Ugh ! What do you want, ma'am ? [Ft. Zatanna Zatara]

Ugh ! What do you want, ma'am ?

Ce n’était pas parce que la fin du monde se rapprochait avec la délicatesse d’un trente-trois tonnes qui aurait perdu ses freins dans une pente qu’il fallait en dédaigner ses amis. Zatanna était revenue de son séjour chez les hippies de la Pagan Nation écossaise avec cette certitude. Régénérée, l’âme un peu plus en paix et surtout, le courage retrouvé d’aller trouver ses proches, qu’elle avait évités depuis son retour de Terre IV par peur de devoir leur expliquer les crimes dont elle s’était rendu coupables. Vous avez honte de vous et vous être trop faibles pour faire face à vos amis ? Ghostez-les quelques mois. Voilà son dernier crime en date, et elle entendait bien au moins faire amende honorable pour celui-là. Surtout que là, elle pouvait encore arranger les choses. Pour une fois que tout n’était pas brisé définitivement, il fallait qu’elle fasse quelque chose. Jerry ne voudrait peut-être pas lui adresser la parole, mais elle devait essayer. Jerry, c’était le propriétaire de la boutique de farces et attrapes la plus ancienne de Gotham City. Elle était dans sa famille depuis la création de la ville, et Jerry lui-même avait été un très bon ami de Giovanni Zatara, le père de Zee. Elle le connaissait depuis qu’elle était toute petite et avait passé des heures dans sa boutique à tout tripoter, tout essayer, faire des découvertes incroyables, pendant que son père et Jerry marmonnaient à voix basse. Un jour, Zee avait été assez grande pour se rendre compte que le magasin n’en était pas vraiment un. En tout cas, ce n’était pas que ça.

Jerry était un de ces humains au fait de la magie et parfaitement bien introduit dans les sphères underground de l’occult. Il était connu de tous dans le milieu, pour savoir beaucoup de choses, et pour posséder dans sa boutique bien plus d’objets que de simples articles de magie ou d’Halloween. Une fois, Zee était passé dans un autre monde par la porte du cagibi de Jerry, dans son sous-sol – mais une fois seulement, le cagibi étant redevenu lui-même par la suite. Un peu à l’instar de l’Oblivion Bar, la boutique de Jerry était une zone plus ou moins neutre, par accord tacite, et parce que quiconque s’en prendrait à Jerry aurait alors affaire à toute la communauté magique de la ville, bonne ou mauvaise. Bref, Zee n’avait pas vu Jerry depuis longtemps alors qu’elle avait reçu plusieurs lettres de sa part, de plus en plus vindicative – la dernière lui avait postillonné au visage. Ce soir, elle allait enfin supplier le vieil homme de lui pardonner son silence.

Elle se posa délicatement sur le trottoir devant la boutique plongée dans le noir, pour y trouver une silhouette longiligne plantée devant la porte. Elle croisa les bras et pencha la tête sur le côté, perplexe. C’est qu’à cette heure, le magasin était fermé – pour tout le monde sauf pour les VIP. Elle s’approcha de la personne, qui s’avéra être un adolescent, elle le vit même de dos, et posa la main sur son épaule. Autant surprendre un chat errant. Elle le sentit se raidir sous ses doigts, et eut droit à une riposte verbale immédiate. Mmmh. Surtout, elle sentait que ce garçon n’était pas ordinaire. Elle leva la main en guise de paix, choisissant le verbe pour apaiser la situation. « Du calme, ragazzo mio. Tu sais, la politesse ouvre plus facilement les portes que l’agressivité. » Son regard bleu passa par-dessus l’épaule de l’ado pour observer le magasin plongé dans les ténèbres derrière la porte vitrée. Jerry n’était pas là, en tout cas pas au rez-de-chaussée. Elle posa de nouveau ses yeux bleus sur le gamin. « Encore que dans ce cas précis, tu trouveras porte close. C’est fermé. Reviens demain matin, si tu veux… » Elle hésita. Qu’est-ce qu’il voulait s’acheter ? Zee enfant, ado et adulte, avait toujours adoré les farces et attrapes, alors elle ne jugeait pas.

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C’était bien dommage pour lui, mais ses achats allaient devoir attendre un autre jour, s’il ne pouvait pas revenir le lendemain. Jerry aurait-il était là que Zee lui aurait demandé d’ouvrir le magasin spécialement pour ce gosse, c’était quelque chose que le propriétaire de la boutique aurait fait sans se faire prier. Mais en son absence, la magicienne ne pouvait pas elle-même donner ce passe-droit à ce client certes déterminé mais en dehors des clous niveau timing. Elle ne se permettrait jamais de faire un vente à la place du vieil homme, pas tant pour le principe que parce que ce magasin regorgeait de choses qui nécessitaient que Jerry soit là pour les garder à l’œil quand un client se baladait entre les rayons. C’était là une responsabilité que Zee elle-même ne voulait pas prendre, surtout qu’elle ne connaissait pas la moitié des trucs que Jerry possédait vraiment, ce qui était une bonne chose d’ailleurs, sinon elle en aurait fait tout un foin. Elle adressa un sourire désolé à l’adolescent – eh bien, passer du temps en famille, c’était déjà pas mal, non ? Zatanna aurait préféré passer du temps en famille plutôt que errer toute seule dans Gotham, cela dit, elle avait parfaitement conscience que toutes les familles ne se valaient pas. Et la façon dont ce jeune homme avait répondu pouvait tout aussi vouloir dire que chez lui, passer du temps en famille, c’était se faire enfermer dans la cave par le patriarche. Le monde était fait ainsi. Elle observa la ruelle où ils se trouvaient, mais elle était déserte. Il n’y avait qu’eux. « Je connais le propriétaire, c’est un vieil ami. Je venais le saluer, mais puisqu’il n’est pas là, je reviendrai une autre fois, comme toi. » Et bizarrement, elle savait déjà que tant que le jeune homme n’avait pas lui-même tourné les talons, elle ne partirait pas. Une intuition.

Puis elle vit son expression changer alors qu’il la reconnaissait, un phénomène auquel elle était habituée, à tous les degrés possibles – de ceux qui hurlaient en la reconnaissant aussitôt jusqu’à ceux qui la regardaient d’un air vide sans jamais avoir entendu parler d’elle, avec toute la palette de réactions entre les deux. Le jeune homme semblait se situer à peu près au milieu et elle agita la main devant lui pour faire apparaître une carte dans sa main – le roi de cœur. « C’est exact, c’est bien moi. Ce qui explique aussi un peu pourquoi ce magasin est un de mes préférés, tu ne crois pas ? » Elle le gratifia d’un nouveau sourire, mais son regard le scannait des pieds à la tête. Est-ce qu’elle aussi connaissait ce visage ? Elle n’en était pas certaine, c’était plus une impression qu’une certitude. Ce n’était pas qu’elle l’avait déjà vu assis au premier rang d’un de ces spectacles, ça n’avait rien à voir. « Tu t’intéresses à la magie, alors ? Cette boutique est assez peu connue des néophytes. En général, ce sont les experts ou les gens introduit dans le milieu qui viennent ici. » Et par « milieu », elle voulait dire l’univers occulte de Gotham tout entier, pas seulement la sphère des personnes fans de magie. Non, c’étaient les magiciens eux-mêmes, ou bien les gens qui savaient et acceptaient totalement que la magie était bien réelle, et qui en connaissaient un rayon sur le sujet, qui se pointaient ici comme des fleurs. Parfois, Zee se disait même que Jerry avait lancé un genre de sort pour écarter le commun des mortels de cette ruelle.

« Et maintenant, à ton tour de me dire ton nom. Crois-le ou pas, mais moi aussi, j’ai l’impression de t’avoir déjà vu. Tes manières me sont tout à fait familières, mais je n’arrive pas à te remettre… » Elle laissa sa magie homo magi affleurer à la surface, comme un voile invisible qui s’étendait jusque ce garçon, pour l’effleurer, tester sa personne, goûter sa magie s’il en était pourvu. Ce n’était pas tant qu’il y avait ça en lui… Elle sentit qu’il n’était pas ordinaire, mais ne pouvait pas en dire plus sans se montrer vraiment intrusive. Alors elle donna un ton plus ferme à sa voix. « Ou bien peut-être que je connais ton père ? » C’était lui qui en avait parlé en premier, après tout. Elle fit tournoyer la carte dans sa main, et celle-ci se transforma en un roi de carreau. Elle la posa sur le front du jeune homme où elle resta sans tomber, ce qui la fit rire toute seule. Oui, elle se contentait de peu, en matière de petits tours stupides, old but gold, tombés en désuétude mais qu’elle avait appris toute petite avec son père.

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Oui, elle connaissait probablement son père, et ce fut tout. Pas de nom ni d’explication, et Zee n’insista pas, tout en se disant que c’était là une réponse un peu étrange. Elle croyait aux coïncidences, pas au destin, de sorte qu’il était tout à fait possible que cette rencontre soit le fruit du hasard, et que oui, d’une certaine façon, ils se connaissent déjà. Malgré tout, cela faisait sonner un léger signal d’alarme dans sa tête – une intuition. Difficile d’en savoir plus, mais dans le même temps, il ne cachait aucune de ses émotions, ce garçon. Tout comme son visage se crispa et lui laissa voir une tristesse intense quand elle lui colla la carte sur le front. Difficile de ne pas la voir. Surtout quand il déchira le roi et lui donna une explication claire, nette et précise. Zee sentit aussitôt des sentiments contradictoires l’envahir à la mention de Terre IV. Elle savait, bien sûr, de quoi il parlait. Et elle ressentit aussitôt de la peine pour lui, parce qu’elle était ainsi, trop pleine d’une sensibilité qui lui rendait rarement service et d’une empathie toujours un peu envahissante. Mais ce mot la renvoya aussi à un des moments les plus horribles de sa vie et elle dut lutter pour ne pas se faire aspirer par ses souvenirs. Lutter pour ne pas soudain penser à la première chose à laquelle elle pensa, évidemment : le frère de ce garçon était mort à New Themyscira et peut-être bien que c’était elle, Zatanna, qui en était responsable. Parmi tous les gens dont elle avait causé la mort, peut-être se trouvait-il un jeune homme aux grands yeux bruns comme ceux de celui qui se tenait face à elle.

Puis son naturel, malmené mais toujours là, prit le dessus, et ce fut la compassion qui eut raison de ses hésitations. Elle lutta contre son envie de toucher le garçon, parce qu’ils ne se connaissaient pas, après tout, mais elle posa sur lui un regard empreint de sympathie. « Pardonne-moi. Je n’avais pas l’intention de te forcer à repenser à tout ça alors que tu n’en avais pas l’intention. » Après tout, il n’avait probablement pas besoin d’elle pour penser à son frère, mais ces choses-là devaient se faire en ses propres termes et pas parce qu’une inconnue l’y forçait à cause d’un petit tour de carte. Elle baissa les yeux sur ses mains qui serraient la carte déchirée. La vie avait repris son cours, mais comme toujours, à un prix inimaginable. Encore et encore, en tant qu’humanité, ils étaient tous confrontés à des horreurs qui ne laissaient pas un seul être humain indifférent. Tous, ils avaient des cicatrices pour prouver qu’ils avaient traversé et survécu l’enfer, mais avaient aussi laissé des êtres aimés derrière eux. Elle posa finalement les mains sur les siennes, enfermant la carte entre leurs doigts pour la faire disparaître à leur vue. « Je suis désolée pour ton frère. Je vois bien que c’est difficile pour toi, et j’imagine que ça l’est aussi pour ton père. » Les « journées en famille » dont il avait parlé un peu plus tôt prenaient un autre sens, vu ainsi.

Elle se redressa en ôtant ses mains de celles du jeune homme, et la carte était de nouveau entière entre les siennes. Il ne s’agissait plus du roi de carreau, même plus d’une carte de jeu classique, en vérité, mais d’un atout de tarot : sous un ciel d’un bleu sombre piqueté de petits points lumineux, une femme était penchée au-dessus d’une rivière. L’Étoile. Zee sourit doucement. Une carte qui ne pouvait rester seule. Elle avait besoin d’une seconde carte pour réellement trouver son sens. « Mais il y a de l’espoir, tu sais. » Exactement la signification première de l’Étoile. La magicienne fit apparaître une seconde carte dans sa main et la tourna vers le jeune homme pour qu’il puisse la voir. Elle, elle savait déjà de laquelle il s’agissait. Le Bateleur. L’homme-enfant, qui refuse de grandir, mais aussi la naissance, ou la renaissance, et l’unité, les choses séparées qui retrouvent leur chemin l’une vers l’autre. Elle effleura la joue du jeune homme avec la carte. « Dis-moi ce que tu cherchais, et peut-être que je pourrais t’aider à l’obtenir, même en l’absence du propriétaire de la boutique ? » Il fallait bien qu’elle se fasse pardonner.

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Zee répondit d’un sourire à la question du garçon sur la carte de l’Étoile, mais il y avait quelque chose désespéré dans cette conversation. Comme s’il n’y avait rien qu’ils puissent faire l’un et l’autre pour que l’issue soit différente de celle qui avait été écrite dès le départ, à la seconde où elle l’avait trouvé planté devant la porte du magasin. Malgré tout, avait envie de croire aux cartes, en cette seconde. Il y avait leur signification, et il y avait ce que les gens avaient envie d’y voir. Peut-être que le jeune homme connaissait le tarot, un peu, beaucoup, et peut-être aussi qu’il avait besoin de voir en cette carte ce qu’elle pouvait signifier. Cela ne pouvait pas faire de lui quelqu’un de mauvais, non ? Elle aurait voulu que ce soit aussi simple. Mais son instinct ne mentait jamais et elle était dotée d’une sensibilité extrême, probablement quasi magique, héritée de sa mère homo magi – elle-même si sensible qu’elle avait fini par mourir. Parce qu’on ne pouvait pas prendre de bonnes décisions quand on était guidé par ses émotions. Finalement, les hésitations du jeune homme, son application à ne pas répondre à ses questions, le choix étrange de ses mots, finirent par convaincre la magicienne qu’il n’était pas simplement là pour acheter quelques objets de farces et attrape. Elle aurait pu se voiler encore un peu la face, mais y renonça, d’abord et avant tout parce que ces derniers temps, difficiles, avaient fait leur œuvre sur elle.

Elle le regarda tourner les talons et soupira en silence. Elle pouvait passer outre. Elle pouvait faire semblant que cette situation soit tout à fait normale. Elle pouvait. Elle aurait pu. Mais sa « famille un peu spéciale » lui racontait une autre histoire. Elle leva la carte du Bateleur et souffla quelques mots à l’envers. De l’autre côté de la ruelle, bloquant le chemin du jeune homme, la figure du bateleur apparut, grandeur nature. Ce n’était qu’un sort d’illusion, mais sa position la main levée, était on ne peut plus parlante. De son autre main, il faisait tourner son bâton comme une majorette éthérée et quelque peu anachronique. Pas d’agressivité dans sa posture, mais une ferme assurance. « Attends une minute. J’aimerais être sûre que tu ne vas pas essayer d’entrer par effraction dans un autre magasin ce soir. J’imagine que c’est ce que ton père attend de toi… » Quel criminel, à Gotham, adorait ce genre de plan ? Quel criminel se servait d’enfants, sans vergogne, pour faire le sale boulot, quel criminel tissait avec ses ouailles des liens pseudo-affectifs toxiques et les affublait de rôles et de noms malsains ? Elle avait sa petite idée, et rien que d’invoquer l’image du Joker, elle se souvint enfin où il lui semblait avoir vu le jeune visage face à elle.

Bruce lui avait parlé de ce gang, il y avait bien longtemps. Penser à lui fit battre son cœur plus vite, mais elle repoussa l’angoisse permanente qu’avait générée la mort de son ami. Au lieu de quoi, elle se concentra sur le garçon. « Lequel es-tu, dis-moi ? Je préfèrerais connaître ton vrai nom, mais si tu tiens vraiment à le garder pour toi, alors tu peux me donner ton rang. » Il n’y avait pas assez de mots dans le dictionnaire pour qu’elle puisse verbaliser la haine qu’elle portait au Joker. Sa dernière confrontation avec celui-ci s’était plutôt mal finie pour lui, et elle se demanda brièvement s’il avait trouvé un moyen de retrouver l’utilité de ses bras. Probablement que oui, avec cet individu, tout était possible. Alors quoi, appeler le GCPD ? Mais le jeune homme n’avait rien fait – pas encore. Et elle n’était pas une grande fan des autorités, et vomissait les cauchemars dystopiques qu’étaient les punitions préventives. Concrètement, elle ne pouvait que tenter de lui arracher la promesse qu’il ne ferait rien de mal cette nuit, ce qui était, bien entendu, complètement stupide. Mais elle ne pouvait pas le laisser partir ainsi, parce que justement, il n’avait encore commis aucun crime, et il pouvait encore être… quoi, sauvé ? C’était dans la nature de Zee.

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Enfin, des réponses. Pas forcément aidantes, mais c’était toujours comme ça. On obtenait rarement les réponses aux questions que l’on posait, à la place, il fallait faire avec des chemins de traverse, qu’il fallait alors emprunter pour tenter d’approcher d’un peu plus près son but. Au moins avait-elle la confirmation qu’il faisait bien partie du petit club de cambrioleurs de Gotham City, le plus célèbre d’entre tous, du moins, vu que pour commettre des crimes, ça se bousculait au portillon, dans cette ville. Et aussitôt, l’idée que Joker ait pu mettre la main sur ce gamin lui donna la nausée. Ce type était une ordure impossible à recycler. Il y avait de fortes chances que la Reine, ou Rain, donc, soit déjà pas mal abîmé quand le clown lui avait mis la main dessus, et de plus fortes chances encore qu’il n’ait fait qu’aggraver les choses ensuite, pour mieux s’assurer de sa servilité et de sa loyauté. Le Joker ne serait rien sans le syndrome de Stockholm. Cela voulait dire aussi que sous ses airs lunaires et quelque peu évaporés, le garçon était dangereux. Elle n’en avait pas moins de peine pour lui pour plusieurs raisons différentes, mais malgré tout, elle garderait ça à l’esprit. Son visage d’ange n’était en rien un gage de sécurité et de bonne conduite. Elle cilla aussi alors que le nom d’ARGUS tombait soudain dans la conversation comme une pomme pourrie sur la tête d’un dormeur. Il donnait l’air de ne pas être tout seul, cet enfant, ce qui ne l’étonnait qu’à moitié, vu qu’apparemment, il était passé entre les mains successives d’Amanda Waller puis de Joker. Zee pensait qu’il n’y avait pas de cas désespéré, mais il y en avait quand même qui s’en rapprochait, et sans même connaître Rain, elle savait déjà qu’il se situait dans cette catégorie.

Quel show-man, cela dit. Elle ne pouvait s’empêcher de l’imaginer sur une scène. Ses postures, sa diction, comme s’il parlait non pas seulement pour elle mais pour un public invisible… En cela, il lui rappelait beaucoup son maître, évidemment, pour qui le monde entier était une scène. « niaR… al neieR… neeuQ… » répéta-t-elle doucement en faisant un pas sur le côté, puis un autre, comme pour faire les cent pas dans un espace réduit. Elle aimait toujours faire rouler les noms des gens à l’envers sur sa langue, comme si elle pouvait les connaître grâce à ça. « Pas la peine de t’énerver. Ou de t’inquiéter, même si tu ne m’as pas l’air du genre angoissé. » Comme tous les gens se débattant avec un instinct de survie à géométrie variable. « Je ne vais pas te faire de mal. Ni te livrer aux autorités, puisque tu n’as encore rien fait. Même si je suppose que tu es recherché par le GCPD. » Mais elle savait comment ça finirait si elle amenait le jeune homme au commissariat. Dans le meilleur des cas, un policier corrompu le libèrerait avant la fin de la nuit. Dans le pire des cas, un commando viendrait le libérer, non sans défourailler au milieu du commissariat, tuant des innocents au passage. Non, ce n’était pas ce soir que le cas de la Reine serait réglé. En fait, seule la perspective d’agacer le Joker en lui piquant un de ses jouets aurait pu motiver la magicienne à prendre des mesures, sauf qu’elle savait bien qu’en réalité, Joker se foutait bien de ses pions. Pour lui, personne n’était remplaçable. À part Batman. Elle sentit sa gorge se serrer. N’était-ce pas étrange de songer que le clown de Gotham devait être aussi malheureux qu’elle d’avoir perdu Batman ?

« Je peux être ta Némésis, si tu veux. En attendant que tu trouves celle qui est faite pour toi. Même si c’est très surfait, les ennemis. Des fois, ils meurent. Et des fois, ils tuent. » Elle finit par s’approcher doucement de Rain. Le Bateleur fit de même, lui qui imitait chacun de ses mouvements comme un reflet dans le miroir. « Cela dit, il y a une chose qui m’ennuie un peu. Tu me dis que tu seras sage ce soir, mais dis-moi, Majesté, c’est vrai ce mensonge ? » Si elle ne pouvait pas l’amener au commissariat, elle ne pouvait l’amener nulle part. Il le savait peut-être, ou peut-être qu’il était trop habitué à se faire malmener pour imaginer une fin pacifiste à cette confrontation. Car il n’était pas question qu’elle fasse appel à l’« expertise » d’ARGUS. Zee était capable de haïr, et encore, rarement pour toujours, pas même pour très longtemps, mais même à ses pires ennemis, elle n’aurait pas souhaité une cellule d’une des prisons clandestines de cette organisation tout sauf légale.

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Les paroles de la Reine n’étonnaient pas la magicienne, même si elle ne savait pas d’où lui venait de telles certitudes. Ce pouvait être sa jeunesse, ce pouvait être ses expériences, et plus largement ses croyances. Ou tout simplement le discours d’une partie opposée à celle que Zee représentait, de la pure rhétorique. Ce pouvait être tout à la fois. Même si elle ne croyait pas à la rhétorique vu la passion qu’il y avait mis. C’était de la colère et un peu de désespoir, et ça donnait à ses mots les accents de la vérité, du moins la vérité telle qu’il la voyait. Ce n’était pas le cynisme ou l’hypocrisie des criminels qui savaient qu’ils racontaient des conneries mais avaient simplement besoin ou envie de jouer les Caton ordonnant la destruction de Carthage. Elle ne sentait pas de sous-entendus ou de non-dits dans ses propos, non, il haïssait unilatéralement ceux qu’il appelait les « héros », un mot qui avait la même signification pour tous les deux mais qui ne pouvait définir, à ses yeux à lui, les prétendus héros. Dans deux camps opposés, au niveau des soldats, l’autre est toujours l’ennemi, et surtout l’assaillant. Et, avec le peu de prescience dont elle était dotée et qui la heurtait parfois, avant même que le jeune homme ne bouge, elle sut qu’elle allait probablement lui donner raison, du moins alimenter son moulin. Elle ne pouvait pas le laisser partir tout de suite, mais il allait essayer de partir. C’était elle qui limitait sa liberté malgré ses paroles rassurantes, elle en avait conscience. Cette posture-là, elle la détestait. Le bien commun, le sacrifice de quelques-uns pour la sauvegarde de beaucoup d’autres. Ce cynisme-là, elle en avait fait le tour, et elle ne s’y retrouvait plus. Mais elle n’avait pas non plus trouvé d’autre solution pour le moment.

« Je ne vais pas te casser la figure. Tu ne sais pas vraiment qui je suis, tu sais juste ce que d’autres t’ont dit. » Sa voix était calme, mais elle voyait que ça ne menait à rien. Il avait l’air d’écouter quelqu’un d’autre, quelqu’un qui n’était pas là, ou plutôt, qu’elle, Zatanna, ne voyait pas. Car pour lui, à avoir son attention qui ne cessait de sauter, ses yeux qui ne cessaient de se détacher d’elle, ce quelqu’un était bel et bien là. Lorsqu’il bouscula le Bateleur, celui-ci s’évapora, parce que Zee n’en avait plus l’utilité. Elle regarda le garçon sauter sur une plaque de ce qui ressemblait à du métal, et ça avait été très rapide – et donc probablement naturel, du moins pour lui –, mais elle était sûre qu’il ne l’avait pas trouvée par terre. Il l’avait créée. Elle sentit une énergie lui picoter la peau. Il était magicien ? Ou bien était-ce autre chose ? Elle s’envola pour le rattraper, planant à son niveau, les mains levées. Si quelqu’un s’était pointé dans ces rues de Gotham à ce moment-là, il aurait assisté à un drôle de spectacle. « Attends, Rain ! » Il avait dit que ce nom-là était pour les intimes, et elle voulait attirer son attention, quitte à l’agacer plus encore. « Pourquoi est-ce qu’on ne discuterait pas encore un peu ? Juste nous deux, et pas nous deux et je ne sais pas qui, qui a l’air de te souffler des bêtises à mon sujet. » Elle ne lui avait encore fait aucun mal, après tout, non ? Elle ne l’avait pas attaqué. N’avait pas essayé de lui faire de mal. Elle n’avait aucune raison de le faire, et n’en avait pas envie. Mais elle savait aussi qu’en insistant ainsi, elle risquait de le repousser dans ses derniers retranchements, et alors, ce serait sa faute à elle s’il en arrivait à la violence.

Elle s’envola plus haut dans le ciel, bien au-dessus de lui, pour lui laisser de l’air, mais sans le perdre de vue. Elle n’avait aucune idée de ce dont il était capable, avec ce surf, mais elle savait qu’il était capable de choses qui sortaient de l’ordinaire. Cela suffisait à la rendre prudente. Elle porta les mains à ses lèvres. « Tu as l’air d’être doté d’un pouvoir intéressant. » Même si elle se trouvait à une dizaine de mètres au-dessus de lui, sa voix résonna clairement entre eux, comme si elle volait à ses côtés. Elle allait finir par devenir une vieille stalkeuse cougar, si elle continuait comme ça. Laisse le gamin s’en aller, ma fille… S’il est vraiment ce que tu crois qu’il est, vous vous recroiserez. Oui, certes, mais alors ce serait dans des conditions bien plus compliquées, et quand il aurait réellement commis un crime, et qu’elle n’aurait plus d’excuse pour parler avec lui, et qu’elle serait simplement forcée de faire ce que les « héros » étaient censés faire aux criminels – non pas lui casser la figure, mais le livrer aux autorités, ce qu’elle détestait.

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Il ne l’écoutait pas du tout, elle le voyait bien, et elle savait qu’elle aurait mieux fait de le laisser filer, ou bien quelqu’un allait finir par se faire mal, et elle savait que ce ne serait pas elle. Mais sous le masque de sa détermination, elle distinguait autre chose, chez lui. Comme de la panique, ou de la frénésie, comme une urgence, d’obéir à un ordre mauvais, auquel il se soumettait malgré tout, par habitude, par atavisme ou simplement par réflexe. Plus il accélérait et plus elle s’inquiétait, pour lui mais aussi pour quiconque croiserait sa route désormais. Elle s’en voulut d’avoir laissé la situation lui échapper ici, tout ça parce qu’elle avait insisté. Oui, elle était à blâmer, et à présent, il fallait qu’elle arrange les choses, d’une façon ou d’une autre. Si seulement elle pouvait l’arrêter, juste une seconde. Capter son attention, le détourner de ce à quoi il obéissait présentement, de ce qui attirait son attention et qui restait invisible et intangible à la magicienne… Elle filait à ses côtés, consciente que les mots étaient inutiles, consciente que la solution de facilité était la magie, pas forcément la violence, mais inévitablement la coercition, et alors pourquoi est-ce qu’il se calmerait, dans ce cas-là ? Elle s’attendait à tout moment à ce que des passants surgissent et ne soient impliqués dans cette drôle d’affaire, puis elle vit le poteau arriver, mais n’imagina pas une seconde que Rain irait foncer droit dedans, et pourtant il le fit, avec un bruit qui lui fit rentrer la tête dans les épaules. Elle s’immobilisa au-dessus de lui, s’attendant à moitié à ce qu’il soit assommé, mais non, il se relevait. L’air encore plus enragé que tout à l’heure, et hurlant à elle ne savait qui de se taire… Quels fantômes hantaient donc l’esprit de ce garçon ?

Eh bien, les fantômes, c’était un peu sa spécialité. Elle se posa devant lui sans un bruit et sans un souffle, leva les mains, et les posa doucement, mais sans prévenir, sur son visage. « emlaC-iot… » souffla-t-elle, laissa son esprit effleurer celui du garçon, et sa magie s’infiltrer dans son esprit. « lI a y’n euq iot te iom, ici. suoN semmos slues, te suon en semmos sap à mahtoG… edrageR ruotua ed iot… uT se snad nu ueil ùo neir en et ecanem. » C’était comme de l’hypnose, mais avec un soupçon de magie psychique pour rendre le tout bien réel. Il y avait un risque à faire ce qu’elle faisait, pour lui comme pour elle. Après tout, elle ne savait rien de lui et de ses dons, qui étaient peut-être bien plus nombreux que ceux qu’il lui avait montrés. Mais cela lui donnait quelques secondes de répit, dans le pire des cas. Dans le meilleur des cas, sa magie aurait de l’effet sur lui. Et dans cet intervalle, aussi court qu’une respiration, elle souffla doucement quelques mots de guérison pour son crâne abîmé par sa rencontre avec le poteau. Puis elle retint son souffle, attendant que l’illusion prenne, que le décor autour d’eux change doucement, et devienne n’importe quoi qui rassurerait Rain, simplement parce qu’il n’aurait pas pu s’empêcher d’y penser. Ou bien qu’il rejette sa tentative, et alors elle aussi en serait bonne pour une roulade sur le béton et une sacrée migraine. Elle n’avait pas osé aller trop loin dans sa tentative, jamais tout à fait sûre d’elle quand il s’agissait de magie psychique. Elle avait fait du mal à d’autres par le passé, et a pratiquait trop peu pour la maîtriser complètement, effrayée par ses propres capacités. Mais elle espérait, au moins, pouvoir couper le flux continu de l’univers intérieur du jeune homme, qui débordait visiblement sur son esprit et sa propre réalité.

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Ugh ! What do you want, ma'am ?

Au début cela sembla marcher et elle n’en crut pas sa chance. Ce qui était un problème, en vérité, parce qu’il ne fallait pas compter sur la chance avec ce genre de magie. Dans une autre, elle avait fait partie de la Justice League, et à trop vouloir bien faire, à trop vouloir trop en faire, elle avait fini par ruiner la vie d’un homme avec ce genre de pouvoirs que son père avait toujours plus ou moins refusé de lui enseigné. Pourtant, elle les avait, ces dons psychiques, qu’il le veuille ou non. Mais on touchait là à un domaine d’une dangerosité infinie, bien plus que n’importe quel cataclysme naturel qu’elle aurait pu déclencher. Quand elle avait réduit l’esprit de ce criminel en bouillie en essayant de le débarrasser de ce qui faisait de lui un criminel, elle avait appris une dure leçon – et elle avait claqué la porte de la Justice League. Il passerait sa vie dans un hospice à se baver dessus et elle vivrait le reste de sa vie avec le poids de cette erreur sur sa conscience. Mais elle avait aussi appris que fuir ses propres pouvoirs ne serait que la meilleure façon d’en être la victime, ou pire, de devenir un bourreau involontaire. Alors, elle s’en servait toujours avec parcimonie, un tout petit peu. Mais parfois, ce tout petit peu était déjà trop. Aussi apaisé qu’avait l’air Rain en cette seconde, il était tout de même planté là, les yeux dans le vague, absolument plus maître de lui-même, et cette image n’apaisa pas du tout la magicienne elle-même. En fait, un cauchemar récurrent quoi que de plus en plus discret lui revint au visage comme une gifle. Quand elle s’était laissé posséder par un démon, ce dernier était devenu maître de son destin à elle. Ce qu’elle faisait à Rain n’était pas comparable mais le résultat était le même : il n’était plus en contrôle de lui-même. Et elle sentait le démon de ses cauchemars, toujours dans les ombres, en embuscade, à se moquer d’elle. Tu vois, toi et moi, on est…

Elle plana au-dessus du jeune homme et, légèrement connectée à son esprit, sentit la chaleur qui l’envahit, sans pour autant en identifier la source. Elle n’était pas entrée à proprement parler dans sa tête, sinon elle aurait tout vu, tout entendu, tout ressenti et tout su. Mais elle s’était astreint à ce genre de discipline ; ce n’était pas parce qu’elle pouvait le faire qu’elle devait le faire. Malgré tout, elle sentit ce moment de bascule, quand soudain, tout échappa à son contrôle. Et que le moment de félicité qu’elle souhaitait pour lui se transforma en séance de torture. Cela lui fit l’effet d’un coup de poing, dans la tempe, comme une traction, une main gigantesque qui la tirait vers le bas. Elle se posa à côté de lui, se laissa tomber à genoux dans un même mouvement – elle avait déjà cessé d’user de sa magie sur lui et désormais, ce n’était que les souvenirs qui le blessaient ainsi. Elle l’entoura de ses bras et le serra contre elle, parce qu’il n’y avait rien de mieux que le contact physique pour ancrer de nouveau l'esprit de quelqu’un dans la réalité. « Pardonne-moi », murmura-t-elle. « C’est ma faute, et je n’aurais pas dû faire ça. » Elle lui avait dit qu’elle ne lui ferait pas de mal, après tout, et voilà qu’elle s’était parjurée. Même les meilleures intentions du monde pouvaient mal finir, et jamais elle n’aurait cru que son simple petit tour ait de telles conséquences.

Elle le pressa une dernière fois contre elle, plus fort, le genre d’étreinte qui n’aurait pas dû avoir lieu d’être entre deux étrangers. Puis elle s’écarta, un peu. Il aurait tout à fait pu sortir un couteau ou une arme et la trucider sur place, à ce moment-là, vu qu’elle avait laissé tomber toute prudence. Mais elle ne pouvait pas s’en empêcher – c’était sa faute, oui, et puis elle voulait que sa douleur cesse, de tout son être. « Ce n’était pas mon intention de te faire du mal. » Et que pouvait-elle dire de plus ? Elle espérait déjà qu’il arriverait à s’arracher à sa détresse et à reprendre pied avec la réalité, une réalité plu sale, plus sombre et plus froide que n’importe quel rêve éveillé, mais qui malgré tout semblait moins le faire souffrir.

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Ugh ! What do you want, ma'am ?

Bien sûr qu’il aurait aimé que cela dure plus longtemps – et même probablement pour l’éternité, une illusion à vie contre la vie elle-même. C’est que désirait n’importe quel héroïnomane, et ce n’était pas parce qu’il trouvait ça agréable que c’était bon pour lui. Là était la cruauté de ce qu’elle venait de lui infliger et elle savait qu’elle s’en voudrait longtemps, elle rangerait ce moment dans le coin sombre de sa mémoire, avec ces autres moments où sa volonté avait été plus forte que la raison elle-même, une configuration ultra-dangereuse quand on était doté des pouvoirs qu’elle possédait. Elle ne savait pas ce qu’il avait vu mais elle savait ce qu’il avait ressenti et elle pouvait essayer d’imaginer ce qui lui était arrivé. Un passé agréable, surtout au regard du présent, et définitivement perdu ; le bonheur d’avant et les regrets d’aujourd’hui, et il n’y avait pas pire que le regret, la culpabilité et la conscience aiguë que ce qui était passé était passé, ce qui était cassé était cassé et que le temps ne coulait que dans un sens. Elle-même pouvait le faire remonter, le temps, et elle pouvait le remonter également, mais le résultat malgré tout était sans appel. Ce qui était perdu restait perdu. Et on n’était pas censé, soudainement, le récupérer pendant quelques secondes, c’était le plus gros mensonge possible, et le plus cruel également.

Elle se redressa pour lui laisser de l’espace, se rappelant tout de même à qui elle avait affaire, et le considéra un moment. Il ne représentait vraiment pas une menace, là tout de suite. Mais il était ce qu’il était et portait en lui le potentiel pour faire du mal aux autres. Cela n’avait pas d’autre sens pour Zee qu’un profond sentiment d’impuissance. Elle ne pouvait pas l’arrêter pour quelque chose qu’il n’avait pas encore fait, c’était là l’apanage des tyrans – ou d’ARGUS, et dans un cas comme dans l’autre, cela la révoltait. Et elle ne pouvait pas non plu le convaincre ici et maintenant de faire de meilleurs choix, de vivre une vie meilleure, quand ce « meilleur » n’était rien d’autre que sa propre définition et par nature n’était pas celle du garçon. Il n’y avait pas de solution à un problème qui n’en était pas vraiment un, juste, encore une fois, une profonde impuissance. Car elle était sûre qu’ils se recroiseraient, et qu’à ce moment-là, il lui donnerait des raisons d’agir de manière plus efficace contre lui, et probablement qu’elle lui en voudrait profondément, à ce moment-là. Mais en attendant, ne rien faire était la juste réponse. « Pourquoi devrais-je t’arrêter ? Tu n’as même pas eu le temps de forcer la porte de ce magasin. Tu n’as rien fait de mal. Je voulais juste discuter avec toi, je me disais que peut-être, ça pourrait changer quelque chose. » Elle secoua la tête et afficha un sourire en coin. « Pardonne ma naïveté. Rien ne changera ce soir. Et tout sera probablement différent quand on se recroisera. Disons que j’aimerais que tu ne fasses rien, jamais, qui me force à t’arrêter. Tu comprends ? »

Mais entre la volonté, l’absence de choix, les diverses promesses, comment s’en sortir, finalement ? C’était toujours ainsi au final. Elle aurait dû être plus impartiale, une sorte de Batman fermement accroché à la loi, ce serait tellement plus facile de prendre des décisions. Elle joignit les mains dans son dos et désigna la ruelle du menton. « Tu peux t’en aller, je ne te poursuivrai plus. Fais simplement attention à toi et aux gens que tu croiseras sur ta route. Et aux lampadaires. » Et reste sage, et ne cause pas de tort aux autres, et ne fais rien aux autres que tu n’aimerais pas que l’on te fasse ou pire, que l’on t’ait déjà fait, bla, bla, bla… Elle avait le sentiment que pour lui, c’était un peu tard, et en même temps, que peut-être, il fallait qu’elle tente sa chance à chaque fois, juste au cas où, une fois, cela serve à quelque chose.

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