What are we ? We are family (damian)

La réunion s'est terminée. Le silence s'est installé dans la batcave. Malgré l'annonce très lourde de Barbara, personne ne s'y est opposé à tout ça. Personne n'a levé le ton. Tim a bien posé les choses, les limites, et cela, Damian doit bien dire qu'il n'apprécie pas tellement sa façon de faire. Se serait-il permis quoi que ce soit de ce genre avec Bruce ? Damian ne peut pas le dire. Mais ce n'est pas le moment, ni l'endroit de dire quoi que ce soit. Et puis lui, à son âge, il n'a pas vraiment de vie à défendre ou quoi que ce soit du genre, alors il ne se sent pas concerné. Mais si Barbara a un problème avec ça, elle le réglera elle-même. Elle n'a pas besoin de quelqu'un pour se défendre. La salle se vide. Petit à petit. Un par un, les membres de la famille partent. Mais Damian lui ne bouge pas. Il a fini par décider de rentrer à la tour de l'Horloge, abandonnant sa résolution de rester avec Alfred, sans doute pour être sûr de ne pas le croiser. C'est un peu lâche, mais Damian ne se sent pas prêt. Et puis, il n'oublie pas qu'elle a quelque chose à lui dire, et même s'il n'est pas forcément prêt à entendre. En fait, là, il n'est pas prêt à grand chose. Il ne sait pas ce qu'il va advenir de lui. Il est plus perdu que jamais. Il la regarde. Il n'y a plus qu'eux et Alfred. Le majordome est là, silencieux, comme à son habitude. Il ne lâche pas son regard, comme pour chercher dans ses yeux les réponses aux questions silencieuses qu'il se pose sur ce qu'elle veut lui dire. Elle rompt finalement la bataille visuelle qu'il a lancée en lui parlant, proposant d'y aller. Une pensée du garçon se dirige vers Alfred. Est-ce une bonne idée de le laisser seul ? Elle se tourne un peu vers lui, mais déjà Alfred secoue la tête. Damian ne s'en étonne pas vraiment, il a toujours eu le don d'être discret, toujours présent pour eux, mais toujours en retrait aussi. Part entière de la famille, pilier toujours là pour prendre soin d'eux, mais très discret en toute circonstance. Pudique peut-être. Mais un père qui vient de perdre son fils a peut-être besoin d'un peu de temps pour faire son deuil. Elle s'approche de lui et l'étreint avant de l'embrasser sur la joue. Damian reste là, considérant un instant Alfred du regard. Alfred a toujours été patient avec lui, sans jamais le juger, sans jamais rien dire même lorsqu'il franchissait de très loin les limites, très conscient des limites de Bruce et de ce que cela pouvait générer chez le garçon. Mais Damian ne sait pas être un fils, et il ne sait pas ce qu'il doit faire. L'étreindre comme Barbara vient de le faire ? Dire quelque chose ? Alfred lui offre un sourire et Damian lui adresse un signe de tête en disant : « Je passerais demain m'occuper de la batcow ». Comme d'habitude, bien évidemment. Il n'a jamais laissé Alfred s'occuper de la vache plus que quand il n'est pas à Gotham et ne peut pas le faire par lui-même. C'est sans doute sa façon de dire qu'il reviendra, et sa façon de dire qu'il ne le laissera pas seul très longtemps, même s'il doute d'être d'une réelle aide.

Il suit Barbara jusqu'à la voiture et reste silencieux tout le trajet. Regard rivé sur la route, il essaie de ne pas se monter un film de ce qu'elle va dire. Il se prépare déjà au pire, bien évidemment. Une fois dans le garage, il est prêt à l'entendre. Mais il monte avec elle, et la laisse s'installer et se mettre à l'aise. Il se débarrasse de sa veste, l'accrochant proprement, ayant passé l'âge de la laisser traîner par terre, et retire ses chaussures. Mais lui, il reste dans l'entrée. Il reste là, se demandant s'il n'aurait pas plus vite fait de déjà remettre ses chaussures. Il est toujours perdu : est-ce qu'il veut rester ? Est-ce qu'il peut rester ? Est-ce qu'il doit partir ? Difficile à dire. Elle s'installe dans le canapé, et remonte ses jambes sous son corps. Elle l'invite à la rejoindre, et après un moment, il finit par le faire. Il s'est toujours senti en sécurité ici, loin de tout enjeu, loin de tout jugement. Cette tour a toujours été un symbole de neutralité, et là, maintenant, il a l'impression que ça n'est plus le cas, même s'il ne comprend pas encore pourquoi. Elle finit par prendre la parole. Silencieux, il écoute, coudes posés sur les genoux, prêt à partir au moindre problème. Elle évoque ses propres parents, et même si elle se dit protégée de cette peine, il ne doute pas qu'aujourd'hui cela doit quand même la peser parfois, d'une façon différente sans doute. Elle lui parle de quelqu'un qui l'a aidée. Sur le moment, il pense à Bruce. Mais en réalité, elle était très jeune, et avant même qu'il n'ait eu le temps de changer de focus, elle confirme qu'elle parlait de Jim Gordon. Elle se propose d'être pour lui ce que Jim a été pour elle, au moment où elle s'est retrouvée seule. Puis, elle lui demande ce qu'il en pense, essayant d'en plaisanter pour dédramatiser les choses. Et finalement, elle lui assure qu'elle ne lui demandera pas de changer d'identité. D'identité. Damian reste silencieux. Il n'a jamais eu d'identité, n'est-ce pas ? Né Al Ghul, élevé comme tel puis rejeté par les siens pour devenir un Wayne. Nom qu'il n'a jamais vraiment honoré au final. Il y a un moment, un très court moment de panique qui s'allume dans son esprit. Il se tend, prêt à se lever et à fuir, se sentant subitement piégé. Mais il ne bouge pas. Son cerveau refusant d'obéir à cet éclair d'instinct de survie et de protection qui vient de s'allumer. De protection pour qui ? Pour lui ou pour elle ? Et si dans le fond, c'était lui qui engendrait tout ça ? S'il avait été un si mauvais fils que sa mère en était arrivée là avec lui et qu'il avait par une façon quelconque provoqué la mort de Bruce ? Quel serait donc le destin de Barbara ? Il reste immobile.

Et puis, une autre pensée s'impose à lui. Sur le moment, ce n'est pas vraiment une pensée. C'est simplement ce regard. Son regard bleu posé sur lui. Et si jusqu'à présent, il n'avait jamais senti réellement le poids de ce regard posé sur lui malgré ses agissements, il sait que cela va changer. Parce que Bruce est mort, et que désormais ce n'est plus à lui de gérer ça. De gérer les écarts de conduite du jeune Robin au sang chaud qui n'hésite jamais à tuer quand il faut malgré tous les codes moraux de cette famille. Il se lève finalement et dit : « Franchement, on sait tous les deux que c'est une mauvaise idée... ». Enfin, ça, c'est ce dont il est persuadé lui. Il s'écarte du canapé sans la regarder, regardant plutôt les lieux. Il s'est toujours senti bien ici, mais maintenant, il a l'impression d'être en terrain hostile, comme s'il n'y était plus à sa place. Il ne la regarde pas plus quand il reprend la parole : « Je n'ai jamais eu que des identités qu'on m'a imposées et aucune qui n'a jamais convenue. Je n'étais plus assez docile pour la ligue des assassins, et pas assez bon pour la famille de Bruce... Les choses sont différentes maintenant, il n'y aura plus de neutralité ici, plus d'endroit sûr, s'il n'y a personne d'autre pour s'occuper de me mettre sur le droit chemin dont je ne suis pas sûr de vouloir ». En fait, ça aussi, c'est un mensonge. Damian est sûr de ne pas vouloir des valeurs de Bruce. Ne pas tuer. Ne pas blesser. Livrer aux autorités. Bullshit. S'il n'est plus aussi violent qu'à son arrivée, il n'en reste pas moins agressif avec les délinquants et sans pitié. Sans morale, d'une certaine façon. Tuer ne le chagrine pas. Il n'a aucun mal avec ça. Et il sait que ce n'est pas le cas des autres. Il ne veut pas avoir à affronter son regard lorsqu'il ira trop loin et qu'elle sera là pour lui rappeler qu'il est différent. Parce qu'il s'est attaché à elle, même s'il ne veut pas le dire, et qu'il ne peut pas la voir le repousser quand elle se rendra compte qu'il n'a pas ce qu'il faut pour appartenir à cette famille. Et finalement, il dit : « Et puis... Il y a Talia. Talia n'acceptera probablement jamais ça. Et elle s'en prendra à toi... Ou à Jim ». Il ne doute pas qu'elle puisse se protéger, mais il ne veut pas prendre ce risque. Pas plus qu'il ne veut retourner à la ligue des assassins. Il est toujours en colère contre celle qui lui a planté un couteau dans le ventre avant de le déposer mourant à Gotham. Il se passe une main à l'arrière de la nuque. Il l'a toujours su, depuis son arrivée ici et la première fausse mort de Bruce, Damian l'a toujours su. Et dans le fond, il a toujours eu l'impression d'être bien moins l'enfant de Bruce que tous les autres. Parce que tous les autres - même Jason - ressemblent bien plus à Bruce qu'il ne lui ressemblera jamais. En se tournant vers elle, il sourit un peu désabusé et dit : « Franchement, je crois que ça ne sert à rien que j'essaie de faire quelque chose que je n'arriverais jamais à faire ». Il baisse les bras Damian. Il s'est battu si fort pour tenter de faire quelque chose de bien sans jamais y parvenir. Il n'était pas digne d'être le prochain batman, et il ne le sera jamais. Il ne l'aurait jamais été, même si Bruce avait vécu encore dix ans. Et maintenant, il est fatigué. Fatigué et seul. Ni Al Ghul. Ni Wayne. Personne.

Cette conversation, il a l'impression de l'avoir déjà eue. Parce qu'en réalité, ils en reviennent toujours à ça. Peut-être qu'il a la tête trop dure, ou qu'il n'est juste pas prêt à le comprendre. Ou peut-être que dans le fond, il a simplement peur de ce qu'il pourrait devenir, et peur d'être seul. Seul et laissé pour compte, abandonné à lui-même. Oh, il pourrait s'en sortir. Mais il n'aurait aucune place. Il serait condamné à errer sans appartenir à rien du tout. Et ce n'est pas à cela qu'il aspire. Peu importe ce que les gens peuvent penser. Peu importe qu'ils ne voient pas. Damian a changé depuis son arrivée à Gotham. Il a profondément changé. Et ces changements le laissent plus fragiles qu'il ne l'a jamais été, d'autant plus que cela ne suffira pas, il le sait. Cela ne suffira jamais. Il l'écoute. Quand elle parle, il l'écoute. Mains dans les poches, regard rivé sur le sol, allant de gauche à droite, faisant les 100 pas d'un pas souple et silencieux, Damian écoute. Plus elle parle, et plus il se rappelle des mots qu'elle lui a déjà dits. Peut-être pas dans cette exacte formulation, mais cette question de l'identité, elle n'est pas nouvelle, et Damian l'avait déjà soulevée. Déjà posée. Signe d'une certaine évolution. Mais pas encore tout à fait suffisante. L'enfant n'est qu'un enfant. Il ne peut pas encore comprendre ce que Barbara a mis des années à comprendre.

Il n'a pas besoin de répondre à la question qu'elle lui pose. Parce qu'ils savent tous les deux qu'il ne le sait pas. Il le dit lui-même, encore et encore. Il ne sait pas qui il est. Il n'est qu'une petite boule de colère, secoué d'une épreuve à l'autre, sans jamais réussir à trouver un peu de paix. Et cette réponse, elle ne le satisfait pas. Pour la plupart des gens, ne pas savoir qui ils sont n'est pas forcément un danger. Mais lui... Lui, il se sent perpétuellement au bord d'un gouffre dans lequel il serait si facile de basculer. Un gouffre noir, obscur et glacé. Et s'il s'y retrouver plongé, il ne pourrait plus en revenir. L'antre du démon. Il n'aurait pas besoin de ligue, pas besoin d'alliés pour devenir ce petit être malfaisant que tant de gens se plaisent à dépeindre. Il s'agite un peu, parasité par de vieux souvenirs, qu'il peine à chasser alors que les images s'imposent à lui.

Elle lui parle de choix, d'apprentissage et de richesse. Lui, il ne voit que du danger. L'inconnu fait peur. L'inconnu ouvre la voie aux erreurs. Et ses erreurs à lui ne sont jamais sans conséquence. Il ne peut pas en faire. Elle assure que Bruce ne savait pas qui il était. Peut-être que c'est vrai. Et si c'est le cas, alors il ne veut pas être comme lui. Il ne veut pas être comme lui et continuer à faire du mal aux autres comme il en fait en permanence. Mais sera-t-il jamais compatible avec une vie de groupe ? Sera-t-il un jour capable de prendre soin des autres ? D'être différent de lui ? Moins froid. Moins distant. Moins secret. Un tel monde semble impossible. Elle s'est levée. Dans le brouillard de pensées parasites, virevoltantes et glaçantes, il ne l'a pas perçu. Il ne s'en rend compte que lorsqu'elle pose sa main sur son épaule. Il sursaute et réprime difficilement le mouvement de recul qui lui a littéralement embrasé tout le corps. Il relève les yeux sur elle alors qu'elle continue à parler. Et cette dernière phrase, elle est vraie. Barbara n'a peut-être pas réussi à lui apporter des réponses concrètes suffisantes à le satisfaire, mais pour cette dernière partie, elle n'a pas tort. Barbara est la chef de la famille à présent. Elle est droite, juste, intelligente et talentueuse. Et même si elle n'est pas toujours très douée, elle est bienveillante et aimante. Il grommelle : « Tu es tout ce qu'elle ne sera jamais. Et tu as tout ce qu'elle n'aura jamais ». Il se décale, et rompt le contact visuel et physique. Reste une question. Une question importante à laquelle il n'a pas vraiment de réponse.

Il recommence à marcher, silencieux. Il est toujours agité, mais ça, c'est aussi parce qu'il ne peut pas se poser. Il ne peut pas s'arrêter. Il se sent trop menacé par ce flot de pensées et d'émotions qu'il ne contrôle pas. Il ne veut pas être balayé par cette immense vague noire. Il ne le peut pas. Il se perdrait. Et ça... Ça, ça lui fait bien plus peur que toutes les Talia du monde. Il dit : « Je ne sais pas ce que je veux... ». Il y a un moment de silence. Puis, finalement, il s'arrête. Il s'arrête et il la regarde. Elle ne peut pas vraiment comprendre ce qu'il a dans la tête, n'est-ce pas ? Pas s'il ne lui dit pas. Et c'est bien ce qui leur a toujours posé problème, l'absence de communication. L'absence de confiance ? Non. Il a confiance en elle. Mais... mais il sait que ça va changer. Leur relation va changer. Il lui dit : « Ca changera. Tout ça. Tu verras. Quand tu seras confronté à nos différences, ça changera. Tu changeras d'avis ». Sur lui. Sur sa place dans la famille. Sur son absence de valeur. Il sourit avec une profonde tristesse avant de baisser les yeux et dit : « Tout va changer. Il n'y aura plus de neutralité ». Damian n'aime pas le changement. Mais il le sait, à partir de maintenant, tout va changer. Tim passera son temps à l'ouvrir sur lui et ses comportements, les autres verront forcément plus tout ça. Et au final, ça risquera de le déstabiliser encore plus.

Damian lui ouvre une partie de ses doutes. Il lui parle, avec une certaine tristesse. Parce que bientôt, les choses seront différentes. Ils ne seront bientôt plus les mêmes. Et dans le fond, il faut bien le reconnaître, ça lui fait peur. Il aimerait que rien ne change. Il retient un soupir lorsqu'il la voit sourire. C'est une certaine forme d'amusement qu'il perçoit. Ce sourire malicieux, il ne le connaît que trop bien. Il la regarde simplement, neutre, sans ciller. Mais il n'aime pas ça. Il n'aime pas quand elle se moque. Elle recommence à parler. Elle lui dit qu'elle n'emploierait pas ce mot pour décrire la tour. Elle décrit ses habitudes, ses affaires disséminées un peu partout aux quatre coins de la tour. Elle n'a pas tout à fait tort. Même les dosettes de café qui remplissent un placard entier de la cuisine trahissent sa présence. Mais pour autant, il n'aime pas ce qu'elle est en train de dire, et de faire tout en pointant ses affaires. Il range quand même, que sous-entend t-elle ? Bon, ces derniers jours, il y a peut-être eu un peu de laisser aller, mais bon. Dans tous les cas, ordonné ou pas, ce n'est pas à ça qu'il faisait référence et il ne doute pas qu'elle le sache. Elle lui dit que les choses ne changeront pas. Qu'ils continueront à avoir la routine qui s'est établie depuis qu'il dort ici presque 70% du temps. Il la regarde simplement. Elle lui dit que la seule différence, sera leur nouveau lien administratif. Pour le reste... Elle finit même son raisonnement par un commentaire un peu moqueur. Elle tente sûrement de rendre la conversation plus légère. Il se tait un instant avant de dire : « Tu sais bien que je ne parlais pas de ça... ». Il grince et se détourne. Il dit : « Tu devras forcément dire quelque chose quand je reviendrais un soir, couvert du sang des délinquants que j'aurais tués... ». Il ne cherche même pas à mettre du conditionnel, parce qu'il sait que ça arrivera. Damian va mal. Et quand il va mal, c'est sans doute le moment où il est le plus instable et où il perd le plus souvent le contrôle. Il se passe une main à l'arrière de la nuque et reste à nouveau silencieux. Dans un coin de la pièce, les deux chats de la tour sont calés l'un contre l'autre. Ils ont fini par s'apprivoiser ces deux-là, même si chacun reste attaché préférentiellement à l'humain adopté.

Il se tourne finalement à nouveau vers elle, et la regarde dans les yeux. Qu'en dira-t-elle ? Quand il faudra lui rappeler qu'il ne convient pas à la famille, qu'il ne doit pas tuer, qu'il ne doit pas être violent, qu'il ne doit pas faire ci, ou faire ça. Il se demande comment les choses iront, parce qu'il se doute déjà de ce qui se passera. Il ne le supportera pas. Ces grands yeux clairs, posés sur lui, empli de cet air qu'il a toujours tant détesté. Celui qui lui signale qu'il est différent. Et qui lui rappellera encore une fois à quel point il n'appartient à aucun monde. Il ajoute : « En plus, on risque d'avoir un problème... Avec ce nouveau Bruce qui est arrivé. Techniquement, je ne suis pas orphelin... ». Il la regarde. Tout ça, ça lui passe si loin, au-dessus de la tête. Il se sent épuisé. Physiquement et mentalement. À bout de forces, comme quelqu'un arrivant au bout d'une course juste à la deuxième place. Une vie entière d'entraînement, pour ne pas réussir à franchir la ligne d'arrivée en premier. Étendu au sol, tous les muscles endoloris, prêt à laisser la mort et la honte l'emporter. Oui, en cet instant, il voudrait être ailleurs, n'être plus personne, ne plus avoir d'enjeux, de pression. Ne plus devoir être toujours parfait. Il déteste la perfection, il la déteste au plus haut point, parce qu'il sait qu'il ne pourra jamais l'atteindre dans cette famille. Oh ça... Il se détourne à nouveau et il dit : « Je les déteste tous... Quelle imposture. Quelle injustice... ». À nouveau, il sent la colère lui monter dans les veines. Il revoit Diana leur annoncer à tous les deux la mort de Bruce. À Jason et à lui. Elle semblait si affectée, si triste. Et pourtant, en laissant l'autre prendre sa place à la ligue, elle dénie leur souffrance à tous. Elle l'empêche de trouver la paix et l'honneur qu'il méritait. Il la déteste. Il les hait. Comment peuvent-ils même envisager de le remplacer. Le dégoût lui monte au nez et il demande sans vraiment poser la question : « Comment peut-on faire ça ? ». Cela lui semble être un ultime manque de respect à Bruce. Une insulte à sa mémoire. De la part de ceux qui se disaient ses amis.

Finalement, face à la tentative de légèreté de Barbara, Damian dit les choses. Il prononce des mots dont il ne connaît trop que le poids ici. Il parle et la regarde simplement. Il sait qu'il est différent, il l'a toujours été. Il a ces petits travers profondément ancrés en lui, qui lui viennent de toute une enfance de conditionnement. Et aujourd'hui, il n'est pas sûr que cela soit toujours du conditionnement. Peut-être qu'avec le temps, il a fini par être d'accord avec ça, peut-être qu'il a fini par l'intégrer. Et quand elle commence à lui répondre, elle tique un peu. Il penche un peu la tête songeur. Puis, il redresse la tête et dit : « C'est peut-être là le problème... Ce que tu perçois comme le fait de dégringoler une pente... Ce n'est pas mon cas ». Damian n'a jamais eu de problème avec la violence ou la mort. Le fait de la donner non plus. Il est plutôt à l'aise avec ça. Une partie des délinquants de Gotham ne sont que des personnes paumées. Mais certains des criminels sont de vrais tordus. Des psychopathes sans cœur, sans émotion. Sans compassion. Et il est convaincu que la justice est imparfaite. Trop pour laisser la corruption décider d'une peine de prison quand on peut faire des choses bien plus définitives. C'est sans doute immoral. Cruel. Peut-être qu'il ne devrait pas penser ça. Et peut-être qu'il a tort. Mais Damian a évolué. Il a grandi. Il ne tue plus sur un coup de tête pour avoir ce qu'il veut. Il ne prend plus les choses n'importe comment d'ailleurs. Il est plus réaliste, plus raisonnable. Il ne se sert plus comme avant. Les choses sont plus équilibrées dans le fond. Il retient un soupir. Elle lui a parlé de leçon, puis du poids de ses actions ne pensant que sur ses propres épaules. Elle n'a pas tout à fait tort en un sens. Il enfonce ses mains dans ses poches. Il n'est pas sûr de vouloir poursuivre tout ça. Il n'est pas sûr de vouloir changer cette relation qu'ils ont. Barbara est sans doute la personne en laquelle il a le plus confiance.

Elle poursuit ses propos. Elle lui assure qu'elle l'aimera quand même, même s'il est la pire ordure de la planète. Qu'il a sa place ici, qu'il est sa famille. Il la regarde simplement. Quelqu'un lui a-t-il jamais dit ça ? Il ne s'en souvient pas. Il est troublé. Pendant un instant, il la regarde, puis se détourne à nouveau. Il se mordille la lèvre silencieusement. Damian ne sait pas quoi répondre. Il ne sait pas quoi dire. C'est trop difficile. Aimer. C'est prendre le risque de perdre. Et de souffrir. Pourtant... il ne s'est jamais senti autant en sécurité qu'ici. Il le sait bien. Même s'il ne se sent pas forcément prêt à le dire. Alors il se tait.

À la place, il change de sujet. Tout ça, c'est trop compliqué dans son esprit plein de pensées et d'émotions. Il n'aime pas trop ça, se sentir aussi perdu et vulnérable. Barbara lui assure qu'elle fait son affaire du fait qu'il ne sera pas orphelin. Il la regarde un moment. Il ne devrait pas douter de ça. Il ne doute pas d'elle. Après tout, il n'y a pas meilleure qu'elle derrière un clavier, elle peut sûrement faire tout ce qu'elle veut. Littéralement. Elle-même ne semble pas hésiter un seul instant. Il acquiesce simplement, sans rien dire de plus.

Puis, il confie autre chose. Il livre des pensées qu'il ne livrerait pas forcément d'ordinaire. Même à elle. Ils ont déjà eu des conversations profondes. Des conversations sur les choix, sur l'identité. Mais là, c'est différent. Il livre ses émotions brutes, sans les cacher. Même si tout le monde sait qu'il passe son temps à être en colère et révolté contre tout et tout le monde, cette fois, c'est différent. Barbara reste silencieuse un moment. Un long moment. Cependant, lorsqu'elle reprend la parole, elle le fait avec sagesse et même si elle n'est pas convaincue, elle ne charge pas la justice league. Non. Elle se contente de rester neutre. Puis, elle ajoute que le plus important reste leur famille. Leur famille telle qu'elle est aujourd'hui. Il y a un moment de silence. Il sait bien qu'elle choisit ses mots avec précaution. Ses mots et ses noms. Il a un moment de silence et dit : « Il y a Jason et Tim aussi... ». Cela l'écorche un peu de le dire, surtout pour Tim. Mais cela serait mentir de dire qu'ils n'en font pas partie. Et bien qu'il ait essayé beaucoup de choses pour écarter Tim, cela n'a jamais fonctionné. Quant à Jason, les choses sont un peu plus simples depuis leur retour de Terre-IV. Juste un peu. Suffisamment. Damian se rend compte que les choses sont plus complexes qu'il ne le pense. Il ne peut pas écarter les garçons sous prétexte qu'il ne les aime pas. Mais il ajoute aussi : « Tout comme Kate et Stéphanie.... Il se tourne vers Barbara. Damian sait qu'ils sont tous de sa famille. Même s'il est parfois un peu rejetant et colérique. Il ne croit plus pouvoir les écarter. Et quel intérêt cela aurait maintenant ? Absolument aucun. Vraiment aucun. Il s'approche finalement d'un fauteuil et s'y laisse tomber. Il pose ses coudes sur ses genoux et se penche un peu pour prendre sa tête dans ses mains.

Il glisse ses doigts dans ses cheveux et ferme ses points. L'espace d'un instant, il ne sait pas bien ce qu'il veut. Il ne sait pas où il va. Une chose est sûre, il ne veut pas retourner là-bas. Il n'y a plus sa place, ce n'est plus ce qu'il veut. Alors quoi ? Où aller ailleurs ? Quitter Gotham ? Pour aller où ? Il fait craquer sa nuque. Il finit par se redresser et dit : « D'accord ». Il la regarde et dit : « D'accord, je veux bien... ». Il se passe une main sur son visage avant de finalement se lever à nouveau pour aller à la cuisine et il commence à préparer un café. Il en a vraiment besoin. À ce stade, ce n'est même plus à boire, mais en intraveineuse qu'il en a besoin. Après un moment, il prépare deux tasses et revient avec pour en poser une devant Barbara. Il la regarde et dit : « Je ne sais pas trop comment c'est censé marcher... Enfin, je veux dire... je pourrais faire comme Cassandra. Elle a gardé son nom, mais a pris celui de Bruce ». Il trouve que c'est peut-être une bonne idée. Il ne veut pas oublier qui il est. Le fils de Bruce Wayne. Le fils de Batman. Même s'il n'a peut-être jamais été réellement son fils. Parfois, il a l'impression qu'il n'a jamais été le fils de personne. Sauf peut-être le sien, à elle. Même s'il n'est pas son fils. Pas au sens biologique du terme en tout cas, mais au sens affectif. Il revient s'installer dans le fauteuil avec sa tasse et la porte à ses lèvres pour en boire quelques gorgées. Il demande : « Tu en as parlé au prof d'histoire ? ». C'est sans doute lui qui va le plus perdre au change... Et la réponse de Barbara sera sans doute très intéressante. Peut-être plus que tout le reste de la conversation. Et lui ? Est-ce qu'il veut parler au professeur d'histoire ? Est-ce qu'il veut vivre avec lui ? Dur à dire. Mais il n'a pas vraiment le choix, n'est-ce pas ? Il ne peut pas être si égoïste.