Our war is over || Batman

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Il s’appelait William Asmodeus Zard, et la première fois que Zee avait entendu ce nom, elle avait deviné avant même que son père lui raconte la suite que ce type, avec un nom pareil, était un agent du mal, ou quelque chose dans le genre. Tandis qu’elle planait dans le ciel lourd et dépourvu d’étoiles de Gotham City, elle se remettait en tête tout ce qui concernait ce type, qui se faisait appeler Wizard, parce qu’il était doté d’une imagination incroyable. Si Zatara lui avait parlé de lui, c’était surtout parce qu’il pensait qu’un jour elle serait amenée à croiser sa route. Leader de divers groupes de criminels qui s’étaient démarqués au fil de l’histoire pour ses attaques contre les divers groupes de héros, il appartenait à une époque où ces choses-là se faisaient et se réglaient discrètement, avant que les gens comme Superman ou Wonder Woman ne forcent les humains à accepter que dans ce monde, il se passait des trucs bizarres. Et que la magie existait. Wizard était un magicien à l’ancienne, comme son père, jusque dans sa tenue. Et il avait une bonne raison pour cela : il était né au tout début du vingtième siècle. Par la magie, il avait, entre autres pouvoirs, quasiment stoppé le temps pour lui, de sorte qu’il était encore bien vivant aujourd’hui pour emmerder le monde.

Sept ans auparavant, Batman et elle l’avait traqué, attrapé et livré à Arkham, dans une cellule censée pouvoir le retenir. À l’époque, il avait mis la main sur un artefact magique censé pouvoir doter les hommes de pouvoirs magiques. Autant dire que ce n’était pas du tout un objet à laisser entre toutes les mains. Surtout que connaissant le Wizard, il n’allait pas se contenter de juste offrir des dons à monsieur et madame Tout-le-monde et s’en aller. Quand elle avait remis la main sur l’idole de Diabolu, elle avait senti que sa magie avait été altérée par le sorcier. S’il avait eu le temps de s’en servir, il aurait certes donné des pouvoirs à des humains, mais les auraient aussi transformés en monstres sans conscience, asservis, sous sa coupe. Ce qu’il voulait, c’était une armée. Elle avait laissé Bruce livrer Zard à Arkham et s’était occupée de l’idole. Du moins elle avait essayé. Aucune magie d’aucune de ses connaissances n’avait réussi à rendre à l’artefact son intégrité. Zard l’avait souillée à jamais. Alors elle avait caché l’idole, quelque part où elle pensait que personne ne pourrait l’atteindre. Mais il faut croire qu’elle s’était trompée. Tout comme elle s’était trompée en pensait qu’Arkham retiendrait Zard. Parce que ça ne pouvait être que ça, n’est-ce pas ? Cela ne pouvait qu’être le retour du Wizard, et de son plan stupide.

Depuis quelques jours, il y avait des rumeurs, et en menant sa petite enquête dans le monde magique underground, elle avait entendu des choses folles. Des hommes qui soudain dotés d’une force physique incroyable, leurs traits à peine humains, s’attaquaient à leur femme et à leurs enfants. Des femmes aux dents acérées sautaient à la gorge de passants pour leur déchirer la gorge. Des enfants détruisaient tout sur leur passage. Tous étaient forts, rapides, violents. Cela aurait pu être n’importe quoi. Mais elle avait vérifié la dimension de poche où elle avait caché l’dole de Diabolu et s’était rendu compte qu’elle avait disparu. Et elle avait vérifié auprès d’Arkham, pour apprendre que le Wizard s’était enfui quelques mois plus tôt. Alors, voilà : elle était responsable, quelque part. Et Bruce aussi. Même si lui ne pouvait plus passer à la caisse. Etait-ce un hasard que Zard refasse parler de lui au moment où Bruce était mort ?

Elle fut étonnée de pouvoir former une telle pensée sans s'effondrer. Depuis qu'elle avait appris la nouvelle de la mort de Bruce, elle était dans le déni complet, ce qui aidait beaucoup, il ne fallait pas se mentir. C'était tout simplement inconcevable pour elle. Il avait été présent dans sa vie plus longtemps que les années qu'elle avait vécues sans lui. Et... elle ne voulait pas y penser. Elle n'avait pas encore pleuré. Elle était, en revanche, folle de rage contre lui, et ça l'aidait, parce qu'elle avait l'impression, en dirigeant sa colère contre lui, qu'il était encore là. Sa rage donnait corps à ce mensonge confortable. Elle n'était tout simplement pas assez forte pour encaisser la réalité, à l'heure actuelle. Alors, déni. Et Zard ? Elle savait qu’elle devait régler cette histoire une bonne fois pour toutes.

Qu'est-ce qui n'aidait pas du tout, en revanche, à sa petite fantaisie malsaine ? La présence d'un nouveau Batman à Gotham. Comment l'appeler autrement ? Elle, elle ne l'appellerait jamais ainsi, pas en face. Mais elle ne pouvait pas prétendre qu'il n'existait pas. Et elle ne pouvait pas lui en vouloir d'exister. Quoi que si, elle pouvait. Elle pouvait bien être en colère contre qui elle voulait. Et de fait, elle le repéra soudain, sur un des toits plats de la ville. Comme s'il avait une responsabilité envers cette ville, envers ce monde. Elle pinça les lèvres. Elle n’était pas en état, tout simplement. Pas sûre qu’elle le soit jamais, mais elle n’avait plus le choix. Son erreur. Sa responsabilité. Elle se posa sur le toit et s’approcha de Machin dans son dos, sachant très bien qu’il avait senti sa présence. « On admire son nouveau royaume ? Est-ce qu'il y a une amélioration, par rapport à ta Gotham City ? » Après tout, cette Gotham-là était bien mieux que celle de Terre IV, alors elle devait être mieux que sur d'autres Terre, aussi difficile à croire que ce soit. Et puisqu’il lui fallait être ici, autant boire la coupe jusqu'à la lie.

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Il avait lu le rapport de l'autre Batman à propos de Zatanna, ainsi que celui à propos d'un certain Wizard et de sa manie de vouloir donner des pouvoirs magiques aux gens du commun. Il avait étudié tout ça pendant qu'Alfred terminait de préparer le thé, avant qu'il ne parte ce soir. Le majordome, étonnamment silencieux durant toute la journée, n'avait lâché qu'une phrase concernant la magicienne lorsque Bruce était sorti. Il lui avait dit d'être indulgent, ce qui n'avait rien de surprenant ou de saugrenu. Zatanna et l'autre avaient été proches, des amis de longue date, et il ne pouvait qu'être un reflet de tout ça.

Il l'entendit arriver, évidemment.

Mais il ne s'était pas vraiment attendu à ça, à cette... présence. Il n'avait jamais connu la magicienne sur sa Terre, et elle était probablement morte dans un affrontement quelconque contre le tyran d'Apokolips. Mais là, en l'entendant, en la voyant, il pouvait la juger sans tenir compte du rapport écrit du Chevalier Noir qui l'avait précédé : une puissante présence, charismatique, et surtout, un visage qui exprimait une retenue et une sagesse qui surpassaient largement l'âge de la jeune femme. En d'autres termes, il valait mieux l'avoir en alliée qu'en ennemie.

Il resta silencieux un petit moment, agenouillé comme il était au bord du toit, à observer la rue en dessous. Ce n'était bien sur pas un hasard s'il était à cet endroit précis.

« Ce n'est nullement mon royaume. Et oui... oui, c'est différent. »

Il la vit, du coin de l’œil, tressaillir légèrement. Probablement à cause de sa voix, parfaitement identique à celle de l'autre. Au final, seule la tenue changeait, car tout le reste était la même chose. Il n'avait pas osé toucher, pour le moment, au reste des armures.

« Ici, Gotham est remplie de criminels et de gens simples. De riches et de pauvres. Les flics parcourent les rues à la poursuite des malfrats, souvent mieux armés qu'eux, tandis que seigneurs du crime et barons de la drogue s'approprient chaque jour une partie de la vie de Gotham. Des gens sont agressés et naissent tous les jours dans la noirceur de l'endroit qu'est cette ville. Personne n'ose appeler à l'aide, de peur que quelqu'un de pire n'arrive. Là, un enfant va devenir un voleur car sa mère ne peut pas payer toute seule. Ici, une jeune femme se prostitue car elle a été enlevée à son foyer. Ici, Gotham est une ville infâme, pourrie, qui ne mérite peut-être pas d'être sauvée. »

Il la regarda droit dans les yeux.

« Mais au moins, ici, Gotham existe. »

Evidemment qu'elle était au courant. Alfred le lui aura dit, certainement, ou peut-être quelqu'un d'autre de la Justice League. Cela n'arrangeait rien au pincement que Bruce s'efforçait d'ignorer. Il comprenait la méfiance de la magicienne, il comprenait qu'elle ne pouvait pas se contenter de faire comme si de rien n'était. Ils étaient des étrangers l'un pour l'autre. Mais ça ne retirait rien au fait que sa pique avait touché là où ça faisait le plus mal. Toute l'existence, sur cette Terre, rappelait à Batman qu'il n'était plus chez lui. Car ici, tout n'était pas flammes, cratères, désolation et mort.

Il prit néanmoins sur lui, et indiqua d'un petit geste la ruelle en dessous.

« En bas. D'ici quelques instants, on devrait pouvoir assister à une démonstration de Wizard. Ou en tout cas, à celle de ses victimes. »

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Bien sûr, c’était injuste. Bien sûr, ce n’était pas la faute de ce type – elle ne pouvait pas l’appeler Bruce, même si c’était son nom, même s’il était Bruce – si Gotham avait perdu son gardien et si elle, elle avait perdu un de ses plus vieux amis. Lui aussi était une victime. Mais elle n’avait pas encore la force en elle d’être la Zatanna que tout le monde connaissait, celle dont on attendait qu’elle soit raisonnable, juste, bonne et altruiste. Celle que Bruce aurait voulu qu’elle soit. Eh bien, va te faire voir, les morts n’ont plus leur mot à dire. La liste des souffrances qu’elle empilait ces derniers mois était trop longue et elle n’avait plus la force de rien, si ce n’était de ne plus penser à rien et faire son foutu job. S’anesthésier quelques heures, se défouler sur un sorcier idiot, et au passage sur cet inconnu en costume de Batman. C’était encore pire, qu’il ait sa tête, sa voit, sa posture. Son calme, aussi, son refus de jouer à qui était le plus puéril, d’eux deux. Le même martyr hiératique au sommet de son toit, la raison même qui avait fait que Bruce était allé mourir sur une Terre inconnue, et pourquoi, pourquoi exactement ? Probablement que c’était ainsi que ça devait se terminer, pour lui, de toute façon. Comme ça se terminera aussi comme ça pour elle, et pour eux tous, qui avaient décidé d’endosser la protection de l’humanité. Mais ça n’en restait pas moins injuste, odieux et surtout, rageant. Et ce soir, elle était pleine de rage rien que de le voir. Gotham existait, oui. Elle, et ses habitants, et la Terre entière, se fichaient bien que Batman soit mort et que son remplaçant soit déjà là. Le monde ne s’arrêtait pas de tourner pour eux, pour toutes les tombes creusées, souvent vides. Mais si on lui avait posé la question, choisir entre Bruce et Gotham City tout entière, alors sans hésiter elle aurait choisi Bruce. Après, peut-être, la colère passée, bien sûr qu’elle aurait hésité. Mais elle avait déjà échangé une fois la vie d’un être aimé contre le reste de la planète, et ça n’avait pas du tout été un bon plan. Elle en avait ras le bol, voilà. Sa claque, de tout ça.

Elle se pencha au-dessus de la ruelle qu’il lui indiquait. « Tu n'es pas obligé de reprendre ce flambeau, tu sais... » Vu qu’il semblait au courant, il avait dû rattraper le dossier avec l’aide d’Alfred, ou des archives de Bruce. Il semblait que tant qu’à rester ici, il avait décidé d'aller au bout des choses. Comme une malédiction égyptienne, tous les Bruce Wayne du multivers se retrouvaient coincés, justiciers jusqu’au bout de l’angoisse – jusqu’à la mort. En bas, un sans-abri fouillait des sacs poubelle éventrés, sans savoir qu’ils étaient là à l’observer. Enfin, eux, et une troisième personne, si on pouvait appeler « personne » la chose qui sortit de l’ombre de la ruelle. Le clochard ne l’avait pas encore remarqué, mais de là où ils se tenaient, ils avaient tout le loisir de constater à quel point le cadeau de Wizard était empoisonné. Cela avait été une femme, un jour. Avant. Elle en avait encore quelques caractères physiques, mais sa stature, ses membres plus longs que la normal, son visage déformé par des crocs qui se voyaient même d’ici, et le brasier qui brûlait dans ses yeux, l’excluaient désormais définitivement de la catégorie des humains. C’était comme si l’idole avait amélioré les performances physiques de la femme, qui semblait plus forte, plus rapide, plus résistante, plus dangereuse, mais en même temps, l’avait dépouillée de toute humanité. « La dernière fois, avec Bruce, on l’avait arrêté avant qu’il ait eu le temps de mettre sa théorie à l’épreuve, mais c’était à peu près ce à qui on s’attendait. La seule chose dont on n’était pas certains, c’était si Wizard aurait un réel contrôle sur eux. » Voulait-il se bâtir une armée ou simplement semer le chaos ? Contrôler ses créatures ou simplement les laisser massacrer à leur guise dans la ville ? La chose s’avança vers le sans-abri, et donna un coup de poing griffu contre le mur de brique rouge, qui s’effrita sous le choc.

Foutue magie. Utilisée à mauvais escient, elle pouvait ravager cette Terre. Et il y en avait toujours qui pour se porter volontaire. De là où elle se tenait, Zee sentait la magie qui pulsait de la femme, comme des courant alimentant ses bras, ses jambes, courant dans son sang avec violence, dévorant tout ce qui avait fait d’être une humaine. Elle n’avait aucune idée si cette horreur était réversible. Si elle pouvait le faire seule ou si elle aurait besoin de l’idole. Ou bien s’il n’y avait plus rien à faire. Le sans-abri se retourna enfin et couina en voyant la créature à un mètre d’elle, les yeux rougeoyants. Zee sauta dans le vide sans un mot, et sans y penser plus que cela. Avec Bruce, elle n’aurait pas eu besoin de parler, ils se connaissaient depuis bien assez longtemps pour savoir d’instinct comment se répartir les tâches. Et les vieux réflexes avaient la vie dure. Eh bien tant pis. Elle atterrit avec douceur entre le SDF et la créature et leva une main, paume face à la chose. « reèieeA ! » Une bourrasque d’énergie heurta la créature qui déjà leur sautait dessus, et celle-ci fut renvoyée violemment dans les ombres de la ruelle. Zee entendit le sans-abri partir en courant sans qu’elle ait même besoin de le lui dire. Normal, qu’il ait de l’instinct de survie, personne ne pouvait le lui reprocher. Dans la pénombre face à elle, elle fit deux yeux s’embraser et la créature jaillit soudain avec la vitesse et la force d’un train. De nouveau, Zee leva la main, prononça quelques mots à l’envers, et les briques des murs s’arrachèrent pour former un mur, que la créature traversa sans mal. Okay. « reilcuoB. » Et la chose se heurta à un mur invisible, avant d’aussitôt se mettre à essayer de le déchirer de ses griffes, en vain pour le moment. De là où elle était, Zee pouvait l’observer de près. Ça aurait été mieux si elle avait cessé de bouger, mais elle ne semblait animée que par la rage, ou la faim, ou les deux. La magicienne ouvrit la bouche pour exhorter Bruce à entrer dans la danse, puis se souvint que Bruce n’était plus là. Et que l’autre, eh bien… Il ferait bien ce qu’il voulait. Il ne lui devait rien, et il ne devait même rien à cette ville, après tout.

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Le Chevalier Noir asséna un coup de poing formidable, qui aurait mis à terre n'importe quelle brute, n'importe quel individu, du plus costaud au plus fragile. Il aurait du pouvoir faire tomber la créature – elle n'avait plus rien d'humain – et l'achever avec un coup bien placé. Il y avait mis tout son poids, toute sa force, et il avait su la prendre par surprise. Malheureusement pour lui, la créature n'était pas de cet avis ; c'est à peine si le coup de poing l'avait affecté.

Il retenta l'expérience, essayant d'empêcher la bête de détruire la protection utilisée par Zatanna.

En vain, encore. Il avait beau lui asséner coup sur coup, tenter de la frapper au visage, dans les côtes, aux bras, aux jambes, partout où il pouvait trouver un point sensible, mais rien n'y faisait. Son adversaire était insensible à ses coups, ou à la douleur, ou aux deux à la fois. Ou peut-être qu'elle était juste devenue trop solide pour être inquiétée. Quoiqu'il en soit, ce n'était pas en la martelant de coups de poing qu'ils allaient avancer leur cas.

« Je vais essayer autre chose, maintiens ta protection ! »

Il n'avait pas de magie à disposition, mais il pouvait quand même réussir à faire quelque chose avec sa force. S'écartant de la créature, qui reprenait de plus belle ses assauts frénétiques, Bruce passa dans son dos et utilisa son bat-grappin pour lui tirer dessus. La pointe se ficha dans l'épaule déformée, s'y accrocha, pour la plus grande satisfaction de Batman. La créature ne semblait pas avoir compris que quelque chose n'allait pas tarder à la faire tomber, c'était parfait.

Il activa le mécanisme, et avec un sifflement, fut projetée en arrière à toute vitesse, heurtant le mur où se trouvait la chauve-souris un instant plus tôt. Bonne nouvelle : un coup physique porté ne l'affectait pas, mais rien ne la protégeait d'un choc.

Sa satisfaction fut cependant de courte durée. La créature, loin d'être stupide, se jeta sur lui, et il eut toutes les peines du monde à l'écarter. Elle était plus rapide, plus forte, plus résistante, et infiniment plus enragée qu'un humain. Déjà, les quelques idées qu'il avait eu en tête pour l'enfermer s'envolaient, car il ne voyait pas comment retenir une bête avec autant d'acharnement. Elle lui rappelait les Paradémons, à ceci près qu'il savait comment éliminer une de ces créatures infernales.

La magie avait été un outil efficace pour contrer Darkseid, se rappelait-il. Mais lui-même ne se souvenait pas, en dehors de ses voyages et de son entraînement, avoir affronté la magie. Le Bruce de cette Terre l'avait peut-être fait, lui ? Probablement, vu comment Zatanna et lui semblaient avoir résolu une affaire de ce genre déjà. Qui pouvait dire quels autres dangers inconnus l'attendaient ici ? Il avait beau être Batman, l'absence d'informations était le premier adversaire à Gotham. Et c'était aussi le plus dangereux.

Il chassa ses pensées, et se reconcentra. Un plan se forma dans sa tête. Simple mais efficace.

« Je vais l'écarter. Prépare-toi à lui lancer quelque chose dessus pour l'assommer ! »

Il compta jusqu'à trois, puis se laissa glisser pour effectuer un mouvement de rotation en même temps ; la créature fut projetée, déséquilibrée, un peu plus loin... à la merci de tout ce que la magicienne saurait lui envoyer.

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N’importe qui ayant eu la chance ou la malchance de partir en mission avec Batman aurait dit la même chose : avec lui, on avait toujours l’impression que tout se passerait bien. Il avait toujours un plan, deux plans, dix plans. Il sortait toujours un truc de sa ceinture, régissait toujours au quart de tour, gardait toujours un dernier truc dans sa manche, et même un autre dernière truc dans son autre manche. Zee s’était rarement sentie en danger avec lui, peut-être parce qu’elle était enfant quand elle l’avait connu et qu’elle l’avait vu progresser, apprendre au contact de son père, et aussi changer, se transformer petit à petit en l’homme qu’il était – qu’il avait été –, et surtout en Batman. Il lui semblait que rien chez lui n’aurait pu le surprendre. Cela dit, il lui avait fait une sacrée surprise en mourant, l’enflure. Mais ce Batman-là, évidement, ce n’était pas la même chose. Ce n’était pas parce qu’il lui ressemblait qu’il était pareil. Pour ce qu’il en savait, celui-là était un as du lance-pierres et du katana et roulait en batquad. Peut-être qu’il était moins malin, aussi. Moins réactif. Et peut-être qu’elle aurait dû se poser, et surtout lui poser toutes ces questions avant de se jeter à la gueule du monstre. C’était trop tard. Et quand la créature ne broncha pas après le coup que Batman, qui avait décidé d’intervenir, lui assené, Zee se mit à douter. C’est fou comme il en fallait peu. Enfin, surtout à elle, et surtout en ce moment. Il était censé être celui avait solution à tout. Et il avait beau s’acharner, la créature ne bronchait pas. Alors maintenant, quoi ? Elle pouvait maintenir son bouclier, mais pas pendant des heures. Et elle savait bien que le mieux était de capturer cette chose plutôt que de la tuer. Peut-être qu’ils pouvaient encore sauver cette femme. Ou, à défaut, sauver tous ceux qui la suivraient.

Elle faillit intervenir quand, après un coup de grappin plutôt efficace, son acolyte du soir se fit foncer dessus. Mais elle se figea – vieille habitude. Il avait donc un plan. Assommer la bête. Elle pouvait toujours essayer, ça ne ferait pas de mal, à part à sa cible. Quand elle vit que la chose lui laissait une ouverture, elle se glissa dans son dos et d’un mot inversé, appela la foudre, qui s’enroula autour de son bras avant de repartir directement sur le monstre. Lequel, électrocuté, tituba légèrement. Il était donc un peu sensible à l’électricité. Mais Zee vit que ça ne suffirait pas. Incroyable, ça ! Et déjà, la créature tournait son attention sur Batman. Peut-être qu’elle avait compris que son grappin pouvait sérieusement l’ennuyer. Peut-être qu’elle pouvait encore réfléchir un minimum, ce qui était une bonne nouvelle, non ? Un an auparavant, et avec son Batman, elle aurait brainstormé un minimum, même en pleine action – ils étaient doués à ce point-là. Mais aujourd’hui, elle n’avait pas l’envie, ni la patience, ni la volonté. Seule comptait la mise hors d’état de nuire de ce monstre, ou alors d’autres mourraient, encore et encore. Comment est-ce qu’elle expliquerait aux autres que le nouveau Batman était mort lui aussi, et sous sa garde, en plus ? « Elle commence à m’énerver, celle-là ! » D’un bond aidé par la magie, elle se retrouva à hauteur de la tête de la créature, toujours dans son dos, et plaqua ses mains sur se tempes. Puisque la magie élémentale n’était pas assez efficace, on allait bien voir ce que la magie psychique aurait comme conséquences. Magie psychique que Zee maîtrisait beaucoup moins, et qui s’utilisait au niveau optimal de son propriétaire, évidemment.

Elle en avait fait, des bêtises, avec ses pouvoirs. Elle en ferait encore beaucoup. Elle s’engouffra dans l’esprit de la créature sans ménagement, chose qu’elle n’aurait jamais fait avec une personne normale, parce que c’était violent, c’était mal, douloureux et odieux. Et imprudent. Vu de l’extérieur, pendant quelques secondes, le monstre comme la magicienne se figèrent. Et Zee s’enfonçait, s’enfonçait dans l’esprit tordu, souillé, poisseux, contrenature de la créature. Elle aurait pu s’y perdre, s’y noyer. Jusqu’à ce qu’un tout petit éclair lumineux attire son attention. Aidez-moi… je vous en prie… La seconde d’après, elle se sentit comme tirée violemment en arrière, et crut que sa tête allait exploser. Elle comprit pourquoi en reprenant ses esprits par terre, au pied du mur contre lequel le monstre l’avait projetée. « Batman… La femme est toujours là… Je ne sais pas si on pourra la ramener, mais elle est toujours là… » La créature titubait au-dessus d’elle, pas assommée comme demandé, mais sacrément sonnée. Non pas que Zee se sentait de recommencer ce qu’elle venait de faire, mais ça suffirait pour le moment.

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« Compris. »

C'était une bonne nouvelle. Vraiment, car cela signifiait qu'il devait y avoir un moyen de la ramener à la raison. La créature semblait souffrir, et quoi que Zatanna ait fait, cela semblait avoir quand même réussi à lui faire mal. Etait-elle affaiblie, réellement, ou faisait-elle semblant ? Par précaution, Batman se plaça devant Zatanna, vulnérable au sol, et se prépara à asséner d'autres coups.

« On peut régler ça violemment, ou vous pouvez vous laisser faire. Dans les deux cas, nous allons essayer de vous aider. »

Il n'était pas certain que la créature l'avait entendu. Elle poussait des gémissements, titubait, se tenait la tête entre ses mains inhumaines, et ne semblait pas tenir compte des deux autres. Peut-être que c'était une erreur de la laisser tranquille pendant quelques instants, mais Bruce avait le sentiment, l'instinct, que ce serait mieux que de la frapper de nouveau. La violence semblait avoir eu un effet mitigé, et n'avait déclenché que de la colère et davantage de folie.

Il se tourna légèrement vers la magicienne, et l'aida à se relever.

Ce qui s'avéra être une erreur qui aurait pu leur coûter cher se transforma alors en une opportunité pour calmer la créature, définitivement.

« Attention ! »

La bête se jeta sur lui, toutes griffes dehors, hurlant sauvagement sans discernement. Toute sa phase amorphe n'avait donc été qu'un leurre, ou bien elle avait réussi à s'en remettre très facilement, et d'un coup. Dans tous les cas, Bruce campa sur ses positions, et fit une prise à la créature ; il se servit ensuite de la force et de l'élan de cette dernière pour la faire voler vers le mur le plus proche. Le résultat fut spectaculaire : le mur se fracassa, la bête retomba, inerte et incapable de se relever, et tout fut fini en un instant.

La magicienne avait au moins réussi à l'affaiblir suffisamment pour qu'un choc aussi fort permette d'en venir à bout, ce qui arracha un léger soupir au Chevalier Noir. Il bougea légèrement les bras, étirant ses épaules, avant de se tourner brusquement vers l'autre extrémité de la ruelle.

Il resta figé ainsi quelques temps, en apparence telle une statue, alors qu'il vérifiait l'intégralité des lieux avec son masque. Mais aussi parce qu'il était pratiquement certain que quelqu'un s'était tenu là-bas une seconde auparavant, puis avait disparu en voyant que l'affaire était terminée. Zatanna l'avait peut-être remarqué aussi, mais par précaution, il valait mieux en parler ailleurs. Il revint donc à elle, s'accroupissant près du corps inanimé de la créature.

« Peut-être qu'une analyse plus approfondie nous en apprendra plus... même si la magie n'obéit généralement qu'à des règles chaotiques. Où l'emmenons-nous, et comment ? Tout ça me rappelle cette histoire de Man-Bat, même si la magie n'avait rien à voir là-dedans à l'époque. »

Ça, il l'avait vécu. Il se souvenait parfaitement de cette chauve-souris géante, assoiffée de sang et violente, qu'il avait du affronter alors que la moitié de Gotham se soulevait contre un gouvernement autoritaire. C'était déjà l'époque où la planète était condamnée, même sans le savoir. Comment avait-il réglé la situation ? Il l'avait laissée mourir, alors que la créature s'était jetée, par accident, sur une antenne. Le Bruce de cette Terre avait essayé de la guérir, mais le scientifique fou s'était suicidé. Mais ce que Zatanna avait fait était une meilleure dose d'espoir : les personnes pouvaient s'en sortir. Il y avait une chance de les sauver. C'était tout ce qu'il désirait, pour le moment.

La magicienne était douée, puissante, et une alliée de poids. Alfred n'avait pas exagéré en la lui décrivant. Mais gagner son respect et son amitié lui semblait aussi insurmontable que de se réconcilier avec la Bat-family de cette Terre.

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C’était bluffant, vraiment. À le voir se battre comme ça, à le voir réagir exactement de la même façon que Bruce l’aurait fait, on aurait vraiment pu se laisser avoir. D’ailleurs, il était probable que Gotham s’y laisserait prendre, et que rien ne viendrait troubler sa dynamique habituelle avec le Chevalier noir. Non, rien ne changerait pour les habitants de cette ville, qui pourraient dormir tranquilles comme d’habitude ou au contraire passer leurs nuits à échafauder des plans pour se débarrasser de la chauve-souris. Mais ce n’était pas lui. Pour ceux qui le connaissaient, cette ressemblance n’était qu’une illusion. Elle lui avait dit que la femme se trouvait toujours là, quelque part, prisonnière de son propre corps et des effets magiques de l’idole, et il aurait pu n’en avoir rien à faire. Elle se demanda une seconde s’il allait tuer le monstre, ce serait plus facile, plus efficace et cela sauverait des vies. Mais non, bien sûr que non. Il était comme lui. Il envoya bouler la créature, l’assommant au passage, mais se refusant à lui régler son compte. Zee se releva, une bonne migraine pour son compte, et l’observa à la dérobée, en train de fouiller la rue du regard tout aussi immobile qu’une statue. Le pire, c’était que tout cela plairait probablement à Bruce. Bon, il préfèrerait certainement être en vie, mais c’était là un compromis qu’il trouverait acceptable, avec son pragmatisme habituel. De nouveau, elle regretta de ne pas pouvoir le secouer par le col de sa cape jusqu’à lui faire cracher ses dents. Quelqu’un d’autre s’était déjà chargé de faire ça, ailleurs, sur une autre Terre.

Elle rejoignit la créature et s’assura qu’elle était bien inanimée. Maintenant qu’elle ne bougeait plus et que la magicienne pouvait l’examiner à loisir, elle pouvait parfaitement sentir l’aura maléfique qui se dégageait d’elle, qui coulait en elle comme de la lave et faisait ressortir ces caractéristique monstrueuses tout en repoussant derrière une chape de magie noire tout ce qui avait fait de cette femme une humaine et qui lui aurait permis de reprendre le contrôle de son être : la conscience, l’empathie, la sensibilité, le dégoût de la violence, le savoir quasi inné et propre à la plupart des humains que tuer était inconcevable. Il y avait au moins deux niveaux d’emprise, physique et psychique, sur cette pauvre fille, et pour l’heure, Zee n’avait aucune idée de ce qu’ils pouvaient faire pour l’aider. Obtenir l’idole serait évidemment un plus. De même que mettre la main sur Wizard. Elle écouta les paroles de Batman et esquissa une moue pensive. « Eh bien… Cela tombe bien que vous en parliez. Je pense que Kirk nous laissera son labo sans trop rechigner. Nous pourrions l’emmener là-bas, il doit avoir de quoi garder cette chose inconsciente. » Elle lança un regard en coin à son acolyte du jour. Bruce savait parfaitement qui se cachait sous l’identité de Man-Bat, et elle avait balancé son surnom sans réfléchir, mais elle ne savait pas si ce Batman-là avait les mêmes connaissances. Ni même quelles relations il entretenait avec son Man-Bat. Bon, eh bien il vivait sur cette Terre, désormais, et à Rome, on faisait comme les Romains. « Quant au comment… Dans d’autres circonstances, je n’aurais pas dit non à une balade en batmobile, mais les temps ont changé… » Et lui aussi. Ce n’était même plus lui, en fait.

Elle se leva et d’un mot, ouvrit un portail entre la rue où ils se trouvaient et le laboratoire de Kirk, s’attendant à le trouver assis à son bureau à travailler comme il le faisait de jour comme de nuit, mais non, l’endroit était vide. Bon eh bien, il ne leur en voudrait pas trop de cette intrusion – il avait l’habitude, en vérité, les membres de la Justice League Dark ne se faisant jamais prier pour débarquer dans ses locaux dès qu’ils tombaient sur un blob magique quelconque. Elle laissa à Batman le soin archaïque de s’occuper de traîner le monstre de l’autre côté, puis une fois qu’ils furent passés tous les deux, referma le portail. Le laboratoire de Kirk était à l’image de son propriétaire : en bordel. Il aurait pu se trouver dans la cave de n’importe quel vieil immeuble de n’importe où sur Terre : pas de fenêtre, quoi que pas mal de grilles d’aération, on ne savait jamais, des étagères remplies jusqu’à ployer de livres, dossiers, papiers, objets divers, plusieurs tables qui servaient de bureaux toutes couvertes de feuilles, de stylos et flacons et autres tubes à essais, deux tableaux noirs couverts de formules écrites à la craie, plusieurs ordinateurs dont les fils s’emmêlaient tous au niveau du générateur électrique qui trônait dans un coin, deux armoires vitrées et réfrigérées, et bien sûr une table en inox avec d’épaisses lanières en cuir pour restreindre allez savoir qui ou quoi, Zee ne voulait pas le savoir. Mais puisqu’elle n’y connaissait rien en drogue pouvant assommer des monstres magiques, et qu’elle doutait que Batman s’y connaisse mieux qu’elle, alors ils n’avaient pas le choix. « Alors vous aviez aussi un Man-Bat sur votre Terre ? Vous connaissiez tous les gens que notre Batman connaissait ? » Oh, non, elle n’avait pas envie de se lancer sur ce terrain-là avec lui. Pas envie de mieux le connaître, pas envie de, petit à petit, lui permettre de remplacer Bruce. Mais n’avait pas pu s’en empêcher.

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Un rapide coup d’œil permit à Bruce de s'assurer que les liens étaient bien vides. Il n'en avait jamais douté, bien sur, mais au vu des paroles de Zatanna, la magicienne ignorait ce qu'il était arrivé au Man-Bat de cette Terre. La prudence étant toutefois mère de sûreté, il préféra esquisser quelques pas, pour avoir un champ de vision total, avant de répondre que tout était sûr :

« Personne. Installons-là sur la table, tout en prenant soin de l'attacher. Il ne faut pas qu'elle s'échappe. »

Tout en s'exécutant, il pensa rapidement à sa façon dont il allait répondre à la magicienne. Sa question était légitime, bien sur, mais vu l'animosité dont elle avait fait preuve à l'origine, il se demandait pourquoi elle voulait quand même lui parler de manière aussi triviale. Peut-être qu'au fond, c'était seulement du deuil, et elle voulait quand même savoir à qui elle avait affaire : c'était louable.

« J'avais un Man-Bat, oui. Il a essayé de tuer plusieurs personnes en banlieue après avoir été capturé par des hommes de Falcone. Je l'ai retrouvé à Burnside, et je l'ai affronté. Il est mort, accidentellement, en tombant sur une pique au sommet d'un bâtiment. »

Il sangla durement un bras de la créature. Son ton était laconique, à la décibel près parfaitement identique à celle de l'autre Batman. Mais comment en aurait-il pu être autrement ?

« Je n'ai évidemment pas connu celui d'ici, car j'ai pu lire dans les dossiers du bat-ordinateur que Kirk Langstrom s'est suicidé dans cette réalité. Il n'a pas supporté ce qu'il était devenu, et Batman n'avait rien pu faire pour l'empêcher de mettre fin à ses jours. Quant aux autres... »

Il sangla une jambe, de son côté, un peu plus férocement qu'il ne l'aurait voulu. Un léger accès d'humeur, à cause de souvenirs douloureux qui remontaient à la surface. Il n'aurait normalement pas du en montrer autant, même pour le si peu qu'il dévoilait. Mais tout ce qui était arrivé récemment le perturbait profondément, et il n'était plus lui-même. Le temps finirait par l'aider, il le savait et Alfred ne cessait de lui dire. Mais c'était long, et difficile.

« Je ne vous ai pas connu sur ma Terre, si c'est là la base de votre question. En fait, je n'ai même pas connu la moitié des personnes que compte la Justice League aujourd'hui, pas plus que la moitié des super-vilains de votre planète et une bonne partie de... de la famille. Timothy Drake et Damian sont de parfaits inconnus pour moi, de même que Cassandra et Stephanie. C'est terriblement perturbant d'entendre parler des exploits d'amis alors que chez vous, tout le monde œuvrait chacun dans son coin. Peut-être est-ce la raison de notre échec, d'ailleurs. Peut-être que s'il y avait eu une Justice League, nous aurions survécu. »

Ces mots lui pesaient, et il ne voulait pas donner l'impression qu'il se morfondait. Mais c'était la vérité. Et chaque jour passé ici lui rappelait douloureusement tout ce qu'il avait perdu, et tout ce qu'il avait manqué. Tout ce que sa planète aurait pu faire pour s'en sortir. Pour ne pas se déchirer, avant de finalement s'unir quand il était déjà trop tard.

« Je ne peux pas vous promettre que... »

Il ne parvint pas à achever sa phrase, car au même moment, un tonnerre de coups et de cris, de hurlements bestiaux, retentirent en direction de l'entrée du laboratoire. D'autres créatures ? Ou pire encore ?

« Voilà qui va compliquer notre tâche. Existe-t-il un autre endroit où nous pourrions être à l'abri ? »

Il n'aimait pas vraiment se téléporter, à cause des risques que ça impliquait, mais il préférait cela plutôt que d'affronter une horde entière de ces créatures.

our war is over

Elle aurait presque pu s’attendrir de sa façon de scanner littéralement du regard le labo de Kirk. Elle savait, elle, que le doux dingue n’y avait laissé aucun piège et ne se planquait pas sous une table pour leur sauter à la gorge, mais a priori, son Man-Bat à lui n’était pas du même acabit, et surtout, sa façon de faire était si familière qu’elle avait presque envie de s’y raccrocher. Est-ce que ce serait si mal de faire semblant, le temps d’une soirée, que Bruce ne soit pas mort, tout simplement, et qu’il était là, avec elle, comme il l’avait toujours été ? Elle se hérissa à cette seule pensée, se gifla mentalement. Trop tôt. Trop difficile. Inconcevable et inacceptable. Alors, en silence, elle aida ce Batman à attacher la créature sur la table, nouant solidement les lanières de cuir et y ajoutant un brin de magie pour les renforcer, parce qu’après tout, cette chose avait réduit des briques en miettes. Et pendant ce temps, l’autre, qu’il allait bien falloir qu’elle nomme un jour – Steve ? Dave ? –, se livrait enfin à quelques confidences. Bien sûr que dans son monde, Kirk était mort. Elle ne commenta pas les bat-dossiers, parce que ce n’était pas à elle de le faire, mais en ce qui concernait sa Terre à lui, il semblait qu’elle était horrible du début à la fin. Pauvre Kirk, damné dans toutes les dimensions, sur tous les mondes et au fil de toutes les vies. Elle avait de la peine pour lui, comme elle en avait pour tout le monde, même pour cet homme qui se tenait là, à ses côtés. Et elle n’était pas sûre d’avoir envie de connaître la relation qu’il entretenait avec sa version d’elle-même, mais en même temps, elle ne parvenait pas vraiment à faire le lien entre elle et son hypothétique alter-ego. Heureusement, il semblait qu’ils ne se soient pas croisés, sur sa Terre.

Elle esquissa un sourire pensif en passant doucement les mains au-dessus du visage difforme de la femme pour vérifier qu’elle était toujours inconsciente. « Cela n’a pas aidé Bruce Wayne, d’avoir la Justice League à ses côtés. » Il n’avait peut-être pas sauvé son monde, mais il avait sauvé sa vie. En ce moment, Zee trouvait ça plutôt acceptable, comme deal. Mais elle ne pouvait pas nier tout ce que la Justice League avait de bon pour l’humanité, et serait probablement de nouveau amenée à faire dans avenir proche… « Et lui qui aimait à se croire solitaire… » souffla-t-elle. Comparé au Batman qui lui racontait son histoire, là tout de suite, Bruce avait bénéficié d’une vie sociale démesurée. Et surtout, d’une famille unique. Elle espérait qu’il en avait conscience, elle savait, même qu’il en avait conscience, même s’il ne le disait jamais à voix haute. « Vous voilà donc avec une seconde chance entre les mains, un second monde, une seconde famille et une Justice League à faire fonctionner avant l’arrivée de Brainiac. » Elle savait qu’il savait. Et même si elle ne le fréquentait que depuis une heure, elle savait aussi qu’il se mêlerait de cette histoire. Il ressemblait trop à Bruce pour ne pas le faire. S’il avait eu le temps de finir sa phrase, elle lui aurait répondu qu’elle ne voulait pas de ses promesses, de toute façon. Les promesses, ça n’engageait que ceux qui les croyaient, et elle avait sa claque de croire aux mirages. Mais soudain, des bruits assez familiers désormais retentirent, et Zee tendit la main vers la porte en métal qui fermait le labo. « aL etrop tse eélliuorrev ! » Le battant brilla fugitivement et la magicienne se tourna vers Batman pour réfléchir, avec le temps qu’elle venait de leur faire gagner. Les coups sourds qui retentissaient contre la porte ne la faisaient pour le moment pas bouger d’un millimètre.

« Je peux vous emmener au cœur de la taïga ou au sommet de l’Everest, si cela vous arrange. Je peux vous emmener où vous voulez, même à la batcave, vous n’avez qu’un mot à dire. » Elle ne le testait pas, non mais il n’y avait pas de mauvais moment pour un petit défi. En vérité, elle mourait d’envie d’aller taper à la porte de Kent pour lui mendier des livres sur l’idole maudite, mais il était aussi probable en vérité que sa propre bibliothèque possède les ressources dont elle avait besoin pour contrer Ward. Puis, sous sa main posée sur le bras entravée de la femme, elle sentit les muscles de la créature se contracter. Elle était encore dans les vapes, mais répondait inconsciemment aux hurlements de l’autre côté de la porte. Bon, ça suffisait comme ça. Cela faisait depuis son retour de New Themyscira qu’elle n’avait pas réellement mis à profit ses pouvoirs, par peur de perdre le contrôle, par peur de faire ressurgir le démon qui se les était appropriés, mais elle ne pouvait plus se payer le luxe d’avoir peur. Elle écarta les bras et ses yeux se mirent à luire, et les murs et le sol se mirent à se dilater, à se déformer lentement, et toute la pièce avec, alors que tout le bordel de Kirk s’effaçait lentement et que ne restaient en place, net et tangible, que la table avec la créature dessus, et Batman et elle de chaque côté. Quand elle en eut finit, ils étaient tous les trois, table comprise, dans une pièce vide aux murs en lambris abîmé, où flottait de la poussière et où le sol et le plafond étaient couverts d’arabesques, de courbes et de symboles comme autant de pièges magiques qu’elle avait posé elle-même, puisqu’elle les avait transportés chez elle, dans le manoir de son père. « Voilà, nous sommes en terrain ami, libre à vous d’appeler un taxi. » Elle lui désigna l’unique porte de la pièce, qui était petite et étroite et par laquelle il semblait trop large d’épaules pour passer, et pour cause : cette pièce était dans une petite dimension de poche dans son manoir, et de l’extérieur, la porte était celle d’un placard, et quiconque l’aurait ouverte serait tombé sur des balais et des chiffons. Puis elle tituba sous le coup de la fatigue, se raccrochant au bras de la créature qui couina un peu. Elle allait avoir besoin d’un peu de temps avant leur prochain saut de puce, à moins qu’il n’ait une meilleure idée.

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« Au moins... cela nous permet d'être à l'abri. Et de pouvoir passer du temps à étudier cette créature. »

Il vit que la magicienne semblait plutôt fatiguée, et il s'en inquiéta un peu. N'était-elle pas censée être l'une des plus puissantes de son époque ? N'était-elle pas censée être une référence dans son domaine ? Il admettait être surpris de la voir se fatiguer pour une « simple » téléportation. Mais peut-être qu'elle n'était pas au meilleur de sa forme, et qu'elle avait effectivement quelques difficultés. Ou peut-être était un sort beaucoup plus complexe et épuisant que ce qu'on lui avait appris.

L'un dans l'autre, ça n'avait pas d'importance. Il s'approcha d'elle, et la soutint délicatement par un bras en voyant qu'elle n'allait pas bien. Il avisa une chaise, pas très loin ; il alla la chercher, et aida Zatanna à s'asseoir dessus. Tout cela dans un silence stoïque. Qu'aurait-il pu dire, de toute façon ?

« Prenez votre temps pour vous reposer. Nous sommes à l'abri, comme vous l'avez dit, et cela nous laisse donc la possibilité de patienter un peu. Je vais commencer l'examen sans vous. »

Il retourna vers la table, où la créature était d'un calme froid et presque inquiétant. Elle ne bougeait pas d'un pouce, et hormis un léger frétillement qui trahissait sa respiration endormie, il n'y avait pas un son. Activant un gadget sur son bras, Bruce se mit à parler à voix haute, dressant ainsi le pronostic de sa première impression :

« Identité inconnue. L'examen visuel donne les indications suivantes : deux-mètre quatre, relativement lourde, nombreux traits et muscles déformés, allongés. De manière générale, le corps semble avoir subi de profondes mutations d'origine magiques, et visiblement permanente tant que nous n'avons pas trouvé un moyen d'inverser le processus. Impossible de dater la transformation. Le visage est tuméfié, car nous l'avons frappé et assommé. Les cheveux ont disparu, les ongles et les dents sont devenus des griffes et des crocs, et les yeux sont injectés de sang. »

Il appuya sur une touche, et activa par la même le mécanisme de scanner de son masque.

« Poids estimé : entre cent cinq et cent onze kilos. Tissus musculaires profondément endommagés : la plupart des organes et des muscles sont étirés à l'extrême, à la limite de la physique et du supportable. La peau est tendue comme si elle avait, elle aussi, était tirée. Le sujet présente de nombreuses marques laissant supposées qu'on a déjà procédé à des tests sur son corps : brûlures, incisions. Les tendons et autres nerfs sont fortement touchés ; la créature doit souffrir en permanence, ce qui peut expliquer sa haine et sa violence. »

Il passa à un autre filtre de son scanner :

« Les os posent davantage problème. Les coups infligés précédemment ne semblaient avoir aucun effet, de l'extérieur ; pour l'assommer, il a fallu recourir à un choc extérieur. Néanmoins, le scanner montre de multiples fractures aux points ciblés. Toute tentative de retour à la normale devra donc être faite avec une extrême prudence pour ne pas mettre en danger la vie de la personne. »

Il éteignit ses gadgets, maintenant que son analyse physio-corporelle était terminée. Il tourna le regard vers Zatanna, toujours assise sur sa chaise. Il hésita un instant, un bref moment, sur les mots et le ton à employer, puis il prit la parole :

« Vous vous sentez mieux ? J'ai peut-être une idée pour retrouver le coupable. Tout à l'heure, vous avez fait quelque chose qui vous a permis de savoir qu'il y avait encore la conscience humaine derrière la transformation. Seriez-vous capable de fouiller ses souvenirs pour retrouver notre malfaiteur ? »

our war is over

The show must go on. Là encore, elle le reconnaissait bien là. Enfin, elle reconnaissait Bruce en lui, mais il allait bien falloir qu’elle se fasse à l’idée qu’il était Bruce – juste, pas celui qu’elle avait toujours connu. Pas comme un frère jumeau ou un dopperlgänger, vraiment Bruce, aussi identique et différent que pouvaient l’être leurs doubles sur les autres Terres. Sauf qu’ils avaient vraiment beaucoup de points communs. Le double de Zee sur Terre IV n’aurait jamais pu se faire passer pour elle. C’était vraiment injuste. Elle le regardait, assise sur sa chaise, et se disait qu’il aurait pu faire un effort et être petit, blond, avoir une voix de crécelle ou avoir le sens de l’humour, n’importe quoi qui aurait aidé la magicienne à surmonter l’épreuve que l’avoir lui, sous le nez, représentait pour elle. Il y avait de la fatigue mentale dans son état actuel, indéniablement, et devoir fréquenter ce Batman-là y était pour beaucoup, en cet instant. Malgré tout, elle ne dit rien et le regarda faire ce qu’il faisait de mieux, tout en monitorant sa maison et les barrières magiques qui empêchaient la dimension de poche d’être accessible à n’importe qui. Pour ce qu’ils en savaient, les créatures créées par l’idole de Ward pouvaient se renifler les unes les autres de loin. Et elles étaient de la magie, ce qui voulait dire qu’il y avait toujours un risque que ce ne soit pas quelque voile de l’espace-temps qui les empêche de débouler ici. Aussi, elle aurait voulu qu’il évite de dire à voix haute ce qu’il constatait sur la créature, car les effets horribles de la magie sur cette pauvre femme était insupportable à entendre. La magie pouvait vraiment se révéler odieuse, entre de mauvaises mains, loin des merveilles qu’elle était censée prodiguer.

Elle serra les dents jusqu’à la fin de ce rapport, puis se redressa telle l’élève assise au fond de la classe qui se fait soudain interpeller par le prof. Sa question la prit totalement par surprise. Non pas parce qu’elle était inattendue, mais parce que, pour le coup, c’était là une chose que Bruce ne lui aurait probablement jamais demandé de faire, pour des tas de raisons. Elle sentit un sourire étirer ses lèvres. Voilà qui était agréable. Même si c’était une terrible, terrible idée. « Je pourrais le faire, et en vérité nous n’avons pas vraiment le temps de le chercher de manière plus traditionnelle. Cela ne vous choque pas ? Que je force l’esprit de cette pauvre femme de la pire manière qui soit ? » Il y en avait pour qui la morale comptait encore un peu, et lui était censé faire partie de ceux-là. Mais il venait d’un monde où la morale semblait avoir disparu, après tout. Et c’était pour la sauver. Aaah, c’était exactement pour cette raison-là que Zee venait de passer plus de six mois prisonnière de l’influence d’un démon. Parce qu’elle s’était dit que tous les moyens sont bons pour sauver quelqu’un, parce qu’elle refusait de perdre une seule personne de plus. Au lieu de quoi, elle avait déclenché quelque chose qui aurait pu virer au cataclysme. Non pas que Bruce ne prenait jamais de risques, au contraire. Mais il s’agissait toujours de risques calculés. Et il n’y avait rien de prévisible dans la magie, et particulièrement dans cette magie-là. En fait, Zee pouvait très bien y laisser sa propre santé mentale. Il était censé être la voix de la raison. Heureusement, elle aussi, surtout ces derniers temps.

Elle se leva et se plaça face à Batman, de l’autre côté de la table. « N’intervenez pas quoi qu’il arrive. Si ça se passe mal, de toute façon, il n’y a rien que vous pourrez faire. » À part expliquer plus tard à ceux que ça intéresserait pourquoi la grande Zatanna Zatara était désormais un légume se bavant dessus. Mais ce ne serait plus son problème, à elle, si elle en arrivait là. Elle se pencha au-dessus de la créature et de nouveau, posa les mains de chaque côté de son visage difforme. Pauvre, pauvre femme. Et pauvre créature, également, si tout ce qu’avait dit Batman sur son état physique était vrai. La bonne nouvelle, c’était qu’elle n’avait pas besoin de plonger aussi profondément que la dernière fois. Elle ne cherchait pas à contacter la victime, juste à effleurer les souvenirs du monstre. Mais l’esprit du monstre, justement, était comme un gigantesque maelstrom de violence et de pensées chaotiques, sans début ni fin, sans aucun sens. Elle se sentit comme chuter, comme si son propre esprit décrochait, avec la sensation terrifiante de ne plus pouvoir retrouver le chemin de sa propre tête. Impossible de faire le tri là-dedans, impossible aussi de pousser la créature à penser spécifiquement à son maître, alors la magicienne s’ouvrit à tous les moignons de pensée qui la heurtaient avec la violence d’un train, ici une image, ici un son, ici une sensation, souvent primale. Enfin, elle se rejeta en arrière avec une exclamation étouffée, se tenant la tête à deux mains. Oh, comme elle détestait ça ! Elle jeta un regard mauvais à Batman, comme si c’était sa faute – mais n’était-elle pas une grande fille ? Puis elle tendit les mains au-dessus de la table. « À votre tour. Ne résistez pas, et aidez-moi à faire le tri. J’ai vu passer plusieurs endroits de Gotham, mais je n’ai pas pu les identifier, cela vous dira peut-être quelque chose, à vous. » Elle effleura ses tempes, puis retira les mains comme si elle s’était brûlée. « Il se peut… que dans la manœuvre, certaines choses vous appartenant s’incrustent dans nos esprits. Ça ne sera agréable pour personne. » Encore une raison, et peut-être la principale, pour laquelle Bruce aurait préféré se casser les deux jambes plutôt que la laisser entrer ainsi dans sa tête. Mais quoique ce Batman-là ait à cacher, elle était censée s’en ficher, non ? Elle effleura à peine les tempes masquées et laissa le flot d’images qu’elle avait captées dans l’esprit de la créature défiler – un entrepôt, un sol en béton, du matériel industriel, des cages, plusieurs silhouettes sombres, etc.

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Le premier réflexe du Chevalier Noir fut évidemment, d'instinct, de barricader son esprit comme on le lui avait appris. Ayant une volonté presque invincible, il n'avait pas l'habitude qu'on s'immisce dans son esprit pour lui soutirer quoi que ce soit. Il savait résister à des attaques magiques visant l'esprit, dans une certaine mesure, et il savait lutter contre les hallucinations, les toxines et les différents moyens inventés pour faire parler ou plier les gens. Il n'était même pas certain qu'un Green Lantern soit meilleur que lui dans ce domaine.

Il se força à abaisser ses défenses, car il voulait faire confiance à la magicienne et parce qu'il sentait bien qu'elle essayait d'y aller en douceur. Il avait été tellement conditionné, par l'habitude, qu'il s'en voulait presque de ne pas réussir à se laisser totalement faire. Zatanna continua quand même d'utiliser sa magie pour sonder son esprit et l'exposer aux souvenirs qu'elle avait eu de la créature. C'était désordonné, confus, et violent. Des flashs qui n'avaient rien à voir entre eux... et de surcroît, la sensation au niveau du crâne n'était pas agréable du tout.

« Je vois le pont menant à Arkham City. Je m'éloigne d'Arkham... je reviens vers le centre de Gotham. »

Il essaya d'ignorer la sensation douloureuse qui commençait de naître dans son cerveau, et il se concentra sur les visions. Malgré les efforts de la magicienne, il était difficile de voir précisément ce qu'ils espéraient. Tout se chamboulait, tout devenait confus à chaque fois que quelque chose semblait se préciser. Mais petit à petit, Bruce put reconstituer le fil du trajet. Le pont d'Arkham revenait à plusieurs reprises, mais il était presque certain que certaines visions de son propre passé forçaient le passage. Il se vit, plus jeune, en train d'affronter Firefly sur le pont avec l'aide de Jim Gordon. Il se vit en train d'entraîner Batgirl pour la première fois.

« Les visions sont... de plus en plus confuses. »

Il essaya de se reconcentrer. Le voilà de retour dans Gotham, à survoler la ville. Il se vit être suspendu au toit d'un bâtiment, en train d'examiner la ruelle où l'attendait sa prochaine victime. Il vit qu'il y avait aussi une grande distance entre l'endroit et son repaire. Il le sentait, oui, par là-bas ! Une nouvelle vision, un peu confuse, montrant une plaque d'égout. Aussitôt après, la créature se faufilait dans le tunnel sombre, remontant petit à petit les passages à l'odeur nauséabonde avant de s'arrêter près d'une salle de maintenance abandonnée. Bruce reconnaissait l'endroit : c'était près de Wonder City.

« Wonder City... »

Il s'apprêtait à ajouter quelque chose, car ils venaient de réussir à trouver l'endroit potentiel où chercher plus loin. Mais alors qu'il s'attendait à voir la pression retomber, et le contact se rompre, Bruce se retrouva plongé dans une nouvelle série de visions... qu'il reconnut immédiatement. C'était plusieurs années auparavant, lorsque Superman était mort et que la moitié de la planète brûlait. Avant le plan désespéré de se cacher dans une Tour de Garde bâtie sur mesure. Avant la troisième et dernière attaque sur la Terre.

Il était à Gotham, en plein centre. Des Paradémons partout, qui s'en prenaient aux jeunes, aux vieux, aux enfants, sans le moindre discernement. Ils étaient là pour éradiquer, pour éteindre l'espèce humaine, sur les ordres d'un conquérant qui ne voulait que la mort de ses adversaires. Dick et Jason, rarement d'accord, tentaient tant bien que mal de sauver le plus grand nombre. Mais personne n'aurait pu faire quoi que ce soit, pas même le grand Batman, pour les sauver eux. Il voulait hurler, crier, se débattre. Mais il ne put qu'assister, impuissant, à l'assaut d'une Grail sauvage et invincible. Elle pulvérisa Dick d'un coup de rayons Omega, avant de démembrer Jason.

La vision s'estompa, avant de s'arrêter sur le manoir Wayne. Bruce se vit fouiller les ruines, avant de descendre dans la Bat-cave. C'est là qu'il l'a trouva, sa Selina Kyle, défigurée, les os du corps brisés, la peau arrachée. Elle avait été torturée avec une cruauté au-delà de l'imaginable. Alfred n'avait pas survécu à l'effondrement du manoir. Tout son monde était anéanti, et il ne lui restait rien, ni personne. Il ne sentait même pas la présence de Barbara à ses côtés, car il ne pouvait pas se retenir de hurler de pleurer.

Alors qu'il sentait son esprit résister de plus en plus, pour repousser les visions et reprendre le contrôle, il vit une dernière chose : ce moment sur la Tour de Garde, où Citizen Steel et lui assistèrent impuissants à l'assaut de Barda et des Paradémons. Le Batman venu d'ailleurs, plus vieux mais pourtant si semblable, qui se faisait surprendre par l'assaut. Il tentait de résister, vainement, car même lui ne pouvait pas survivre à l'attaque qui créa un trou béant dans son torse... et l'envoya dans le vide spatial. Serrant alors le poing tenant encore le téléporteur dimensionnel, Bruce se sentait empli de colère et de chagrin... car il avait tout perdu. Encore.

La vision s'estompa alors, et il se retrouva de nouveau face à Zatanna, chancelant. Il recula de quelques pas, le souffle rauque.

« Vous... vous avez vu tout ça ? »

Il connaissait la réponse, bien sur. Mais il voulait qu'elle lui réponde.

our war is over

C’était sa faute. Elle était censée garder la main sur cette connexion psychique qu’elle avait établie entre elle et Batman, et elle était censée la maintenir d’une main de fer. C’était à elle qu’incombait le rôle de repousser les pensées parasites. Nul ne pouvait s’empêcher de penser, mais elle, par la magie, pouvait repousser ces pensées en trop. Et si parfois une image franchissait la barrière mentale qu’elle devait garder élevée autour de leurs deux esprits, alors ce n’était pas trop grave, en temps normal. Ce n’était jamais agréable, car bien sûr, dans ces moments, les gens ne pouvaient pas s’empêcher de penser à ce dont ils avaient honte, ou à ce à quoi ils aspiraient le plus ou, le plus souvent, à des épisodes traumatiques de leur vie. C’était embarrassant pour eux, pas vraiment pour Zee, qui n’était pas là pour juger ou condamner. Et toujours, dans ces cas-là, elle reprenait la main, chassait fermement le souvenir, et tout allait bien. Mais cette fois, elle ne le fit pas. C’était sa faute. Pas celle de Batman. Sa faute uniquement si, à cause d’une seule image, d’une seule fraction de seconde, elle perdit sa concentration. Gotham, détruite, en sang, et les gens victimes d’un carnage cruel et vide de sens… En d’autres circonstances, elle aurait pu lutter. Mais dans l’état où elle était après son retour de New Themyscira, elle n’avait aucune chance. Et lui non plus, par définition.

Elle se figea, de corps et d’esprit, et laissa la digue se briser, et les images affluer, se déverser sur elle comme un tsunami. Dans cet instant où ils n’étaient rien d’autre que deux esprits liés par la mégie, elle n’avait pas de mains pour s’arracher les yeux, ou de bouche pour hurler sa détresse, mais pourtant c’était ce qu’elle aurait voulu faire. Dick, vaporisé en une fraction de seconde, comme un homme de sa stature n’aurait jamais, jamais dû disparaître. Et Jason, pauvre Jason… Et Selina – même l’image qu’en avait Zatanna, qui l’avait connue si jeune, ne suffisait pas à repousser la cène de cauchemar qui se déroulait dans son esprit. Elle savait qu’il fallait qu’elle mette un terme à tout ça. Mais, paralysée, elle ne pouvait qu’assister au massacre, comme si elle le voyait par les yeux de Batman, sentant son impuissance, sa rage, sa souffrance, et d’autres émotions si intenses, si violentes et si douloureuses que de simples mots ne suffisaient pas à les décrire. Puis elle reconnut Nate, et aurait voulu lancer les bras vers lui, se saisir de son visage et le supplier de mettre fin à quelque chose qui en vérité appartenait déjà au passé. « Je m’appelle Zatanna Zatara ! Papa dit que tu es venu apprendre le savoir des magiciens. Tu veux devenir magicien toi aussi ? Tu devrais plutôt apprendre à sourire, déjà, c’est important, sur scène ! » Le trou dans son torse, puis la disparition, presque discrète, juste comme ça. Une vie aussi importante éteindre comme la flamme d’une bougie, et les ténèbres qui cessaient de reculer, et le mal qui se réjouissait de gagner cette bataille.

Enfin, elle rompit le lien, avec un cri de détresse, la main plaquée sur sa tempe. Elle ne pouvait pas le regarder, pas tout de suite, ni même répondre à sa question qui n’était que rhétorique de toute façon. C’était trop : comme une gamine, elle éclata en sanglots, mais ses sanglots étaient des larmes de rage, et elle releva la tête pour le fusiller du regard. « Comment est-ce que vous avez pu laisser tout ça arriver ? Comment est-ce que vous avez pu… Ils comptaient sur vous ! Et nous, ici, nous comptions sur lui ! » Elle chassa ses larmes de ses mains et dut s’appuyer sur la table pour ne pas s’écrouler. Pendant quelques secondes encore, elle se paya ce luxe : le détester. Le haïr de toutes ses forces, l’accuser de tout, de n’importe quoi, même de ses malheurs à elle, tant qu’on y était. Juste quelques secondes de plus, se raccrocher à cette injustice qui la dédouanait, elle, de toute responsabilité, avant de toucher à nouveau terre, et la réalité. Puis elle se redressa, et le regarda plus calmement, les bras le long du corps, les yeux encore brillants. « Excusez-moi. Je ne le pensais pas. Ce qui est arrivé à votre Terre, et à vous, et à eux… » Eux, qui étaient aussi ses amis, ses proches à elle, sur cette Terre-là, et qui allaient bien, du moins aux dernières nouvelles… « Je suis désolée pour tout ce que vous avez traversé. » Elle avait déjà trop perdu d’êtres aimés ces derniers temps. Elle ne pouvait pas imaginer ce que lui devait ressentir, ne comprenait même pas comment il tenait debout, si ce n’était qu’il devait partager avec Bruce son stoïcisme poussé à l’extrême, jusqu’au sacrifice. Et soudain, les larmes roulaient à nouveau sur ses joues, en silence cette fois. Parce que cette fois, pour la première fois, elle pleurait enfin la mort de son ami perdu. « C’est à lui que j’en veux. Et à moi. Pas à vous. Pardonnez-moi. » Elle baissa les yeux sur le créature toujours évanouie entre eux, et qui était à présent le cadet de ses soucis. Mais Bruce, à ce moment-là, ne lui aurait-il pas lancé un regard mi-sévère, mi-amusé ? « Toi, Zatanna, te ficher du mal qui marche sur la Terre et répand la souffrance ? Les autres y croiraient peut-être, mais pas moi… » Elle regarda de nouveau Batman. « Montrez-moi votre visage. » Les mots avaient dévalé ses lèvres avant même qu’elle puisse les retenir. Elle ne savait même pas pourquoi elle lui demandait ça.

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Bruce resta stoïque, comme à son habitude. Il avait rapidement remarqué ce trait commun avec son double issu de cette Terre : une façon de se tenir, immobile, sans esquisser le moindre geste ni filtrer la moindre émotion. Leurs parcours avaient été si semblables qu'il pouvait comprendre à la fois la douleur et la beauté de leur ressemblance. Ils avaient été orphelins, puis entraînés, puis étaient devenus le Chevalier Noir de la même façon. Ce n'était qu'après que les choses avaient changé, et tout cela, Zatanna avait pu le voir. Oui, il était tout aussi stoïque que l'aurait été l'Autre.

Mais cela ne voulait pas dire qu'il n'était pas insensible, en voyant la magicienne pleurer la mort de son ami et rejeter une nouvelle fois la faute sur lui. Il pouvait la comprendre, et il savait ce qu'elle avait ressenti, car il l'avait ressenti trop souvent aussi, et trop longtemps. Là était peut-être une vraie différence avec l'Autre : s'il était stoïque et aussi peu émotif, il n'en ressentait pas moins le reste, se contentant de refouler les émotions pour les moments où il serait seul. L'Autre, lui, avait préféré faire des émotions une information inutile, et il ne les laissait jamais franchir ses défenses.

La demande de Zatanna le surprit toutefois. Mais très vite, il comprit pourquoi. Il hésita cependant, suspendant son geste qu'il avait entamé instinctivement. Etait-ce vraiment la bonne chose à faire ?

« Êtes-vous certaine de le vouloir ? »

Il se doutait qu'elle le voulait, mais peut-être que c'était trop tôt ? Il leva quand même les mains à son masque, pour le retirer. Peut-être qu'au final, ce ne serait pas si difficile à voir, pour elle. Car s'il était Bruce Wayne aussi, il avait pu remarque qu'il était plus jeune que l'Autre, et que donc, les traits de son visage étaient légèrement différents, moins usés. Il mit fin à son hésitation et retira le masque, le gardant en main, prêt à le remettre si besoin.

Et comme à chaque fois qu'il le faisait, il se sentait différent. Ça n'avait rien de magique, de technologique ou quoi que ce soit, ce n'était pas un déclencheur qui le faisait passer de Bruce Wayne à Batman, non. C'était une sensation, étrange et diffuse, qui parcourait son corps et son esprit. A chaque fois qu'il faisait ce geste, il se sentait devenir l'un ou l'autre, comme s'il endossait un manteau ou l'enlevait, comme s'il franchissait une porte et changeait de pièce, comme s'il allumait ou éteignait une lumière. Telle était en tout cas la sensation qu'il avait à chaque fois.

Il dévoila donc son visage, fermé et stoïque, à la magicienne, ne cherchant pas à dissimuler ses traits ou même à lui montrer un sourire faux. Il resta tel qu'il était : concentré. Car leur tâche n'était évidemment pas achevée, et il ne fallait pas qu'ils se laissent aller, sous peine de s'attirer des ennuis plus gros. Ils n'avaient pas besoin que soudainement, les créatures cachées à Wonder City et menées par un sorcier fou se mettent à débarquer ici, en plein instant émotion.

« Je ne pourrais rien dire qui allégera votre peine, Zatanna. Mais je suis tout de même désolé de ce qui est arrivé. Si j'avais pu changer les choses, je le ferais. Toutefois, je suis certain qu'il n'aurait pas voulu que vous pleuriez sa mort. Vous le connaissiez : borné et stoïque comme une tombe. Il aurait voulu que vous acceptiez sa mort et poursuiviez le combat. »

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Elle n’était pas certaine de le vouloir. Elle n’était certaine de rien, de toute façon. De manière générale, et en particulier ici et maintenant, en présence de cette homme, et en l’absence de Bruce. Elle ne savait même pas pourquoi elle lui demandait une chose pareille, et ne savait pas ce qu’elle espérait en faisant ça. Si elle voulait qu’il ait son visage, parce qu’elle voulait le revoir encore une fois, juste une dernière fois, sachant qu’elle ne le reverrait en fait jamais ailleurs que dans ses souvenir. Ou si au contraire, elle ne supporterait pas qu’il porte ses traits comme un masque de carnaval, et si, alors, elle ne se jetterait pas sur lui toutes griffes dehors pour lui arracher cette image d’un homme qu’il n’était pas et ne serait jamais, en tout cas pas pour elle. Elle faillit se raviser, aussi, en le voyant s’exécuter, et sentit un peu de panique la gagner comme il portait les mains à son masque. Mais elle ne dit rien. Et n’aurait pas pu se préparer à un cas ou à l’autre de toute façon. Quand elle découvrit son visage, cela lui fit un choc, un véritable coup de poignard dans le cœur. C’était lui. Bien sûr que c’était lui. Plus jeune, en vérité, son âge à elle. Malgré les tourments, il n’avait pas encore laissé le temps apposer la marque des épreuves sur son visage. Mais sinon, elle ne voyait aucune différence, et pourtant, elle ne se priva pas de le dévisager. Si elle avait connu Bruce quelques années auparavant seulement, peut-être que cela l’aurait moins choquée, mais ce visage, elle l’avait vu. Elle avait vu un jeune Bruce devenir un Bruce pleinement adulte et porter ce visage, ce visage avait fait partie de sa vie. Alors, ça faisait toujours aussi mal. « Cela me rappelle des souvenirs... » souffla-t-elle, la gorge serrée. Mais qu’est-ce qu’il y pouvait, de toute façon, lui ? Il était ce qu’il était.

Elle parvint à arracher son regard de son visage quand il reprit la parole, et son premier réflexe fut de nouveau de laisser une colère bienvenue l’envahir. Il parlait comme s’il l’avait connu. Mais il ne savait rien de Bruce Wayne. Ce n’était pas parce qu’ils portaient le même visage qu’ils étaient les mêmes, c’était bien là d’ailleurs la chose dont il fallait qu’elle se convainque de toutes ses forces. Non, il ne savait rien de Bruce. Mais évidemment, il avait raison. Bruce aurait voulu qu’ils se remettent au boulot exactement comme ce Batman-là voulait se remettre au boulot. Tous les deux, ils avaient les mêmes travers – et la même façon de l’énerver, bordel. Elle haussa les épaules. « Eh bien, moi je n’ai pas envie d’accepter sa mort, et il n’est plus là pour me le reprocher. » Il n’avait qu’à pas mourir, tiens. Maintenant, elle pouvait se montrer aussi émotive et irraisonnée qu’elle le voulait. Enfin, non, elle ne pouvait pas puisque ce Batman-là parlait comme l’autre. Elle secoua la tête avec véhémence. « Ne parlez pas de ce qu’il aurait voulu s’il vous plaît. Vous avez raison, mais ça ne veut pas dire que lui aurait eu raison. » Elle se comprenait. Elle inspira un grand coup puis détourna le visage, le laissant remettre son masque s’il en avait envie. Et elle était sûre qu’il allait le faire, puisqu’ils avaient du boulot.

« Wonder City, alors ? Si Zard est là-bas, ça nous faciliterait la tâche, mais j’ai dans l’idée qu’il s’est bien entouré. » Est-ce qu’il aurait fallu qu’ils appellent des renforts ? Cela embêtait toujours Zatanna de mêler la Jutice League à des histoires de magie. Un Superman ou une Wonder Woman sous influence magique, c’était pire que la pire des apocalypses. Batman, au moins, était humain. C’était une rude vérité, mais elle aurait encore une chance de l’empêcher de faire du mal à quelqu’un s’il se faisait lobotomiser par la magie, alors qu’avec les Barry et autres Hal, même pas en rêve. Quant à appeler ses éminents confrères du monde de la sorcellerie… Elle n’avait pas envie. Pas envie de les mêler à un problème qui était le sien, et pas envie non plus de les faire croiser ce Batman. Pas encore. C’était trop tôt. « Cette pauvre femme peut rester ici, elle ne pourra pas sortir de la dimension de poche. On y va déjà pour faire de la reconnaissance ? » Et si ça chauffait trop, nouveau plan ? Elle savait d’expérience que ses plans à elle foiraient toujours, mais avec Batman, on ne savait jamais, ça pouvait ne pas trop mal tourner. Elle fit apparaître une porte dans le mur, qui donnait tout simplement dans son salon, lequel donnait tout simplement sur une banale rue de Gotham, tout près d’Arkham. « J’ai une moto dans le garage, si ça vous intéresse. » Et bien sûr, cela la fit penser à Dutch, qui avait réparé sa Yamaha R3 noire juste avant de mourir. Elle espérait presque que tout tourne mal et qu’il y ait de la bagarre, désormais.

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Wonder City, que ce soit sur cette Terre ou ailleurs, resterait toujours la même : un dédale labyrinthique de tunnels, de rues sombres et sales, de bâtiments souterrains qui avaient réussi, on ne sait comment, à survivre au passage du temps. Nombre de superstitions existaient au sujet de cet endroit, parmi les Gothamites. Pour certains, il s'agissait d'un lieu maudit, dangereux, abandonné de tous sauf de machines étranges et de criminels un peu trop aventureux. Pour d'autres, il pouvait s'agir d'un repaire pour se cacher en cas de problème, et la mairie avait toujours la possibilité d'évacuer la ville par Wonder City. Mais pour la plupart, il s'agissait d'un endroit aussi mystérieux qu'incongru. Ironiquement, l'antique cité, juste sous les pieds des Gothamites, n'existait pas à leurs yeux.

La Ligue des Assassins avait eu un repère ici, jadis, avait-il lu dans les dossiers du bat-ordinateur. Il avait été démantelé brutalement suite à un combat entre Ra's Al'Ghul et leur Batman, de nombreuses années auparavant. Mais même ainsi, dans les tunnels, il y avait de quoi être intimidé par toute cette antique ville. Vide, silencieuse, immense, Bruce se demandait si cet endroit avait eu une chance réelle, un jour, de prospérer comme avait pu le faire la ville à la surface.

« Restons sur nos gardes. Zard et ses créatures ne sont peut-être pas les seuls dangers que nous pouvons rencontrer ici... »

Il jeta un coup d’œil à Zatanna, de biais, comme pour s'assurer qu'elle était toujours là, avec lui. Il ne doutait pas qu'elle était encore sous le choc de leur discussion ; il fallait veiller à ce que tout cela n'influence pas sa vigilance. Elle semblait assez professionnelle pour ça, mais les émotions pouvaient souvent former un piège particulièrement retors et ce, au moment où on s'y attendait le moins. Bien sur, Batman était capable de se maîtriser au point de ne pas y céder... mais il ne connaissait pas la magicienne. Et il l'avait vu avoir certains accès émotifs depuis le début de leur collaboration.

« Vous avez entendu ? »

Il parlait à voix basse, car le bruit qu'il avait perçu était assez lointain... mais dans ces tunnels et ces halls, tout ce qui brisait le silence se répandait en écho sur une longue distance. Il essaya d'analyser le bruit qu'il avait entendu, mais il n'avait malheureusement pas beaucoup de moyens de deviner de quoi il s'agissait. A ses yeux – ou plutôt, à ses oreilles – il pouvait s'agir aussi bien d'un crissement que d'un sifflement, aussi bien d'un souffle que d'une exclamation. Il avançait en tête, le regard alerte, prêt à bondir si on tentait de l'attaquer ou d'attaquer Zatanna.

« C'est fort aimable à vous d'être venus nous voir... mais vous ne serez bientôt plus là pour m'avoir ! »

Cette voix, indéniablement celle de quelqu'un d'autre que Bruce ou la magicienne, résonnait tout autour d'eux, dans la pénombre. Tous ses sens en alerte, le Chevalier Noir serra les poings, prêt à agir. Si c'était Zard qui avait parlé, alors il ne devait pas être loin. Peut-être même qu'il était juste là, dans leur dos, ou sur le côté.

« Vous devriez peut-être vous mettre à l'abri. Mes créatures ne vont pas tarder à sortir. »

Un bruit de cavalcades se fit alors entendre dans leur dos... et se retournant, Bruce put constater que plusieurs formes massives fonçaient dans leur direction.

« Derrière nous ! »

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Pas étonnant que Zard ait trouvé refuge dans cette cour des miracles infernale. Même si elle ne pensait pas vraiment que cet endroit était infernal. Pour le meilleur ou pour le pire, c’était un refuge, elle en connaissait d’autres, des endroits de ce genre, plus fréquentables parfois, moins fréquentables parfois. Et elle savait à quoi ressemblait le véritable enfer, sous Wonder City sous Gotham, et l’endroit n’avait rien à voir avec ça. Dommage pour Zard, d’ailleurs, ça lui aurait permis de s’habituer à ce qui l’attendait En Dessous quand il irait frapper à sa porte. Quoi qu’il en soit, les deux super-héros sombres et malheureux qu’ils étaient, vêtus de noir l’un comme l’autre évidemment, se glissait dans le labyrinthe sans un bruit, avec l’agilité et la discrétion de l’habitude, et tant pis si cette situation n’avait rien d’habituel. Batman avait bien raison quand il parlait de dangers autres que Zard, mais en ce qui concernait la magicienne, elle était tout entière concentrée sur le sorcier et brûlait d’envie de lui mettre la main et d’en finir, autant pour se défouler que pour se changer les idées, et même que pour en finir au plus vite avec sa collaboration contre-nature avec cet homme. Et bien sûr, dans ce coupe-gorge souterrain digne d’un film d’horreur, il y eut un « bruit ». Elle se figea comme lui, aux aguets, mais n’entendit rien jusqu’à ce que quelqu’un se fasse effectivement entendre, avec toute l’arrogance et la stupidité d’un type qui croit sincèrement pouvoir mener son plan maléfique jusqu’au bout. C’était à croire que Zard n’avait jamais vu de film.

Au cri d’avertissement de Batman, Zee se retourna et, avisant la horde qui fonçait vers eux, leva les mains. « aL erriep tiaf egarrab ! » Loin d’eux et juste sous le nez des créatures, le souterrain se resserra et une barrière de pierre se forma. Sachant que ça n’allait pas les ralentir plus d’une seconde et demie, elle ne s’arrêta pas là cependant, créant entre la horde et Batman et elle une vingtaine d’épais murs en pierre. « Et maintenant, je propose qu’on avance vite fait. » Plutôt que de courir – c’était si banal ! –, elle s’éleva à quelques centimètres du sol et fonça ainsi, comme debout sur des patins à roulette invisibles, sachant parfaitement que Batman avait l’endurance et la force de courir pendant dix jours d’affilée s’il le fallait. « Quand on mettra la main sur Wizard, il faudra absolument récupérer l’idole de Diabolu. Sans la casser ! On n’a aucune idée de l’effet que ça aura si on détruit ce machin. Si seulement c’est possible. » La dernière fois, elle avait essayé. De dépit, elle avait fini par la cacher, ce qui avait fini par conduire à cette situation. Cette fois, elle chercherait un peu mieux comment se débarrasser de cet artefact insupportable. Ou bien elle le confierait à Kent et ce sera sa responsabilité, et de toute façon le sorcier adorait ça, les responsabilités et les vieux machins antiques et magiques. « Parce que vous pensez vraiment pouvoir m’attraper ? » Zee laissa échapper un grognement. « Mon père disait de vous que vous étiez un piètre magicien et maintenant je comprends pourquoi ! On s’ennuie à mourir, avec vous, Zard ! Vous nous rembourserez le billet d’entrée ! »

Ce qu’il y avait de bien, avec les gens qui avaient un ego un peu trop gonflé, c’était qu’ils avaient du mal à ne pas réagir quand on les titillait sur ce qui les agaçait précisément. Zatara avait effectivement parlé de Zard en des termes peu flatteurs. Il était un sorcier respectable en termes de puissance et de connaissances, à défaut de l’être en termes de réputation, mais il n’avait jamais été brillant sur scène. La magie ne suffisait pas, il fallait avoir le sens du spectacle, et John Zatara, puis sa fille après lui, lui avaient toujours fait de l’ombre. « Engeance maudite, tu finiras comme ton père ! » Et bla, et bla, et bla. Il avait à peine commencé à parler que Zee avait posé une main sur le mur à sa droite sans cesser d’avancer, alors que dans leurs dos, les créatures s’étaient débarrassées des barrières de pierre et les rattrapaient. Il n’y avait pas de haut-parleurs, ici. Zard se faisait entendre grâce à la magie, et toute magie laissait une trace. Zee désigna un embranchement à Batman devant eux et montra la droite, puis plus loin encore la droite. Ils se rapprochaient. « Est-ce qu’on tente de semer la horde qui nous court après ou est-ce qu’on les amène à lui ? » L’idée la faisait rire, mais ils ne savaient pas dans quelle mesure Zard contrôlait les créatures. Était-il seulement possible d’en contrôler autant ? Les contrôlait-il vraiment, d’ailleurs ? Ils allaient bientôt le savoir.

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Bruce réfléchissait à toute vitesse, sachant qu'ils n'avaient pas beaucoup de temps pour réussir à retrouver Zard. Les créatures, dans leur dos, étaient assoiffées de violence et ne cessaient de se rapprocher un peu plus à chaque instant ; même les barrières mises par la magicienne ne semblaient pas avoir d'effet si durable que cela. Si cet adversaire n'avait pas été un magicien, peut-être qu'il aurait pu laisser Zatanna s'occuper des personnes transformées, et qu'il serait allé de lui-même capturer le sorcier fou. Mais là... il se savait en danger, seul, et il ne voulait pas prendre de risques inutiles.

Toutefois, les indications de la brune ne le satisfaisaient pas. Pas parce qu'elles n'étaient pas bonnes ou précises, mais bien parce qu'il commençait à voir à peu près où tout cela menait. Il reconnaissait l'endroit où ce tunnel débouchait... et où le duo finit par déboucher.

« Si Zard se cache là où vous le dîtes, alors il est dans l'ancienne place du marché. Un lieu où ne ne pourrions pas nous cacher, ou difficilement, et où il serait en position de nous attaquer avec autre chose que des créatures... »

Batman restait Batman, qu'importe la planète, qu'importe la dimension du Multivers. Il avait toujours une idée.

« Nous devrions pouvoir le surprendre. S'il est ici depuis longtemps, il doit connaître les moindres recoins de cet endroit. Par conséquent, il sait par où fuir si nous arrivons par-là. Il y a de nombreux autres tunnels de l'autre côté, qui mènent à l'ancien repaire de la Ligue des Assassins. Le puits de Lazare qui s'y trouve doit certainement être encore actif, et il faut espérer qu'il n'en ait pas trouvé l'accès. »

Son regard, bien que masqué, accrocha celui de Zatanna, et il espérait qu'elle comprendrait ce qu'il voulait dire, ou plutôt ce qu'il essayait de faire. Zard les écoutait, et s'il n'avait pas découvert le puits, alors cette nouvelle allait l'intéresser grandement. Bien sur, tout ceci relevait du mensonge, car d'après ce qu'avait lu le Chevalier Noir dans les dossiers du bat-ordinateur, le puits de Lazare avait été détruit par son prédécesseur. Le sorcier ne pouvait rien trouver... mais le duo pouvait réussir à l'y piéger et à le neutraliser là-bas.

Tout ce qu'il fallait, c'était que Zatanna comprenne ce qu'il essayait de faire, ou qu'elle lise ses pensées suffisamment pour voir ce qu'il voulait faire. Par précaution, il fit un léger geste de la main, au niveau de sa tête, pour essayer de l'aider.

« Si nous partons tout droit, nous tomberons directement sur un tunnel de maintenance ; d'antiques machines y sont peut-être encore, mais c'est un risque à courir. Le puits était situé sous la place du marché, mais pour y accéder, il fallait descendre assez profondément. »

Malheureusement, le temps d'expliquer tout ça, les créatures avaient réussi à les encercler. Elles grognaient, hurlaient, et c'était là aussi le but recherché par Bruce : tromper tout le monde. Toutes ces personnes transformées, qui raisonnaient maintenant comme des animaux particulièrement féroces, n'avaient plus qu'à se jeter les unes après les autres sur eux pour les réduire en charpie. Mais Batman avait d'autres plans. Il prit soudainement le bras de Zatanna, et de l'autre, lança une fumigène puis utilisa son grappin pour les faire monter très haut... sur une passerelle près du plafond.

Une méthode classique.

Mais qui fonctionnait toujours. Lâchant le bras de la jeune femme, il s'assura qu'elle était en équilibre et ne tomberait pas.

« Désolé. Le but était de fausser les pistes, avec Zard qui nous écoutait. Maintenant, il va essayer de trouver l'ancien puits de Lazare. Venez. Ce sera l'occasion de l'arrêter. »

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Bien sûr, que celui-ci aimait aussi une bonne petite guerre psychologique. Au début, elle crut qu’il avait perdu la tête, mais tous ces détails, tout ce discours bien trop fouillé et étoffé pour un type comme lui, qui n’avait que peu de sens… Et c’est parce qu’elle ne comprit pas où il voulait en venir au début en écoutant ses propos qu’elle comprit où il voulait en venir réellement. Elle fronça le nez et agita la main. « Ugh, j’ai horreur de ces stupides puits de Lazare. Et dire que vous aviez promis de vous débarrasser de toutes ces abominations… » En vérité, elle s’en fichait de ces puits. C’était grâce à l’un d’eux que Jason était vivant, même si ça n’avait pas été sans conséquences. Et la vie et la mort étaient des concepts très relatifs, pour les magiciens et les sorciers. Bien sûr, le seul problème, c’était que ces puits débiles attiraient les gens malintentionnés comme le miel attirait les ours. Comme la promesse de celui-ci attirerait probablement Zard. Batman dans toute sa splendeur : en bon contrôle-freak, il voulait se battre sur le terrain de son choix, dans un endroit dont il connaissait probablement tout, jusqu’à la moindre sortie de secours. Bon, et bien Zee ne cracherait pas sur un tel avantage, et en vérité, c’était brillant, évidemment. Exactement ce qu’aurait fait Batman. Il allait falloir qu’elle arrête de se faire ce genre de réflexions.

En attendant, leurs poursuivants les avaient encerclés. Zatanna s’apprêtait à lancer n sort un peu plus offensif que les précédents, répugnant à faire du mal à ces choses, même si elles étaient terriblement résistantes, lorsque Batman lui fit le coup classique du fumigène et du grappin. Elle aurait dû s’y attendre, du moins de la part du Batman originel, mais celui-ci avait acquis les mêmes techniques, a priori. Une fois à l’abri sur la passerelle, elle regarda en bas. Les fumigènes se dispersaient doucement et les monstres fouillaient la brume à leur recherche. Zee croisa les doigts devant sa bouche et souffla un sort à l’envers. De découpant dans la fumée, comme un pochoir, leurs deux silhouettes apparurent et quelques créatures se jetèrent à leur suite, les autres suivant le mouvement. Mais les silhouettes sombres disparurent, au profit de deux autres leur ressemblant un peu plus loin. Zee se redressa. « Ça durera le temps que ça durera. » C’est-à-dire pas longtemps, dès qu’elle se serait éloignée d’ici. Elle repartit d’un pas agile, pliée en deux sur la passerelle pour éviter d’attirer l’attention, même si elle doutait que les créatures aient seulement l’idée de lever les yeux.

« Vous aviez un équivalent de Wonder City chez vous, ou bien vous avez étudié les plans de Batman ? » Elle l’imagina en train d’errer dans le manoir de Bruce, en train de prendre ses marques dans la batcave, et ne put s’empêcher de grimacer. « Vous avez décidé de… prendre sa place, ici, à Gotham ? » Était-ce le moment de parler de cela ? Absolument pas. Bruce lui aurait simplement grogné dessus. Mais il n’était pas Bruce. Et ils allaient devoir encore courir quelques minutes avant d’atteindre leur but. « Qu’en pensent les autres ? Les petits, et… Alfred… » Oh, pauvre, pauvre Alfred. Il avait perdu Thomas et Martha, et à présent, il avait perdu son maître Bruce. Que pensait-il de ce doppelgänger impromptu qui portait le visage de son ancien maître ? Zee se jura qu’aussi difficile que ce soit, elle irait lui rendre visite, après toute cette histoire. Les autres pouvaient compter les uns sur les autres, ou bien avaient des proches qui pouvaient prendre soin d’eux. Mais ce pauvre Alfred… Oui, vraiment, c’était le moment parfait pour parler de ça. Mais, eh bien… rien à faire. La vie était drôle comme ça, des fois.

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« Vous vous posez beaucoup de questions, Zatanna. En d'autres circonstances, je vous aurais demandée d'attendre qu'on soit sorti d'ici pour que nous en parlions, mais... je suppose qu'il vaut mieux vous répondre maintenant. »

Ils avaient un peu de temps. La direction qu'ils prenaient étaient un raccourci très rapide pour le lieu de Wonder City qu'ils cherchaient à atteindre : Bruce avait bien choisi l'emplacement, et il savait parfaitement comment gérer la situation désormais. Zard était un sorcier, mais il avait des faiblesses parfaitement humaines et qui ne le protégeraient pas d'une attaque surprise de la part du duo. Tout en marchant d'un pas vif mais léger, le Chevalier Noir se mit à répondre à la magicienne.

« Wonder City existait aussi dans ma Gotham. Elle était exactement la même, à ceci près que je ne pense pas y avoir croisé Zard un jour. A vrai dire, je ne suis même pas certain d'avoir croisé aucun des magiciens les plus connus de votre planète : vous-même, Constantine, et les autres. Certaines rumeurs parlaient, avant l'Exil, d'un magicien en armure dorée qui tentait de repousser Darkseid. J'ignore ce qu'il est advenu de lui, mais son sort ne fut sans doute pas enviable. »

Il continua d'avancer en silence pendant quelques instants, avant de reprendre la parole. Son ton était beaucoup plus chargé, pour le reste des questions, car le sujet était d'autant plus délicat. Toutefois, la question sur les petits lui arracha une légère exclamation.

« Ha. Ils ne sont pas si petits que ça, pourtant. »

Mais il voyait bien ce qu'elle voulait dire par là.

« Pour être tout à fait honnête avec vous, je ne sais pas encore comment je veux me placer. Je suis arrivé il y a peu, dans des circonstances dramatiques, au-delà de l'imagination, et pour autant, même en l'ayant vécu, je peine à distinguer la réalité du rêve. Parfois je me réveille en me disant que je ne fais que cauchemarder, et que je suis encore là-bas, dans la Tour de Garde, à attendre la mort ou une aide qui ne viendra jamais. Par définition, étant le seul Batman sur Terre, je devrais prendre sa place, oui. C'est ce que beaucoup attendent, c'est ce qui semble se faire. Gotham a besoin de son symbole. »

Il repensa alors à ce qu'il s'était passé avec Alfred, et avec Barbara.

« Barbara m'a clairement exprimé qu'elle allait respecter les volontés de votre Batman, et prendre la tête de la famille. Je n'ai pas cherché à l'en dissuader : je suis un étranger pour vous, littéralement dans la peau d'un autre. C'est peut-être mieux pour tout le monde si nous agissons comme ça. Elle peut gérer tout cela bien mieux que moi. Alfred... je ne sais pas comment il fait. »

Ils étaient restés pratiquement une après-midi entière assis, l'un en face de l'autre, sans un mot, dans le salon principal du manoir.

« Nous avons parlé, beaucoup. A cœur ouvert, lui comme moi. »

Jusqu'à ce qu'à un moment donné, le vieux majordome se lève, et qu'il demande si Maître Bruce désirait un thé.

« Puis nous avons chacun vaqué à nos occupations pendant le reste de la journée. Je l'ai peu croisé, et je suis presque certain qu'il a préféré garder son chagrin pour lui-même. Je pense qu'il refuse le deuil car même si votre Batman est mort, je suis là à sa place. Il n'y a pas de vide. »

Alfred l'avait rejoint en silence, tardivement, dans la Batcave. Il lui avait donné les accès complets au bat-ordinateur, puis s'était remis à travailler comme si de rien n'était.

« Ce fut... difficile, même pour moi. Vous l'avez vu, j'ai perdu tous mes proches il y a longtemps. Mais je ne peux malheureusement pas me laisser aller à tout ça et y penser en permanence. Je préfère ranger tout ça dans un coin de mon esprit quand je porte le masque. »

Il continua alors d'avancer, de nouveau muré dans le silence, alors qu'ils approchaient de l'endroit où ils allaient trouver et piéger Zard.

our war is over

Elle fut étonnée qu’il accepte de répondre à ses questions. Et soulagée, aussi. Elle arrivait à songer à Bruce avec amusement, sur ce coup-là : lui, il l’aurait gentiment mais fermement envoyée balader. Mais ce Batman-là se pliait à l’interrogatoire, et Zee lui en fut reconnaissante, sous pouvoir le lui dire non plus. Elle était fatiguée de toujours le comparer à Bruce, même si c’était inévitable, et même si elle savait qu’elle ne pourrait pas s’empêcher de le faire pour l’éternité. Mais lui n’avait pas à subir cette comparaison perpétuelle. Il était au courant, plus que quiconque, de qui il était, et de qui il n’était pas. Pour elle, ses réponses étaient une distraction bienvenue. Ne pas penser à la mort de Bruce. Ne pas penser à tout le mal qu’elle-même avait causé sur New Themyscira. Ne pas penser à tout ce qu’elle ne voulait plus faire, tout ce qu’elle n’était plus capable de faire. Ne même pas penser à cet imposteur de Zard. Et puis, elle devait bien se l’avouer : il y aurait toujours un côté fascinant aux histoires de Terre parallèle. Elle n’avait pas vraiment apprécié son double de Terre-IV, ignoble parricide et furie de Diana, mais n’avait pas non plus vraiment profité de sa mort. Elle ne saurait rien de son double sur la Terre de Bruce, mais pouvait capter d’autres pans de l’existence d’amis ou d’ennemis. Un magicien en armure dorée, celui lui évoquait quelque chose bien sûr, et c’était intéressant de savoir sur la Terre de ce Batman, les magiciens s’étaient battus contre Darkseid. Ici, d’autres avaient assumé cette charge, mais pour le meilleur, puisque la Justice League était née de ce moment.

Et oui, les « petits ». Pour elle, c’était ce qu’ils étaient par rapport à Bruce. Même si Dick n’était pas beaucoup plus jeune qu’elle, malgré tout, elle les avait tous vus arriver, grandir, devenir ce qu’ils voulaient devenir, du premier au dernier en date, des enfants, des petits. Qui n’auraient jamais dû être privés de leur mentor. Orphelins à nouveau, pour certains d’entre eux. Orphelin de chair et de sang pour Damian. Elle aurait dû être à ses côtés, même s’il n’aurait certainement pas voulu de sa présence. Mais elle aurait dû. Sauf qu’elle ne pouvait pas. Au moins savait-elle qu’ils ne seraient pas seuls, tous. Aussi paradoxal que ce soit, Bruce avait su créer une vraie famille, nombreuse et anarchique, mais pas du genre à éclater à cause d’un détail aussi insignifiant que sa disparition. « Je suppose que Gotham a besoin d’un symbole, oui. Mais je pense qu’elle s’accommoderait très bien d’un symbole un peu différent tant que le résultat est le même. Les gens se fichent de qui les aide, tant qu’on les aide. » Ce n’était pas comme s’ils jouaient aux super-héros parce que la paye était bonne ou pour la célébrité. Zee n’attendait pas des autres qu’ils la remercient quand leur sauvait les miches. Et en la matière Gotham était particulièrement cynique. Les gens en bavaient. Que ce soit Batman ou Dogman ou Manman qui affichait son signal lumineux dans le ciel, peu leur importerait. Elle haussa les épaules. « Vous n’êtes pas lui. Vous ne le serez jamais. Vous ne ferez que décevoir les autres si vous essayez de l’être, et vous deviendrez cinglé à force d’essayer, en plus du reste. Sentez-vous libre d'être vous. » S’il voulait vider les comptes de Bruce et aller se dorer la pilule aux Baléares jusqu’à la fin de sa vie – qui s’annonçait courte, Brainiac oblige –, il n’avait qu’à le faire. Même si elle le soupçonnait d’être pétri des mêmes valeurs que Bruce. Non, il ne partirait pas. Et il préférerait souffrir en silence en se forçant dans un moule qui n’était pas tout à fait le sien, probablement… N’empêche, la mention de Barbara lui arracha un sourire furtif. You go girl.

Parler d’Alfred fut beaucoup plus douloureux. Elle imaginait cet homme formidable brisé par la douleur, mais toujours digne. Digne à jamais. Elle les imaginait tous les deux dans l’immense manoir, ce Bruce dépouillé de sa Terre et de sa vie, étranger en sa demeure, et Alfred, qui jouerait son rôle jusqu’au bout, comme deux inconnus se supportant l’un l’autre puisque c’était ainsi. Alfred devait avoir l’impression d’avoir failli, à toute la famille. Mais les petits avaient encore besoin de lui. Et ce Batman-là avait définitivement besoin de lui. Surtout s’il comptait toujours enfiler son masque, comme il le disait lui-même. « Vous avez raison, c’est bien plus facile d’enfiler une cape et de faire semblant. » Elle avait dit ça d’un ton presque amusé – pas moqueur, mais amusé, parce qu’elle était persuadée que Bruce faisait pareil, et d’ailleurs, elle-même faisait pareil, cape ou pas cape. Tous, ils étaient les mêmes. S’occuper des problèmes des autres, c’était ne pas avoir le temps de s’occuper des siens, pensez-vous ! Et en plus, on avait la conscience tranquille. Zee avait masterisé ce concept de fuite douce. « Vous avez gagné une seconde chance. Je suis presque jalouse. Je regrette de ne pas avoir été là pour lui, de ne pas avoir pu le sauver, ou au moins essayer. De ne pas avoir senti venir ce moment. Je m'en voudrai toute ma vie. Plus de seconde chance pour lui et moi. Mais vous savez ce que c'est, j'imagine. Alors pour une fois que vous en avez l'occasion, vous devriez faire ce que vous voulez. Enfin, jusqu’à ce que Brainiac nous vaporise tous, évidemment. » Il avait gagné un répit, mais un répit seulement, en venant ici.

Tout ça les avait amené jusqu’à leur destination. Le souterrain s’élargissait sur une salle plus vaste, aux allures un peu moins bétonnée, comme si le souterrain, ici, se confondait avec le sous-sol naturel de Gotham. Bien sûr, ils ne trouveraient pas de puits de Lazare. Mais avec un peu de chance, ils trouveraient un Wizard. C’était bien pour cela qu’ils étaient venus. Mais comme tout était dans l’effet de surprise, Zee murmura une formule et devint invisible, laissant à Batman le soin de se cacher dans les ombres à sa façon – s’il y avait bien une chose qu’ils savaient faire, c’était ça. Il semblait que Zard n’était pas encore là, ça leur laisserait une minute ou deux pour faire du repérage. Se préparer. Ne pas foncer dans le tas les yeux fermés en se disant que « ça irait ». Batman-style. Tu serais fier de moi.

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Agenouillé dans l'obscurité, Batman resta silencieux cette fois. Il ne savait pas quoi répondre à Zatanna qui n'aurait pas été tranchant, cinglant, froid et presque méchant. Il ne lui en tenait pas rigueur, bien sur, mais il avait rapidement compris qu'elle prenait beaucoup de choses à cœur, et que des mots pouvaient parfois la blesser sans que ce soit l'intention. Qu'aurait-il pu lui dire, de toute façon ? Que oui, il comprenait ? Elle le savait déjà, elle n'était pas stupide et il réalisait bien que la magicienne faisait des efforts avec lui. C'était louable, mais il ne pouvait pas faire mieux et lui rendre ce qu'elle avait perdu. Pas plus qu'elle ne le pouvait.

Entre ce qu'il voulait faire, ce qu'il aurait voulu faire du moins, et ce qu'il pouvait, il y avait une distance si grande qu'elle dépassait sa propre imagination. Un néant total, un vide incommensurable qui ne pourrait jamais ni se combler, ni s'effacer. Tout au plus pouvait-il s'agrandir et devenir encore plus grand, encore plus vaste, encore plus fort. Mais c'était ce qu'il s'était juré de faire : pour la deuxième fois de sa vie, il avait fait vœu de se consacrer à sa mission. Il était le Chevalier Noir, et Gotham avait besoin du Batman, quoi qu'en dise Zatanna. Le justifier avait beau venir d'une autre Terre, les choses étaient ce qu'elles étaient : on avait besoin de lui.

Il laissa son regard tomber dans les profondeurs, où Zard finit par apparaître. Il tenait à la main une étrange boule de cristal, qui brillait d'un éclat terne, et semblait parler tout seul.

« Oui, oui, je vais le trouver ! Le Puits de Lazare sera à nous, et nous serons invincibles. Ra's Al'Ghul n'a pas voulu me donner l'emplacement exact, mais cet abruti de Batman a révélé l'emplacement. Il n'est pas aussi intelligent qu'on le dit... quoi ? Que dis-tu ? Non, non, il n'y a personne avec nous. Les bêtes sont parties en chasse, elles les trouveront bientôt. »

Le magicien ne parlait pas seul ; il parlait à la boule de cristal. Bruce, presque entièrement dissimulé dans le noir – de fait il l'était, sauf pour Zatanna – interrogea la magicienne du regard.

« Alors, nous y sommes ? Oui, nous y sommes. Je peux sentir qu'il y a eu de la magie, ici. Voyons, voyons... »

Le Chevalier Noir fit un geste à l'intention de Zatanna, lui indiquant de descendre en silence. Lui-même se redressa, puis se laissa chuter au sol, plus mètres plus bas, avant d'atterrir dans le silence derrière le dos de Zard. Ce dernier semblait obnubilé par sa conversation et sa recherche infructueuse du puits de Lazare... qu'il ne trouverait évidemment jamais. Le magicien s'approcha doucement de la paroi de pierre, passant sa main dessus.

« Oui... oui... ma chère Lorelei, je le sens ! Ma chère et tendre féérique épouse, je le sens... nous allons bientôt pouvoir... »

« Non. »

Théâtral, et un brin prétentieux, mais Bruce ne laissa aucune chance au sorcier. A peine avait-il commencé à parler qu'il saisissait la tête du magicien et la projetait contre le mur de pierre, assommant leur adversaire. La boule de cristal roula au sol, et l'espace d'un instant, on aurait pu croire qu'un sifflement rageur s'en extirpait. Le Chevalier Noir se pencha pour fouiller le corps de Zard, mais ne trouva malheureusement rien du tout.

Inquiétant.

« La boule de cristal, est-ce que ce pourrait être l'artefact que vous cherchez ? »

Sa question trouva alors une réponse, mais pas celle qu'il attendait :

« J'ai bien peur de devoir vous décevoir, Batman et Zatanna. L'artefact est ici, avec moi. Et vous, vous allez mourir pour avoir attaqué mon mari ! Car je suis Lorelei, magicienne féérique et épouse de William Zard ! »

Et de fait, la magicienne, perchée en hauteur avec une horde de créatures à côté d'elle, ressemblait à une fée à taille humaine. Et dans sa main brillait un objet magique qui émettait une lueur rougeâtre étrange.

our war is over

Quand le méchant de l’histoire balançait que « cet abruti de Batman » n’était pas « aussi intelligent qu’on le dit », on savait qu’on avait affaire à un idiot. Cela aurait fait mourir de rire la magicienne, en d’autres circonstances. Dommage qu’elle n’ait plus du tout envie de rire, ces derniers temps. Zee lévita dans le conduit à la suite de Batman, arrivant au niveau du magicien sans même toucher le sol. Tous les deux étaient aussi silencieux que le silence, contrairement à Zard qui discutait avec quelqu’un façon old-school, à travers une boule de cristal. Il allait vraiment falloir qu’il réactualise ses tours, celui-là. Elle le regarda se faire éjecter dans les airs par Batman et s’écraser contre un mur, puis suivit des yeux la boule de cristal, secouant la tête à la question de son comparse d’un soir. Ces trucs-là ne servaient pas à grand-chose d’autre que communiquer et épater les vieux qui acceptaient de se faire tirer les cartes. C’était le jouet préféré de Mme Xanadu, pour dire à quel point c’était dépassé, comme truc. De fait, une voix éclata au-dessus d’eux, alors qu’apparaissait la fameuse Lorelei, bien entourée qui plus est. « Ah ! Bien sûr qu’il y a une femme derrière tout ça. Impossible que ce lourdaud ait eu cette idée tout seul. J’ai entendu parler de toi, Lorelei, tu es la reine de Fairyland, c’est ça ? » Zee avait mis toute la moquerie dont elle était capable dans sa voix. Ce n’était pas bien difficile. Il y avait des gens, comme ça, qui étaient difficiles à prendre au sérieux. Et que ces deux-là se soient mis ensemble ne l’étonnait même pas. Un gros nul et une grosse naze. Ils étaient faits pour se subir l’un l’autre.

En attendant, elle reconnut la petite tête en pierre que Lorelei tenait dans sa main. C’était donc elle qui avait gardé l’idole – et donc, elle qui commandait plus ou moins l’armée de créatures. Zard était vraiment inutile. « C’est une magicienne, mais je ne l’ai jamais rencontrée en personne, ni jamais vue en action. Attention à sa voix, cependant. J’ai entendu dire qu’elle était capable de transformer n’importe quel objet grâce à ça. » Elles étaient donc un peu similaires, là-dessus, si ce n’était que Lorelei n’était pas une magicienne puissante – même si elle restait une magicienne. C’était plus l’artefact qu’elle avait dans la main et les monstres qui l’entouraient, qui étaient embêtants. Les yeux de Zee tombèrent sur Zard, toujours dans les vapes. Elle tendit la main vers lui et un énorme rocher se détacha de la paroi pour planer au-dessus du Wizard inconscient. « Contre-proposition : personne ne va mourir, sauf ton gentil petit mari si tu ne descends pas ici sans ton armée et ne nous donne pas l’idole de Diabolu. Qu’est-ce que tu en dis ? » Oui, c’était moche. Non, ce n’était pas son genre de faire une chose pareille. Mais que voulez-vous, la nuit avait été longue. La semaine entière avait été longue. Non, l’année tout entière avait été longue, difficile, et s’était conclue de la manière la plus horrible qui soit : des enterrements à la chaîne.

Elle garda les yeux levés vers Lorelei, sans croiser le regard de Batman à ses côtés. Sachant déjà ce qu’il pensait – à quel point c’était mal, à quel point c’était stupide, à quel point c’était un plan qui n’avait pas été réfléchi jusqu’au bout. Et alors ? Zee s’en fichait, à ce stade. Tout le monde pouvait aller se faire voir, dans un monde où les gens qui comptaient n’étaient pas foutus de rester à ses côtés. Elle n’avait plus la patience. Au moins, elle avait toute l’attention de Lorelei. Et en vérité, il restait une chose de l’ancienne Zee : jamais elle ne tuerait Zard. C’était du bluff, totalement, à cent pour cent. Elle était juste bien assez cynique et fatigué pour que ça ait l’air plus vrai que d’habitude.

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Zatanna parvenait à capter totalement l'attention de Lorelei, ce qui faisait parfaitement les affaires du Chevalier Noir. Il se recula lentement, doucement, jusqu'à se dissimuler totalement dans l'obscurité sans même que la magicienne opportuniste ne puisse s'en rendre compte. Occupée qu'elle était à échanger des insultes et des piques avec Zatanna, elle ne remarqua même pas que Bruce commençait à grimper vivement et silencieusement le long de la paroi. L'alliée de la chauve-souris, elle, pouvait le voir. Plus qu'à espérer qu'elle jouerait le jeu.

« Ce que j'en dis ? C'est que tu vas vite le regretter, Zatanna, si tu continues de menacer mon mari de la sorte ! N'as-tu donc pas remarqué ? J'ai toute une horde d'humains magiquement améliorés et transformés pour venir te découper en tout petits morceaux ! Ils pourraient sauter de ce rebord, là, comme ça, d'un claquement de doigts, si je le voulais. Alors pose cette pierre bien loin de mon mari, sinon, je t'assure que tu vas le regretter ! »

L'ascension ne fut pas aussi rapide et facile qu'espéré ; les nombreux éboulements qui avaient secoué Wonder City depuis toutes ces années, dûment notés par l'Autre, avaient fini par entamer la paroi, et il était compliqué de se hisser jusqu'en haut. De plus, Bruce rechignait à utiliser le bat-grappin ou un autre gadget, car le bruit pourrait le trahir. Lorelei, dans sa stupidité, préférait se préoccuper de sa rivale infiniment plus puissante plutôt que de tenir compte du fait que ses esclaves commençaient à s'agiter.

« Doucement, mes chéris, doucement. Restez tranquille, j'ai dit ! Excuse-moi, Zatanna, ils sont un peu difficiles à contrôler. Comme des enfants, en fait ! Tu en as, des enfants ? Zard et moi on en voulait un, mais... bon... disons que c'est difficile d'être compatibles quand monsieur refuse de faire quelques efforts. Du coup, voilà nos enfants, des monstres, autrefois des humains, et qui se tiennent pas correctement à table ! Michael, cesse d'embêter Sandy ! »

Batman s'immobilisa, peu enclin à se laisser surprendre par les créatures ou la magicienne féérique. En bas, Zatanna était toujours là, la pierre surélevée, et semblait accuser le coup de l'épuisement. Légèrement au-dessus de Bruce, la fée tournait le dos à ses adversaires, se disputant avec des créatures qui lui répondaient dans un grognement incompréhensible. La proximité de l'artefact jouait-elle sur leur capacité à ne pas s'enrager ?

Peu importait, il était temps de passer à l'action.

Suffisamment proche désormais, le Chevalier Noir pointa son bat-grappin vers le haut, et tira. La détonation mit aussitôt tout le monde en alerte, mais le temps qu'ils réagissent, il était trop tard : il avait déjà réussi à se hisser et à attraper Lorelei par le col, faisant tomber l'idole au sol.

« Nooon ! L'idole ! Elles vont devenir incontrôlables si elle se brise ! Sandy ! Arrête de mordre Jonas et attrape-là ! »

La dénommée Sandy leva péniblement la tête, juste pour voir sa mère adoptive se prendre un violent coup de la part de Bruce, et retomber au sol aux pieds des créatures. L'idole, elle, continua de tomber et de rebondir sur le sol... jusqu'à ce qu'elle ne chute dans le vide en direction de Zatanna. Si la magicienne ne rattrapait pas l'objet magique à temps, qui sait ce qu'il pouvait se passer ?!

our war is over

Lorelei était une de ces criminels. Une qui parlait, encore et encore et encore. Si elle avait été à sa place, Zee aurait lancé ses armée de monstres sur Batman et elle sans attendre au lieu de lui renvoyer sa menace à la figure. Cela donnait l’impression qu’elle non plus n’était pas prête à aller jusqu’au bout, et surtout, cela lui faisait perdre un temps fou. Zee avait senti plus qu’elle n’avait vu son comparse se fondre dans les ombres. Avec une certitude surréaliste, vu qu’il n’était pas son Batman mais un autre, elle savait qu’il était en train de profiter de cette ouverture pour passer à l’action. Qu’elle le veuille ou non, Zee devait reconnaître qu’il était tout aussi efficace et rapide que son prédécesseur. Et que c’était tout aussi facile de travailler avec lui. Depuis le début, elle l’avait constaté : il avait les mêmes réflexes, les mêmes idées, veillait sur elle comme Bruce l’avait fait, s’adaptait à son jeu comme Bruce avant lui… Ce qui rendait la collaboration facile, presque naturelle. Elle savait ce qu’elle avait à faire : occuper Lorelei le temps que Batman mette son plan à exécution, et s’intégrer audit plan. Elle gardait toute son attention sur la magicienne, qui partait dans des délires pathologiques sur les enfants qu’elle n’aurait jamais avec sa nouille de mari, nouille à plus d’un titre, à l’entendre. La magicienne ignora sa question et se contenta de ricaner. « Félicitations, ils sont aussi beaux que leurs parents, et tout aussi stupides. » Le nez levé vers la femme, elle crut distinguer du mouvement dans les ombres au-dessus d’elle, et sut que Batman n’allait pas tarder à agir. Cela tombait bien, elle commençait à fatiguer.

Et soudain, il jaillit, fidèle à sa réputation, et se saisit de Lorelei, laquelle lâcha l’idole. Zee sentit un courant magique émaner de la statuette, soudain libérée de la main de sa propriétaire du moment, et les créatures frémirent – et pas une, pas même Sandy ou Jason ou elle ne savait qui – n’obéit à l’ordre de la femme. Zee s’envola pour rattraper la statuette au vol. Au moment où ses mains se posèrent sur l’idole, elle sentit un courant chaud la traverser et une magie poisseuse partir à l’assaut de ses mains, ses bras, ses coudes. Elle retomba maladroitement à terre, cherchant à comprendre comment l’artefact fonctionnait, et totalement coupée de ce qui l’entourait, à savoir Batman aux prises avec Lorelei, et les créatures qui sautaient dans le puits pour l’encercler, elle – pas encore hostiles, plutôt comme en attente de ses ordres. L’objet était ancien, et contrairement à ce qu’elle avait cru, il ne s’agissait pas d’une malédiction qu’il aurait contenue. L’idole semblait… consciente. Ou plutôt non, pas tout à fait. Sentiente, en quelque sorte. Pas vivante, mais avec un but. Et ce but, plus jamais elle ne pourrait le mettre en œuvre, car son premier propriétaire, le seul, le véritable, celui qui peut-être un jour avait fait de grandes choses avec, était mort depuis des millénaires. Et personne, pas même quelqu’un de bien intentionné, ne pourrait jamais utiliser cette statuette convenablement. En partie parce que l’idole elle-même exerçait une forte influence sur celui qui la portait. « Petite maligne… » gronda Zee en levant l’idole devant son visage. Toute occupée à exercer une force magique inverse à celle de l’idole pour contrer ses effets, elle ne pouvait qu’espérer que tout se passait bien pour Batman.

Batman, si vous m’entendez, je vais tenter d’inverser les effets de l’idole, mais je ne sais pas vraiment ce que je fais. Bon okay, elle le savait quand même un peu, mais elle se sentait obligée de le prévenir au cas où elle faisait s’écrouler Wonder City sur sa tête. Et elle savait très bien qu’il l’entendait, vu qu’elle communiquait télépathiquement avec lui. Elle s’apprêtait à plonger plus profondément dans l’énergie de l’idole quand elle vit du mouvement sur sa droite et sauta en arrière pour éviter un coup de dague de Zard, revenu à lui entre temps. Le simple fait de se sentir menacée, même pendant une seconde, et l’adrénaline dans le sang de Zee, suffit à faire flamber l’idole, et les créatures se tournèrent vers Zard, qui s’immobilisa, le bec ouvert. « Dis-leur de ne pas m’approcher ! Dis-leur de… » Mais Zee ne contrôlait rien du tout, en vérité. Elle se plaça entre le sorcier de pacotille et les monstres et leva un bouclier, le temps de réfléchir. « On n’en serait pas là si tu étais resté sagement à Arkham. » Cela ne servait à rien de le dire, mais ça faisait du bien. Elle se concentra de nouveau sur l’idole et sentit les milliers de fils magiques un peu poisseux qui la reliaient aux créatures, qui s’insinuaient dans leur être, mettaient le bordel dans leurs cellules, dans leur sang, dans leurs synapses, dans la moindre parcelle de leur humanité. Elle sentait, très loin d’elle, que Zard s’agrippait à elle en lui hurlant de « faire quelque chose ». Elle précipita toute la puissance dont elle était capable dans l’idole, la remplissant de sa magie, l’entortillant dedans, coupant tous les fils, coupant pendant quelques secondes toutes ses connexions avec le monde entier, ne faisant d’elle qu’un simple caillou pendant une fraction de seconde, et tous les monstres s’immobilisèrent, puis s’écroulèrent dans un bel ensemble.

« Oui ! » Puis elle sentit aussitôt l’idole se régénérer et partir à l’assaut de son esprit et de son corps à elle. « Non, non, non ! » Elle s’envola, plantant Zard sur place, fonçant sur Batman qui, elle l’espérait, s’était débarrassé de Lorelei. « Batman ! Attrapez ça ! » Oui, elle savait de quoi ça avait l’air. Mais en vérité, c’était une marque de confiance absolue. C’était ce qu’elle aurait fait s’il avait été son Bruce. Parce qu’elle savait que pour résister à l’idole au moins quelques précieuses secondes, il fallait avoir une volonté implacable, comme il n’en existait normalement pas, en vérité, chez un être humain, si soumis à ses émotions. Mais elle savait que Bruce aurait été capable de résister. Et elle avait compris que ce Batman-là était comme lui. Il résisterait. Juste le temps qu’elle trouve comment désactiver cet horrible objet. Alors elle lança l’idole à Batman, sachant à quoi elle le condamnait s’il n’était pas assez maître de lui. Mais il n’y en avait pas d’autre, comme lui. Ou plutôt si, il y en avait eu un autre. Et en cela, elle le sentait, il le fallait, ils étaient semblables.

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« Espèce de chauve-souris ! Tu m'as piqué mon idole et mes enfants ! Tu vas le payer ! ZARD ! Occupe-toi de la pouffiasse ou je te coupe les bonbons ! »

Lorelei était remontée, et c'était compréhensible. Batman venait de lui retirer, en une fraction de seconde, tout ce qu'elle avait d'assurance ; et Zatanna, à côté, possédait une arme magique capable de transformer des humains en créatures monstrueuses, d'effacer leurs consciences, de les dominer totalement et de leur imposer des conditions difficiles à inverser, apparemment. Zard pouvait peut-être réussir à reprendre l'objet à Zatanna, mais bizarrement, ce ne fut pas le cas. Un coup d’œil en bas démontra bien vite que la magicienne et le raté ne parvenaient pas à inverser les effets magiques.

Et pire, visiblement, car son alliée s'éleva dans les airs et lui lança l'idole, que le Chevalier Noir attrapa aussitôt.

« Donne-moi ça Batman. Sinon, je te jure que... »

« Etes-vous capable d'inverser le processus ? »

La fée hésita, une seconde de trop. Il le vit facilement, car même si cette femme n'était pas de cette dimension, elle avait des réactions totalement humaines, et il sut donc qu'elle lui mentait quand elle répondit :

« Non. J'ignore comment faire. »

Il s'approcha alors d'un pas menaçant vers elle, l'idole à la main. Il sentait l'esprit insidieux de l'artefact qui tentait de s'infiltrer dans son corps, dans ses pensées, mais il se concentra pour le repousser aussi longtemps que possible. Ce n'était pas aussi fort qu'il l'aurait pensé, cela dit, car il avait bien vu que Zatanna n'osait pas toucher l'objet. Peut-être que le fait qu'il n'était pas magicien changeait la donne ?

« Vous avez trois secondes pour arrêter de mentir. Trois... deux... un... »

Il se retourna alors vivement, entendant un bruit de cape et apercevant le scintillement d'une lame ; Zard venait de les rejoindre, et il s'apprêtait à l'attaquer ! Hélas, surprendre ainsi Batman n'était pas chose aisée, et même le duo de magiciens n'aurait pu y arriver. Premièrement, ils n'usaient pas de magie contre lui, et c'était déjà, en soi, une grave erreur. Deuxièmement, Zard n'avait visiblement pas l'habitude d'utiliser une arme blanche, et son attaque maladroite fut stoppée d'un geste. Bruce put lire dans les yeux de son adversaire une lueur de peur, une lueur qu'il connaissait parfaitement.

Tous les criminels l'avaient, lorsqu'ils réalisaient qu'ils étaient allés trop loin et qu'ils allaient perdre l'usage d'un bras, d'une jambe, ou finir à l'hôpital. Le Chevalier Noir bloqua donc le bras, et d'une torsion violente, le brisa, avant de frapper deux fois au visage le magicien avec l'idole. Vaincu, tombé dans les pommes, Zard s'effondra, tandis que Lorelei tenta de se jeter sur la chauve-souris.

« Mon mari ! Sale petit... »

Bruce réagit aussitôt, et l'attaqua également. Surprise, elle ne put se défendre, et il lui coupa la respiration d'une attaque rapide à la gorge, avant de l'assommer en frappant sa tête contre le mur. Quand il se redressa, Zatanna le rejoignait. Il lui désigna alors l'idole, car curieusement, l'objet n'essayait plus de l'assaillir.

« Et maintenant ? L'artefact ne tente pas de dominer mon esprit. Comment faire pour inverser le processus si vous ne pouvez pas l'utiliser ? On essaye de la briser ? »

our war is over

Zee n’avait aucun problème à laisser la bagarre à Batman. Déjà, il faisait ça beaucoup mieux qu’elle, et surtout, malgré les apparences, il se maîtrisait beaucoup mieux également. Dans son état, la magicienne savait qu’elle aurait usé de magie de manière éhontée, dans une lutte totalement inégale, et peut-être même serait-elle allée trop loin avec ce couple de débiles qui avaient eu raison de sa patience depuis longtemps. Une fois Zard et Lorelei éliminés, avec brutalité mais efficacité, ne restaient que les monstres qui grognaient à leurs pieds et déjà tentaient de les rejoindre. Zee nota avec intérêt que même si plus personne ne les contrôlait, du moins en apparence, ils semblaient tous animés d’une même volonté : venir à eux. Pour les tuer ? Pour récupérer l’idole ? Elle n’en savait rien, mais quoi qu’il en soit, c’était une bonne nouvelle. L’autre conséquence aurait été qu’une fois privés de maître, ils se dispersent tous dans les souterrains et ne finissent par se répandre dans la ville, sans autre but qu’obéir à leurs propres instincts, qui étaient de toute évidence violents. Mais ça n’avait pas été le cas. Cette idole avait un but qui correspondait parfaitement à ses capacités : elle avait été crée pour elle-même créer une armée. Et on attendait d’une armée qu’elle reste disciplinée. Cela avait l’air terrible, vu comme ça, mais ça restait une bonne nouvelle pour Gotham City. Comme prévu, Batman résistait plutôt bien à l’influence de la statuette, de sorte que Zee se permit quelques secondes de réflexion. « J’ai peur que la briser ne fasse plus de mal que de bien. Cela nous mettrait à l’abri de futurs problèmes, mais cela n’aiderait peut-être pas ces pauvres gens. Je propose qu’on garde cette solution en dernier recours. » Ce serait un véritable sacrifice que de briser l’idole et de risquer la vie des gens transformés en monstres. Le genre de sacrifices auxquels ils étaient sans cesse confrontés et le genre de situations que Zatanna ne supportait plus, accessoirement, toujours à devoir juger du moindre mal ; à devoir échanger la vie de quelques-uns pour le prétendu bien commun.

Mais avant d’en arriver là, il y avait forcément autre chose à tenter. « Tenez-la bien. Elle est clairement animée par quelque chose et il est temps qu’on sache de quoi il s’agit. » Elle lévita face à Batman et tendit les mains vers la statuette. « Vaudou, santeria, uuuh… candomble, shango, palo mayombe, obeayisne, abakua… » Elle était plus que rouillée en pratiques yorubas mais la statuette brilla fugitivement sur une de ses paroles. « Je te tiens ! Montre-toi enkisi ! Esambi… non, toujours pas. Endoki, montre-toi ! » Un murmure s’échappa de l’idole, comme un frisson qui remonterait le long de la colonne vertébrale. « Maaayomberos… » « Non, non, nous ne vous adorons pas, nous ne sommes pas vos cultistes. Votre tata et votre yaya sont, euh… Ils ne sont plus en état de vous servir. Vous devez me parler directement. » Alors, une sorte de brume jaillit de l’idole, sans forme réelle, mais emprunte d’une magie puissante et ancienne qui coupa le souffle de la magicienne. Elle n’arrivait pas à comprendre comment Batman pouvait tenir ce truc sans devenir fou ou se changer lui-même en monstre, mais en vérité, elle savait comment il faisait : en étant lui-même. C’était Batman. « Qui êtes-vous endoki. Je vous demande de me dire votre nom. » De nouveau, un murmure plaintif, presque un gémissement. « Santisimaaaa Muerrrte. » Zee agita la main pour repousser la brume qui s’approchait un peu trop d’elle. « Oui, oui, oui, Notre-Dame de la mort, vous protégez et vous tuez, et vous… Vous détestez les femmes, non ? » Il lui semblait avoir lu quelque part que la déesse était très jalouse et qu’elle préférait être invoquée par un homme, de préférence célibataire… Zard et Lorelei n’auraient eu aucune chance d’atteindre leur but et Lorelei aurait probablement fini par se faire trucider par Santisima Muerte. Et mieux valait pour Zee qu’elle ne traîne pas trop non plus.

« Vous avez été invoquée par de faux adorateurs, et à de mauvaises fins. Vous devez vous retirez. Vous devez rendre leur liberté à ces gens que vous avez transformés. Votre culte n’a pas sa place ici, vous ne trouverez pas vos racines, ni le bois ni la terre ni le sang qui vous nourrit. Je vous en prie. » Oui, au-delà de la violence, il y avait toujours ça : demander les choses poliment. Elle savait que la déesse, comme très souvent les entités appelées ainsi par les humains, n’était pas mauvaise en soi. Son culte s’était répandu de l’Afrique à l’Amérique du Sud mais n’avait certainement pas trouvé d’écho à Gotham. « Quittez l’idole de Diabolu. Retournez à vos royaumes. Il n’y a rien ici pour vous. » L’entité s’agita doucement, comme le vent agitant le feuillage d’un arbre, puis soudain, la brume s’engouffra dans la statuette, qui brilla si fort que la magicienne dut détourner le regard, et tout fut finit en une seconde. Quand elle regarda Batman, elle vit qu’il était toujours debout, donc vivant, et qu’il tenait toujours l’idole, intacte, mais désormais réduite à l’état de simple bout de pierre. « Maintenant vous pouvez la briser. Le plus vite possible, avant qu’un autre débile ne décide de s’en servir pour convoquer un autre dieu. » Elle avait la voix qui tremblait un peu. Et à leurs pieds, dans le large puits où les créatures s’étaient entassées, se trouvaient désormais des dizaines et des dizaines de gens à poil à l’air désorienté. « Oh, bon sang… Vous croyez que l’excuse de la fuite de gaz va fonctionner ? » C’était un peu pénible, de nettoyez derrière soi, surtout quand il s’agissait de magie. Allez trouver une bonne explication à ça !

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Batman s'exécuta rapidement, après avoir vu la démonstration mystique de Zatanna, et brisa en de nombreux petits morceaux l'idole machiavélique. Un acte aussi petit, finalement, par rapport à la tâche difficile qui s'était dessinée plus tôt dans la soirée, avait quelque chose de libérateur. C'était un acte presque insignifiant, dans la théorie, alors que c'était en réalité la fin de la mission, en quelques sortes. Bien sur, il allait rester un petit moment avant qu'ils ne se séparent pleinement, mais pour le Chevalier Noir, il fallait déjà se tourner vers le reste de la nuit.

Son regard se porta alors vers le groupe de gens, perdus, désemparés, qui gisaient en contrebas. Ce n'était pas son travail de réussir à les ramener à la surface, mais le GCPD ne trouverait jamais cet endroit s'il ne leur révélait pas. Et ça, c'était une chose qu'il valait mieux ne pas faire : Wonder City était un endroit dangereux et les flics n'avaient pas la moindre préparation pour s'y rendre. Et il y avait aussi le problème du duo mystique, dont il allait falloir s'occuper.

« Nous devons évacuer ces gens. Je sais que vous êtes fatiguée, mais si vous ouvriez nous transporter tous près de la surface, je pourrais alerter le GCPD : ils viendront chercher les victimes. Quant à ces deux-là... »

Il laissa sa phrase en suspend, conscient que cela dépassait ses compétences. Improbable et triste à dire, mais Bruce ne pouvait pas se prononcer concernant deux dangereux mystiques comme ceux-là. Il ne savait pas comment les brider, comment les enfermer sans qu'ils ne réussissent à sortir par eux-mêmes pour se venger. En soit, Zard avait été mis à Arkham avant. Mais l'y renvoyer, avec son épouse, ne serait pas une bonne idée. Mais alors, que faire d'eux ?

Il valait peut-être mieux laisser cela à Zatanna.

Il préféra contacter le GCPD pour les informer d'un groupe de personnes à venir aider, tout en repensant à ce qu'il s'était passé et à ce qu'il noterait dans son propre compte-rendu. La magicienne était une alliée de qualité, forte et puissante, mais il avait encore un ou deux doutes sur elle. Sa psychologie, son attitude, témoignaient clairement d'un manque de confiance... mais en elle ou en lui ? Ou peut-être même dans les deux. Il avait remarqué la tension, les gestes parfois nerveux, l'exaspération, et bien sur, son rejet colérique sur lui. Elle faisait son deuil avec difficulté, mais il y avait autre chose derrière.

Il n'avait pas à savoir, bien sur, car ça ne le regardait pas. Mais il allait quand même lui parler.

Ils se téléportèrent alors, Zatanna les emmenant loin de ces cavernes sombres et humides. Ils n'eurent pas longtemps à attendre avant que les policiers du GCPD ne viennent chercher les innocents endormis, et il ne resta bientôt plus personne sur place, alors qu'ils revenaient à la surface. Zard et Lorelei, toujours hors du coup, avaient été soigneusement attachés et baîllonés par Batman, alors que son alliée magicienne était à côté à surveiller.

Bruce s'approcha d'elle, se tournant de sorte à pouvoir aussi bien la voir elle que surveiller les deux escrocs.

« Une tâche difficile, mais réussie. Que va-t-il se passer, maintenant que vous avez vu ce que je fais ? »

La question, il aurait pu ne pas la poser, et s'en moquer. Comme il le faisait avec Barbara. Mais il préférait le faire, car il avait la conviction que la magicienne préférait qu'il se mette à parler et dire ce qu'il pensait, plutôt que de ne rien dire. Comme beaucoup de gens ayant côtoyé Batman, que ce soit ici ou sur sa Terre d'origine.

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Bien sûr qu’il fallait évacuer ces gens de là. Elle n’attendait pas d’autre réponse de la part de Batman que celle qu’il lui avait donnée, encore un moment réconfortant, comme s’ils en étaient à leur millième collaboration et que rien n’avait changé et que sous ce masque se trouvait le Bruce qu’elle avait toujours connu. Apparemment, son alter ego avait le même sens des responsabilités, mais ça elle l’avait déjà compris au moment où il avait affirmé être forcé de rester ici et de reprendre un flambeau qui n’avait rien à voir avec sa propre vie. Il y avait des gens comme ça qui étaient maudits pour toujours et pour toutes leurs vies et pour chaque version d’eux-mêmes. Zee se demandait si elle aussi ne faisait pas partie de ce club très fermé. En attendant, elle appréciait son plan au sens où ils n’auraient pas à faire du babysitting avec les pauvres gens qui tournaient en rond à leurs pieds. Puis elle se souvint quand même qu’il devait y avoir une femme très, très, très désorientée quelque part dans son manoir, enfermée dans une dimension de poche sans fenêtre ni porte. Oooopsy. Mieux valait qu’elle rentre vite chez elle pour délivrer la pauvre dame et peut-être la convaincre qu’elle avait fait une crise de somnambulisme. Oh, bien sûr, Zee aurait pu se contenter d’altérer sa mémoire, mais ça, elle avait décidé de ne plus le faire, jamais, et craignait le jour où les circonstances la forceraient à utiliser de nouveau ce pouvoir stupide. Le moment venu, elle ne savait pas si elle serait capable de résister. Elle avait déjà prouvé qu’elle était capable du pire face à un dilemme moral impossible.

Elle ferma les yeux et laissa son esprit filer dans les recoins de Wonder City pour repérer chaque esprit humain et perdu qui s’y trouvait et une fois qu’elle fut sûre de tous les avoir sous sa main psychique, téléporte tout ce beau monde, sans oublier Batman et le couple d’idiots, à la surface. Le GCPD et des tas d’ambulances se pointèrent bientôt pour prendre les pauvres gens en charge, et Zee, épuisée, s’assit sur le sol humide et sale à côté de Zard et Lorelei. Et maintenant… et maintenant quoi ? Maintenant c’était fini, elle n’avait plus d’excuse pour ne pas regarder la réalité en face – en fait, des tas de réalités. La mort de Bruce bien sûr, mais aussi ses propres faiblesses. Au regard de ce qu’il s’était passé ce soir, ils avaient eu de la chance, finalement, ou bien c’était un pur hasard que tout se soit bien passé, et encore, elle s’était retrouvée à devoir agir aux côtés du type le plus ferme et le plus intransigeant qui soit. Si elle avait dû mener cette mission avec Hal ou même Barry, elle ne se serait probablement pas aussi bien tenue, elle se serait écroulée plus d’une fois. Et c’était dans cet état qu’elle était censée faire face à Brainiac le moment venu ? En regardant la réalité en face, elle connaissait la réponse : elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas. Elle pouvait laisser cette responsabilité aux autres, à tous les autres. Elle s’arracha à la contemplation du couple infernal en se demandant quoi faire d’eux. Est-ce qu’Iron Heights était assez outillée pour les accueillir ? Et encore, mieux valait les séparer. L’un là-bas, l’autre dans une prison clandestine d’ARGUS ? Même à ses ennemis elle ne souhaitait pas cela. Ou alors…

Elle sursauta alors que Batman s’adressait soudain à elle. « Ce qu'il va se passer, eh bien... J'imagine que vous ferez ce que vous voudrez, et de toute évidence vous le ferez tout aussi bien que lui. Et personne ne verra la différence, et ceux qui la verront devront bien faire avec. Ainsi meurt Batman, dans l’ombre et sans un bruit, comme il a vécu. » Il n’y avait aucune amertume dans sa voix, mais une infinie tristesse. Pour elle, Bruce était et serait irremplaçable, et elle ne se remettrait jamais de sa disparition, pas plus qu’elle ne s’était remise de celle de ses parents ou d’autres de ses plus proches amis. Et que pouvait-elle y faire ? Absolument rien, puisque, bien sûr, la Terre continuait de tourner, le temps de couler et la vie, pour ceux qui avaient la chance de l’avoir encore, d’avancer. Elle lui adressa un sourire en coin un peu pâle. « Vous n’avez pas besoin de ma bénédiction, n’est-ce pas ? Et il faut bien que vous trouviez un sens à votre survie et à votre nouvelle vie. De mon côté, j’essaierai de trouver un sens à sa mort. » Elle se leva et d’une formule, fit léviter le couple de magiciens criminels. Elle avait une idée. Elle connaissait une dimension parfaite pour eux, créée par Merlin lui-même exactement pour retenir les magiciens et sorciers dans leur genre – et pas inhumaine, si ce n’était que c’était une prison, ce qui était inhumain en soit. « Vous saviez probablement déjà où me trouver avant même que l’on se croise, alors si vous avez besoin de moi… » Oh, mais serait-elle simplement en état de l’aider ? Elle ne pouvait même pas s’aider elle-même, et elle n’avait pas pu aider Bruce. Eh bien, c’était tout ce qu’elle avait à offrir pour le moment, en attendant des jours moins difficiles.

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