heart of the ocean (layla)

Pendant longtemps, tu t'es considéré comme étant un puits sans fond de savoir Atlante. Orvax, et ce durant de longues années, t'a parfois fait étudier jusqu'aux heures du petit matin, la tête dans les livres de votre Histoire, pour parfaire un savoir qu'il estimait nécessaire. Ton père n'avait rien d'un père exemplaire, il était extrêmement dur, tyrannique même à ton égard, mais aujourd'hui, tu réalises qu'il avait raison au moins sur ce point là. La connaissance est source de pouvoir, sans elle, tu n'aurais jamais pu régner sur le trône d'Atlantis. Un souverain se doit d'être infaillible, et c'est ce que tu pensais être, jusqu'à ce qu'une force mystérieuse te donne tort. Il y a une semaine, t'as découvert un laboratoire expérimental en plein océan, où des créatures marines et des Atlantes étaient la cible d'un homme que tu n'as pas encore réussi à identifier, qui leur faisait subir sévices et expérimentations ignobles. Des êtres modifiés, des animaux mutilés, c'est au beau milieu d'une sale des horreurs que tu t'es retrouvé. Une colère face au triste spectacle que tu ressens encore bouillir dans tes veines, frustré de n'avoir pu remonter jusqu'au responsable, absent lors de ta visite impromptue. A quel point faut-il être dérangé pour commettre de telles atrocités ? Et surtout, combien de laboratoires de ce genre il existe sur cette planète ? Voilà ce qu'est devenu le but parallèle de ton existence, toujours principalement focalisé sur la menace Brainiac, mais sans en oublier le reste. Toujours présent quand il s'agit d'élaborer des stratégies contre votre ennemi commun, tu n'en oublies pas pour autant les océans, source première de ton inquiétude et toujours en haut de la liste de tes intérêts. C'est un problème dont tu n'as pas encore parlé à Mera, nouvelle reine d'Atlantis, désireux de d'abord essayer d'y mettre un terme par tes propres moyens. Par désir de vengeance. Par haine viscérale qu'il te faut purger. Ce que tu as découvert là-bas est devenue une affaire très personnelle, et tu n'auras de cesse de traquer le responsable jusqu'à pouvoir transpercer sa chair des pointes de ton trident.

Mais ce n'est pas pour ce laboratoire que tes connaissances te font aujourd'hui défaut. C'est pour cette pierre que tu tiens encore dans la paume de ta main. Une pierre bleue, trouvée au fond d'une abime presque inaccessible, et au cœur de laquelle la pression était si forte qu'elle aurait pu avoir raison de toi, robuste Atlante pourtant habitué aux pièges sournois de la mer. Un endroit dangereux, parsemé d'une multitudes de carcasses de bateaux, qui eux aussi se sont laissés envoutés et happés par le danger. Un chemin trouvé grâce à une voix, inconnue, féminine, presque hors du temps, et que tu as assimilé à un chant mélodieux. Quelque chose que tu n'avais jamais entendu auparavant, et qui est resté depuis ancré dans ton esprit. C'était un chant, oui, mais un chant profondément triste, comme un appel à l'aide, qui n'a de cesse de t'obséder depuis. Est-il possible que quelqu'un soit emprisonné non loin ? Et que ce quelqu'un ait cherché à attirer ton attention ? Tu l'ignores. Tu l'ignores, et c'est de là que provient toute ta frustration. T'as d'abord songé à chercher dans les livres, puis à en parler avec Mera, mais finalement, c'est une toute autre décision que tu as prise, celle de contacter Layla. Qui, selon toi, est la plus à même de t'aider dans cette quête de vérité. Devenue partiellement avatar du Clear, il ne fait aucun doute qu'elle pourrait peut-être avoir les réponses aux questions que tu te poses, ou ou moins, qu'elle puisse t'aiguiller dans la marche à suivre. Et tu le sais, les mystères de l'océan la fascinent, si tu te présentes à elle avec une pierre étrange et un récit de sirène enfermée quelque part au cœur de la mer, elle ne pourra résister à la tentation d'en percer les secrets. Une mission que vous pourriez mener ensemble, si elle accepte de te donner ce coup de main. Un plan joli sur le papier, mais qui pourrait ne pas se dérouler ainsi ailleurs que dans les méandres de ta volonté. Vous êtes en froid depuis des mois, elle et toi, et avant toute chose, peut-être devrais-tu remédier à ça.

Morro Bay. Quelle étrange sensation que de revenir ici – mais agréable, aussi. Tu reconnais ces maisons, surtout celle vers laquelle tu te diriges, armure délaissée pour arborer une tenue plus humaine et plus discrète. C'est peu commun, pour toi, d'assumer tes erreurs et de faire en sorte de les réparer, mais celle-ci est particulière. Elle te manque, ton ancienne colocataire, et t'as conscience d'avoir eu un comportement indigne de votre amitié. La crainte de l'abandon a été plus forte que la raison, et t'as préféré claquer la porte plutôt que d'essayer de comprendre ses choix – justifiés, en plus. Tu sais que ça a été difficile pour elle de prendre cette décision, et que si elle avait pu, jamais elle ne t'aurait laissé partir. Un recul nécessaire dont tu avais besoin, et qui maintenant te donne le courage de frapper à la porte de ton amie. Un peu gêné, et le cœur battant alors que tu entends ses pas se rapprocher, tu essayes malgré tout de lui sourire quand vos regards se croisent après des mois d'absence. Et si elle était en colère contre toi ? Et si elle te demandait de partir ? Elle en aurait parfaitement le droit. « Euh, salut, tu vas bien ? » Bon sang, ce que t'as l'air d'un idiot, toi ordinairement si sûr de toi. Avant de lui parler de la pierre et du chant, il va vous falloir faire table rase du passé, pour essayer de reprendre votre amitié là où vous l'avez laissée. C'est du moins ce que t'aimerais sincèrement, et ce qui te tient le plus à cœur. Qu'elle puisse te pardonner, et enfin retrouver la seule humaine qui compte réellement à tes yeux d'Atlante réfractaire. Elle t'a manqué, Layla, et ce constat te frappe de plein fouet alors que tu contemples son visage, pudique dans ton comportement, mais véritablement heureux de la retrouver. « T'es toute seule ? On peut discuter ? » Sous-entendu, est-ce que son copain risque de débarquer ? T'aimerais faire les choses biens et en prenant ton temps, si elle accepte de te donner cette chance.

AVENGEDINCHAINS

Deadshot dans l’équipe de hockey de Morro Bay. On lui aurait dit ça quelques mois plus tôt, elle n’y aurait pas cru – et elle était à peu près sûre que Floyd n’y aurait pas cru non plus, d’ailleurs, et pourtant, voilà qu’elle était dans leur salon, en pleine après-midi ensoleillée, seule parce que son partenaire l’avait abandonnée pour se rendre à son entraînement hebdomadaire. Enfin, abandonnée – elle l’avait un peu encouragé à la saisir au vol, cette opportunité de remettre un peu un pied dans un semblant de vie normale, mais ça avait beau faire quelques semaines, maintenant, ça l’amusait toujours autant. Un sourire attendri accroché aux lèvres alors qu’elle se secouait pour se concentrer à nouveau sur les cartes maritimes ouvertes et étendues devant elle, elle s’empara à nouveau de son crayon et de son compas, prête à se replonger dans la planification minutieuse de sa prochaine expédition. Les fenêtres grandes ouvertes sur le jardin laissaient souffler le vent tiède venu du Pacifique, portant avec lui les effluves marins de l’océan et les parfums plus boisés du jardin. Une autre journée paisible à Morro Bay, une autre journée dans une toute nouvelle routine à laquelle elle était ravie, et soulagée, de s’accoutumer aussi vite et aussi bien. Bien sûr, il y avait eu quelques faux pas, quelques ratés – mais rien qui n’ait très vite trouvé sa solution, et surtout, rien qui n’arrive à ne serait-ce qu’entamer le bonheur de cette toute nouvelle vie à deux si durement arrachée aux griffes d’un destin défavorable. Son seul regret, dont elle savait qu’elle ne pourrait jamais l’effacer, c’était le prix qu’elle avait eu à payer pour la leur assurer, cette vie à deux. Le prix qu’elle, et un ami, avaient eu à payer. Un sacrifice qu’elle porterait toujours comme une cicatrice indélébile, et une pénitence avec laquelle elle allait bien devoir apprendre à vivre, sans jamais l’oublier.

Quelques coups frappés à la porte l’arrachèrent à ses pensées, alors qu’elle survolait une carte de petites îles au large de San Francisco. Sa première réaction, évidemment, fut de lever les yeux pour regarder l’heure – Floyd ne finissait normalement pas son entraînement avant encore une heure, donc ça n’était pas lui qui avait oublié ses clés, donc forcément, elle laissa échapper un grognement. Elle était bien, avec ses cartes et ses rêveries ; qui avait l’idée saugrenue de venir la déranger sans se faire annoncer ? Pendant un bref, très bref instant, elle contempla la possibilité de faire semblant de ne pas être là – quand bien même toutes les fenêtres étaient ouvertes. Puis elle le sentit. Ce parfum, à défaut d’un autre mot, ce changement dans l’air qui lui donnait l’impression que l’atmosphère s’était déplacée pour laisser, l’espace d’un instant, respirer à la surface le cœur de l’océan lui-même. Layla se redressa, confuse. Puis, son cœur se mit doucement à battre un peu plus vite dans sa poitrine. Cette drôle d’impression, elle avait fini par l’appeler ‘aura’, et la dernière fois qu’elle l’avait ressentie exactement comme ça, c’était le jour où elle avait retrouvé Orm, et le jour où elle l’avait perdu. Parce qu’il était fils d’Atlantis, et que donc forcément, un peu de l’océan irradiait toujours à travers lui. Alors, sans perdre un instant, elle jeta son crayon sur la table et franchit les quelques mètres qui la séparaient de la porte d’entrée qu’elle ouvrit sans oser y croire. Et lorsque leurs regards se croisèrent, la surprise et le choc lui firent réaliser qu’elle avait beau avoir pensé à Orm pour ainsi dire tous les jours depuis leur dispute, à aucun moment elle n’avait songé à réfléchir à ce qu’elle lui dirait, si leurs chemins venaient à se croiser de nouveau. Parce que jamais, elle n’avait envisagé qu’elle le reverrait un jour.

« … salut. » lâcha-t-elle dans un souffle – elle rêvait ? Ou elle ne rêvait pas ? Orm Marius, sur le pas de sa porte, comme un an et demi auparavant – en plein jour et sans armure, cette fois – et qui avait l’air aussi confus qu’elle. Ou gêné. Ou les deux. Et manque de chance pour lui, elle était tout aussi incapable de savoir comment réagir face à cette apparition inattendue sur son palier. Les yeux fixés sur lui, elle scrutait chaque trait de son visage, à la recherche du moindre signe de colère, de rancœur, de peine, de détresse, quoi que ce soit qui soit annonciateur d’une tempête à venir, mais il la coupa dans son élan catastrophé. Est-ce qu’elle était toute seule ? « Hein ? Euh, je veux dire… oui, oui je suis toute seule, entre. » S’arrachant à sa torpeur stupéfaite, elle fit un pas de côté pour le laisser entrer, et referma la porte derrière lui. Elle faillit même lui dire ‘fais comme chez toi’, mais elle se retint au dernier moment, incertaine du bon goût de cette formule de politesse, étant donné les circonstances. Puis sa main glissa de la poignée de porte, et elle accrocha à nouveau son regard sur lui. Elle ne s’était pas attendue à le revoir, et certainement pas comme ça – mais par tous les dieux de la surface et d’en bas, quel soulagement de le voir en un seul morceau, et l’air vaillant sur ses deux jambes, après qu’elle l’ait renvoyé à la solitude des fonds marins. « T’as l’air… t’as l’air d’aller bien. » balbutia-t-elle, persuadée de mettre les pieds dans le plat, comme elle savait si bien le faire. Surtout après leur dernière entrevue. Les reproches d’Orm lui revenaient en mémoire, comme une houle et ses va-et-vient, les éclats de voix, la trahison, la déception et la colère dans son regard. Mais aujourd’hui, la déception et la colère avaient l’air d’avoir disparu. Et elle n’osait pas en tirer la moindre conclusion. Pas quand elle avait été incapable de se pardonner elle-même pour ce qu’elle avait dû faire pour en protéger un autre. Ses yeux tombèrent ensuite sur son accoutrement, et malgré elle, un petit rire lui échappa, et elle le désigna d’un vague geste de la main. « Impeccable, la tenue. T’es devenu un expert pour te fondre dans la masse. » remarqua-t-elle avec une tentative de sourire et de légèreté qui ne trompait personne. Mais au moins, ce petit commentaire lui donna l’impulsion pour achever de briser sa propre glace. « Je suis contente de te voir. » Un aveu qui venait du cœur. Parce qu’elle ne savait pas ce qu’il faisait là, mais s’il devait repartir dans la seconde, qu’il se souvienne juste de ce message-là. Qu’importaient les circonstances, elle était heureuse de le voir. Le vide qu’il avait laissé derrière lui n’était jamais devenu autre chose qu’un gouffre béant, qu’elle ne pouvait combler de rien d’autre que ses regrets. Qu’il lui avait manqué. Malgré tout, qu’il lui avait manqué.

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Elle a l'air d'aller bien, Layla. En tout cas, son aspect général est à mille lieux de celui qu'elle arborait à votre retour de New Themyscira, quand tu l'as retrouvée abattue dans le jardin, juste avant que la tempête n'éclate. Elle est surprise de te voir, bien entendu, mais ses traits restent détendues, comme si elle était parvenue à trouver un semblant d'apaisement. Sans te faire prier tu pénètres à l'intérieur de cette maison que tu connais maintenant si bien. Et t'as ce pincement au cœur inattendu qui te laisse figé un moment. Fut un temps, c'était un peu comme chez toi, ici. Les souvenirs de votre vie en colocation te reviennent tous en mémoire, à commencer par cette première matinée, où ayant abandonné toute pudeur, tu n'as eu aucune gêne à te montrer dans le plus simple appareil devant elle. Des fragments qui t'arrachent un sourire sincère, et qui te font réaliser que la colère a complètement disparu. Tu n'éprouves plus de rancoeur à son égard, plus du tout. Au contraire, tu lui es infiniment reconnaissant de t'avoir abrité aussi longtemps au péril de sa propre vie. Tu ne te rendais pas compte à l'époque d'à quel point les choses auraient pu mal se terminer pour elle, et ce même sans l'ombre de Waller qui planait au-dessus de vos têtes. T'as des ennemis, beaucoup d'ennemis, et qui sait ce serait passé s'ils avaient réussi à remonter jusqu'ici. Tu t'en serais terriblement voulu. Alors oui, bien sûr que t'es triste d'être parti, mais c'est une tranche de ton existence que tu n'oublieras pas, et qui, contrairement à beaucoup d'autres, fera toujours naitre au creux de ton ventre une sensation de réelle complétude. Elle t'a aidé à remonter en selle après des années d'apitoiement sur ton propre sort. Ce n'est pas qu'une amie, Layla, c'est celle qui t'aura permis de tirer un trait sur le passé, et d'envisager l'avenir beaucoup plus sereinement. Et aujourd'hui encore, en sa compagnie, c'est ce que tu fais. Tu tires le trait sur votre histoire commune, tout en sachant qu'elle ne prendra pas fin pour autant, le regard droit devant, impatient de découvrir la suite des événements. Car tu le sais à présent, elle sera toujours là quelque part. Que tu sois dans le cabanon au fond du jardin ou dans la profondeur des océans, rien ne changera entre vous. Plus jamais.

Instinctivement, tu cherches tout autour de toi ce qui aurait pu changer depuis l'arrivée de Floyd. Et pour la première fois depuis votre querelle à son sujet, tu réalises que tu ne le considères plus comme quelqu'un qui t'aura pris ta place. Il n'a jamais été question de ça, finalement. Ce n'était pas un remplacement, c'était simplement une évolution. Une évolution positive dans sa vie qui l'a forcément amenée à faire des choix. « Je vais bien. Et toi aussi, j'ai l'impression. » Peu à peu, la gêne commence à disparaître pour laisser le naturel qui était le vôtre reprendre ses droits. C'est tellement plus facile de s'exprimer devant un peuple en tant que souverain que devant une amie que t'as blessée, mais tu vas y arriver. Ce n'est qu'une petite épreuve à surmonter, et si au bout du chemin vous avez la possibilité de rependre votre amitié là où vous l'avez laissée, ce léger malaise est un bien maigre prix à payer. Tellement de choses à lui dire, et aucune idée de par où commencer. Par chance, elle te facilite la tâche en lançant quelques sujets de discussions. « Oui, merci, j'essaye de me constituer une petite garde-robe. Ça m'évitera de venir piquer des vêtements ici. » Mais au moins, ces fringues piquées à son copain vous auront donné l'illusion d'un semblant de continuité dans votre relation. C'était moindre, c'était presque rien, mais c'était quand même quelque chose. Tu lui as laissé quelques petits mots pour manifester ton passage, et tu sais que jamais elle n'a eu pour intention de te fermer la porte. La preuve, t'as toujours su retrouver ta route jusqu'à son maison quand tu en avais besoin, et à chaque fois, t'as trouvé ce que t'étais venu chercher.

Elle est contente de te voir. Quelques mots terriblement précieux. De quoi réchauffer un cœur refroidit par le fond des abysses. C'est tout naturellement que tu cherches son regard, un sourire en guise de première réponse, avant de te montrer un peu plus démonstratif : « Moi aussi je suis content de te voir. Tu m'as manqué. » Ce n'est pas la première fois que tu lui fais cette confession, tu te souviens lui avoir déjà dit lors de vos retrouvailles, mais la dimension aujourd'hui est toute autre. Jamais vous n'aviez été séparés volontairement, pour cause de dispute et de rancoeur. Est-ce que lui avouer suffira à effacer ces derniers mois compliqués ? Non, sûrement pas, et tu ne prendras rien pour acquis. Pas sans avoir fait le maximum pour ramasser les pots cassés par ta faute, quand tous les murs ont tremblé après avoir claqué la porte de chez elle. Quel regret, tu portes encore les marques de ce départ précipité en toi. « Alors, quelles sont les dernières nouvelles ? Toujours en vadrouille sur ton bateau ? T'as pu t'habituer à tes nouveaux pouvoirs ? » Avant de lui donner la raison qui t'a poussé à faire ce premier pas, tu tiens à rattraper le temps perdu. Qu'est-ce que tu as manqué dans sa vie ? Tu le constates très aisément qu'elle a l'air bien, mais t'aimerais savoir maintenant quelles en sont les raisons. « Et Floyd Lawton ? Tout se passe bien entre vous ? » Tu pensais qu'il aurait été difficile de prononcer le nom de celui par qui tout aura commencé, mais finalement, pas tant que ça. A quel point ce serait idiot et immature d'en vouloir à un homme qui n'a jamais demandé à être tenu en laisse par une sociopathe. Et puis, elle le sait, t'es heureux qu'elle ait retrouvé ce partenaire qui manquait à sa vie. Mais c'est un sujet que t'aimerais quand même abordé, brièvement, pour qu'elle comprenne que tout va bien, et que tu ne lui en veux absolument plus de l'avoir choisi lui. C'était le choix logique. Le choix évident. Aussi proche sois-tu de Layla, tu n'es pas sa moitié d'âme, et pour avoir toi-même perdu la tienne, tu ne saurais l'en blâmer pour s'y être fermement accrochée.

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C’était un test ? Une sorte d’épreuve divine, pour la jauger, la faire passer sur la balance d’une divinité de justice quelconque ? Layla se posait sérieusement la question, à deux doigts de retenir son souffle alors qu’aux aguets, elle guettait la moindre des réactions d’Orm, s’attendant à tout instant à commettre l’impair qui le renverrait malgré elle dans ses profondeurs sous-marines. Le contraste entre les éclats de colère de leur dernière rencontre, et ses abords détendus – et même cordiaux – de maintenant était saisissant, et si quelqu’un s’amusait à lui donner de faux espoirs, alors la plaisanterie était particulièrement cruelle. Qu’elle se sentait gauche, alors que son pauvre esprit un peu long à la détente essayait de raccrocher les wagons, de combler les trous qui expliqueraient ce changement d’attitude. Même si, à demi-mot, Orm lui donnait lui-même un début de réponse, qui confinait à une proposition d’armistice, elle avait du mal à y croire. Elle lui avait manqué. Quelques mots qui auraient dû n’avoir rien que de très banal entre deux amis qui ne s’étaient pas vus depuis quelques mois, mais qui, dans sa poitrine, ravivaient la terrible double peine des regrets et, plus cruel encore, d’un espoir auquel elle n’osait pas s’accrocher. Layla ne croyait guère au karma, mais elle croyait fermement que la vie était impitoyable. Elle avait déjà eu sa deuxième chance avec Floyd ; par quelle espèce de miracle pourrait-elle aussi en avoir une deuxième avec cet ami essentiel qu’elle avait pourtant poussé vers la porte par ses choix mal calculés et ses secrets de taiseuse dans un contrôle toujours excessif ? A elle, évidemment, ça lui semblait impossible. Jamais elle n’avait eu autant de chance, jamais elle n’avait reçu autant de clémence, et elle ne pouvait s’empêcher de se demander à quel moment, exactement, le balancier repartirait de l’autre côté. Ce n’était pas de la faute d’Orm. Ca n’était que la force de l’habitude. « Tu m’as manqué aussi. » répondit-elle quand même, les bras croisés, en osant une ébauche de sourire. Parce que le pessimisme et le fatalisme, au moins, n’avaient pas besoin d’empêcher la sincérité.

Aussi gauche soit-elle, elle fut incapable de ne pas manifester sa surprise, sourcils arqués et bouche ouverte sur un silence un peu estomaqué – alors il savait ? Déjà ? Comment ? Ils ne s’étaient pas croisés sur New Themyscira, et à leur retour, la conversation avait tourné court bien avant qu’elle n’ait le temps de lui poser la moindre question sur le Clear, ou de lui expliquer ce qui lui arrivait. Et puis elle se souvint de son escapade avec la reine Mera, et de la façon dont cette dernière avait l’air d’avoir su, comme l’Ordre des Veuves, que le Clear s’était dégoté une nouvelle avatar mal fichue avant même qu’elle ne comprenne, elle-même, complètement ce que ça voulait dire. « Les nouvelles vont vite sous l’eau. C’est bon à savoir. » rétorqua-t-elle avec une pointe d’amusement dans la voix, avant de s’asseoir sur l’accoudoir du canapé et de soupirer. « Habituée, je sais pas. Mais juste assez pour aider quelqu’un à mettre des pirates en déroute au large de la Méditerranée. Pas trop mal, je suppose. » Un peu de fierté, dans le ton employé ? Peut-être. Fierté qui vacilla sur ses appuis, sitôt que des lèvres d’Orm tomba le nom de la discorde. Elle se serait presque attendue à entendre l’orage éclater et se déchaîner au même instant – mais non. Le silence paisible ne fut pas dérangé, et lorsqu’elle braqua les yeux sur lui, à la recherche d’une sentence prête à tomber, elle fut la première surprise de ne déceler, dans son regard perçant, ni animosité, ni hostilité, ni la moindre trace de rancœur. Décidément, si quelqu’un cherchait à se payer sa tête, la blague était vraiment très cruelle.

A quel point est-ce qu’elle devait faire attention ? Peser ses mots, pour ne pas déclencher sans le vouloir une nouvelle explosion ? Y avait-il seulement le moindre risque ? Rien dans l’attitude de son ancien colocataire ne le laissait présager, mais elle espérait qu’il lui pardonnerait sa prudence, après s’être frottée une fois de plus, une fois de trop, à une déflagration incontrôlée et incontrôlable. « Il va bien aussi. » finit-elle enfin par répondre, avant de marquer une seconde d’hésitation. Puis d’opter, parce qu’il le fallait bien, parce que c’aurait été injuste de choisir une autre voie, pour l’honnêteté complète. « Tout va très bien entre nous. Il est venu s’installer. Ca fait quelques semaines qu’il habite ici, maintenant. » Evolution logique et naturelle de leur histoire, mais sans jamais remplacer le colocataire et l’ami qu’elle avait perdu. Parce que ce n’était pas de ça qu’il s’agissait, il ne s’était jamais agi de ça. « Il aimerait bien récupérer ses fringues, d’ailleurs. » Dangereux, peut-être, d’oser une plaisanterie – quand bien même elle doute que Floyd trouve ça drôle, lui – mais c’était Orm qui avait abordé le sujet, après tout. Et elle, elle tombait peut-être dans le piège d’un espoir de réconciliation un peu surréaliste mais… tant pis. Au fond, qu’avait-elle à perdre de plus ? Comme deux patineurs, ils avançaient sur la glace à tâtons prudents, sans trop oser s’avancer ni s’attarder trop longtemps au même endroit – survolant ces grands sujets qui pourtant auraient peut-être mérité qu’ils s’y attardent plus, mais elle était longue à redémarrer, la machine, après près de cinq mois de silence radio. « Et toi alors ? Qu’est-ce que tu es devenu depuis que… ? » Les mots mouraient sur ses lèvres, comme la houle s’écrasant sur la roche. Elle voulait vraiment savoir – après s’être retenue d’essayer de sonder le Clear pour essayer de le retrouver, déjà parce qu’elle n’était pas sûre que ça aurait marché, et d’autre part parce qu’elle ne s’était pas senti le droit de le faire. Layla se mordit la lèvre inférieure, et poussa un long soupir, en décroisant les bras pour plutôt plier piteusement les mains sur ses genoux. « Excuse-moi. Pour la dernière fois. Et de te demander ça. C’est juste que… j’aimerais vraiment savoir. » S’il allait bien. Vraiment. S’il avait retrouvé sa voie, ou si elle l’avait condamné à autre chose. Peut-être que ça donnait l’impression qu’elle essayait de se donner bonne conscience, mais tant pis, bonne conscience, après tout ça, c’était fichu d’avance.

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Ce n'est pas parce que la colère a pris un temps le dessus sur l'amitié que tu as soudainement cessé de te préoccuper d'elle. Loin de là. Evidemment que tu as eu écho de nombreux faits la concernant, à commencer par tout ce qui lui est arrivé au cœur de l'océan. Tu es sincèrement désolé si tu lui as donné l'impression d'avoir claqué la porte de son existence pour de bon, parce que ça n'a jamais été le cas. T'es sincèrement heureux qu'elle ait pu découvrir ton monde en compagnie de Mera, non sans avoir un petit pincement au cœur de ne ne pas avoir été là pour voir ses yeux s'émerveiller face à la beauté de ton chez toi. Tout en sachant sans le moindre doute qu'elle s'est retrouvée entre les meilleures mains possibles, t'aurais aimé pouvoir tenir ce rôle. T'aurais aimé lui tendre le main pour l'emmener sillonner les eaux secrètes d'Atlantis. Un regret parmi tant d'autres qui t'ont poussé à amèrement regretter votre dispute. Elle t'a très rapidement manquée, Layla, alors oui, t'as essayé de te raccrocher aux racontars d'autrui pour combler ce vide dont tu étais ironiquement le seul responsable. Tu t'es toi-même enfermé dans une rancoeur puérile, sans doute encore trop peu habitué à ton rôle d'ami. T'en as pas eu souvent, faut dire. Plus roi que compagnon, ton rapport aux autres a toujours été marquée par une dominance naturelle et hiérarchique. Le roi ne se mêle pas vraiment à ses sujets, il les protège, il les guide, mais en aucun cas il ne s'agit là d'une amitié. C'est un devoir et une responsabilité, pas un choix. Layla, elle, a été un choix. Le choix de t'ouvrir à une étrangère, humaine qui plus est, et de lui confier une confiance si souvent bafouée. T'as été déçu, oui, mais tu sais aussi que tu as été décevant. Tu ne t'es pas comporté comme tu l'aurais dû, et depuis ce fiasco douloureux, tu n'as eu de cesse de repenser à cette querelle. T'as longuement réfléchi à ce que tu aurais pu dire, à ce que tu aurais pu faire, mais le regret est corrosif, pas vrai ? A quoi bon ressasser un passé qui ne pourra jamais être changé. Ta seule option était donc, à défaut de l'effacer, de réparer ton erreur. Raison principale de ta venue ici. Tu ne l'as pas oubliée. Pas un seul jour. Et que c'est bon d'enfin pouvoir prendre de ses nouvelles sans passer par autrui, après des mois resté trop lâche pour rompre la distance.

Elle est fière de son aventure, Layla, et toi aussi tu es fier d'elle. Tu n'as absolument aucun mal à visualiser le tableau. Elle contre des pirates, tu ne donnes vraiment pas cher de leur peau. « Si t'as besoin d'aide pour tout ça, n'hésite pas. » Tu n'es certainement pas le premier à lui proposer ton aide, mais tu serais un bien piètre ami si tu ne l'avais pas fait. Et puis, honnêtement, qui connait mieux les océans que toi ? Sans vouloir paraître présomptueux, bien entendu. Après ce bref moment de légèreté, voilà que la lourdeur de la discussion revient doucement planer au-dessus de vos têtes, comme un nuage sur le point de se libérer de sa charge. Mais à tort. Qu'elle se rassure, tu n'es pas venu ici pour semer la discorde ou pour t'attaquer à l'homme qui partage maintenant sa vie. Bien au contraire, t'as conscience que Lawton fera toujours partie du décor, alors il serait préférable pour vous trois que l'animosité disparaisse peu à peu. Et tu sais que tu es probablement le premier à devoir faire des efforts. « Oh, alors ça y est, t'es vraiment lancée dans une vie de couple. Pas mal pour une ermite. » Tu n'es pas surpris d'apprendre leur emménagement, c'est là l'ordre logique des choses. T'es parti pour qu'un autre prenne sa place, mais maintenant que tu peux constater de tes propres yeux combien ce renouveau lui fait du bien, tu ne ressens plus la moindre colère à l'égard de leur relation. Il serait même très malvenu de chercher à t’immiscer entre eux. Il a sa place, tu as la tienne, et il est grand temps que chacun la respecte sans se laisser bouffer par la jalousie. Elle peut vous avoir tous les deux, c'est une certitude. « J'ignore s'il sera ravi d'apprendre ma venue ici, mais en ce qui me concerne, je suis content pour toi. » Oui, tu n'iras pas jusqu'à dire que t'es content pour eux. Content pour elle c'est déjà pas mal. « Pour ses fringues, par contre, faut encore que j'y réfléchisse, je les aime bien. » Tu réponds à sa plaisanterie par une autre, pour lui faire comprendre qu'elle peut baisser sa garde. Aujourd'hui rien n’éclatera entre vous, si ce n'est cet abcès douloureux.

Et toi ? Vaste question. Et la seconde raison de cette réconciliation attendue mais improvisée. Après un presque inaudible soupire, tu viens prendre place sur le canapé à côté d'elle. Tu la sens nerveuse, mais elle n'a aucune raison de l'être. T'es même content qu'elle te le demande, puisqu'ainsi elle te facilite grandement la tâche, toi qui ignorais comment aborder le sujet. « Et bien, je suis retourné dans l'eau, faire ce que je sais faire de mieux, traquer les responsables de la souffrance des océans. J'ai également secondé Mera dans quelques affaires politiques. Le royaume est secoué, mais avec elle au pouvoir je n'ai aucun doute que les choses finiront par s'améliorer. » Evidemment que tu parles en premier d'Atlantis, et ce malgré la douleur que ton royaume engendre au cœur de ta poitrine. Cette cité est et restera ton plus grand regret. Tu aurais pu faire tellement mieux. « Et pour être parfaitement honnête, il y a une autre raison de ma présence ici. » La réconciliation en est la principale, mais il y a autre chose. Après quelques secondes d'hésitation – uniquement parce que tu ignores comment aborder ça – tu glisses la main dans la poche de ton pantalon pour en sortir la pierre bleue. « J'ai trouvé ça dans les abimes. C'est comme si... elle m'appelait. J'ai lutté pour parvenir à l'atteindre, et maintenant je ne sais même pas quoi en faire. Ni ce que c'est. Et je me suis dis que tu pourrais peut-être m'aider ? » C'est un regard plein d'espoir que tu redresses vers elle. Bien sûr, tu veux des réponses quant à la nature étrange de cette pierre, mais surtout, t'as terriblement envie de partir à l'aventure avec elle. De faire, enfin, et à nouveau, équipe avec ton amie la plus chère.

AVENGEDINCHAINS

Elle avait été persuadée de couper le fil qui ferait sauter la bombe – et encore une fois, Orm l’avait prise par surprise et détrompée. Ses épaules tendues n’eurent finalement aucun choc à encaisser, et son souffle coincé dans sa poitrine put reprendre sa circulation sans qu’aucun désastre n’en découle. Le temps s’était arrêté, mais quand il avait repris, il n’avait laissé derrière lui qu’un status quo qui la laissait, elle, incrédule. La vague scélérate n’avait été qu’illusoire ; tout ce qui vint s’écraser sur la coque de son bateau, c’était la gentille bousculade d’un courant amical. Là où elle avait attendu de l’hostilité et de la rancœur, Orm n’avait rien d’autre à lui offrir que de la sympathie, et même de la bienveillance. Et quand bien même elle aurait cherché à le retenir, elle n’aurait pas pu empêcher ce poids de dégringoler de ses épaules. Il ne lui en voulait pas – ou plutôt, il ne lui en voulait plus. Qu’est-ce qu’il avait pu vivre, depuis quelques mois, Orm, pour ainsi laisser sa colère quelque part au fond des océans, quand elle-même n’avait pas réussi ni même essayé de se pardonner, comme si sa culpabilité était le prix à payer pour vivre comme elle l’avait souhaité ? Le soulagement, enfin, soufflait sur ses lèvres un sourire timide. Trop de questions se bousculaient encore dans son esprit perturbé, mais enfin, elle osait croire à ses traits d’humour, à ses provocations cordiales, à ses encouragements, sans plus s’attendre à un revers de bâton qui, manifestement, n’avait plus lieu d’être. Il était content pour elle, il l’assurait de son soutien, et elle, elle ne put s’empêcher de secouer la tête en déposant les armes à son tour. « Heureuse de constater que certaines choses ne changent pas. » Même s’il allait falloir faire preuve de diplomatie pour expliquer à Floyd que ses vêtements étaient pris en otage par Ocean Master, c’était une mission dont elle se chargerait volontiers, pour s’arroger ne serait-ce que quelques minutes de réconciliation avec son ami perdu, et visiblement retrouvé.

Tranquillement, Orm vint à son tour s’asseoir sur le canapé, et lui révéler une petite partie de ses aventures depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus – et s’il était content de son sort à elle, elle, elle était heureuse de constater qu’il restait fidèle à lui-même : un féroce protecteur des océans, et un homme qui, malgré tout ce que son propre royaume lui avait fait endurer, persistait à veiller à ses intérêts et sa sécurité. Atlantis avait-elle seulement conscience de la chance qu’elle avait d’avoir encore droit à sa loyauté ? Elle l’espérait bien. « Mera avait l’air déterminée à redresser la barre quand je l’ai vue. Si en plus tu l’assistes, je ne m’inquiète pas pour Atlantis. » acquiesça-t-elle. « L’important, c’est que tu aies la place qui te convienne, pas une qui te serait imposée. » Facile à dire quand on était une simple humaine bien éloignée de ces considérations royales, mais… finalement, c’était peut-être exactement pour cette raison qu’elle pouvait se permettre de lui souhaiter une telle liberté. Il la méritait autant que Floyd méritait d’être délivré de l’emprise de Waller. Mais ce n’était visiblement pas seulement pour échanger les dernières nouvelles qu’il était venu jusqu’à Morro Bay ; c’est donc avec une attention redoublée que Layla l’observa pendant qu’il fouillait dans sa poche… et avec stupéfaction que ses yeux s’attachèrent à la pierre bleue, ô combien familière, qu’il venait d’en sortir. Comme si un appel d’air venait de vider ses poumons, elle se força à prendre une profonde inspiration. Maintenant, elle comprenait mieux ce qu’elle avait ressenti, quelques instants avant qu’Orm ne frappe à sa port. « … où t’as trouvé ça ? » demanda-t-elle, son expression soudain bien plus grave et aux aguets. Une pierre bleue issue des abîmes ; une pierre bleue qui en appelait aux abîmes. Oh oui, elle avait connu quelque chose de similaire. Et elle avait espéré, très fort, que cette pierre et ses possibles semblables soient restés sur New Themyscira, bien loin derrière eux.

Par réflexe, Layla regarda vers la fenêtre, tous sens en alerte, mais l’air ne changeait pas, le vent ne changeait pas, et le ressac restait le même – aucune trace de double maléfique aquatique à l’horizon. Alors, elle fixa à nouveau son attention sur la pierre, puis sur Orm, sourcils froncés de perplexité. « J’ai déjà vu une pierre comme ça. A New Themyscira. C’est ce que l’Orm de leur planète et ses mages utilisaient pour contrôler le Clear, et en particulier, ses élémentaires. » Sous ses yeux, la pierre, irisée, luisait, émettait une douce pulsation qui résonnait jusque dans l’immense caverne que le Clear avait creusé dans son esprit pour s’y installer. Orm le sentait-il aussi, ce battement ? Ou est-ce qu’elle seule, et Tefé, le pouvaient, à cause de ce qu’elles étaient ? « Mon double était l’une d’entre elles. Une élémentaire réduite en esclavage par les Atlantes grâce à la magie, ou je ne sais quoi, infusée là-dedans. » Du bout des doigts, prudemment, elle effleura la surface lisse de la pierre – et ressentit la même résistance désagréable, et à la fois fascinante, que là-bas. Ce n’était peut-être pas tout à fait la même chose, mais elle en était sûre : cette pierre qu’Orm avait trouvée avait peu ou prou les mêmes fonctions. « Comme toi, j’ai trouvé la pierre sur Terre-4 parce que j’avais l’impression qu’elle m’appelait, mais je n’ai pas pu la détruire moi-même. Une amie élémentaire en a été incapable aussi. Ces trucs-là sont fait pour nous résister, voire nous contrôler. C’est Floyd qui a réussi à la réduire en miettes et à libérer mon double de l’emprise des Atlantes. » Dans la tête de Layla, de nouvelles questions s’alignaient, méthodiquement, avec application. Avaient-ils malgré eux ramené une pierre semblable de New Themyscira ? Ou en avait-il déjà existé des équivalents sur leur Terre ? Pourquoi le Parlement des Vagues ne lui en aurait-il pas parlé ? Le Parlement était-il seulement au courant de leur existence ? Et surtout, puisqu’il n’y avait visiblement pas d’armée d’élémentaires esclavagisés ici, à quoi servait-elle ? « Je comprends pas. Sur Terre-4, cette pierre et le contrôle des Atlantes sur le Clear a tué le Clear de l’intérieur, mais ici, le Clear se porte bien. Donc je doute que quiconque abuse de son pouvoir. T’es sûr que t’as jamais rien vu de tel à Atlantis ? » Non, quelque chose ne collait pas… mais autre chose, une information lâchée par la patibulaire et sarcastique Crevette, passa en flash dans son esprit. Non. Non, ce serait trop gros, quand même. Si ? Layla releva les yeux sur Orm, refusant de sauter tout de suite aux conclusions. « Quand tu as trouvé cette pierre… il n’y avait rien d’autre aux alentours ? » demanda-t-elle. Difficile de dire exactement, à ce stade, dans quoi Orm avait visiblement mis les pieds. Mais si une chose était certaine, c’était que s’il était venu trouver de l’aide, il était venu frapper à la bonne porte ; et que les océans, malgré eux, venaient de rétablir un pont définitif entre deux êtres qui n’avaient rien demandé d’autre qu’une bonne excuse pour signer l’armistice et regarder à nouveau dans la même direction.

AVENGEDINCHAINS

Elle est gentille, Layla, et t'aimerais être aussi optimiste qu'elle quant à l'avenir d'Atlantis. Rien à voir avec Mera que tu sais parfaitement capable de diriger le royaume d'une main de fer dans un gant de velours, simplement, il y a tant à faire que le chemin te paraît infiniment long. Et parfois, tu te dis que t'aimerais reprendre les rênes du royaume, mais en remettant tout à zéro. Table rase. On efface l'ardoise. Tout détruire pour mieux rebâtir. Alternative bien sûr impossible, et qui n'engage que toi et ton côté toujours extrémiste. Un jour peut-être te débarrasseras-tu de cette facette poussive de ta trouble personnalité, d'autant que l'ironie de la chose est que tu as contribué à cette déchéance évidente. Mais qu'importe, l'heure n'est pas à Atlantis et à tes lamentations, mais à cette pierre étrange trouvé au fond des abysses. Une pierre, qui, tu peux le voir dans son regard, attise tout son intérêt. Tu savais que venir la voir était le meilleur choix possible, mais tu n'imaginais pas autant. « Je sais pas où c'était exactement, quelque part dans l'océan. » Haussement d'épaule d'un homme qui n'en sait pas autant qu'il l'aurait voulu. Qu'elle te pardonne, tu te repères encore très mal géographiquement parlant, et tu ne saurais lui dire quelle terre était la plus proche de l'endroit où tu l'as trouvée. « Je suis tombé sur un laboratoire expérimental. Ça m'a retourné le cœur. Des créatures marines de toutes sortes soumises à l'atrocité d'un homme que je n'ai pas réussi à retrouver. C'est non loin de là que je l'ai sentie m'appeler. » Récit un peu décousu parce qu'il est compliqué pour toi de mettre des mots sur la sensation qui t'a traversé à cet instant précis. Pas la colère et la tristesse de la souffrance dont tu as été témoin, mais cet appel étrange, sans voix distincte mais qui raisonnait pourtant dans tout ton esprit. T'aimerais pouvoir lui expliquer correctement à Layla, mais t'y arrives pas. Elle va devoir faire avec le peu d'informations que tu possèdes. Et c'est d'ailleurs la raison de ta visite, t'aimerais qu'elle puisse t'aider à en avoir un peu plus, pour au moins avoir une piste à suivre.

Au-delà de son intérêt, tu ressens une certaine... crainte ? Ou en tout cas une appréhension. Et rapidement, tu en comprends la raison. Un double contrôlé par une pierre semblable, et le tien à l'origine de tout ça. Les sourcils froncés, ton regard se pose sur son bleu étincelant, te demandant comment une si petite chose peut contenir autant de pouvoir. Tout en réfléchissant aux possibilités qui s'offrent à toi, tu écoutes son histoire peu reluisante et pleine de mauvaise augure. Okay, l'autre Orm a utilisé la pierre à mauvaise escient, mais peut-être peux-tu en faire quelque chose de plus avenant ? Après tout, comme toute arme, les conséquences découlent de son possesseur. Si toi tu fais le choix de l'utiliser différemment et avec bonne volonté, elle n'est pas obligée d'être synonyme de destruction et de contrôle. Et tu penses qu'elle te fait assez confiance pour en avoir parfaitement conscience elle-même. Jamais tu ne ferais usage de quoi que ce soit qui pourrait lui faire du mal. Tu entends son avertissement, sans doute encore marquée par son expérience sur New Themyscira, mais cette pierre, vous ne pouvez pas la laisser entre les mains de n'importe qui. Elle est devenue ta responsabilité, et tu l'assumeras jusqu'au bout. « Non, on a beaucoup d'objets liés à la magie mais je n'ai jamais rien vu de tel. C'est presque comme si elle était dotait d'une âme. Comme si quelqu'un était lié à elle, comme toi t'as pu l'être sur New Themyscira. Je pourrais pas expliquer cette intuition, mais elle est tellement forte que j'en suis pratiquement persuadé. » Tu n'es pas celui qui détient les réponses, mais tu peux au moins lui faire part de tes impressions. Et ton ressenti concorde parfaitement avec tout ce qu'elle vient de te raconter. Et si, ici aussi, quelqu'un était contrôlé par cette pierre ?

Rien qu'avec tout ce qu'elle vient de te confier, Layla t'a apporté de précieuses informations, et déjà, une idée germe au coin de ta tête. « Il y avait des épaves de bateaux, beaucoup. Comme s'ils avaient été attirés là eux aussi, sans avoir une chance de trouver quoi que ce soit. Un peu comme le chant dangereux d'une sirène qui attire vers le fond. » C'est en tout cas ainsi que toi tu l'as ressenti. Une voix venue d'ailleurs mais mélodieuse, assez pour t'obliger à te frayer un chemin dans les profondeurs, à la merci d'une pression presque intenable. « Sinon je n'ai vu personne. Juste la pierre, là, sur le plancher océanique. Elle n'attendait que moi. » A quoi elle pense ? Tu sens dans sa façon de te regarder et de te poser toutes ces question qu'elle sait quelque chose qu'elle ne t'a pas encore dit. Et soudainement très impatient, tu oses franchir les derniers mètres de la ligne d'arrivée de votre réconciliation : « Est-ce que tu veux bien y retourner avec moi ? » Bon d'accord, c'est sûrement dangereux, et sans doute a t-elle beaucoup d'autres choses à faire avec son copain qui vient tout juste de s'installer, mais vraiment, t'aimerais énormément qu'elle t'accompagne. Pour que viviez cette aventure ensemble, mais aussi pour définitivement vous retrouver et enfermer cette querelle à double tour dans un coffre que vous ne rouvrirez jamais. « Je me dis que ça peut être sympa qu'on fasse ça tous les deux. Surtout que t'as l'air d'en savoir beaucoup. Qu'est-ce que t'en dit ? » Suspendu à ses lèvres, tu attends sa réponse avec une pointe d'anxiété. Tu comprendrais qu'elle refuse, mais tu ne peux nier que tu en serais profondément déçu. Et pour mettre toutes les chances de ton côté, tu ajoutes un dernier argument : « Si tu viens, promis je ramène à Floyd ses vêtements. » Quoi ? Ça marchera peut-être !

AVENGEDINCHAINS

Les souvenirs de New Themyscira remontaient à la surface, avec la légèreté de bulles d’air remontant des profondeurs des abysses jusqu’à la surface après un voyage interminable. Parfois, aujourd’hui encore, elle se sentait prise de vertige, lorsqu’elle s’attardait un peu trop sur l’aberration absolue de tout ce qui avait découlé de son premier voyage au Parlement des Vagues, et de ces six mois sur une autre Terre où les Atlantes avaient eu raison du Clear aussi sûrement qu’Amazones et Atlantes avaient eu raison de l’humanité. Dans la main d’Orm, la pierre pulsait doucement, et ses échos se réverbéraient quelque part en elle au-delà de sa tête, de son esprit, et de son âme. Son âme, elle l’avait à moitié perdue, et remplacée par des profondeurs insondables au-delà de toute compréhension humaine. C’était là, dans cet espace indéfinissable dont elle portait un morceau en elle, que la pierre trouvait son écho, comme un avertissement, et comme un appel tout à la fois. Et les paroles de Crevette résonnaient encore dans son esprit, alors que les paroles d’Orm semblaient confirmer son instinct impossible. Un frisson remonta le long de son échine, la fraîcheur des océans remontant jusque dans ses veines, un écho lointain lui parvenant pendant une brève seconde d’absence. Un écho. Un appel. Un écho qui lui répondait. Orm sentait qu’il avait été appelé ; et elle, maintenant qu’il lui présentait son étrange trouvaille, sentait le remous fluide et lent des Vagues qui avaient élu domicile en son sein. Elle l’avait redouté, ce premier moment où le Parlement des Vagues se manifesterait à travers elle, pour lui demander quelque chose – craignant sans le formuler que les craintes de Floyd ne se confirment, que ce lien tissé avec l’eau ne soit plus empoisonné qu’il n’y paraissait, que le Parlement ne s’avère, finalement, guère moins cruel qu’Amanda Waller. Mais las ; en cet instant, leur roulis n’avait rien d’un ordre, ni d’une exigence. En cet instant que, confusément, elle comprenait si crucial, le Parlement des Vagues se contentait, un peu paresseusement, de demander. Quel soulagement.

Layla s’arracha à sa contemplation de la pierre irisée pour reporter le regard sur Orm, et arqua les sourcils de surprise. Elle ? L’accompagner ? Lui ? Eux ? Et tout de suite, elle comprit qu’il était parfaitement sérieux, Orm, et mieux encore, qu’il tenait vraiment à cette idée. Avait-elle besoin de preuve plus probante que leur terrible dispute quelques mois plus tôt était définitivement enterrée ? Et en plus, comment refuser avec de tels arguments – il parvint même à lui arracher un rire, le vil. Et elle faillit dire oui, là, comme ça, tout de suite, parce que qu’elle sentait que c’était ce qu’elle devait faire, et parce qu’elle avait vraiment, vraiment envie de partir à l’aventure dans les fonds marins avec Ocean Master – et surtout avec son ami perdu, puis retrouvé. Mais les mots, elle les retint avant qu’ils ne passent la barrière de ses lèvres, luttant contre le réflexe auquel elle avait failli céder, celui de dire oui à ce qui lui chantait parce qu’elle n’avait de comptes à rendre à personne, personne qui l’attendait, personne qui comptait assez pour qu’elle y réfléchisse à deux fois, en tout cas. Mais ça, ça n’était plus vrai. Aujourd’hui, elle avait quelqu’un qui comptait sur elle pour ne pas disparaître et l’abandonner derrière. Quelqu’un à qui elle avait promis de ne plus l’exclure de sa vie, et de ne plus lui garder de secrets dévastateurs. Comme si elle s’attendait à le voir franchir le pas de la porte, elle regarda vers la fenêtre, mais non, Floyd était toujours à son entraînement. Layla prit une longue inspiration, et soupira. « Je, hum… j’aimerais venir, Orm. Vraiment. T’as pas idée à quel point. » commença-t-elle à répondre, en cherchant ses mots – processus toujours laborieux, mais plus encore face à lui. Plus encore quand, la dernière fois qu’elle avait tenté d’user de langage avec lui, elle s’était lamentablement ramassée.

« Je ne peux juste plus prendre ce genre de décision toute seule. » finit-elle par lâcher en cherchant à nouveau son regard. L’honnêteté, maintenant, de bout en bout. Orm ne méritait rien de moins. Et qu’est-ce qu’elle en avait envie, de dire oui à sa proposition. Finalement, depuis un an et demi qu’ils se connaissaient, dont six mois de cohabitation, ils n’avaient pas passé tant de temps dans l’eau, trop concentrés sur l’intégration d’Orm au monde de la surface, et elle, trop limitée par sa constitution de fragile petite humaine pour le suivre dans les profondeurs. Maintenant, ces considérations volaient en éclats. Plus rien ne l’empêchait de le suivre jusqu’au plancher océanique s’ils le voulaient. Et puis, des retrouvailles, des vraies retrouvailles pour mettre définitivement derrière eux son départ douloureux, et bâtir de nouveaux souvenirs bien plus palpitants par-dessus, évidemment que la perspective était séduisante. Quelques mois de cohabitation, et, contre toute attente, elle avait trouvé une âme semblable à la sienne, nourrie des mêmes inquiétudes, des mêmes colères, des mêmes passions, aussi. Quelques mois, et le monde tout entier lui avait paru moins solitaire. Ce que ça disait d’elle, de graviter ainsi autour de personnages aussi sombres et belliqueux, était bien le dernier de ses soucis. Elle avait renoncé à se convaincre qu’elle était ce qu’elle n’était pas. Elle ne s’était pas prise de passion pour les bateaux pour naviguer sur des lacs. C’était les tempêtes, les ouragans, les orages déchaînés qui l’entraînaient inexorables vers leurs profondeurs. Qui, mieux qu’Ocean Master, pouvait incarner tout ce qui l’avait toujours appelée vers le large ? « Quand j’ai avoué à Floyd que tu te cachais ici, ça a fait l’effet d’une bombe. Pendant quelques heures, j’ai cru que j’avais ruiné tout ce qu’on avait péniblement reconstruit depuis nos retrouvailles. » Quelques heures qui avaient été les pires de sa vie depuis ce fameux coup de téléphone. Layla esquissa un sourire. « Je ne regrette pas de t’avoir accueilli ici. Jamais. La seule chose que je regrette, c’est de ne pas lui avoir dit plus tôt, pour qu’on puisse trouver une solution, tous les trois. Je ne veux pas faire encore la même erreur. » Avec un soupir songeur, Layla planta son coude sur son genou, et son menton dans le creux de sa main, réfléchissant un bref instant en regardant à nouveau la pierre, puis Orm. Quel dilemme. Et quelle marche suivre, exactement ? Enfin, elle se décida. « Il ne devrait pas tarder à revenir. Laisse-moi en parler avec lui. Retrouvons-nous sur la pointe au bout de la plage à la tombée de la nuit, personne ne pourra te voir. Et je pourrai te dire si je peux venir avec toi. » Elle relâcha son menton et croisa les mains devant elle, avant de tenter un nouveau sourire, pour dédramatiser, en suivant son exemple. « Je suis sûre que la perspective de retrouver ses vêtements sera imparable. » Ca n’était pas un oui définitif – ça, elle ne pouvait pas le lui garantir, mais bon sang, qu’elle allait essayer. Elle la voulait, cette aventure. Elle les voulait, ces retrouvailles. Mais, d’abord, elle avait un test à passer. Le test du dialogue, de la confiance, et de la responsabilité – pour Orm, comme pour l’homme dont elle avait tant bataillé pour partager la vie. Plus d’erreurs, plus de maladresses. Tous les deux méritaient bien mieux que ça.

AVENGEDINCHAINS

Existe t-il pire sentiment que la contrariété pour un prince ? Et la contrariété, tu la sens se profiler à l'horizon, à travers le regard confus de Layla, après ta proposition de t'accompagner dans les tréfonds de l'océan. Passer du temps à la surface n'est pas uniquement apprendre les coutumes des humains, c'est aussi t'adapter à la normalité. A leur normalité. Tu n'es plus le roi d'Atlantis qui exige et obtient. Tu ne peux plus jouer les capricieux et punir ceux qui osent s'opposer à toi. Jadis, l'hésitation de Layla aurait provoqué une vive colère et le déchainement de la tempête. Un caractère difficile et extrémiste que tu dois entièrement à Orvax, ton père abusif. Il t'a façonné à son image, et parfois, t'as l'impression de lui ressembler bien plus que tu ne le voudrais. Ce n'est pas normal de perpétuellement entrer en conflit avec ceux qui pensent différemment de toi. Ce n'est pas normal de vouloir imposer aux autres tes opinions et de condamner celles qui s'en différencient. Elle va refuser. Même si elle n'en a pas envie, elle va refuser. Et tu n'auras pas d'autres choix que de l'accepter. Une nouvelle leçon de vie qu'il te falloir apprendre et accepter pour avoir une chance de réparer toutes les erreurs commises. Tu ne peux plus être le roi belliqueux, tu dois devenir le protecteur tolérant. Il le faut. Si tu veux te construire un avenir stable, il le faut. Alors cette fois, et malgré le diable sournois et bruyant sur ton épaule qui t'incite à réagir vivement, tu suivras la voie qu'aurait emprunté Atlanna à ta place. La compréhension. L'acceptation. Ironiquement, tu dois devenir un peu plus... humain. « Alors quoi ? » Tu le sais très bien, alors quoi. La femme que tu as devant toi aujourd'hui n'est plus celle que tu as trouvé cette nuit il y a maintenant plus d'un an. Elle a évolué, elle aussi. Elle s'est battue contre les démons de son existence, et il semblerait même qu'elle commence doucement mais sûrement à gagner. Evidemment qu'elle ne peut plus prendre ce genre de décision toute seule. Il ne s'agit plus que de elle et toi désormais. Une troisième pièce est entrée en jeu sur l'échiquier, et tu feras du mieux que tu peux pour t'en accoutumer. Si c'est le prix à payer pour raccrocher les wagons de votre relation, alors soit.

L'amour. Voilà le frein de votre aventure. Et tu sens qu'elle prend beaucoup de précaution en t'en parlant, dans cette amorce de réponse qui n'annoncera rien de définitif. Pas tant qu'elle n'en aura pas parlé à sa moitié. Et ça, étrangement, t'arrives à le comprendre. Toi aussi t'as été amoureux. Profondément amoureux, au point de tout faire pour protéger celle que tu as aimé. Tu as tué pour elle. Tu t'es dressé contre ton propre royaume pour elle. Et même si votre histoire a connu un triste dénouement, tu ne peux blâmer Layla de tout faire pour éviter que la sienne ne suive le même chemin. « Tu l'aimes vraiment, hein ? » Tu ne parles pas d'un amour classique, pas de celui que l'on rencontre tous les jours au coin des rues ou dans les romans de gare. Tu parles de l'amour qui représente tout, qui devient le moteur de l'existence, qui influence les choix et les décisions. Ta question est rhétorique, puisque tu sais qu'elle l'aime, mais t'espères qu'elle comprendra ce que tu veux dire réellement. Peut-être est-ce là ta façon de lui dire que t'acceptes que Floyd fasse maintenant partie de votre monde. Que pour elle, t'acceptes qu'il ait lui aussi son rôle à jouer dans votre avenir en commun. « Fais tout ce que tu peux pour garder ce que vous avez, si c'est aussi précieux que tu le laisses entendre. Parce que si un jour tout doit s'arrêter, crois-moi, on ne s'en remet jamais vraiment. » Ocean Master qui se permet de donner quelques conseils amoureux, tout arrive. Mais quelque chose te dit qu'elle n'en a pas réellement besoin. Elle sait ce qu'elle fait, et tu ne peux qu'approuver sa démarche, toi qui tout perdu justement parce que tu n'as pas su correctement communiquer avec Mera. Bien sûr que tu attendras. Ça ne t'enchante pas particulièrement, évidemment, mais tu l'attendras sur cette pointe. En espérant qu'il accepte ce côté là de sa personnalité, et qu'il la laisse retrouver de temps en temps cette liberté dont elle a besoin. Après avoir rangé la pierre dans ta poche, tu te lèves, sur le départ. Mais cette fois, aucune colère ne fait trembler les murs. T'as appris ta leçon. T'as plus aucune envie d'ébranler votre relation, elle t'est bien trop précieuse. « Prenez votre temps, j'attendrai aussi longtemps qu'il le faudra. » Parce qu'elle en vaut bien la peine. Et après un dernier sourire rassurant, tu lui laisses l'espace nécessaire pour commencer à réfléchir à comment aborder la question avec l'homme qu'elle aime.

La lune reflète sur l'eau, englobant la plage de Morro Bay d'une aura particulière et rassurante. Les derniers baigneurs ont repris le chemin de la maison pour une soirée au calme. Quant à toi, tu prends ton mal en patience, attendant le retour de ton amie, et surtout, sa réponse. T'as eu le temps de te questionner sur les tenants et aboutissants de cette fameuse discussion entre elle et Deadshot, te demandant s'il existait réellement une chance que vous finissiez tous les trois par y trouver votre compte. Et t'en es venu à la conclusion que trois est un mauvais chiffre, et que dans tous les cas, peu importe les décisions, il y aura toujours l'un de vous qui se sentira floué, moins à l'aise avec les choix qui seront faits. C'est comme ça, vous êtes une mauvaise combinaison. Mais pour cette fois au moins, t'aimerais obtenir satisfaction. Juste une fois. Tu ne demandes pas grand chose, simplement de pouvoir partir à l'aventure avec ton amie. Il devrait le savoir que jamais tu ne prendrais le risque qu'il lui arrive quoi que ce soit. Enfin, non, il ne le sait pas. Mais tu espères qu'elle le lui dira. Et enfin, après avoir tronqué tes vêtements humains pour ton célèbre costume d'Ocean Master, tu distingues sa silhouette se dessiner à l'horizon. Et avec elle, du matériel. Est-ce qu'il est trop tôt pour te réjouir ? En tout cas, tu ne masques pas le sourire qui se dessine sur ton visage, alors que vous vous retrouvez après une attente qui t'a semblé interminable. « Laisse-moi deviner, il est d'accord, mais il me cassera la figure s'il t'arrive un truc ? » Mais non, t'es pas mauvaise langue. En fait, tu le comprendrais parfaitement. Bien que les chances de Floyd Lawton face à toi soient on ne peut plus minimes. « Qu'est-ce que tu lui as promis en échange ? » Tu taquines, mais derrière l'amusement se cache aussi une réelle curiosité. En toute sincérité, tu ne pensais pas qu'il la laisserait te rejoindre.  

AVENGEDINCHAINS

« Je sais. » se contenta-t-il de répondre. Oh oui, elle savait – elle, elle aurait dû s’en remettre, maintenant qu’elle l’avait retrouvée, sa moitié d’âme perdue, et pourtant, le temps passait, et la blessure ne disparaissait pas. Parfois, elle s’estompait, et d’autres fois, quelque chose lui rappellerait, accidentellement, ces cinq longues années d’agonie qui auraient pu si facilement être évitées. Et c’était bien parce qu’elle savait, qu’elle ne pouvait pas se permettre d’accepter immédiatement l’offre d’Orm ; perdre Floyd une deuxième fois, par sa propre bêtise, ou par son propre égoïsme, elle savait que ce serait la fois de trop. Les bras croisés, elle suivit Orm jusqu’à sa porte, sans tempête, sans cris, sans colère, cette fois, et elle hocha la tête en lui rendant son sourire, avant de le laisser quitter la maison. Elle ignorait ce qui avait pu arriver à Orm, ces derniers mois, outre ce qu’il lui avait brièvement raconté, ou quel cheminement de pensée avait pu provoquer ce revirement, mais elle le trouvait changé. Serein aurait peut-être été un mot un peu fort, mais un poids avait-il été levé de ses épaules, malgré son implication avec Atlantis ? Elle y réfléchissait encore, perdue dans ses pensées, lorsqu’une heure plus tard, Floyd ré-apparu alors qu’elle était – sans efficacité aucune – retournée à ses cartes maritimes. Le bruit de la porte qui s’ouvrait lui fit relever le nez de son compas, et aussitôt, un sourire attendri vint ourler le coin de ses lèvres, face au spectacle de son partenaire dans son improbable tenue de sport, visiblement satisfait de son entraînement. Deadshot dans une équipe de hockey locale. Improbable, en effet – mais amplement mérité, après des années à noyer sa misère dans l’alcool et la noirceur à Gotham. « Hey. » le salua-t-elle en se levant de sa chaise, pour aller l’accueillir d’un baiser bien mérité. Ils allaient avoir besoin de force, pour la conversation qu’il ne savait même pas encore devoir avoir. Mais d’abord, qu’il respire, qu’il se pose. Cette fois, ils ne feraient pas tout capoter à cause d’une erreur de communication.

Elle s’était à moitié attendue à un refus catégorique ; et pourtant, quelques heures plus tard, à la tombée du jour, c’était vêtue pour l’occasion et son masque atlante à la main qu’elle s’éloigna de la maison d’un pas décidé. Les pieds dans le sable qui exhalait ses derniers relents de chaleur après cette journée ensoleillée, elle se fondrait presque dans la pénombre qui commençait à s’installer, si les premiers rayons de lune ne se reflétaient pas dans les imitations d’écailles sur sa combinaison – celle-là même qu’Orm lui avait procurée pour son premier voyage au Parlement, mais qu’elle avait débarrassée de ses renforcements anti-pression, pour ne laisser qu’une armature sommaire lui assurant un minimum de protection. Une customisation probablement un peu hasardeuse, à mi-chemin entre l’armure et la combinaison de plongée, ni tout à fait une chose, ni tout à fait une autre. Comme elle. Cette fois, ce n’était pas le cœur lourd, que Layla avançait vers Orm, forte de la bénédiction de Floyd – et le sourire qu’elle retourna à son compagnon d’aventure, elle le devait autant à ses questions, qu’à la vue de cette armure familière, et à la conversation difficile, mais libératrice qu’elle avait eue avec son partenaire avant de partir. « Je crois que les termes exact était ‘il me reste une balle de l’invasion de la Fosse’, mais dans l’esprit c’était ça, oui. » rétorqua-t-elle sur le même ton. « Je lui ai promis de faire attention, de ne pas prendre de risques inutiles, et de revenir indemne. Sans vouloir te mettre la pression. » Elle marqua une pause, un bref instant, puis ajouta : « Et lui m’a promis qu’il ne voulait pas que j’aie à choisir entre mon couple et nous. Malgré tout ce que ça implique. » Malgré le danger pour eux, malgré le danger pour lui-même. L’amour faisait faire des folies – chez Floyd, la folie s’exprimait par une abnégation confinant à l’absurde. Et elle mesurait, plus que jamais, le privilège que c’était, de l’avoir à ses côtés ; et par extension, le sérieux de sa responsabilité vis-à-vis de lui.

Après ce petit interlude chargé de soulagement des deux côtés, Layla prit malgré tout le temps de scanner la plage du regard, à l’affût de la moindre présence indésirée – Orm l’aurait remarquée bien avant elle, mais certains réflexes avaient du mal à céder. Waller avait-elle un œil sur eux, en cet instant précis ? Savait-elle qu’Ocean Master était de retour à Morro Bay ? Elle et Floyd en étaient arrivés à la conclusion qu’il n’y avait presque aucune chance pour qu’elle ignore qui avait aidé Ocean Master à échapper aux autorités pendant un temps, mais pourquoi n’avait-elle pas agi, là était la question. Peut-être voulait-elle garder ce moyen de pression sur Floyd. Peut-être qu’avec les changements récents à Atlantis, elle préférait jouer la carte de la prudence et conserver un pion proche du roi déchu qui se rapprochait à nouveau de son ancien royaume. Peut-être jouait-elle un jeu dont eux-mêmes n’avaient encore aucun moyen de deviner les règles. Leur seule consolation, c’avait été de se dire que pour l’heure, ils ne pouvaient rien y faire, et qu’ils étaient hors de danger direct. Alors autant se serrer les coudes – et se préparer, ensemble, pour quand viendrait l’heure de rendre des comptes. « On y va ? » proposa-t-elle enfin, essayant de ne guère laisser paraître les sombres pensées qui lui avaient traversé l’esprit, avant de marcher en direction de la mer, pour très vite se retrouver les pieds dans l’eau, puis les jambes, puis la taille. « Tu te souviens de la première fois que je t’ai emmené faire du bateau ? » lui demanda-t-elle, avec un sourire teinté de nostalgie aux lèvres. D’un geste exercé, elle applique son masque au bas de son visage – les curieuses nano-ventouses s’accrochant immédiatement à sa peau, et le filtre, aussi délicat qu’une membrane de méduse, mais aussi résistant que de l’acier, s’ajustant à la forme de son visage. Puis, Layla prit une profonde inspiration. « J’ai l’impression que cette fois, c'est toi qui vas avoir deux-trois choses à m'apprendre. » Alors que, en cumulé au cours de ses trente-deux années de vie, elle avait sans doute passé plus de temps dans l’eau qu’à la surface, l’inadaptée notoire. Mais qui aurait pu la blâmer ? Elle s’apprêtait à s’aventurer sous l’océan avec un prince atlante. Clear ou pas Clear, la perspective aurait pu prêter à rire.

Mais un défi était un défi, et depuis quand Layla Cook reculait-elle face à un challenge ? Surtout un challenge qui la rapprochait de sa mer bien aimée – et surtout un challenge qu’elle pouvait relever en compagnie d’un ami retrouvé. « C’est l’heure de découvrir si j’ai une chance de tenir le rythme face à toi, maintenant. » lança-t-elle, comme une dernière provocation amicale, avant d’avancer encore de quelques pas, et de plonger tête la première. En quelques brasses, elle s’éloigna du rivage et, se retenant de regarder où en était Orm, laissa sa conscience glisser hors de son petit crâne humain, se mélanger joyeusement avec l’eau tout autour d’eux, et localiser le courant le plus proche. Et, d’un effort de plus en plus aisé à mesure qu’elle en prenait l’habitude, elle lui demanda de changer de direction ; de l’emporter avec lui, vers les profondeurs marines, de plus en plus loin, et de plus en plus vite alors que sa volonté mêlée à celle du Clear s’alignaient pour la propulser à travers l’eau à une vitesse avoisinant celle d’un dauphin lancé à pleine allure. Elle savait qu’ils n’étaient pas vraiment là pour s’amuser. Elle savait que l’heure était sans doute grave. Elle savait qu’ils n’avaient pas encore vraiment parlé de ce qu’il s’était passé, quelques mois plus tôt. Mais ça viendrait, tout ça, inévitablement – alors en attendant, se dit-elle en cherchant Orm du regard pour lui adresser un sourire ravi, ils avaient le droit d’en profiter, des merveilles de paysages et de sensations que la mer avait à leur offrir. Malgré tout ce qu’il s’était passé, la mer avait même été assez clémente pour leur offrir un plus grand territoire d’entente encore. Elle avait peut-être perdu un peu plus encore de ce qu’elle avait en commun avec le reste de l’humanité, mais en échange, elle avait reçu ce cadeau-là. Celui de pouvoir le suivre là où elle ne l’aurait jamais pu avant ; celui de donner, peut-être, une nouvelle chance à une amitié condamnée d’avance, et qui pourtant semblait avoir survécu, quelque part au fond de l’océan.

AVENGEDINCHAINS

Tu l'admets, il y a une pointe de jalousie dans ce qu'accepte de te confier Layla sur la conversation entretenue avec son compagnon. Toi aussi t'aimerais pouvoir compter sur quelqu'un. Rentrer chez toi et te reposer sur l'épaule d'une partenaire prête à te soutenir peu importe les choix que tu ferais. Avoir une femme à tes côtés qui pourrait t'aider à surmonter les épreuves les plus ardues de la vie, et ce sans jamais émettre le moindre jugement. Tu sais que Floyd Lawton est loin d'être un enfant de choeur, mais tu sais que Layla Cook n'a pas à rougir non plus en la matière. Pourtant, malgré l'instabilité de leur quotidien respectif, ils semblent tous les deux avoir trouvé le bon compromis pour construire une relation durable et plus que prête à endurer absolument tout. Elle a de la chance, ton amie, d'avoir tout ce que toi-même tu possédais avant que tout s'écroule. Et t'espères qu'elle mesure pleinement ce privilège qui se fait de plus en plus rare aujourd'hui. « Une balle capable de percer la peau des Atlantes, hein ? Bon à savoir. » Toujours d'humeur un peu taquine, tu la laisses ouvrir le chemin vers votre destination mystérieuse mais aussi terriblement excitante. Il y a longtemps que tu voulais partager un moment comme celui-là avec elle, où il n'y aurait que vous deux et une étendue d'eau pour vous englober dans une bulle protectrice. Quand t'es arrivé ici, elle t'a fait découvrir son monde, et maintenant t'as comme l'impression que c'est à ton tour. Mera lui a dévoilé Atlantis, mais toi aussi t'as quelques cartes dans ta manche, assez efficaces pour lui faire écarquiller grand les yeux. Et si elle pense bien connaître les océans, elle n'a encore rien vu. A ton tour, tu laisses l'eau t’immerger à moitié, tout en te remémorant le souvenir qu'elle fait renaître dans votre mémoire commune. Bien sûr que tu te souviens de cette première sortie en bateau, comment l'oublier ? C'est la première fois que  tu prenais la peine de t'intéresser à un tel engin, après avoir passé toute une vie à les détruire. Tu te souviens aussi parfaitement de cette drôle de sensation, quand le bateau a glissé sur l'eau, laissant à votre imagination le soin de deviner ce qui pouvait bien se trouver en-dessous de vous. Pour un Atlante qui a l'habitude de côtoyer les profondeurs, c'était pour le moins déroutant. Mais loin d'être désagréable. « Compte sur moi, tu ne seras pas déçue. » Promesse qui n'est en rien un risque, puisque les merveilles qui se cachent sous l'eau ne pourraient laisser personne indifférent. Et encore moins Layla et sa sensibilité particulière à la mer.

Déjà, alors que vous venez à peine de plonger, la splendeur des océans se dessine sous vos yeux. Mais, ce n'est pas cet habitat familier que tu observes. Non, toute ton attention est portée sur Layla, qui elle aussi se trouve désormais dans son élément, et dont la nage aisée, presque gracieuse, te laisse à la fois pantois et très fier. Le Clear a fait le bon choix. En toute objectivité. Pendant de longues minutes, il n'y a pas besoin de mots entre vous. Vous vous contentez de vous frayer un chemin parmi les bancs de poissons et les coraux, toujours avec cette pointe de défi qui vous pousse à faire une démonstration à l'autre. Elle n'est pas née ici, Layla, mais durant une fraction de seconde, t'en as eu l'impression. Elle est à l'aise au milieu de ces créatures, se laissant porter par le courant au cœur d'un environnement qu'elle chérit d'une sincérité qui fait écho jusqu'à toi. Non, mieux encore, elle est heureuse. Un bien-être que tu connais on ne peut mieux et qui te confirme un doute : elle aussi se sent chez elle ici. Vous passez maintenant au plus près d'une épave, un navire militaire qui porte le nom d'USS Nevada sur sa coque. « Tu connais ? » C'est donnant-donnant entre vous. Tu veux bien l'amener aux endroits les plus secrets, mais en échange, elle va devoir te raconter les histoires qui vont avec. Tant pis si vous mettez un peu plus de temps que prévu à arriver à la fosse mystérieuse, t'as envie de profiter du voyage, qui, tu le sais, ne pourra se reproduire aussi régulièrement que tu le voudrais. Contrairement à toi, l'autre moitié de sa vie se trouve à la surface. « Il y en a plein de ce genre là. Des avions aussi. Et des bateaux qui voguent sans équipage au milieu des mers. » Des navires qui ont suscités contes et légendes chez les humains, et dont toi tu peux percer le mystère. Un jour, promis, tu l'emmèneras à l'endroit de son choix, pour qu'ensemble vous exploriez les vestiges d'un temps passé et parfois oublié.

Mais malgré toute la légèreté du moment, il y a quand même encore une chose qui pèse comme un poids sur ta poitrine. Vous vous êtes retrouvés, mais pour définitivement sceller ce nouveau départ, il y a des mots que tu te dois de prononcer. Des mots compliqués, d'autant plus pour un prince gonflé d'ego comme toi. Mais il le faut. Alors après un nouveau long silence, tandis que vous poursuivez votre escapade jusqu'à la croix du trésor, tu te lances, non sans une certaine fébrilité qui ne te ressemble pas : « Je suis désolé pour la dernière fois. Pour la façon dont je suis parti. Dont j'ai claqué la porte. » Pas au sens propre, bien évidemment, même si tu l'as fait également. Non, tu t'excuses pour avoir tourné le dos à cette amitié. Une amitié qui t'est précieuse depuis le début, et que tu aurais dû mieux mesurer avant de prendre une décision aussi stupide, bien qu'entièrement guidée par la colère. T'en as souffert, elle en a souffert, et l’abcès qui s'est crevé tout à l'heure ne suffira pas à tout effacer. Il fallait que tu le fasses. Que tu t'excuses. Floyd lui a promis de ne jamais l'obliger à choisir entre son couple ou vous, et bien, tu vas faire la même promesse. « Pour me faire pardonner, j'aimerais te présenter quelqu'un. » Et un cri étouffé par les eaux, semblable à un rugissement, raisonne tout autour de vous pour annoncer sa présence. Puis une ombre approche, avant de laisser l'apparence bien distinctive d'un dinosaure se dessiner juste devant vous. Ton tylosaure. Ta monture. Ton amie. Créature qu'elle a peut-être déjà vaguement aperçue auparavant, mais qu'elle n'a certainement pas vue dans son élément, dans toute sa terrifiante beauté. « Layla, voici Scylla. Et Scylla, je te présente Layla. » Nouveau cri, comme pour poursuivre ces présentations très particulières. Il était grand temps que tes deux meilleures amies se rencontrent. En espérant qu'elle ne soit pas déçue de ce premier as que tu viens de jeter sur le tapis de cette escapade en tandem.  

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Il était aisé, à de telles profondeurs, sans que les rayons du soleil ne parviennent tout à fait à les atteindre, de perdre toute notion du temps. Depuis combien de temps nageaient-ils en silence, l’un glissant dans l’eau avec l’agilité propre aux Atlantes, l’autre se laissant porter par un courant complaisant ? Layla était tant et si bien absorbée dans sa contemplation qu’elle aurait été incapable de dire s’ils nageaient depuis quelques minutes ou plusieurs heures. Derrière la cornée de ses yeux, y projetant une étrange lueur, la lumière du Clear – enfin, ce qu’elle avait décidé d’appeler comme ça, parce qu’elle n’avait aucune idée de ce que c’était – remplissait son office, lui permettant de distinguer le paysage alentours malgré la pénombre et ses pauvres yeux d’humaine inadaptés à cet environnement. Le noir complet avait été remplacé par des bleus et verts profonds qu’elle n’avait jamais été en mesure de distinguer auparavant, et coraux, poissons et algues dansaient en projetant leurs propres couleurs, dessinant sous leurs yeux un tableau surréaliste sorti tout droit d’une imagination qui n’appartenait clairement pas au monde de l’humanité. Et, toute absorbée qu’elle fut dans la contemplation des massifs coraux et des fosses qui les entouraient, elle aurait eu bien du mal à manquer l’énorme épave qu’Orm lui désigna tout à coup – Layla plissa les yeux pour en déchiffrer le nom alors qu’ils longeaient la paroi endommagée, mais à peine entamée par la rouille, et son regard s’éclaira à nouveau, cette fois d’une lueur de surprise. « USS Nevada ? J’en ai entendu parler, oui. Ce machin a plus de cent ans, c’était un navire de guerre américain. » récita-t-elle, se souvenant instantanément de longues heures de lecture d’histoire navale et maritime, alors qu’elle s’approchait, ses doigts effleurant la coque chargée d’un si lourd passif. « Il a été coulé une fois, puis remis en service. A la fin, l’armée l’a utilisé comme cible pour des tests nucléaires, puis l’ont coulé pendant un exercice. » Depuis le temps, et avec les courants, ils n’avaient guère à s’inquiéter de la radioactivité de l’endroit ; mais ce navire était encore un illustre exemple de l’humanité traitant ses océans comme une décharge et un terrain de jeu personnel. Qu’ils étaient ignorants, alors. Et Layla ne put s’empêcher de ressentir une pointe de honte résignée en songeant qu’ignorants, ils l’étaient toujours. Ignorants, et surtout stupides. Mais, pour stupides qu’ils soient, l’histoire des hommes et celle de la mer étaient désormais étroitement liées, comme Orm le soulignait si bien. Et elle aussi, elle aimerait en être témoin, de ces reliques du passé, de ces océans hantés et de ces vaisseaux fantômes où les limites entre mer et terre se brouillaient véritablement.

Laissant derrière eux l’épave de l’USS Nevada – dont la présence lui confirma d’ailleurs qu’ils étaient déjà à presque cinq kilomètres sous la surface – ils poursuivirent leur route en eaux inconnues, toujours plus profondément dans les entrailles sombres et froides et silencieuses de la terre. Si elle avait été plus fine observatrice, peut-être même aurait-elle décelé avant la nervosité d’Orm ; mais elle ne l’avait pas fait, et ses excuses, prononcées sur ce ton fébrile mais chargé de sincérité, la prirent au dépourvu. Des excuses inattendues, qu’elle n’estimait même pas vraiment mériter, d’ailleurs, mais qui, malgré tout, lui mirent du baume au cœur. Parce que des excuses ne sortaient jamais de nulle part – surtout pas pour les gens fiers et solitaires comme eux – mais étaient toujours la conclusion d’une longue réflexion, ce qui, en d’autres termes, voulait dire que lui non plus, malgré tout, n’avait pas vraiment cessé de réfléchir à leur étrange situation. Elle n’y connaissait pas grand-chose en psychologie royale, mais elle estimait avoir appris à bien le connaître, lui : un orgueil démesuré, une propension certaine à la susceptibilité et la colère immédiate, comme s’il existait à peine un filtre entre les événements qui pouvaient l’atteindre et ses émotions. Elle s’en était amusée, autrefois, parfois, avant d’en faire les frais. Alors qu’un homme comme lui prenne la peine d’aller à contresens de lui-même pour présenter des excuses ? Elle n’avait franchement pas besoin de preuve plus probante de sa sincérité, ni de son envie de peut-être réparer les dégâts. Mais, avant qu’elle ne puisse accepter ses excuses ou répondre quoi que ce soit, Orm lui coupa l’herbe sous le pied, lui faisant arquer un sourcil. Lui présenter quelqu’un ? Et, à peine une seconde plus tard, elle s’immobilisa sur place ; toute la place dans sa poitrine occupée par la soudaine présence, ancienne et écrasante, de quelque chose qui fendait les flots à leur rencontre. Elle la sentit bien avant de l’apercevoir, cette silhouette massive et majestueuse qui se dessina peu à peu dans la pénombre. Oh. My God. Bouche bée, elle resta sans voix, Layla, face à l’ombre gigantesque dont, très vite, elle put distinguer les écailles, la peau épaisse et rugueuse ; les yeux reptiliens et les dents de la taille de ses avant-bras. Scylla. Et à nouveau, la bête rugit, et l’eau vibra tout autour d’elle, jusque dans les os de la pauvre humaine qui, décidément, se sentait bien petite aujourd’hui ; mais surtout, stupéfaite, et tétanisée, et émerveillée par le spectacle impossible qu’elle avait devant les yeux. Impossible, et pourtant. Sous l’eau, avec Orm, elle commençait à penser que, finalement, l’impossible n’existait réellement plus, disparu en même temps que la lumière du soleil.

« Bonjour Scylla. » parvint-elle à répondre dans un souffle, subjuguée, foudroyée sur place, pétrifiée, les trois à la fois – Orm venait de la présenter à un dinosaure, bon sang ! Son dinosaure, en plus. Elle en avait beaucoup entendu parler, de cette fameuse Scylla, mais se retrouver face à elle, c’était largement autre chose, quand il s’agissait de réaliser. « Elle est… immense. » lâcha-t-elle en se laissant flotter, prudemment, jusqu’à la hauteur de leur nouvelle compagne de voyage. « Et superbe. » Elle espérait qu’il lui pardonnerait son fil de pensée décousu, mais Scylla était sans doute sa découverte la plus stupéfiante depuis le Parlement des Vagues lui-même. Layla ne se risqua pas à tenter de caresser le monstre – avatar du Clear, oui, mais pas des tylosaures qui auraient envie de lui croquer un bras pour son impudence – mais constata qu’Orm était déjà parti s’installer sur sa monture. « … parce qu’on y va en tylosaure ? » Et oui, apparemment. « Okaaay. » Floyd n’allait jamais s’en remettre, quand elle lui raconterait. Elle non plus, d’ailleurs. D’une brasse, elle se propulsa à la verticale et remonta elle aussi le long du flanc de Scylla pour venir se poser sur son immense dorsale, derrière Orm. Au moins, ils avaient de la place. « Prête, mon capitaine. » Ou pas – puisqu’à peine Scylla eut-elle donné un coup de nageoire pour se mettre en mouvement, Layla glapit en s’agrippant à une de ses protubérances dorsales pour ne pas se faire éjecter en arrière par la soudaineté et la force du mouvement. Quelques minutes d’adaptation se montrèrent nécessaires, mais le nouvel avatar mal ficelé du Clear finit par s’habituer au rythme de course de Scylla, et trouver une position confortable pour le voyage. Pendant quelques instants, Layla garda le silence, distraite par ces nouvelles sensations, alors que Scylla plongeait toujours plus profondément vers les fonds marins. « Si c’est comme chaque fois que tu veux présenter des excuses à quelqu’un, j’aimerais te rappeler que tu m’as piqué une part de pizza, une fois. » finit-elle enfin par commenter ; espérant qu’un peu de légèreté ferait passer le message intentionné. Qu’évidemment, qu’elle lui pardonnait. « Je n’ai pas de tylosaure à te présenter pour me faire pardonner, mais toi aussi, je te demande pardon. Pour n’avoir pas été à la hauteur de la promesse que je t’avais faite ni de ta confiance. » Parce que c’était surtout ça, finalement. C’avait toujours été ça. « Si ça peut te consoler, et pour ce que ça vaut, c’est ta réaction qui a achevé une prise de conscience nécessaire depuis bien plus longtemps. » Imperturbable, Scylla descendait, toujours plus profondément, dans les ténèbres sous-marins – et Layla se demanda jusqu’à où ils allaient plonger comme ça, parce qu’à ce rythme, elle en croirait presque qu’elle les menait tout droit au Parlement plutôt que la fosse dont Orm lui avait parlé. « Je suis contente que tu sois venu me chercher pour… partir à l’aventure à des profondeurs mortellement dangereuses à dos de dinosaure. » Comme une première main tendue vers la réconciliation. La leçon avait été brutale et difficile ; mais c’était Ocean Master, après tout. Si elle n’était pas capable de soutenir la tempête, alors peut-être qu’effectivement il avait bien fait de claquer la porte.

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Tu ne rates évidemment aucune miette de cette rencontre, plus qu'heureux de pouvoir enfin les voir toutes les deux face à face. Scylla a été présente pour toi après la prison, quand tu t'es retrouvé seul et démuni dans une nouvelle vie dont tu ne savais plus quoi faire, et Layla l'a été ensuite, quand enfin tu as commencé à sortir la tête de l'eau – littéralement. Elles ont toutes les deux joué un rôle fondamental dans ton émancipation d'Atlantis, et encore aujourd'hui, elles représentent deux rocs contre lesquels tu t'appuies quand tu te sens vaciller. Scylla n'est pas du genre à copiner avec les personnes qui croisent ton chemin, mais avec l'humaine de Morro Bay, tu sais qu'il ne pourra en être autrement. Deux pans de ton existence réunis. La terre et la mer. Le passé et le présent. Et finalement, cette rencontre scelle maintenant une promesse d'avenir ensemble. C'est ta façon de lui prouver qu'elle fait définitivement partie de ta vie. T'as jamais été très doué pour mettre des mots sur tes sentiments ou pour exprimer ton affection pour les autres, mais t'espères qu'elle saura lire à travers tout ce que ce geste implique. C'est pas une grande bavarde non plus, Layla, alors elle devrait mesurer pleinement la portée de l'initiative, et surtout, son importance. Scylla est tout ce qu'il te reste, tu n'auras jamais quelqu'un d'autre à lui présenter. « Merci pour elle. » Comme n'importe quel animal, ton tylosaure fixe celle qu'elle juge comme étant une nouvelle inconnue dans une équation qui ne comportait pour l'instant qu'elle et toi. Mais la créature, en plus d'être intelligente, est liée à toi, tu sais donc que jamais elle ne lui fera le moindre de mal. Une bonne raison pour faire le reste du chemin sur son dos. Et la réaction de Layla te laisse à nouveau un sourire amusé scotché aux coins des lèvres. « Bah oui, ça ira beaucoup plus vite. Et puis faut que tu en fasses l'expérience, ça va pas t'arriver tous les jours. » Elle a beau être avatar du Blue, monter sur un dinosaure, elle ne risque pas de le refaire de sitôt.

Alors c'est donc l'heure des excuses et de l'introspection ? Très bien, voilà qui vous permettra de reprendre les choses là où vous les aviez laissées. Vous n'avez pas été à la hauteur de cette amitié, mais qu'importe, tant que vous tirez des leçons de ces bêtises. Après tout, qui pourrait vous en blâmer, vous êtes âmes errantes restées bien trop longtemps seules, vous aviez oublié ce que c'était que de partager le quotidien de quelqu'un, de s'adapter à son caractère et de faire les efforts pour que la relation fonctionne. Elle comme toi, vous reveniez de très loin. Layla a fini par trouver cette stabilité auprès de Lawton, et toi, tu commences doucement mais sûrement à la retrouver dans ta quête mystérieuse. Tu sens du plus profond de toi-même que tu étais destiné à trouver cette pierre, ce qui, par conséquent, te fait ressentir de lourdes responsabilités – comme jadis, quand tu étais roi. Layla t'a bien fait comprendre que cette pierre était à la fois puissante et dangereuse, et c'est de toi qu'elle dépend maintenant. Et honnêtement, avoir quelqu'un comme elle à tes côtés quand viendra l'heure de prendre la décision est exactement ce dont tu as besoin. T'as changé depuis ton exil, mais il y a toujours une part de toi qui craint de commettre les mêmes erreurs. Avec elle, au moins, tu sais que ça ne pourra pas arriver. Elle ne te laissera pas échouer. « Evite de provoquer une nouvelle dispute, je t'assure que j'ai plus aucun dinosaure en stock. » Que ça fait du bien de retrouver ce qui était autrefois votre normalité. Des mois à essayer de vous apprivoiser qui auraient pu disparaître en une seule seconde. En une seule porte qui claque. Vous avez évolué, elle et toi, et cette réconciliation en est probablement la plus belle preuve.

La balade est douce et tranquille, frayant votre chemin parmi les milles et une beautés de l'océan. Et si au début de votre périple la lumière vous servait encore de lanterne jusqu'aux plus profond des abysses, désormais, c'est l'obscurité qui commence à vous envelopper de son grand manteau. Et tout devient soudainement beaucoup plus effrayant. C'est l'une des particularités de l'océan, parfois il peut se montrer apaisant et rassurant, et parfois, il est aussi terrifiant qu'un monstre caché dans l’armoire prêt à jaillir. Vous approchez, plus que quelques brasses de Scylla et vous entamerez la descente vers le fond océanique, là où tu as trouvé la pierre il y a quelques jours de ça. Les épaves sont encore là, comme des hôtes silencieux qui vous regardent plonger vers votre destinée. Tout est calme. Presque anormalement calme, toi qui est pourtant sensible à la faune et à la flore de tout l'environnement maritime. Il y a eu juste cet écho. Le même que la première fois, comme un chant étrange. Un conte chantonné par une sirène. Créature mystérieuse emprisonnée dans la fosse. « Tu entends ? » Faut-il des capacités particulières pour pouvoir entendre sa mélodie ? Est-ce que Layla en est tout aussi sensible que toi ? « Attention, ça risque d'être douloureux. Si c'est trop difficile pour toi, tu me le dis aussitôt et on remonte. » Une telle pression, des kilomètres sous la surface, est particulièrement difficile à supporter, y compris pour un Atlante. La dernière fois tu as lutté contre ton propre corps pour atteindre le fond, et tu refuses de laisser Layla souffrir du même mal. Tu ignores ce que ça implique réellement d'être devenue avatar du Blue, mais hors de question qu'elle en teste les limites aujourd'hui. Tu ne lui feras courir aucun risque. Attentif à ta camarade, tu ordonnes à Scylla de descendre de plus en plus bas. Toujours plus bas. Jusqu'à toucher le plancher. Vous y êtes. « C'est là que j'ai trouvé la pierre. Est-ce que tu sens quelque chose de particulier, toi aussi ? Y a quelqu'un emprisonné ici, pas loin. C'est une certitude. » Et qui mieux qu'elle pour confirmer ou infirmer tes dires. En espérant qu'elle ait gardé une certaine intimité avec tout ce qui s'est passé sur New Themyscira. Si tu es le capitaine de l'expédition, elle en est sans aucun doute le phare.

AVENGEDINCHAINS

Il lui semblait que les mots lui manqueraient toujours pour décrire les sensations qui l’envahissaient chaque fois qu’elle s’approchait des fonds marins – lorsqu’elle passait cette limite entre les profondeurs superficielles connues des hommes et celles des abysses, qui révélaient alors un monde entier où l’étrange et le silence reprenaient leurs droits dans ces ténèbres calmes et intemporelles. Scylla plongeait toujours plus bas vers le plancher océanique, et Layla leva la tête vers la surface pour voir disparaître les derniers rayons de lumière. Et enfin, plus rien. Le noir complet et le silence absolu, uniquement interrompu par la nage élégante du tylosaure et des bulles laissées dans son sillage. Un calme absolu, épais, palpable, aussi glacé que les températures dans lesquelles ils s’enfonçaient ; dans sa poitrine, dans sa tête, dans ses entrailles, Layla sentit le rayonnement du Clear pulser doucement, propager ses radiations dans ses veines et le long de son échine, comme un frisson de lumière. Et très vite, l’obscurité abyssale de l’océan s’éclaircit, le reflet du Clear brillant dans ses iris avec plus d’intensité à mesure qu’ils approchaient du fond. Un ajustement, un équilibre auquel elle et le Clear s’habituaient encore ; un exercice auquel ils devenaient de plus en plus habile. Les épaves abandonnées dans leur dos murmuraient les échos de leurs naufrages et les chagrins des fantômes qui les hantaient encore, tandis que plancton, crevettes, et quelques poissons particulièrement résistants s’obstinaient à survivre dans ces lieux si hostiles que vie et mort se confondaient en un cycle sans fin et sans merci. Elle entendait l’eau, très froide, très vieille, se déplacer par courants paresseux. Et elle entendait l’écho, lointain, mais distinctivement reconnaissable, d’une voix perdue depuis des millénaires. « Je l’entends. » confirma-t-elle à Orm. « J’entends tout, ici. » Les mois avaient passé, et elle ne s’y habituait pas, à cette distension de sa conscience, sitôt qu’elle était dans l’eau ; comme si elle était partout à la fois, élastique, immatérielle, dans chaque goutte d’eau, à chaque instant. Peut-être que les années feraient leur office, ou peut-être qu’elle n’était pas censée s’y habituer, ni jamais prendre ce privilège pour acquis. Se forçant à se concentrer sur l’ici et le maintenant, elle hocha la tête à l’adresse de son ami. Ha. Ami. Quel beau miracle. « Ca va aller. Au pire, je te blâmerai pour mes courbatures. » Et il serait forcé de l’emmener à nouveau faire un tour en tylosaure. Belle idée que voilà.

Bientôt, le plancher marin apparut à leurs yeux habitués à l’obscurité, de sombres bleus se fondant dans les noirs profonds des abysses. Layla leva la tête, contempla les hautes surfaces escarpées des falaises qui les dominaient de toute leur hauteur – ils devaient se trouver dans une fosse ou une crevasse. Et Layla comprit pourquoi Orm avait voulu l’avertir : la pression ici était impitoyable. Ecrasante. Etouffante. Même elle, elle la sentait chercher à compresser son corps tout entier, étau qui pesait sur ses épaules, son dos, sa poitrine ; sans la protection du Clear, il n’aurait resté d’elle qu’un filet de peau. Mais la mer la préservait – sans jamais l’épargner complètement, comme pour lui rappeler d’où elle venait réellement, mais que sa présence était acceptée. « Je le sens aussi. Tout près… » Le chant des profondeurs. Assourdissant, mélodieux, envoûtant, porté par les courants et se répercutant sur les parois rocheuses. Alors que Scylla ralentissait, Layla sauta adroitement de son dos écailleux et se laissa tranquillement couler jusqu’à ce que ses pieds ne touchent le sable glacé. Des fragments microscopiques de roches et d’os – un véritable cimetière géant. Un spectacle désolé et désolant. Et curieusement, un paysage dans lequel elle se sentait, depuis qu’elle avait eu le privilège de les découvrir de ses propres yeux, parfaitement à son aise. Chez elle. « Tu avais raison. Il y a quelque ici. Cette fosse, c’est une prison. Une très, très vieille prison. » D’un légère poussée, elle nagea à nouveau jusqu’à Orm et Scylla arrêtés un peu plus loin. Il y avait quelqu’un emprisonné dans ces profondeurs – et si Orm avait réussi à l’entendre sans parvenir à distinguer la provenance de ce son si particulier, Layla, elle, sentait déjà une boussole interne dont elle n’avait même pas eu conscience de l’existence pointer dans une direction en particulier. Un instinct, une certitude, un sixième sens guidé par l’écho des milliards de litres d’eau tout autour d’eux qui parlait d’une même voix unifiée. « Je sais où on va. » Je crois. « Suis-moi. »

A nouveau, elle s’élança en quelques brasses rapides, portée par le courant, en suivant de fil d’Ariane invisible qui la tirait dans une direction exactement comme à New Themyscira. Sauf que cette fois, elle savait ce qu’elle faisait. Cette fois, elle n’avait pas besoin de dépendre du bon vouloir d’une autre personne : elle et Orm étaient, peu ou prou, sur un pied d’égalité. Il avait besoin d’elle pour remonter à la source de ce chant, elle avait besoin de lui pour mieux naviguer ces profondeurs – et qu’il était libérateur de s’y aventurer avec l’une des seules personnes au monde qui pouvait partager ce langage avec elle. Et si elle commençait enfin à accepter l’idée que leur amitié avait une chance de renaître de ses cendres, elle songeait aussi que la tragédie d’Amy, sa propre perte d’humanité, et son lien désormais inébranlable avec les océans, ne pourrait que consolider ces bases qu’ils essayaient maladroitement de reconstruire à vingt mille lieues sous les mers. En quelques mois de cohabitation à la surface, il avait complètement bouleversé ce qu’elle avait cru savoir ou comprendre du monde ; que se passerait-il, maintenant qu’ils avaient ce terrain supplémentaire à leur disposition, sur lequel même Waller ne pouvait pas les suivre ? Layla tourna la tête pour partager ses réflexions avec Orm, mais s’interrompit avant même d’articuler un mot. « Orm ? » Le courant s’arrêta presqu’aussitôt, l’immobilisant adroitement alors qu’elle s’approchait de son compagnon pour scruter son visage, sur lequel elle avait bien cru distinguer, pendant un instant, l’éclat d’une grimace. Il était fort pour donner l’impression d’être inébranlable, Orm, très fort – un guerrier de la plus belle eau, mais lorsqu’elle l’entendit, cette armure en acier atlante, grincer sous le poids démesuré des profondeurs, elle comprit qu’elle avait vu juste. « C’est peut-être pour toi qu’on devrait remonter. » remarqua-t-elle, constat teinté de souci – elle savait les atlantes remarquablement résistant, mais jusqu’à quel point ? Et à son grand désespoir, elle était incapable de partager avec lui la bénédiction du Parlement des Vagues. Super. Peut-être bien qu’elle devrait aller faire un dépôt de réclamation et leur demander une promotion, finalement, si ça pouvait lui éviter de faire endurer un calvaire à Orm dans son propre élément. Mais Orm n’était rien, sinon têtu, et elle comprit presque aussitôt qu’il n’avait pas la moindre intention de faire demi-tour avant qu’ils n’aient atteint leur but, et Orm était sans doute bien la seule personne au monde dont elle acceptait de reconnaître l’entêtement comme plus borné que le sien. Elle soupira dans son masque. « Si on a besoin de remonter, t’attends pas d’avoir le cerveau en compote, compris ? » Pas alors qu’elle venait tout juste de le retrouver. Tous deux reprirent leur route, et après quelques minutes à zigzaguer au fond de cette fosse, l’étroit couloir de roches s’élargit, pour laisser la place à une clairière circulaire, cerclée de falaises ; comme la nef d’une immense cathédrale sous-marine ; et le sable à son tour disparut, complètement recouvert par une infinité de fragments blancs ivoire, lisses, et parfaitement immobiles. Des ossements de baleines. Des squelettes de poissons qu’elle n’avait jamais vus auparavant. Des coquilles de coquillages lissés par le sable et la pression. Un cimetière tout entier. Et tout autour d’eux, ce chant, encore, plus présent, plus prégnant que jamais, et dans sa poitrine, ce fil qui l’attirait inexorablement vers l’immense carcasse osseuse d’une baleine bleue. « C’est là. » déclara-t-elle en posant les pieds sur le tapis mortifère. Là, ou plutôt, là-dessous. Layla prit une longue inspiration dans son masque, et ferma les yeux, laissa ce fil invisible guider sa main, son esprit ; et le courant qui traversait cette vallée de la mort changea de cours, suivant à son tour ce fil invisible, guidé par sa volonté à elle, et déplaça, progressivement, le squelette qui masquait encore la fin du voyage à leurs yeux impies. Dans un craquement sonore, l’obstacle à leur quête fut complètement dégagé, révélant une large crevasse – la dernière du voyage. Le cœur battant dans sa poitrine, Layla rouvrit les yeux et s’approcha du rebord. D’ici, elle pouvait en voir le fond. D’ici, elle pouvait entendre la complainte de la prisonnière. Et d’ici, brillait la lumière pâle et éteinte d’un élémentaire prisonnier depuis bien trop longtemps. Incrédule, Layla releva les yeux vers Orm. « On y est. » souffla-t-elle. Des algues avaient inexplicablement émergé du sol pour s’enrouler autour de ses chevilles, comme pour la saluer – et quelques coquillages inexplicablement vivants à ces profondeurs, s’étaient accrochés aux jambes de sa combinaison, sans qu’elle n’ait l’air de s’en rendre compte. Ou de s’en soucier. « C’est toi qui as trouvé la pierre. Si tu penses que tu peux supporter le voyage, je viens avec toi. Sinon, on remonte. J’ai pas passé des mois à me demander ce que tu devenais pour te voir te transformer en bouillie dans un cimetière de baleines. » Et tant pis pour l’élémentaire qui se cachait sans doute là-dedans, tant pis pour le Parlement des Vagues, tant pis pour le Clear. Layla avait toujours choisi ses propres priorités, aussi discutables soient-elles. Aujourd’hui, si elle avait un nouveau choix à faire, ce serait lui. Evidemment.

AVENGEDINCHAINS

Une prison. Layla confirme l'idée qui germait dans ton esprit depuis ta première visite ici. Et forcément, il y a un écho à ta propre histoire qui renforce tes convictions et ta motivation à percer le mystère. Toi aussi tu fus jadis enfermé derrière des barreaux, privé d'une liberté précieuse, et dans un endroit que tu exécrais plus que tout : la surface. Que quelqu'un puisse subir les mêmes tourments contre son gré t'hérisse le poil, et tu te sens animé d'une nouvelle colère qui ne demande qu'à être assouvie. Guidé par Layla, et déjà éternellement reconnaissant pour son aide, tu nages à travers ce décor à la fois triste et porteur d'espoir. Et peut-être même de recommencement. Tu n'en as pas encore parlé à ton amie, mais voilà plusieurs semaines que tu songes à reconstruire un royaume. Un royaume à ton image, tout en te faisant toi-même la promesse de ne plus commettre la même erreur. Tu dirigeras en roi bon, juste, mais toujours avec la même envie de faire prospérer vos richesses et de protéger le monde sous-marin. T'en as besoin. Tu es né prince, gouverner est inscrit dans tes gènes, et après de longues années d'égarement, il est grand temps de mettre un terme à cette perdition. Tu es Orm Marius, héritier d'Atlantis, et bientôt, une nouvelle cité va s'élever. Une alliée pour ton peuple, et si les humains ne cessent pas rapidement leur folie, une menace pour eux. Sans basculer à nouveau dans la radicalité, tu comptes utiliser ton pouvoir et ton influence pour imposer des nouvelles lois de cohabitation. Il y a beaucoup de choses qui ne sont plus tolérables. Beaucoup qui doivent cesser rapidement. Et si tu n'as plus le titre de prince d'Atlantis, tu porteras bientôt celui du roi de la cité de Dagon. Jadis une chimère dans ton esprit prisonnier de la surface, aujourd'hui une réalité qui pourrait très vite éclater. Tu en es persuadé, cette future rencontre, ce n'est pas un hasard, tu étais destiné à entendre ce chant, destiné à trouver son origine. La créature qui vit là en bas et toi, êtes liés. « On continue. » Subjugué par les possibilités qui s'offrent à toi, c'est à peine si tu réalises combien la pression devient insoutenable. Tu la sens maltraiter ton armure et tes muscles, mais tu sais déjà que rien, absolument rien, ne t'empêchera d'atteindre ton but.

Elle est impressionnante, Layla, à se frayer ainsi un chemin pourtant difficile à travers les profondeurs de l'océan. Et elle ne se laisse pas démonter par sa dangerosité. T'en as conscience, ce qui se cache sous les eaux est à la fois somptueux et terrifiant, de quoi rebuter parfois les plus amoureux de la mer. Mais pas elle. Oh, non, bien au contraire. Plus que jamais elle est liée à cet élément qui est aussi le tien, et quand vous en aurez terminé avec cette escapade, vous prendrez le temps de parler longuement de ses nouveaux pouvoirs. T'en es presque jaloux. Quand tu la regardes, t'as pas l'impression qu'elle souffre du même mal que toi. Elle a des allures presque surnaturelles. Élégante dans ses mouvements, certaine de sa direction, tu restes un instant admiratif de cette partenaire devenue une précieuse alliée. Elle ne le sait pas encore, Layla, mais tu lui gardes une place de choix dans ton futur royaume. Si ce n'est la plus importante. Perché au-dessus de la crevasse qui marque le point d'arrivée de votre périple, tu contemples la lumière qui s'en échappe, tout aussi persuadé qu'elle que la fin du mystère se trouve ici. Tu lui adresses un regard de remerciement, avant de fermer doucement les yeux pour te laisser emporter par ce chant plus clair que jamais. Et qui sonne maintenant comme une victoire. L'élémentaire est ici, juste en bas. Encore quelques mètres et vous la trouverez. Alors sans hésiter une seule seconde, tu réponds à nouveau : « On continue. » Hors de question d'abandonner maintenant. Tu peux y arriver. T'es touché par son inquiétude, mais comment pourrais-tu remonter alors que vous touchez enfin votre objectif du bout des doigts ? Aussitôt, et pour écourter un débat qui n'a pas lieu d'être, tu plonges dans la crevasse, où la pression est si forte que tu te retiens de ne pas hurler. Les dents serrées, les déplacements de moins en moins fluides, c'est à l'intérieur de toi-même que tu cherches le courage et l'énergie de continuer. T'es un prince Atlante, c'est certainement pas ton propre environnement qui t'effacera de l'existence. L'océan est ton allié, et ce n'est pas aujourd'hui qu'il te trahira. Allez. Encore un peu. Et... tu entends sa voix.

« Ils m'ont laissé ici. » Là, juste sous vos yeux, une élémentaire à la peau turquoise, de la taille d'une enfant, au regard lumineux mais horriblement triste, recroquevillée d'être restée aussi longtemps dans sa pesante solitude. C'est incroyable. Après des années et des années à avoir arpenté les mers du monde entier, voilà que tu parviens encore à être surpris par tout ce qui s'y cache. Combien de mystères n'as-tu pas encore percé ? Beaucoup trop. Mais tu peux déjà affirmer, sans le moindre doute, qu'elle est le plus beau d'entre eux. « Vous êtes bien trop profond. C'est dangereux pour vous. » Oh, elle a raison, comme en témoigne les filés de sang qui s'échappent de tes narines et se mélange à l'eau dans une échappée rosée. Mais tu es bien trop fier pour l'admettre. « Je suis un prince Atlante, rien n'est trop profond pour moi. » C'est maintenant avec beaucoup plus d'intérêt qu'elle t'observe, comme si ton titre prestigieux venait de faire toute la différence. Comme un conte de fée. Où le prince dans son armure étincelante vient secourir la demoiselle en détresse. Mais dans ta version de l'histoire, tu n'es pas seul. Et c'est avec tout autant de curiosité qu'elle pose maintenant son regard étonnamment solaire sur Layla. « Et vous, qu'est-ce que vous êtes ? » Pendant qu'elles s'observent l'une et l'autre, tu sors la pierre pour la présenter à l'enfant. Tu le sais, elle est la clé de cette rencontre. « J'ai trouvé ceci. » Subjuguée, avant de laisser un sourire se dessiner sur son visage, le peu de méfiance qui émanait d'elle disparaît aussitôt. « Je m'appelle Lernaea. Que puis-je faire pour vous ? » « Je m'appelle Orm Marius. Et tu es libre de faire ce que tu veux. » Après un regard entendu avec Layla, tu brises la pierre entre tes doigts. C'est aussi ce qu'elle a fait sur New Themyscira, pas vrai ? Elle a détruit la pierre pour libérer l’élémentaire. Et dès l'instant où tu l'as su, c'est devenu ta seule intention. Qu'importe la suite, personne ne mérite de vivre enroulé de chaines.

AVENGEDINCHAINS

On continue. Dès qu’Orm prononça la sentence, Layla eut la distincte impression qu’ils passaient un point de non-retour, que dès qu’ils se laisseraient glisser dans cette crevasse, quoiqu’il advienne en bas, il leur serait impossible de faire marche arrière. L’exemple même de ces conséquences à affronter dont elle avait un jour fait son métier, et qu’elle avait désespérément essayé de recréer, ces six dernières années, par des proxys maladroits sur un bateau appartenant à des écologistes un peu déjantés. Elle avait été là, aussi, la torture, l’agonie quand elle avait quitté l’armée : troquer ce quotidien d’aventure dans lequel elle était paradoxalement en contrôle de ses choix, pour une vie routinière dans laquelle elle se sentait plus naufragée à la dérive que capitaine de son propre navire. A son tour, Layla plongea dans l’espace exigu de la crevasse, le souffle coupé par la force titanesque de la pression à cette profondeur, n’osant même pas imaginer comment quoi que ce soit pouvait survivre dans cet endroit – même Orm, elle l’entendait lutter, malgré toute son endurance et son entêtement à n’en rien laisser paraître. L’eau glaciale lui donnait l’impression de chercher à geler ses os, et sans doute y parviendrait-elle, si elle ne sentait pas le rayonnement du Clear contrecarrer subtilement les effets néfastes des profondeurs – comme un laissez-passer inscrit dans chaque fibre de son corps. C’était les abysses, c’était l’eau elle-même, toute entière, qui se faisait hostile à leur présence, gardienne farouche et méfiante qui cherchait à chasser les indésirables de son territoire. Est-ce que c’était pareil pour Tefé ? Est-ce qu’elle aussi, elle ressentait des différences aussi drastiques d’une flore à l’autre, entre les clairières tranquilles et les denses forêts sauvages, ou son marais natal ? Et Orm, que ressentait-il, lui ? A quel point les Atlantes étaient-ils sensibles aux humeurs, caprices de la mer, au tempérament des océans, parfois contradictoires, jamais complètement unifiés ? Il y avait tant de questions qu’elle voulait lui poser, depuis le Parlement des Vagues, et pendant cinq mois, elle avait cru qu’elle avait ruiné ses chances de pouvoir le faire un jour. Quel miracle, que finalement, les courants l’aient ramené sur la plage de Morro Bay. Un miracle, ou autre chose, d’ailleurs – une volonté qui leur échappait encore et qui, curieuse coïncidence, avait placé sur la route d’Orm cette exacte même pierre qui avait dicté ses pas pendant les quelques mois passés sur New Themyscira.

Elle était là. Elle était là, et Layla n’aurait jamais pu trouver les mots pour exprimer ce qui lui passait dans la tête à cet instant, alors que ses yeux se posaient sur la petite silhouette recroquevillée de l’élémentaire. Une enfant. Evidemment, que c’était une enfant ; parce qu’y avait-il quoi que ce soit, dans le grand paysage de la nature, qui était réellement laissé au hasard ? Aujourd’hui, elle en doutait plus que jamais, les yeux rivés sur cette étrange petite fille, entendant à peine l’échange qui prit place entre elle et Orm. C’était donc ça, une véritable élémentaire du Clear ? Pas une hybride ratée comme elle ? Elle n’arracha son regard de l’enfant que pour le reporter sur Orm, et apercevoir des filets de sang qui refusaient de se plier à sa fierté ; et si Layla se mordit la langue pour se taire, c’était bien parce qu’elle savait qu’elle ne se heurterait qu’à son orgueil de prince si elle avait l’audace de faire la moindre remarque. Et aussi, peut-être, parce qu’elle comprenait pourquoi il pourrait tenir à se prouver inébranlable face à leur étrange nouvelle connaissance. Un frisson remonta le long de son échine, lorsque Lernaea s’adressa à elle ; et après un bref instant d’hésitation, Layla se laissa flotter jusqu’à elle, pour s’agenouiller dans le sable froid à ses côtés. « Je suis un peu comme toi. » souffla-t-elle dans son masque, tandis que Lernaea la dévisageait, avec cette curiosité avide tout enfantine. « C’est le Parlement des Vagues qui m’envoie. Tu connais le Parlement des Vagues ? Tu t’en souviens ? » Pendant un instant, Lernaea sembla s’absorber dans ses pensées, ou ses souvenirs, ou ce qu’il pouvait en rester, après un si long emprisonnement – avait-elle seulement un concept de mémoire, cette enfant ? Puis ses traits aquatiques s’illuminèrent, et elle hocha vigoureusement la tête, sa chevelure d’algues s’agitant joyeusement autour de sa tête. « Vous avez vu les vagues, vous aussi ! » Emportée par sa joie et son enthousiasme, la petite élémentaire prit le visage de Layla entre ses mains ; et aussitôt, Layla sentit comme un puissant écho résonner d’elle à Lernaea, un courant irrésistible passer de l’une à l’autre, en cycle infini de deux entités qui se reconnaissaient grâce à une troisième. C’était stupéfiant. C’était renversant. Et Layla en oubliait même de respirer, et ne s’en souvint que lorsque Lernaea, tout sourire, relâcha son visage pour à nouveau se concentrer sur Orm et la pierre qu’il lui présentait. La pierre. Maudite pierre par laquelle quelqu’un, un jour, avait cru pouvoir tenir l’eau personnifiée enchaînée – deux fois, sur deux planètes différentes. Elle avait détruit la première. Et en relevant les yeux sur Orm, elle croisa son regard, et hocha imperceptiblement la tête. Quelqu’un avait cru pouvoir tenir l’océan en esclavage : qui, sur cette planète, avait plus le droit que lui de briser enfin ses chaînes ?

La pierre éclata entre les doigts du prince atlante – et dans l’océan tout entier, et dans chaque fleuve, chaque rivière, chaque cours d’eau, retentit pour la première fois depuis trop longtemps le premier battement de cœur d’une entité restée en sommeil pendant des siècles. Dans la poitrine de Layla, c’était un véritable torrent qui se déversait, alors que toutes les eaux de la planète sortaient de leur torpeur, leur petite championne libérée de sa prison, l’avatar du Clear, le vrai, rendu aux océans dont elle avait été si longtemps coupée. Eusse-t-elle été à la surface, Layla aurait senti ses jambes se dérober sous son poids tant le choc était brutal. Lernaea était rendue à ses eaux, et déjà, l’océan lui semblait tellement plus vif, plus coloré, plus indomptable encore. C’était là, le véritable pouvoir d’un avatar ? Hébétée, Layla fixa Lernaea, puis Orm, puis à nouveau Lernaea. « Ce que je veux ? » répéta la petite fille, dont les yeux solaires brillaient avec plus d’intensité encore, dont le turquoise qui irradiait de son corps de sable, d’eau et de coraux tranchait avec la pénombre des profondeurs. Libre, la petite avatar du Clear. Libre – et prête, sans doute, à reprendre la place pour laquelle Layla avait été un bien ridicule ersatz. « Je veux partir d’ici. » Et, sans attendre la moindre réaction de ses deux sauveurs, Lernaea fondit sur eux, matérialisée en courant, ou en vague sous-marine, Layla aurait été incapable de le dire, et les emporta avec elle dans sa course folle pour remonter, loin, très loin de cette prison abominable, loin, très loin des profondeurs noires et froides qui avaient empoisonné son cœur, libre, enfin, de retrouver l’immensité des océans qui lui avaient tant manqué.

La folle course de Lernaea s’acheva dans des eaux bien moins sombres et bien moins froides ; inaccessibles, toujours, à n’importe quel être humain, mais au moins vivable pour un Atlante et sa compagne à moitié élémentaire mal ficelée. Etourdie par ce voyage pour le moins agité, Layla roula dans le sable comme un sac plastique balloté par les flots, et se redressa, tant bien que mal, emmaillotée dans une multitude d’algues joueuses qui s’étaient accrochées à sa combinaison – et est-ce qu’elle en avait qui avaient poussé dans ses cheveux ?! « Orm ? » appela-t-elle en se redressant, à genoux dans le sable blanc. Ils n’étaient plus du tout aussi profondément enfoncés dans les fonds marins ; et plutôt qu’un cimetière, l’enfant les avait déposés au milieu d’un immense récif de corail, aux couleurs chatoyantes dont elle ignorait même qu’elles étaient possibles pour des coraux. Et Orm avait été déposé un peu plus loin, et Layla le rejoignit en quelques brasses, pendant qu’au-dessus d’eux, Lernaea nageait en riant au milieu d’un banc de poissons multicolore. « Orm ! Ca va ? » Dis-moi que tu as encore toute ta tête et que tout va bien et que je ne suis pas toute seule avec une élémentaire fraîchement sortie de sa cage – mais non, tout avait l’air d’aller bien. Dans son masque, Layla laissa échapper un soupir de soulagement. « ‘Rien n’est trop profond pour moi’. Vantard, va. » marmonna-t-elle en s’autorisant une petite moquerie. Ils avaient réussi. Ils avaient trouvé la source de la pierre, et ils avaient libéré l’élémentaire enchaînée au fond des océans. C’était pas complètement dingue, ça ? Progressivement, un sourire lumineux vint éclairer ses traits, alors que la réalisation faisait progressivement son bout de chemin. « On l’a fait. Tu l’as fait. Je savais bien que ce n’était pas un hasard que ce soit toi, qui ait mis la main sur cette pierre. » Dans les profondeurs de sa conscience, mêlée aux profondeurs du Parlement, un écho discret répondit à ses paroles. « Et je crois que le Parlement te fait passer ses remerciements. » Hop, un poisson-lune passa paresseusement entre eux, et Layla leva les yeux vers Lernaea qui redécouvrait tout ce dont elle avait manqué depuis son enfermement. « Le Clear retrouve son véritable avatar. Et j’étais tellement enthousiaste à l’idée de t’aider que j’ai complètement omis de me demander ce que ça voudrait dire pour moi. » Peut-être que ça ne voudrait rien dire du tout. Peut-être que ça marquerait la fin de cette étrange parenthèse. Elle espérait que non, mais hélas, il ne lui appartenait pas d’en décider, si ? Puis Lernaea délaissa ses bancs de poissons, et descendit jusqu’à eux en caressant les coraux du bout des doigts. « C’est étrange… d’être libre. » Et Layla de sourire, en songeant que Lernaea résumait remarquablement bien leur situation insolite à tous les trois.

AVENGEDINCHAINS

Partir d'ici. Tu ne le comprends que trop bien. Abominable prison qui brise les nageoires. Il y a tant de choses que tu aimerais lui demander. Tant de choses que tu aimerais savoir sur elle. Et tu sais à quel point Layla éprouve ce même ressenti. Cette enfant aux pouvoirs extraordinaires renferme encore de bien nombreux secrets, mais puisque tu as décidé de lui rendre sa liberté, ce n'est plus ton droit que de la forcer à les révéler. Tu ignores ce que l'avenir vous réserve, si un lien va se créer entre vous ou si vous allez prendre chacun votre route, mais ce qui est certain, c'est que tu ne regrettes pas une seule seconde d'avoir brisé la pierre. Il n'existe aucune autre alternative. Personne ne sera ton esclave, et tu ne seras le tortionnaire de personne. Ton but n'a jamais été autre que de la libérer de ses chaines. Maintenant, le choix lui appartient. Et quel qu'il soit, tu le respecteras. Emporté par Lernaea, la remontée est bien moins pénible que la descente. Et beaucoup plus rapide. Tout autant que son identité, l'étendue de ses pouvoirs restent un réel mystère, mais là-dessus, peut-être que Layla pourra t'éclairer un peu plus. Puisque toutes les deux partagent une même connexion, aucun doute qu'elles se comprennent d'une façon que toi tu ne pourras jamais atteindre. Et si t'es heureux d'avoir mis un terme à son emprisonnement qui a sans doute duré de longues années, tu l'es tout autant d'avoir apporté à ton amie quelqu'un à qui parler. Quelqu'un qui comprend ce qu'elle ressent, qui pourra peut-être même répondre à des questions qui n'ont pas encore trouvé de réponses. Tu ignorais ce que vous alliez réellement trouver ici-bas, mais bon sang, quelle merveilleuse coïncidence que d'avoir justement entrainé avec toi le miroir un peu brisé de cet avatar du Clear. Un peu comme des fausses jumelles. Et tu serais plus que satisfait d'assister à leurs échanges un jour, si elles acceptent de te laisser rentrer quelques minutes dans leur bulle d'intimité. Tu as tant à découvrir et à apprendre de ces deux femmes. La course folle s'arrête finalement au milieu d'un magnifique récif, et essoufflé comme si tu étais celui qui venait de tout remonter à vitesse grand v, tu prends le temps de récupérer, allongé dans le sable agréable d'une profondeur moins pénible à supporter. Tu te sens tout de suite beaucoup mieux. Oh oui, beaucoup mieux. A tous les niveaux. Pour la première fois depuis longtemps, t'as l'impression d'avoir fait le meilleur choix possible.

C'est en entendant la voix de Layla que tu te redresses, même si elle aurait mérité que tu fasses le mort, pour lui passer l'envie de se la jouer provocatrice. Quelle insolence envers un prince. « Si j'avais encore cette pierre, je te l'aurais balancée à la tronche. » Et puis, finalement, tu lui souris à ta camarade, pas peu fier d'y être arrivé en dépit de tes vantardises, mais surtout d'avoir accompli votre mission. Vous avez réussi, ensemble. « Ne me flatte pas trop. Et puis, pour être parfaitement honnête, j'aurais jamais réussi sans toi. » Tu le penses sincèrement, en plus d'avoir l'évidence sous les yeux : sans elle, tu n'aurais pas trouvé la localisation de Lernaea. Et au-delà même de ça, sans elle, tu n'aurais jamais eu l'envie et l'ambition de songer à construire un tout nouveau royaume. C'est sa main tendue et cette découverte de la surface à ses côtés qui t'ont poussé à faire mieux et à entreprendre plutôt que de te morfondre. T'as lâché Atlantis, malgré tout l'amour que tu lui portais, parce que t'as réalisé combien elle te maintenait vers le fond. Maintenant, tu peux enfin songer à ton avenir, sans te retourner vers le passé avec regret. Toutes ces choses qui n'auraient jamais pu être possible sans cette rencontre. C'est donc ça, l'amitié. Debout, tu observes votre partenaire redécouvrir sa liberté un instant, avant de poser un regard un peu plus concerné sur ton amie. Oh. Voilà quelque chose que tu n'avais pas du tout envisagé, son inquiétude de se voir tout retirer, maintenant que le Clear a retrouvé son avatar. Quel idiot tu fais. Bon, tu n'aurais pas pu prévoir ou anticiper quoi que ce soit sur la nature de ce qui se trouvait dans cette crevasse, mais tu te sens quand même stupide de ne pas avoir songé à ça plus tôt. Bien sûr qu'elle se questionne, Layla, et c'est ton devoir d'essayer de la soulager. « Lernaea, est-il possible pour le Clear d'avoir deux avatars ? » La question est directe, mais tu ignores si elle va rester encore longtemps à vos côtés, alors autant être fixés tout de suite. La petite fille redescend vers vous après ses quelques divagations, puis l'air pensive, elle répond : « Je pense que oui. Il n'existe aucune règle à ce sujet. Et s'il n'y a pas de règle, il n'y a donc aucune infraction. » D'un haussement d'épaules juvénile, elle vous sourit à tous les deux avant d'ajouter : « Je serais donc ravie de partager ma tâche avec toi. » Voilà qui devrait répondre à son interrogation, même si tu n'es pas certain qu'elle s'en contente. T'en es pourtant persuadé, le Parlement ne lui reprendra pas ce qu'il lui a donné. Il serait fou de le faire. Cette femme aime et respecte profondément l'océan, et c'est exactement quelqu'un comme elle dont vous avez tous besoin. Si le Parlement veut réellement te remercier, qu'il ne cherche pas à priver ton amie de son précieux cadeau. Ou tu les trouveras tous pour leur tirer les oreilles. Parole d'Atlante.

Bon, et maintenant ? Est-ce un au-revoir ? Est-ce un adieu ? Personne ne t'a donné le mode d'emploi qui allait avec cette pierre, et tu ne sais pas ce que tu es censé faire à présent. Encore moins depuis que cela concerne un être bien vivant. « En tout cas, Lernaea, ce fut un plaisir de faire ta rencontre. » L'amorce d'un départ, très peu désireux de l'empêcher plus longtemps de tout redécouvrir. Elle a tellement de temps à rattraper, tu ne voudrais surtout pas l'en priver. Mais sur son visage, tu lis la déception, peut-être même un peu de tristesse. Voilà un détail que tu as oublié, mais qui te frappe à l'instant : et si elle ne savait plus comment vivre réellement ? Tu te souviens de ton évasion et de ton errance qui a suivie, sans plus savoir faire de toi-même après avoir tout perdu. Sans doute ressent-elle quelque chose de semblable. Alors pour ne pas lui laisser une impression d'abandon, tu décides de rectifier ce qui s'annonçait comme deux routes qui se séparent. « On peut peut-être se revoir ? Si t'as besoin de quelqu'un pour t'aider à retrouver tes repères, on sera là. » Tu tournes ta tête vers Layla, persuadé qu'elle approuvera ton initiative. Comment tu pourrais tourner le dos à une enfant ? Une enfant avec beaucoup de pouvoir, certes, mais une enfant quand même. Sourire retrouvé, elle tourne autour de vous pour manifester sa joie et son soulagement. Promis, l'histoire ne s'arrêtera pas là. « C'est vrai ? Vous voulez bien être mes amis ? » « Bien sûr. » Il ne lui en fallait pas plus pour se sentir au mieux. Rien de bien étonnant qu'après autant de solitude, elle veuille maintenant être entourée. Et très honnêtement, c'est totalement dépourvu d'intérêt que tu embrasses cette nouvelle amitié. Bien sûr que ses capacités pourront te servir, et bien sûr que t'es honoré qu'elle souhaite rester auprès de vous, mais c'est avant tout les échos de ton propre passé qui te poussent à prendre cette décision. Tu ne souhaites à personne ce que t'as vécu. Personne. « Layla est fatiguée, elle a besoin de remonter à la surface pour se reposer, mais je te promets qu'on va vite se retrouver. » Petite moquerie que tu lui lances en retour. C'est de bonne guerre. Et puis tu lui as bien assez demandé pour aujourd'hui. Elle a été plus qu’efface et largement au-dessus de toutes tes espérances. Le soldat mérite un repos bien mérité avant de se lancer dans de nouvelles aventures. Elle qui ignore encore tout ce que tu lui réserves.

AVENGEDINCHAINS

Le Clear pouvait-il avoir deux avatars ? La question avait passé les lèvres d’Orm avant que Layla n’ait le temps de lui bondir dessus pour l’empêcher de la poser, à mi-chemin entre l’envie de ne pas embêter Lernaea fraîchement libérée avec ses questionnements existentiels, et l’envie un peu trouillarde de ne pas connaître la réponse. Pouvait-il exister deux avatars dans ce monde ? Pendant un bref instant, Layla retint son souffle, guettant avec appréhension la réponse de la petite fille, qui prit le temps de la réflexion… et la réponse était si simple que Layla faillit éclater de rire face à ses propres doutes. Pas de règles, donc pas d’infraction. C’était aussi facile que ça. Un courant froid caressa l’arrière de son crâne, portant les voix unifiées d’une multitude de vagues qui l’avaient été avant elle, et alors, elle comprit ce que voulait dire Lernaea, et ce que le Parlement, à travers Crevette, avait essayé de lui expliquer. Jamais, auparavant, le Parlement n’avait créé deux élémentaires coexistant sur la planète – mais jamais dans le passé, ne veut pas dire jamais dans le présent, ou dans le futur. Lernaea avait été l’avatar intentionnelle, l’avatar voulue, souhaitée, choisie ; elle, l’avatar accidentelle, l’hybride, le hasard et l’imprévu. Mais que faisait la nature, sinon s’adapter ? Que faisait l’eau, sinon changer de forme, partout, tout le temps, de texture, d’état, de couleur, de goût ? L’eau ne bronchait pas, ne protestait pas, et se contentait de poursuivre sa course d’une manière ou d’une manière. Perpétuellement changeante, perpétuellement en mouvement. Comme ses avatars. Layla rendit son sourire à Lernaea, puis glissa une œillade de côté à Orm. Fichu entremetteur. Mais sacrément efficace. « Merci. » consentit-elle quand même à articuler sans parvenir à réprimer un sourire derrière son masque translucide. « S’ils sont de bonne humeur, tu veux pas en profiter pour leur demander s’ils peuvent enfin me permettre de respirer sous l’eau ? » Ha. Celle-là, elle n’était pas sûre de la décrocher un jour, comme requête – bien consciente de la signification derrière cette différence entre elle et Lernaea, ou même Orm. Elle était encore sous observation. Elle n’appartenait pas encore tout à fait à la mer – alors elle devrait attendre encore un peu avant de décrocher le droit d’y errer sans limites. Une idée qui lui avait paru un peu absurde et injuste, au premier abord ; mais aujourd’hui, elle comprenait. Ca n’était pas une provocation malicieuse – seulement un rappel, et une promesse, en attendant que ne vienne le jour où elle aussi, peut-être, rejoindra les rangs des vagues.

Il était venu, le temps des adieux ? Des adieux, ou plutôt des au-revoir – puisque dès que la tristesse et la confusion passèrent sur les traits de l’enfant, Layla darda son regard sur Orm, guettant sa réaction à lui. Et elle ne fut pas déçue, évidemment. Qui mieux que lui pouvait comprendre les doutes et les errances de quelqu’un qui venait tout juste de retrouver sa liberté ? Qui mieux qu’un ancien prisonnier pour tendre la main à quelqu’un qui a oublié ce que c’était, de vivre hors d’une cage ? Automatiquement incluse dans la proposition d’Orm, Layla, qui se laissait flotter en caressant un banc de corail du bout des doigts, hocha naturellement la tête. Et retourna même son sourire à Lernaea. « Il est un peu grognon parfois, mais c’est un bon ami, tu verras. » L’hôpital qui se foutait de la charité – mais la petite fille se mit à rire, alors Layla songea qu’Orm lui pardonnerait cette petite plaisanterie à ses dépens. Evidemment qu’elle non plus n’abandonnerait pas une enfant à son sort au milieu des océans – seigneur, comment le pourrait-elle, elle qui avait déjà confié une petite fille à la mer ? Et puisque les taquineries volaient de part et d’autre, c’est de bonne grâce qu’elle accepta celle qui lui était dédiée, en levant les yeux au ciel. D’autant qu’il n’avait peut-être pas tout à fait tort : le Clear l’avait relativement protégée pendant qu’ils étaient au fond de la fosse, mais si son expérience de la Fosse des Mariannes et du Parlement des Vagues était comparable à celle-ci… Peut-être bien qu’Orm allait devoir la traîner jusque chez elle par le pied. « Alors je reviendrai vous voir bientôt. Je saurai vous trouver. Et si vous me cherchez, vous n’aurez qu’à m’appeler ! J’entends tout, dans l’océan. » s’exclama Lernaea avec enthousiasme – puis, elle leur adressa, tout sourire, un dernier : « A bientôt ! » Et disparut, se fondant dans un torrent de bulles. L’âme de la mer, rendue à la mer, laissant derrière elle ses deux protecteurs contempler le fruit de leurs efforts. « Je crois qu’on vient officiellement de devenir babysitters d’élémentaire, toi et moi. » L’atlante déchu et l’humaine ratée. Les deux rebuts de leurs mondes respectifs – et aujourd’hui, ils avaient triomphé là où d’autres avaient échoué pendant des millénaires. Pourquoi essayer de le nier : il avait un goût particulier, ce succès. Encore plus quand il venait couronner leur réconciliation.

Une ombre passa au-dessus d’eux, et Layla leva la tête pour contempler l’imposante silhouette de Scylla qui faisait son grand retour, tournant paresseusement autour d’eux en attendant qu’ils ne se décident à remonter. D’une brasse, Layla se propulsa à la suite d’Orm, et nagea jusqu’à se hisser sur le dos de la splendide bête, qui n’attendit pas plus avant d’entamer leur remontée en des eaux plus clémentes. D’accord, elle pouvait techniquement passer par le Clear – mais pourquoi se priver quand elle pouvait vivre une telle expérience, hm ? « Tu as bien fait de lui proposer ça, à Lernaea. Personne ne mérite de rester seul après ce qu’elle a traversé. Encore moins une enfant. » Et eux, ils en savaient quelque chose, de l’insupportable solitude de ceux qui n’avaient vraiment personne vers qui se tourner, n’est-ce pas ? Pendant un instant, Layla observa Orm en silence. Elle n’avait pas menti, quand elle disait que le Parlement le remerciait – mais est-ce que ça n’allait pas encore au-delà de ça ? Il venait de libérer un de ses avatars, avait tout sacrifié pour protéger ses océans, avait hérité d’une couronne par laquelle il pouvait les contrôler. Et en se concentrant un peu dessus, Layla eut l’impression de la percevoir pour la première fois, cette connexion invisible entre elle et Orm, et la mer, et toutes les choses dans la mer, comme si ici bas, tout n’était qu’un immense réseau connecté à travers l’eau. Chaque goutte d’eau, chaque particule de vie, aussi, rayonnait de cet écho qui existait en permanence dans sa tête et sa poitrine. Un système. Un tout. Et soudain, peut-être encouragée par une ondée à la surface de sa conscience, Layla eut la certitude que la relation entre Orm et le Parlement des Vagues n’en était qu’à ses balbutiements. Que ce soit à travers elle, où la petite fille qu’il avait libérée de ses chaînes. « Tu te souviens, au lendemain de notre rencontre, quand tu m’as demandé si je n’avais pas peur des conséquences ? Regarde où on est aujourd’hui. Je ne sais pas s’il y en aura un jour, des conséquences, mais si c’est le prix à payer pour en arriver à ce que je t’ai vu faire aujourd’hui, je ne regrette rien. » Un égaré, un exilé, qui, à défaut d’avoir eu droit à la considération des siens, l’avait accordée à une créature oubliée de tous. Si c’était ça, les conséquences pour avoir aidé Ocean Master à échapper aux autorités, alors elle était fière d’avoir apporté sa minuscule pierre à l’édifice. Et lui, de grandes choses l’attendaient encore, elle en était certaine – une conviction, un pressentiment qui dépassait l’instinct ou la confiance. Atlantis avait peut-être perdu un roi, mais finalement, peut-être qu’Atlantis n’était qu’une étape vers quelque chose d’autre. Et elle, elle avait hâte, maintenant, de voir en quoi ça consisterait, ce quelque chose d’autre. « Et maintenant ? C’est quoi la suite, pour toi ? » La dernière fois, ils s’étaient séparés sur une impasse. Aujourd’hui, ils avaient chacun une route devant eux. Et si elle, elle remontait à la surface, sans appréhension, sans regret, parce qu’elle avait hâte de retrouver celui qui l’y attendait, elle ignorait encore vers quoi Orm s’en retournait lui ; mais cette fois, plus d’impasse ni de solitude. L’eau ne s’arrêtait devant aucun obstacle – elle évoluait, c’est tout.

FIN.

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