Nightfall (Zatanna Zatara)

Nightfall

Tous les jours, Zee avait la preuve que son père avait raison. La magie était capable de tout. Enfin, de presque tout. La magie n'avait pas pu empêcher la guerre, ni ses horribles conséquences. Mais en l'occurrence, elle était un merveilleux baume sur les plaies encore à vif de l'Amérique. Depuis trois ans, la magicienne se produisait presque tous les soirs. Et si elle avait toujours refusé de servir de propagande vivante à l'armée, elle considérait que rendre le sourire aux civils qui avaient tant souffert était non seulement un devoir, mais la raison même de son travail. Et, oui, la magie était capable de rendre le sourire. Et le temps faisait le reste. Bientôt, ils entreraient dans l'année 1950. Elle avait du mal à y croire ! Demain soir, elle entraînerait les clients de l'Iceberg Lounge dans la nouvelle année, pleine d'attentes et d'espoir. En attendant, elle avait donné son dernier spectacle dans une grande salle. Gotham City. Bien sûr qu'elle était revenue à ses origines pour fêter ce grand moment. Mais en attendant le strass et les paillettes, elle s'accordait un peu de répit avec trois petits vendeurs de journaux. Elle les avait repérés en arrivant au théâtre, alors qu'elle avait demandé à son chauffeur de passer par la rue de derrière. Ils essayaient d'entrer par une porte de service. Elle les avait fait rentrer discrètement pour qu'ils puissent regarder son spectacle depuis les coulisses. Alors que public et techniciens étaient partis, il ne restait plus qu'eux dans la loge de la magicienne, qui ne s'était même pas changée.

Lorsque les enfants regardèrent par-dessus son épaule et s'éparpillèrent comme des oisillons, elle se retourna pour voir ce qui avait causé ce petit chaos, et vit qu'un homme se tenait là. Elle lui sourit alors qu'il s'approchait. Pas inquiète, pas encore. Peut-être jamais. Elle ne voyait pas le mal partout. Il était grand et bien habillé - elle avait toujours eu un faible pour les pardessus. Lorsqu'il posa un billet par terre, les gamins revinrent comme des oursons attirés par le miel. Zee sourit à nouveau. Comme elle s'y attendant, l'inconnu perdit son argent. Il n'avait pas une chance face à ces trois petits monstres. Mais ce soir, ils pourraient se payer un repas chaud. Ce n'était pas donné à tout les enfants, dans cette ville sinistre. Lorsqu'il se présenta, elle le salua comme elle saluait le public sur scène. « Zatanna Zatara. » Il ne pouvait pas ne pas le savoir, en étant ici, mais c'était de la politesse. Elle se releva enfin, laissant les garçons se chamailler pour le chapeau, et même pas pour le billet. Elle entreprit de ranger ses accessoires et de remettre sa loge en état. « En quoi puis-je vous aider, monsieur Bullock ? Vous arrivez un peu tard pour le spectacle, hélas. »

Elle passa derrière son paravent pour se changer, en ressortit pas même une seconde et un mot plus tard vêtue d'une longue robe blanche à manches courtes plissée à la taille, et s'assit devant sa coiffeuse. Les enfants s'étaient mis d'accord : Theo porterait le chapeau en premier, le temps de jouer au policier et aux voleurs avec Lulu et Jimmy. Elle jeta un coup d'œil à Bullock dans le miroir, sans se retourner. « Vous êtes policier, n'est-ce pas ? Dans cette ville, on les reconnaît facilement. » Elle se saisit de sa brosse et entreprit de se coiffer en chantonnant I Can Dream Can't I ? des Andrews Sisters. Dans cette ville, oui, il y avait les bons, il y avait les brutes, et il y avait les truands. Dans cette ville, aussi, la limite n'était pas toujours claire. C'était ce qui faisait sa beauté, et ce qui la rendait si dangereuse également. I'm aware my heart is a sad affair, there's much disillusion there, but I can dream, can't I…

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Nightfall

Zatanna sourit de l’amusement de l’inconnu et lui adressa un regard amical dans le miroir. « Il y a quelque chose dans votre regard. Les flics de cette ville ont tous le même. » Ce n’était pas de l’abattement, du défaitisme, de la soif de violence ni même du désespoir. C’était encore autre chose, peut-être un mélange de tout ça, mâtiné de beaucoup de certitudes. Personne ne connaissait Gotham City mieux que les uniformes qui sillonnaient ses rues jours et nuit. C’était comme si rien ne pouvait les étonner, même ce qu’ils n’avaient pas prévu. Enfin, rien si ce n’était la magie. Il arrivait effectivement un peu trop tard pour le spectacle, et elle attendit qu’il en vienne à la véritable raison de sa venue ici. Tout en attachant ses boucles d’oreilles, la tête penchée sur le côté, elle fronça les sourcils en le voyant prêter son arme aux enfants, mais ne dit rien. Il lui semblait que la poudre avait assez parlé, ces derniers temps, et que les générations à venir auraient mieux fait d’avoir autre chose entre les mains pour s’amuser, mais enfin… Boys will be boys. Elles regarda  remettre en scène quelques scènes de films qu’ils n’avaient probablement jamais vus de leur vie, noir ou western, peu importait, les enjeux ne changeaient pas vraiment, puis releva les yeux vers l’homme, toujours dans son miroir. Il n’avait pas tort quand il disait que seul le gotha de Gotham était invité à L’iceberg Lounge. Zatanna appréhendait un peu cette soirée. Elle n’appréciait pas plus que cela de se produire devant des gens qui se fichaient plus d’être pris en photo sur place que du spectacle lui-même. Ces gens-là n’avaient pas assez de fantaisie en eux pour apprécier la magie. Et puis elle savait pertinemment qui était le propriétaire de ce club. Et cependant, elle n’avait pas vraiment le choix…

Elle chassa ces sombres pensées en entendant la proposition de Bullock, et retrouva le sourire. « Cela pourrait se faire, oui. Il faut bien remercier les vaillants fonctionnaires de Gotham de travailler un soir de fête. » Voilà bien un métier qu’elle n’aurait pas pu faire. Policier. Ici. En ces années troublées. Elle se demandait parfois si c’était la nécessité qui faisait que de jeunes hommes s’engageaient dans cette carrière, ou une véritable vocation. Eh bien, elle pourrait leur poser directement la question. Elle posa les mains sur ses cuisses et se tourna sur son tabouret pour lui faire face. « Je viendrai. Cela restera notre secret, je ne crois pas que ce petit détour serait très apprécié par mon manager. » Sans parler du propriétaire de l’Iceberg Lounge. Elle fit signe aux enfants de s’approcher et les serra tous les trois en même temps contre son cœur, avant de déposer un baiser sur leurs joues rondes. « Soyez prudents, mes amours. » Eh bien, après les flics, ceux qui connaissaient le mieux cette ville et ses dangers devaient êtres ses orphelins et ses sans-abri et toute sa fane nocturne. Elle sortit avec Bullock pour regarder les enfants s’en aller, et remercia le policier d’un sourire puis éclata de rire. « Mieux vaut le chapeau que le pistolet, inspecteur Bullock. »

Elle leva le bras pour passer la main derrière la tête du policier, debout sur la pointe des pieds, et en retirant sa main, comme le bon vieux tour de la pièce de monnaie derrière l’oreille, elle fit réapparaître le chapeau sur le crâne de Bullock. Presque le même, à ceci près que la bande de tissu qui l’entourait était désormais noire et blanche, les couleurs de la magicienne. Une limousine s’avança soudain sur le parking, s’arrêta à une dizaine de mètres d’eux et attendit, comme un être à part entière. Zatanna lui jeta un coup d’œil dépité, puis se tourna vers Bullock. « Mon carrosse est arrivé, je suis attendue je le crains. Mais nous nous reverrons demain sans faute, à vingt heures au commissariat. » Elle le gratifia d’un dernier salut avant de traverser le parking jusqu’à la limousine dont la porte s’ouvrit sous l’action du bras de quelqu’un à l’intérieur. Elle adressa un dernier geste d’au revoir à l’inspecteur, puis s’engouffra dans la voiture, qui partit aussitôt dans la nuit.  

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Nightfall

Un début de réveillon dans un commissariat : c’était une première, pour elle, et rien que pour ça, elle s’amusait bien. Quand bien même elle se demandait d’où sortait tout cet alcool, s’il s’agissait de saisies, si c’était bien légal pour eux de boire en service, si certains d’entre eux avaient même seulement l’âge légal pour boire et ce qu’il se passerait si soudain Gotham avait besoin de sa fine fleur en uniforme au grand complet. Emportée dans tourbillons de demandes, de suppliques, de compliments, de regards pleins d’espoirs et de mains qui se tendaient vers elle pour demander qui un autographe, qui un numéro, quand ce n’était pas carrément un duo pour pousser la chansonnette, elle avait fini par oublier ses inquiétudes. Après tout, c’étaient eux, les flics. Ils savaient mieux qu’elle ce qui était bon pour eux, et bon pour leur job. Elle avait bu, un tout petit peu, pour ne pas les gêner, elle avait signé des autographes, fait de petits tours et s’était trouvée ravie de les voir être enchantés par de si petites choses. Peut-être était-ce parce que le métier était dur, peut-être était-ce parce qu’on restait un enfant toute sa vie, elle n’en savait rien, mais les flics du GCPD avaient clairement besoin de faire la fête. Touchée par le regard de chien battu du jeune type qui lui avait demander de chanter avec lui à minuit et dont les espoirs avaient été douchés par Bullock, elle lui proposa un compromis et se retrouva assise sur le bureau encombrés de papiers, de pots à crayons et d’une machine à écrire, à fredonner Auld Lang Syne avec lui, un mug de café sale à la main en guise de micro, qui, grâce à un peu de magie, réverbérait sa voix dans toute la pièce malgré tout.

Elle avait essayé de répondre à toutes les questions, de parler à tous les gens présents, avait réussi de temps en temps à prendre une ou deux respirations ou à croiser le regard de Bullock, voire de l’approcher à moins de un mètre, avant de se faire happer à nouveau, et ainsi, le temps passa, trop vite, et l’inspecteur annonça qu’ils devaient bientôt y aller. Elle avait un rendez-vous à honorer, qui n’aurait rien à voir avec celui-là, indéniablement. L’annonce de son départ lui avait permis de rejoindre l’inspecteur. « Quelle soirée… Vous n’êtes vraiment pas en service, ce soir ? » Elle avisa un tout jeune flic vautré sur une chaise de bureau, l’air un peu verdâtre pour un bleu. C’était comme si, vingt ans après, ils se vengeaient des quelques années noires de la Prohibition. Elle laissa échapper un soupir nostalgique. « Quel dommage que je doive m’en aller… J’aurais vraiment préféré passer le reste de la soirée ici. Là où je dois me rendre, il n’y a rien de drôle ni rien de plaisant. » Rien d’original, en tout cas. Le plaisir se transformait en corvée, la passion en simple engagement à honorer.

Son regard courut sur un mur où étaient affichés les visages des criminels de la ville, et dont elle reconnut quelques-uns d’entre eux, plus célèbres que les autres, parce qu’ils étaient plus remuants ou simplement plus difficiles à attraper. Les pires criminels de tous, dans cette ville, c’était bien les avocats qui permettaient à ces hommes de toujours s’en tirer sans dommages. Ses yeux s’arrêtèrent sur les traits poupins du propriétaire même du club où elle était censée se produire ce soir et elle fit la moue. « Est-ce que cette ville devient de plus en plus folle ou bien est-ce nous qui devenons blasés ? » murmura-t-elle, un peu pour elle-même. Elle rêvait de demander à Bullock de trouver un moyen pour qu’elle reste ici – un pneu crevé, un kidnapping, une prise d’otages dans le commissariat ! Mais non, elle ne pouvait pas faire cela. Elle lui jeta un regard de côté. « M’accompagnerez-vous au moins jusque là-bas, inspecteur Bullock ? Je ne pense pas qu’il serait sage que vous franchissiez la porte de l’Iceberg Lounge, mais j’aurais au moins l’impression de prolonger encore un peu cette soirée. »

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Nightfall

Dans l’Iceberg Lounge, l’ambiance était tout autre. Rien à voir avec les rires spontanés et les balbutiements du commissariat de police. Ici, tout était beau, luxueux, policé, une façade évidemment, car le Pingouin ne faisait que peu d’efforts pour dissimuler sa nature et surtout la nature des affaires qu’il menait d’une main de fer à Gotham City. Zatanna avait le déplaisir de le connaître depuis qu’elle était adolescente. Son cher père, aujourd’hui décédé, avait eu le malheur de tomber sous la coupe du criminel, qui, une fois qu’il tenait quelqu’un, peu importait sa dette, ne le laissait plus s’échapper. Il était revenu à Zee de payer celle de son père, et elle la payait encore aujourd’hui. Ce n’était pas qu’elle était prisonnière, mais elle avait accepté son destin et considérait que cela ferait plus de mal que de bien autour d’elle de tenter d’échapper à ce contrat digne d’un démon des enfers, grâce auquel le Pingouin détenait son âme, en quelque sorte. Zee faisait des spectacles pour lui depuis qu’elle avait dix-sept ans, bien trop longtemps pour désormais risquer de voir ses proches souffrir du désir de liberté qui la prenait parfois. Pourtant, elle avait la chance d’avoir des amis puissants, qui tenaient à elle et qui n’auraient fait qu’une bouchée du Pingouin. Mais cet homme était plus qu’un seul homme, justement. Il tenait la rue, il tenait ses habitants, il tenait d’autres pères, d’autres enfants. Ainsi allait le crime organisé dans cette ville, ainsi vivait Gotham City, où les frontières entre le bien et le mal s’effaçaient, où tout était entremêlé. Elle rentra donc dans le club sans hésiter et le menton levé, adressant déjà des sourires et des saluts ici et là, à autant de gens qu’elle ne connaissait pas. Mais elle était là pour ça.

La présence de l’inspecteur à ses côtés était une distraction bienvenue, même si elle s’inquiétait de la réaction du Pingouin. Il n’appréciait pas plus que cela la police, évidemment, même si elle lui était bien utile, comme à pas mal de criminels de Gotham, du moins ceux qui parmi elle étaient corrompus. Elle allait dire à Harvey Bullock de s’en retourner à ses occupations avant que quelqu’un ici ne le reconnaisse, puisqu’il y avait, en plus de riches anonymes, pas mal de barons du crime et de politiciens, un peu la même engeance, mais à ce moment-là, il lui demanda une danse. Et elle eut envie de prolonger encore, jusqu’au bout, ce moment surréaliste. Bird s’en donnait à cœur joie sur la scène, de même que les musiciens, et il ne serait pas dit qu’elle ne s’amuserait pas elle aussi. Après tout, cela ne tenait qu’à elle. Elle accepta l’invitation de l’inspecteur et profita des trente secondes de répit qui leur furent accordés, le temps de se trémousser sur la piste de danse, le style emprunté du flic lui arrachant même un rire joyeux, avant que le Pingouin ne vienne la chercher. Sur un dernier signe d’adieu à Bullock, elle emboîta le pas au maître des lieux, qui était bien sûr furieux qu’elle perde son temps au milieu des inconnus alors qu’elle était le clou du spectacle, et le joyau le plus précieux sur sa couronne, lui qui se vantait d’être le roi de Gotham. Zee connaissait au moins une dizaine de patrons de la pègre qui n’auraient pas été d’accord avec lui… Bref, elle monta sur scène, désormais vêtue de son costume de magicienne, et fit ce qu’elle aimait faire le plus au monde, et finalement, la vie n’était pas si horrible, et le gens pas si odieux, qui souriaient de bonheur devant ses facéties, même si pas grand-monde ici ne méritaient le temps qu’elle leur accordait, contrairement aux petits orphelins vendeurs de journaux.

Et puis vint le temps de passer en 1950, le Pingouin monta sur la scène, la prit par le bras pour lancer le compte à rebours, et elle compta avec lui, cherchant et trouvant Bullock dans la foule, surprise qu’il soit encore là, mais amusée également. Voilà un policier qui cherchait les ennuis, assurément… Et finalement, alors que la liesse éclatait, Zee en profita pour s’esquiver, sauta de la scène en même temps qu’une robe noire et brillante à taille empire tombait en drapé de ses épaules jusqu’à ses cheville. C’était certes un moment d’abandon, après tout. Et personne ici n’aurait cru, quelques années plus tôt, pouvoir fêter ainsi la nouvelle année… Puis Bullock la rejoignit, et avec un rire étouffé, elle se hissa sur la pointe des pieds, posa une main sur son épaule et les lèvres sur sa joue mal rasée pour y déposer un baiser et lui laisser une marque de rouge à lèvres au passage. « Que cette année vous soit favorable, inspecteur. Que le crime à Gotham souffre un peu plus qu’hier de votre présence dans cette ville, et un peu moins que demain. » Puis son regard tomba sur les deux uniformes qui se tenaient près de l’entrée et elle tourna un regard inquiet vers l’inspecteur. « Ils ne devraient pas être ici ce soir. Et vous non plus. » Là-dessus, un éclat de voix reconnaissable retentit. Le Pingouin la cherchait. Il voulait probablement qu’elle fasse la conversation à ses amis. « Filez, à présent. Je vais détourner son attention. » Elle ne pouvait pas s’enfuir et passer le reste de la nuit à foncer dans les rues de Gotham en compagnie de flic, après tout, n’est-ce pas ? Il fallait bien que cette étrange soirée s’achève.

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