrement bien fait d’accepter l’offre de Mid-Nite. Ces six derniers mois à New Themyscira avaient été particulièrement difficiles, mais depuis qu’il était revenu, à part perdre Ray et apprendre que Barry était infecté par l’espèce de même virus qui infectait Professor Zoom, il n’avait guère eu le temps de faire grand-chose de productif, le costume de Citizen Steel relégué au placard pendant qu’il essayait de remettre un peu d’ordre dans sa vie et celle de ses proches. Et même avec la présence rassurante et bénéfique de Babs qui avait choisi de venir s’installer chez lui quelques temps, se sentir utile le démangeait sérieusement. Pourquoi faire quelque chose de productif, d’utile pour quelqu’un, au lieu de se tourner les pouces en se rongeant les sangs parce que ce n’était clairement pas lui qui allait solutionner seul le problème Brainiac. Finalement, elle tombait à pic, Vicki Vale. Elle avait besoin d’aide, et les deux hommes qu’il incarnait, Nate Heywood et Citizen Steel, pouvaient tous les deux lui offrir quelque chose pour la soulager de son fardeau. Alors qu’ils avançaient sur le parking ensoleillé en direction de sa voiture, Nate se sentait à la fois songeur, un peu nerveux, et optimiste, drôle de mélange qu’il estimait typique du superhéros qui essayait de se remettre en selle après quelques mois d’un hiatus inhabituel. Et peut-être même bien que ça allait marcher : elle avait toujours l’air épuisée, mais au moins, un sourire un peu nerveux mais rassuré avait remplacé l’expression soucieuse et inquiète qu’il avait aperçue sur son visage avant qu’il ne l’aborde. Allons. Quel que soit le problème exactement, ils étaient maintenant deux cerveaux à pouvoir y réfléchir. Et ça, c’était quand même mieux que rien.
Elle était partante pour aller boire un café avant de passer aux choses sérieuses – Nate lui adressa un sourire avant d’ouvrir le coffre de sa voiture pour déposer son sac de voyage à l’intérieur. « Bien reçu. Oh, et appelez-moi Nate – pas besoin d’être aussi formels. Je peux vous appeler Vicki ? » Puisqu’ils allaient sans doute apprendre à bien se connaître ces prochains jours, autant démarrer sur de bonnes bases. D’un geste, il l’invita à prendre place du côté passager, avant de refermer le coffre et trottiner pour lui-même ouvrir sa portière et s’installer derrière le volant. A peine une vingtaine de minutes les séparaient de la ville en elle-même, et ils pourraient enfin laisser le côté fastidieux du voyage et des présentations initiales derrière eux pour se concentrer sur le cœur du sujet. « Attachez votre ceinture, le taxi est prêt au démarrage. » se permit-il même de plaisanter, avant de faire marche arrière pour les extraire de leur place de parking, et quitter enfin l’aéroport. Un jour de grand soleil, personne sur la route, pas de contrariétés ni d’imprévus à l’horizon – non, vraiment, toutes les conditions étaient réunies pour commencer sous les meilleures auspices. Commencer quoi, il n’en était pas encore tout à fait sûr, mais pour l’heure, ça n’avait aucune espèce d’importance. « En tout cas tout le plaisir est pour moi, Vicki. Dr Mid-Nite a une façon bien à lui de se montrer très convaincant, mais depuis quelques années que je le connais, je ne l’ai jamais vu se tromper sur une intuition. S’il pense que c’était une bonne idée de vous envoyer à moi, alors on n’a pas d’inquiétude à se faire. » Et sur ces quelques mots, ils s’engagèrent sur l’autoroute, en direction de la ville, et de leur café bien mérité.
Le Galileo était un charmant petit café d’inspiration italienne, pas très loin de l’université de Star City, où Nate avait ses habitudes et qui, d’après son opinion d’expert, faisait les meilleurs cafés, les meilleurs paninis, et les meilleurs gâteaux de la ville – bref, de quoi amplement satisfaire une voyageuse épuisée et son guide enthousiaste. A cette heure, l’endroit était encore tranquille, pas encore envahi par les étudiants, ils allaient donc pouvoir y discuter en paix. « Et donc, Vicki… » commença Nate après avoir entamé son sandwich et but quelques gorgées de son mocha. Ils avaient discuté de tout et de rien sur la route, mais maintenant que la glace était brisée, peut-être était-il temps de plonger dans le vif du sujet. « Je sais que ça peut être super intimidant de se lancer dans un exposé, donc je vais me jeter à l’eau à ta place, si tu veux bien. J’imagine que Mid-Nite t’a un peu expliqué qui j’étais ? » demanda-t-il en croisant les mains sur la table. « Je m’appelle Nate Heywood. Je suis prof d’histoire à l’université de Star City ; et de temps en temps, quand la situation l’exige, j’enfile un costume et je prends le nom de Citizen Steel. » Elle était journaliste, peut-être avait-elle déjà entendu parler de lui – mais il n’avait officié qu’une fois à Gotham, et il était encore un membre bien obscur de la Justice League. Personne ne pourrait lui en vouloir de n’avoir jamais entendu parler de lui. Lui, encore moins que les autres, déjà étonné à chaque fois que quelqu’un connaissait l’existence de Citizen Steel. « Mid-Nite ne m’a pas donné les détails, mais j’ai cru comprendre que tes… capacité, s’étaient manifestées de façon un peu imprévues ? » demanda-t-il en s’emparant à nouveau de sa tasse. « Ca a été mon cas aussi. Je pense que c’est pour ça qu’il s’est dit que je pouvais t’aider. » Et, d’un hochement de tête, il tâcha de l’encourager. « Prête à me raconter un peu ? »
T'étais fatiguée Vale, ça, c'était indéniable. Mais bon sang, cette rencontre, ce type... T'étais tellement impatiente, t'avais tellement mis d'espoirs en lui que la fatigue t'en avais strictement rien à foutre. Même si tu savais très bien que vous ne feriez rien de concret aujourd'hui, et que ce minuscule regain d'énergie ne tarderait assurément pas à s'amenuiser, tu étais juste heureuse de le rencontrer et de le découvrir. Sa présence était l'assurance que les choses allaient bouger, que tu allais évoluer et enfin sortir de tout ce merdier où Luthor t'avait fourré. Bien sûr, tu n'avais aucune certitude, ce plan pouvait échouer. Tu ne voulais pas mettre de pression sur les épaules de Nate qui était déjà assez gentil de bien vouloir essayer de t'aider. Mais qu'est-ce que ça te faisait du bien au moral d'espérer, même un peu, que les choses s'arrangent. Parce que là, dans ta tête, dans ta vie, c'était un sacré bordel. Tu avais cruellement besoin que quelqu'un t'aide à y remettre de l'ordre. Et tu le voyais dans le regard de ce type, tu le sentais dans sa prestance, ce grand gaillard là, il pouvait faire quelque chose pour toi. Tu venais à peine de te présenter à lui et pourtant tu te sentais déjà plus apaisée en quelques minutes qu'en quelques jours à Gotham avec Nite et Bard. Ça voulait tout dire. En tout cas pour toi et ton radar de journaliste, pas forcément infaillible, tu devais l'avouer. Bref, il t'avait proposé un café, bien sûr que t'avais accepté et ce malgré ton état lamentable. Arrivés à la voiture, Heywood mettait ton sac dans le coffre avant de t'inviter à l'appeler Nate. Il n'avait pas tort, vous alliez passer pas mal de temps ensemble et puis vous dévoiler l'un à l'autre assez rapidement alors... pourquoi être formels?
« Bien sûr! Mais seulement si on se tutoie alors. »
Répondais-tu avec un grand sourire. Nate te faisait alors signe de t'installer côté passager. Tu ne te faisais pas prier plus longtemps et prenais place à l'avant. Tu esquissais un sourire amusé lorsqu'il disait que le taxi était prêt à démarrer. Le trajet s'avérait alors rapidement des plus agréables. Nate conduisait admirablement bien. Assez vite pour ne pas s'ennuyer, pas trop pour se sentir en totale sécurité. Il y avait un grand soleil, pas grand monde sur la route. Tu ouvrais un peu la fenêtre et enfilais tes lunettes de soleil. Ça avait tout d'un air de vacances ou de road trip improvisé et t'aimais bien ça. Et puis, plus vous vous éloigniez de l'aéroport, plus tu avais l'impression de laisser tous tes problèmes derrière toi, plus tu te détendais. Ouais Vicki Vale, c'était la première fois en dix jours que tu te sentais aussi bien. Et ça c'était grâce à ce grand gaillard que tu connaissais à peine. Alors, quand il prenait la parole pour te dire que c'était un plaisir pour lui de t'accueillir et qu'il était certain que Nite avait eu une bonne idée de vous réunir, tu ne pouvais qu'adhérer complètement à ses propos. Cette rencontre, pourtant improbable et précipitée, s'annonçait déjà très prometteuse.
« Je t'avoue que j'étais un peu stressée et inquiète dans l'avion. Mais maintenant qu'on a fait connaissance, je n'ai plus aucune inquiétude. Je connais Nite depuis seulement quelques jours, mais je crois vraiment que tu raison, on peut lui faire confiance. »
Quelques instants plus tard, vous arriviez au Galileo, un café plus que charmant où tu avais hâte de commander quelque chose à boire et à manger. Les compagnies aériennes étaient réputées pour servir de la nourriture médiocre... Ce n'était malheureusement pas une légende urbaine pour cette compagnie en particulier et tu avais hâte de manger quelque chose de bon et de chaud. De la vraie nourriture. Il n'y avait quasiment personne à l'intérieur, ce qui était encore mieux. Tout ce dont tu n'avais pas besoin, c'était justement un lieu bondé de monde où tu te sentirais oppressée, incapable de gérer le moindre de tes pouvoirs. Le stress et la peur étaient clairement des éléments déclencheurs... mais tu savais que l'attirance et l'amour en étaient aussi. Tu avais vu ce que ça avait donné avec Jason... Tu craignais donc que d'autres émotions puissent les déclencher ces fameux pouvoirs. Mais pour l'instant, tu ne voulais pas penser à cela. Tu étais en excellente compagnie, dans un café agréable et chaleureux. Tu te sentais bien. Il fallait te concentrer là dessus. Le bien être, la zénitude. Tout ce que tu n'étais pas naturellement, grande anxieuse et stressée que tu étais dans la vie de tous les jours. Avant d'aller vous installer pour faire un peu plus ample connaissance, vous passiez donc, pour ta plus grande joie, au comptoir du café. Ces odeurs, la vue de toutes ces pâtisseries.. tu étais toute émoustillée. Vous l'aviez remarqué avec Nite, ta consommation de sucres, depuis que tu avais développé ces pouvoirs, était assez... impressionnante. Nate allait vite s'en rendre compte. Tu commandais trois donuts à la framboise, deux muffins à la myrtille, un maxi cookie, fondant au chocolat, une part de tarte à la framboise et un cupcake glaçage fraise. Et pour arroser le tout, un milkshake banane fraise et un Dr Pepper. Il t'avait fallu deux plateaux Vale! Ça pouvait paraitre amusant comme ça, en soit ça l'était en fait. Mais ça ne te rappelait malheureusement pas de bons souvenirs... Tu avais été boulimique durant de nombreuses années avant de réussir à vaincre cette foutue maladie. Mais là, ça n'avait rien avoir. C'était juste ton métabolisme, ton corps qui en avait besoin. Alors au fond, tu ne culpabilisais pas. Manger toutes ces pâtisseries c'était comme respirer l'air. Tu en avais besoin, point.
« On ne me juge pas... »
Avais-tu dis sur le ton de la plaisanterie en lançant un regard, sourcil relevé, à Nate. Puis, vous étiez partis vous installer sur une grande table... Obligé avec tout ce que tu avais commandé. Tu commençais par ton premier donut à la framboise, un vrai délice, quand le gaillard relançait la discussion. Tu devais l'avouer, à la première bouchée, l'explosion de chocolat et de framboise en bouche, tu avais complètement oublié la présence d'une autre personne avec toi. Le plaisir, l'endorphine que le sucre te procurait... c'était... wow! Incroyable, incomparable. Jamais tu n'avais eu un tel rapport de plaisir avec la nourriture. Depuis que tu avais te pouvoirs, tout ça avait changé, tout était plus intense, tout. Bref, tu ne l'avais écouté que d'une oreille sur cette première explosion de saveurs délicieuses en bouche. Nate se présentait ensuite à toi et là tu étais complètement à son écoute. Mid-Nite t'avait effectivement parlé de lui mais il ne t'avais pas révélé son alter-ego. Tu le découvrais donc de la bouche du principal concerné. Citizen Steel. Bordel, t'étais sur le cul Vale. C'était un héro encore assez méconnu mais toi tu l'avais déjà bien remarqué, et il était, à tes yeux, très prometteur. Il faisait assurément parti du futur de ce monde. Il saurait se hisser rapidement parmi les plus grands. Tu avais d'ailleurs écrit un article sur lui où tu vantais ses mérites et lui supposais une belle et talentueuse carrière. Mais tu te doutais bien que Nate ne l'avait certainement pas lu. En tout cas, tu avais déjà pour lui une véritable admiration et tu étais donc ravie de découvrir que lui et Nate ne faisait qu'une personne.
« J'y crois pas... Citizen Steel. Tu sais que j'ai écris un article sur toi? »
Demandais-tu avant de prendre une gorgée de ton milkshake à la paille.
« C'est vraiment un honneur. Non seulement de te rencontrer mais aussi de voir que tu me fais suffisamment confiance pour me révéler ton identité. C'est pas donné à tous les héros ça, tu peux me croire. »
Ajoutais-tu en lui lançant un large et franc sourire. Tu pensais bien sûr à Bruce qui avait mis tant d'années à se décider à te révéler son grand secret. Tu te demandais d'ailleurs si Nate était dans la confidence pour le Batman.
« Je suis là pour ça non? »
Répondais-tu en souriant quand Nate te demandait si tu étais prête à lui raconter ton épopée. Tu attaquais alors le fondant au chocolat tout en racontant entre deux bouchées.
« Imprévu, c'est le bon mot. C'était même plus qu'imprévu. J'enquêtais sur Luthor et ses magouilles quand ses sbires m'ont choppé. Il a voulu me faire parler mais je crois que mes réponses lui ont pas plu et il a joué au Docteur Frankenstein avec moi. Il m'a injecté un sérum. Il pensait certainement que j'allais y rester comme les autres. Mais... J'ai survécu. Et quand je me suis réveillée, c'était le bordel complet. Ils ont essayé de m'arrêter. Je suis passée en mode pilote automatique et je les ai tous rétamé. Me demande pas comment, je serai incapable de te le dire. Je sais juste que c'est mon instinct de survie qui m'a sauvé. C'est lui, mon stress et ma peur qui ont tout déclenché. Je contrôlais absolument rien. J'étais invisible, la seconde d'après je l'étais plus. Je balançais des décharges de je sais pas quoi sur ces types et j'ai détruit un étage complet avec un champ de force que... que je sais même pas reproduire aujourd'hui. Je suis complètement larguée Nate... »
Tu prenais une gorgée de Dr Pepper avant d'attaque le cupcake.
Alors ça, c’était la surprise – Nate ne s’attendait à peu près jamais à ce que son alter-ego super-héroïque soit connu, alors découvrir que quelqu’un de Gotham était au courant de son existence, et mieux encore, que cette professionnelle de la news lui avait carrément dédié un article, c’était la surprise de la journée. Et pendant un bref instant, Nate se demanda s’il avait eu la même expression surprise et émerveillée sur le visage, la première fois qu’il avait rencontré la Justice League, pendant l’invasion de Darkseid et les premières apparitions de Citizen Steel. Que c’était étrange, à chaque fois, de se retrouver de l’autre côté de la barrière, lui qui avait passé sa vie à admirer un grand-père qui incarnait le mot ‘héroïsme’ dans toute sa grandeur à ses yeux, à se figurer qu’il ne lui arriverait jamais à la cheville. Et maintenant, Hank était mort, et c’était à lui de prendre le relais. Un petit rappel involontaire de la part de Vicki, qui avec son enthousiasme lui arracha un sourire et faillit même le faire rougir. « Va falloir que je plonge dans les archives du Gotham Gazette alors. » plaisanta-t-il alors que son invitée entamait son brunch amplement mérité, après toutes ces aventures. Ou mésaventures, de ce qu’il avait cru comprendre quand il avait eu Mid-Nite au téléphone. Quant aux quantités de nourriture qu’elle avait commandées, Nate se souvenait avoir vu Barry suivre un régime similaire ; est-ce que les pouvoirs de Vicki avaient modifié son métabolisme, comme Flash ? Il rangea cette information dans un coin de sa tête, notant de poser la question plus tard, si la conversation s’y prêtait. Se découvrir des compétences spéciales signifiait, hélas, bien souvent se découvrir quelques autres changements parallèles sur lesquels l’on n’avait aucun contrôle. Encore un sujet sur lequel il était bien placé pour parler, tiens.
Les mains croisées sur ses genoux dans une attitude absolument typique de professeur attentif, Nate prêta l’oreille à son histoire – et s’il s’était imaginé vingt mille scénarios dans sa tête très imaginative, il devait bien l’avouer, il ne s’était pas attendu à y entendre le nom de l’ancien président des Etats-Unis et ennemi notoire de Superman. Et plus elle avançait dans son récit entre deux bouchées, plus Nate sentit son cœur se décrocher dans sa poitrine et l’effarement s’installer là où il s’était trouvé. Lex Luthor et un sérum ? Lex Luthor menait des expériences top secrètes sur des innocents ? Est-ce que Superman et la Ligue étaient seulement au courant ? Un millier de questions se bousculaient déjà dans sa tête, et il se força à les repousser dans un coin pour le moment – Vicki lui racontait ce qu’elle avait enduré en se réveillant de ces terribles expérimentations, ce n’était pas le moment de se laisser distraire. L’épisode avait été traumatique, il le sentait, et comment la blâmer, au vu de tout ce qu’elle lui racontait. Seule, perdue, désemparée, avec quelque chose en elle qu’elle n’avait aucun moyen de comprendre ni de contrôler. Même si le contraste entre le désarroi de son récit et l’appétit avec lequel elle mangeait avait quelque chose d’un peu désarçonnant, il ne pouvait que trop bien imaginer ce qu’elle avait traversé. Et avant qu’il n’ait le temps de dire quoi que ce soit, elle lui retourna la question, le prenant de court, et Nate hésita pendant une brève. Devait-il l’interroger plus avant au sujet de Luthor ? Mais non, elle voulait peut-être changer de sujet, ou qu’ils soient sur un pied d’égalité, ou ne plus être le centre de l’attention, alors il choisit de la suivre et se laissa aller contre le dossier de son siège en s’éclaircissait la gorge.
« Et moi alors… j’ai peur que mon histoire ne soit pas beaucoup plus rigolote que la tienne. » soupira-t-il avec un sourire désolé. Bon. Jette-toi à l’eau, Heywood. « Quand j’étais plus jeune, j’ai failli devenir footballeur professionnel. Mais j’ai eu un accident sur le terrain, et on a dû m’amputer la jambe. Fin de carrière, tout le barda, comme t’imagines. Fauteuil roulant et béquilles pour se déplacer – au moins j’ai des biceps du feu de Dieu, maintenant. » Bon d’accord, l’humour n’était peut-être pas de mise, mais hé, c’était comme ça qu’il gérait, lui. Surtout que la partie sur laquelle il n’arrivait vraiment jamais à plaisantait arrivait. « Un jour, je suis allé à une grande réunion familiale avec ma mère, mon frère, tous mes cousins – on est… était une très grande famille. Genre, deux cent personnes facile. Et pendant la fête, nous avons été attaqués. Un groupe de méta-humains qui voulaient exterminer la famille de Commander Steel – mon grand-père. » Nate prit une inspiration, les yeux baissés sur le sol. « Il n’y a eu qu’une quinzaine de survivants au massacre. Dont moi. J’ai été attaqué par un de ces méta-humains, un type complètement fait de métal, capable de transformer tout ce qu’il touchait en statue d’acier… mais je lui a enfoncé ma béquille dans la gorge. Son sang m’a éclaboussé. J’ai senti une brûlure là où il y avait eu contact, et j’ai perdu connaissance. » Y a pas à dire, il avait beau répéter l’histoire, elle n’était jamais facile à raconter. Qu’importe le nombre de fois qu’il tentait de l’apprivoiser, ce monstre, cette bête féroce qui rôdait dans le labyrinthe de ses souvenirs, c’était un duel qu’il ne pourrait jamais remporter. Nate prit une nouvelle inspiration et releva les yeux sur Vicki – il ne souriait pas, mais au moins, sa voix était-elle assurée, plutôt que de se briser sur la rive des souvenirs douloureux. « Quand je me suis réveillé, je ne sentais plus rien. Dans mon corps, plus aucune sensation. Je ne savais pas où j’étais, j’étais désorienté, comme toi, alors je me suis levé et j’ai pratiquement détruit le laboratoire de Mid-Nite. A mains nues. Sans comprendre ce qui m’arrivait. Et j’ai réalisé que ma jambe avait repoussé, aussi, tout en acier. C’est comme ça que j’ai découvert que j’avais récolté des pouvoirs que je n’avais pas demandé, et que je n’avais aucun moyen de contrôler. » Enfin, il parvint à lui adresser un sourire, un peu désolé parce qu’elle n’était pas franchement marrante, son histoire, mais les origin stories l’étaient rarement, comme il l’avait remarqué depuis qu’il faisait ses premiers pas dans le monde des superhéros. Ils n’étaient pas les premiers, ils ne seraient pas les derniers, mais au moins, ceux qui étaient déjà passés par là pouvaient offrir un peu de soutien aux petits nouveaux paumés comme elle. « Tu comprends pourquoi Dr Mid-Nite t’a envoyée à moi ? » demanda-t-il, un peu amusé par le constat. « J’étais un pauvre type qui n’avait même pas les moyens physiques de contrôler ses pouvoirs, et aujourd’hui, je suis un superhéros. Je sais à quel point c’est dur d’y croire quand on est largué comme tu l’es, mais je te le promets, le plus dur est derrière toi. Tu n’es plus toute seule, maintenant. Si t’acceptes de nous faire confiance, à Mid-Nite et moi. » Et, un sourire en coin, il lui tendit la main. Cette même main plus froide que la normale et à la texture curieusement lisse, qui avait un jour détruit une poignée de porte d’une simple pression, et qui aujourd’hui avait assez de contrôle pour ne plus craindre de blesser qui que ce soit. « Deal ? »
Tu venais de te livrer comme jamais tu n'avais l'habitude de le faire. Encore moins face à un parfait inconnu. Mais Nate était très certainement le seul à pouvoir t'aider présentement, le seul à pouvoir te permettre de t'en sortir alors tu ne devais plus être celle que tu avais pour habitude d'être. Tu devais t'ouvrir, ne rien cacher, ton avenir en dépendant littéralement. Tout ce qui concernait tes pouvoirs, tout ce qui concernait leur obtention, tu devais tout partager avec Nate. C'était essentiel et primordiale. Puis vous deviez au plus vite instaurer une relation de confiance et de complicité si vous vouliez que ça marche, tu le savais. Ce n'était pas évident pour toi Vale, parce que tu étais plutôt réservée et méfiante. Combien de temps avait-il fallu à Bard pour réussir à t'approcher sans que tu ne te refermes comme une huitre protégeant sa perle? Oh oui, il avait ramé le bougre avant de pouvoir atteindre ta sphère privée et maintenant? Maintenant il s'y était totalement engouffré et tu n'imaginais plus ta vie sans lui. Non... Tu ne devais pas penser à Bard, tu sentais déjà des frissons te parcourir rien qu'à cette idée. Tes sentiments pour lui te rendaient incontrôlable alors tu le chassais vite de ton esprit pour te concentrer à nouveau sur Nate. Heureusement pour toi, il te facilitait grandement la tâche ce justicier. Il était si avenant, si agréable, si gentil. Il t'avait tout de suite mise à l'aise et c'était un fait assez rare pour être souligné. Tu te sentais même déjà en confiance avec lui, ça c'était grâce aussi à tout que Nite avait pu te dire sur lui. Il l'avait bien vendu son Nathaniel Heywood. Il était clair que le docteur avait beaucoup de respect et d'estime pour Nate, ce qui forcément te poussait à moins te méfier. Bref... tu venais de livrer un sacré bout de ton histoire et tu n'étais pas très à l'aise avec tous les projecteurs braqués sur toi, tu n'avais jamais été à l'aise avec ça. Alors, tu détournais vite la conversation vers Nate en lui demandant à lui aussi de te conter son histoire.
Il commençait déjà par préparer le terrain et tu t'attendais déjà au pire lorsqu'il te disait que son histoire n'était pas plu rigolote que la tienne. Est-ce qu'un jour vous pourriez enfin tomber sur une histoire normale qui ne tire pas les frissons ou les larmes? Tu l'espérais car ça devenait de plus en plus difficile au fil des années de découvrir toutes ces tranches de vies torturées, sacrifiée et remplie d'émotions. Mais c'était bien souvent ça le prix à payer pour de tels pouvoirs... Tu aurais alors pouvoir te retenir d'engloutir toutes ces pâtisseries pour écouter de manière correcte le récit de Nate qui s'annonçait déjà bien triste, mais tu ne pouvais pas. Tu avais terriblement faim et une fois que c'était sous ton nez, une fois que tu avais commencé, c'était impossible de t'arrêter. Mais tu l'écoutais tout de même avec la plus grande des attentions. Et direct, sans passer par quatre chemins, il t'annonçait que très jeune, il avait eu un accident et qu'il avait du se faire amputer de la jambe. Bordel! Tu t'attendais pas à cela... Le pauvre. Tu étais sincèrement désolée pour lui et d'ailleurs ça se lisait aisément dans ton regard qui s'embuait déjà de larmes. Mais très vite, il déployait son humour pour dédramatiser le tout et tu esquissais un sourire amusé lorsqu'il disait qu'au moins il avait des biceps en béton. Tu aimais ce genre de personnes, positives en toute circonstances. Tu les admirais. Il poursuivait ensuite en te racontant un bout de son histoire familiale, ils avaient donc été attaqués. Tu sentais que ce passage là était bien plus douloureux à raconter. Tu avais alors envie de poser ta main sur la sienne, juste pour lui insuffler un peu de courage et de compassion. Et pour lui faire comprendre aussi qu'il n'était pas obligé de tout raconter si c'était trop douloureux. Mais tu n'osais pas, vous vous connaissiez à peine. Et si toi tu n'étais pas tactile, peut être que lui non plus.
Il n'y avait donc eu qu'une quinzaine de survivants, c'était horrible... Ton histoire, à côté, c'était vraiment de la gnognotte. Pas comparable du tout. Tu réalisais que tu n'avais vraiment pas à te plaindre. Tu étais la seule véritablement concernée par ces retombées. C'était déjà beau et tu le comprenais. La suite de l'histoire était... absolument incroyable! Sa jambe avait repoussé en acier?! C'était complètement fou! Tu étais passionnée, fascinée par son récit. Et en effet tu comprenais pourquoi Mid-Nite t'avait poussé vers Nate. Personne ne pouvait mieux te comprendre que lui et son expérience te serait assurément profitable. Tu cessais cependant immédiatement de manger quand il te parlais de passer d'un type normal à un super héros. Ah non... mais ça il en était hors de question. Toi tu ne voulais pas devenir une super héroïne, tu voulais qu'on te les enlève ces satanés pouvoirs. Ils n'étaient pas innés, ce n'était que le fruit d'une expérience d'un savant fou! D'un monstre que tu haïssais au plus haut point. Tu n'en voulais pas de ces pouvoirs. Là tu voulais apprendre à les contrôler pour ne pas provoquer de dégâts mais tu voulais surtout t'en débarrasser et redevenir toi. « Merci Nate... Merci d'avoir partagé ton histoire et merci d'avoir répondu présent pour moi. Je vous en suis tellement reconnaissante à toi et Mid-Nite. Mais... ces pouvoirs, je veux seulement apprendre à les contrôler pour pouvoir m'en débarrasser sans blesser personne. Malgré tout le respect et toute l'admiration que j'ai pour vous, les super héros, je ne veux pas en devenir un. Je veux juste redevenir... moi. » Tu esquissais un petit sourire timide et gêné. « Luthor m'a donné ces pouvoirs, on peut forcément me les enlever non? » Et là, si Nate regardait attentivement dans ton regard, il pourrait voir à quel point tu avais mis tous tes espoirs dans cette question, à quel point ces satanés pouvoirs, tu n'en voulais pas.
C’était toujours un exercice particulier, de raconter son histoire. En particulier à une presque parfaite inconnue, lui qui, s’il le pouvait, préférait de loin éviter de ramener ces sombres souvenirs à la surface de sa mémoire marquée au fer rouge. Pourtant, il le fallait bien, pour établir cette fragile relation de confiance qu’ils essayaient d’instaurer, non ? C’était un poil nerveux que Nate laissait les mots, soigneusement choisis, raconter son récit, et qu’il guettait les réactions de Vicki, craignant parfois qu’en dire trop ou pas assez. L’origin story de Citizen Steel n’était pas marrante, non, et par-dessus tout, il avait remarqué qu’elle attirait une pitié dont il ne voulait plus après toutes ces années. Le genre de pitié empoisonnée qui empêchait d’avancer, qui poussait ses participants à se repaître dans leur propre misère, et ça, il avait assez donné. Alors il passait une couche de vernis sur le récit, le teintait d’un peu d’optimisme philosophe, passait quelques détails inutiles sous silence pour paraître un peu moins pathétique qu’il n’avait eu l’impression de l’être à l’époque, comme son addiction aux antidouleurs et sa terreur bleue des hôpitaux après son amputation. A vrai dire, si on lui demandait son avis, à Nate, il préférerait ne jamais en parler, de cette période de sa vie, et la verrouiller bien sagement derrière la forteresse d’acier que constituait sa cage thoracique. Mais parfois, il fallait faire des exceptions. L’historien en lui était trop intègre pour ne pas reconnaître l’extraordinaire pouvoir des histoires et des exemples. Pour ne pas savoir que parfois, juste être conscient qu’on n’était pas tout seul à avoir vécu quelque chose, ça pouvait faire une différence vertigineuse. Vicki Vale, indubitablement, était l’une de ces exceptions. Les mains croisées sur la table du café, Nate conclut son récit ; et se demanda, les yeux posés sur elle, si elle avait entendu ce qu’elle espérait, ou bien tout l’inverse.
Et oups. Il semblait bien qu’il ait gaffé sans le vouloir. Crap. Une lueur de compréhension passa dans les yeux de Nate alors qu’au milieu des paroles teintées de panique de Vicki, il comprenait où il avait loupé le coche. Héros, ça faisait peur, ce mot-là ; et même s’il avait maintenant costume et surnom dans les journaux, il se souvenait oh si parfaitement avoir eu les mêmes craintes que Vicki, un jour. La différence étant que lui avait été biberonné à tout ça depuis l’enfance, et surtout, elle avait fini par lui venir, l’envie de faire quelque chose de cette fichue malédiction. Loin de lui l’idée de sous-entendre que quiconque se retrouvant avec des superpouvoirs devait en faire quelque chose. Dieu savait à quel point cette décision-là était difficile, dangereuse, et profondément personnelle. « Excuse-moi, Vicki, je ne voulais pas sous-entendre que tu devais devenir une superhéroïne. Tout ce que je voulais dire, c’est que si j’ai réussi à ne plus être un danger public, il n’y a aucune raison pour que tu n’y arrives pas aussi. » Si lui, l’ex-sportif franchement pas dégourdi à l’époque, avait réussi à dompter un corps devenu arme de destruction massive, il était persuadé que même un enfant de cinq ans pouvait y arriver. Même si, évidemment, seuls du temps, et des efforts, et un travail considérable pouvaient amener à de tels résultats. Ce serait mentir à Vicki d’affirmer que ce serait facile, mais ça n’était pas du facile, qu’ils cherchaient, pas vrai ? Du possible, c’était déjà beaucoup. Du possible, c’était déjà plus que ce à quoi beaucoup de gens comme eux avaient droit dans leurs vies. Mais malheureusement, Vicki voulait plus – et ça, Nate le comprit sitôt que sa question, chargée d’espoir, franchit la barrière de ses lèvres.
Oh seigneur, comme elle avait l’air d’espérer une confirmation de sa part. Et Nate se mordit l’intérieur de la joue, parfaitement conscient de ce qu’elle attendait de lui, parfaitement conscient aussi de devoir choisir entre une vérité trop radicale et un mensonge complètement malhonnête. Alors, le regard un peu triste, Nate prit le temps de la réflexion, avant de soupirer : « Je ne sais pas Vicki. » Elle était là, la vérité mesurée. Malheureusement, pas de blanc ni de noir : rien que du gris. « Je n’en sais honnêtement rien. Mid-Nite avait essayé à l’époque de me retirer les miens, tu te doutes bien que ça n’a pas fonctionné. J’imagine que c’est une possibilité, mais très sincèrement, si tes pouvoirs sont comme les miens ou ceux des autres méta-humains que je connais, je crains que ce ne soit une possibilité extrêmement maigre. » Est-ce qu’il était trop pessimiste, parce que lui-même s’était résigné à son sort ? Fataliste, parce qu’il n’avait pas eu le choix, et il n’arrivait pas à concevoir que quelqu’un d’autre puisse l’avoir ? Perplexe, Nate passa une main dans ses cheveux et soupira à nouveau. « Je t’avoue que c’est pas moi le mieux placé pour te répondre. Je ne peux parler que d’expérience personnelle, mais j’espère de tout cœur que tu trouveras un moyen de t’en débarrasser – vraiment. » Si c’était ce qu’elle voulait, et bon sang qu’il pouvait la comprendre, alors il n’y avait pas à hésiter un seul instant. Mais en attendant cette solution miracle, le problème restait le même. « En attendant, il faudra quand même que tu réussisses à maîtriser ce que tu es capable de faire. Je connais un hangar vide, à l’extérieur de la ville, où personne ne viendra nous déranger si on y teste tes pouvoirs. Si ça te convient, je te propose qu’on s’y retrouve demain pour commencer à tirer tout ça au clair. » Et après une courte pause, il ajouta, avec un demi-sourire qu’il espérait confiant : « T’as fait le premier pas, Vicki. C’est le plus important. Maintenant, tu n’as plus qu’à continuer à marcher. » Et venant d’un ancien amputé, c’était encore plus que du vécu.
Spoiler:
n'hésite pas à faire une ellipse si tu penses qu'on a fini au café, sinon on continue
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