Penché sur une grande table, Damian s'affaire sur un projet pour son école. Ses gestes sont aussi précis qu'impatients. Aussi soignés qu'empressés. Déjà plusieurs jours à travailler sur cette maquette à soigner chaque arbre, chaque pierre. A préparer un récipient imperméabilisé pour créer un petit lac. A façonner autour d'un tube métallique un volcan censé être fonctionnel. Et comme à son habitude, Damian travaille consciencieusement pour rendre un travail impeccable et soigné. Le plus intelligent de sa classe. Le plus travailleur et aussi le plus insupportable. Chacun de ses professeurs a compris que s'ils ne l'ennuient pas, il se tient tranquille au fond de la classe à travailler sans perturber le fil du cours. Ses devoirs sont parfaits et ses notes sont toujours les meilleures. Le jeune Wayne a beau ne pas être bien intégré il n'en reste pas moins le meilleur élève de l'école. Et il tient à le montrer encore une fois avec ce projet qui dépasse un peu le simple volcan en papier mâché. Parce que c'est beaucoup trop simple pour lui. Il n'est pas un gamin normal un peu idiot et boutonneux. Il a été élevé dans la ligue des assassins et sensibilisé à de nombreuses sciences depuis son plus jeune âge. Pourtant, au moment de lancer un premier test, les choses ne se passent pas comme prévu et une quantité de mousse orangée et épaisse sort dans une explosion bien trop violente pour les quantités de produits dosées salissant toute la pièce et l'écolier au passage. « Ah mais pardon ?! ». La phrase est suivie d'un geste rageur. Damian envoie promener une série de feuille qui s'éparpille et planent jusqu'au sol. Son projet de science vient littéralement de lui exploser à la figure. Le produit l'irrite mais heureusement il portait des lunettes de protection montée par Alfred qui a attendu dans la pièce jusqu'à ce que Damian ne daigne les mettre. Un deuxième geste rageur envoie valser un ouvrage dans la frustration d'avoir lu dans le regard d'Alfred une étincelle de satisfaction. Et Damian a beau beaucoup l'apprécier, s'il était encore dans la pièce, il lui arracherait les yeux juste pour arrêter d'y lire le fameux : « Je vous l'avais bien dit maître Damian » dont il imagine le ton. Damian lit des tas de livre. Il potasse et suit des cours de science universitaire avancée. Et le voilà réduit à faire un foutu volcan en papier mâché. Un projet de science digne d'un gamin de six ans et il bloque dessus... Par quelle foutue sorcellerie cela est-ce possible ? Lui qui pourrait lire un génogramme sans difficulté et réaliser des équations chimiques complexes se retrouve confronté à une réaction chimique disproportionnée. La pièce dans laquelle il se trouve est en effet maintenant envahie d'une mousse étrange à la couleur orangée censée imiter la lave en fusion. Lui aussi d'ailleurs en est couvert. « C'est incroyable de devoir perdre son temps avec des conneries pareilles ! ». Il râle encore le jeune Wayne tout en ramassant ses feuilles pour reprendre ses équations et voir à quel endroit il s'est trompé. Peut-être a-t-il placé la barre trop haute à vouloir rajouter un bassin artificiel pour mimer la transformation de lave en fusion en bloc solide lorsqu'elle entre au contact de l'eau ? Ses petits arbres sont également très réalistes même s'ils ne pourront pas prendre feux, son professeur ayant été catégorique sur le sujet. Sourcils froncés, il regarde les lignes pour trouver l'erreur mais il ne la voit pas. Et il ne veut pas recommencer, cela fait plusieurs jours qu'il travaille ce projet ici au manoir et il a très envie de retourner auprès des jumeaux qui continuent tranquillement leur intégration à la ville. Il grommèle encore en reprenant une par une les lignes de pattes de mouches griffonnées rapidement. Damian a tellement d'autres choses à faire. Et il est toujours tellement en colère. Il préfèrerait être dehors derrière son masque de Robin à tenter de juguler l'augmentation des délits en lien avec la libération des pêchés. Tout le monde est logé à la même enseigne. Et il faut bien dire qu'il est bien content d'avoir une bonne excuse pour laisser exploser sa colère. Il pourrait faire un effort pour se contrôler, mais Damian n'essaie même pas un peu. En même temps, tout le monde semble décidé à jouer sur ses nerfs. Ses profs et leurs projets débiles. Ses camarades de classe avec leurs problèmes d'adolescents pré pubères ennuyeux. Quant à ce qui se passe ici... Damian fuit tout ce qui touche aux préparatifs du mariage avec un très grand soin, se coulant comme une anguille dans les ombres à chaque fois que quelqu'un tente de l'impliquer. Quant à Bruce, il s'est arrangé pour ne pas avoir à le recroiser suite à leur discussion il y a de cela deux semaines. Et il n'est pas peu fier de cet exploit qui n'est ni constructif ni engageant. Mais il n'est pas en état de supporter les silences et les maladresses de Bruce. A bout de patience, rongé par la colère, Damian ne peut pas être constructif. C’est sans doute aussi parce qu’il est parasité par tout ce qui se passe autour de lui, par les promesses de son père, par cette colère qui le ronge de l’intérieur qu’il n’a pas pris en compte une partie des composants qui se retrouvent dans les colorants et peintures utilisées qui ont parasité la réaction comme lui est totalement gêné par ses émotions dès qu’il est au manoir. Son poing s’abat sur la table dans un bruit mat alors qu’il termine pour la deuxième fois ses feuilles sans y trouver d’erreur parce qu’il n’y en a pas. Au milieu du chaos, Damian commence à perdre patience.
Bruce ne s'était certainement pas attendu, alors qu'il rentrait de la Bat-cave, à tomber sur Alfred surveillant discrètement Damian. En fait, il ne s'attendait pas à voir son fils au manoir, pensant que justement il continuait de fuir les lieux. Il savait que leur dernière discussion n'avait guère été fructueuse, même si elle n'avait pas été aussi mauvaise qu'elle aurait pu. Toutefois, plus le temps passait, plus la présence de Selina se faisait permanente entre ces murs ; et l'adolescent rebelle le sentait probablement. Ou alors, c'était juste Bruce qui le sentait, parce qu'il la voyait de plus en plus souvent aller et venir ici, dormir avec lui dans leur chambre, passer dans la Bat-cave, ou simplement – il l'avait surprise une fois – discuter avec Alfred dans la cuisine autour d'un café bien fort.
Il alla directement voir le majordome, lequel poussa presque un soupir de soulagement en le voyant arriver.
« Ah, maître Bruce, vous tombez bien. Je crains que maître Damian ne se décide à faire littéralement exploser le manoir, si ça continue. Il semble coincé dans cet exercice étrange pour son école. Et... disons-le franchement, j'ai peur pour la sécurité des objets entreposés dans cette salle. »
« Pour une fois qu'il vient travailler ici... hmm. Je vais essayer de l'aider, si je peux. Vous n'avez pas essayé ? »
« Non, monsieur. Il a catégoriquement refusé mon aide, par ailleurs. Si vous vous décidez à y aller, je vous en prie, sauvez le manoir ! Histoire que vous ayez quelque chose à léguer après avoir péri bravement dans une expérience scientifique. »
Bruce s'arma de courage et entra dans la pièce saccagée par le raté évident de l'expérience en question. Il marqua une brève hésitation sur le seuil, constatant le bazar régnant ici ; des feuilles éparpillées partout, des restes de la maquette posée sur la table basse, de la fumée poisseuse et orangée, et un Damian recouvert des pieds à la tête de cette substance. Le père ramassa une des feuilles, puis tourna son regard vers son fils :
« Le grand Damian Wayne périt dans la lave de son expérience scientifique. Quelle épitaphe pour ta tombe ! Et originale, de surcroît. Je ne crois pas avoir jamais risqué ma vie avec de la lave, personnellement. »
Il s'approcha de son fils, essayant de paraître le plus détendu possible. Il savait que c'était un de ces moments où, dans un film ou un livre ou une série, le père essaierait de comprendre ce que son enfant faisait, et il l'aiderait, coûte que coûte. L'intention était là, bien sur ! Mais la pratique était toujours différente de la théorie, et en cet instant, Bruce Wayne n'avait pas la moindre idée de comment se comporter. Si Selina avait été là, elle en aurait certainement profité pour le prendre en photo et se moquer de lui.
Il sourit à cette pensée.
« Alfred m'a dit que tu semblais en difficulté. Je sais que tu n'aimes guère te faire aider, mais ça te dirait que je me joigne à toi ? Peut-être que deux cerveaux Wayne seront plus performants qu'un seul ? Bon... par où commencer ? »
Il passa une bonne minute à lire la feuille qu'il avait entre les mains, qui, par chance, correspondait à la première page d'un dossier.
« Tu es sûr que tu veux faire aussi compliqué ? Je suis certain que tu peux faire plus simple tout en surpassant de loin les autres. »
Depuis quand Damian est-il devenu un singe ? Lui qui est capable de comprendre des cours bien plus complexes que ces foutus cours qu'il suit à cette école pour demeurés mentaux, se révèle pourtant incapable de faire fonctionner un simple volcan. Une expérience risible. Si simple qu'on en trouve des kits tous fait dans le commerce... Il est en colère. Tellement en colère. Encore une fois, il a passé la nuit dehors, à frapper tout ce qui ne semblait pas suivre les lois. Encore une nuit à fuir la bulle des jumeaux tant il ne s'en sent pas digne. Encore une nuit à ne pas vouloir rentrer à la tour de l'horloge pour ne pas croiser le regard de Barbara qui n'aura aucun mal à lire en lui. Encore une nuit à ne pas savoir trouver sa place. A ne pas savoir gérer toute cette colère. Ils savent maintenant. Il sait que cette colère n'est pas entièrement la sienne, mais il ne sait pas comment la gérer. Et comme d'habitude, il est trop orgueilleux pour demander de l'aide. Plutôt mourir. Ce qui pourrait lui arriver n'est-ce pas ? Plus vite qu'il ne le voudrait s'il continue à aller traîner à Gotham la nuit. Poings serrés, il résiste à l'envie de tout fracasser. Il pourrait bien arriver sans projet, si le prof lui disait quoi que ce soit, il lui fracasserait le crâne sur son bureau. Mais il est meilleur que ça. Meilleur qu'un foutu volcan qu'un gamin de 7 ans pourrait réussir les yeux fermés. Il grogne. Trop fermé sur lui-même à se débattre avec sa colère, il n'entend pas la porte s'ouvrir. C'est la voix de Bruce qui le tire de ses pensées. Ce qui lui dit lui fait serrer les poings. Parce qu'en plus il ose se moquer ? Damian se demande ce qu'il lui a pris de venir travailler ici. Il relève le regard sur Bruce, mal aimable. Rien de bien différent qu'à l'accoutumé au final. Malgré cela, Bruce s'approche.
Il reprend la parole. Ce foutu majordome. De quoi il se mêle encore ? S'il s'était contenté de rester à sa place, Bruce n'aurait probablement jamais su qu'il était ici. Il aurait pu terminer ce projet seul et repartir comme un voleur. Après avoir été un assassin, le voilà passé du côté de la guilde des voleurs. Et ça lui convient bien. Se fondre dans les ombres. Se faire oublier. Parce que selon lui, c'est ce qui arrivera : ils ne l'accepteront jamais... Et malgré toutes les promesses qui ont été faites, le gamin a du mal à y croire. Et la colère ne l'aide pas à y voir plus clair. Elle ne fait que le rendre encore plus parano. Encore plus distance. Il faut dire que cette envie de meurtre qui lui monte à chaque fois qu'il pose son regard sur Bruce n'est vraiment pas simple à gérer. Faire plus simple ? Il y a un moment de silence. Un petit moment pendant lequel il se demande si Bruce plaisante. « Ce projet est déjà ridiculement simple ». Il le regarde et dit : « C'est un foutu volcan ». De tous les projets de sciences qu'on aurait pu leur faire faire, il a fallu que ça soit ça... Il roule des yeux et dit : « La prochaine fois, on nous demandera surement de faire pousser des graines dans deux morceaux de coton... ». Au cas où les élèves ne soient pas assez débiles. Il le regarde et dit : « La plupart de mes camarades ne savent même pas où est l'Afrique... ». Damian a découvert le monde. Il est né dans le monde. Ailleurs. Loin. Il a appris des choses dont les autres jeunes américains ne rêvent même pas. Le programme scolaire américain est pauvre. Pauvre en ouverture d'esprit. Pauvre en ouverture sur le monde. Ils apprennent les maths et la biologie comme les autres. Mais l'histoire n'est réservée en grande partie qu'à leur pays. Et aux quelques pays liés au leur par la colonisation. Et Damian le sait... Le lycée n'améliorera rien. Certains professeurs vont même jusqu'à donner les réponses des devoirs, il ne s'agit alors plus que de les retrouver ? Vraiment ? Damian ne s'y retrouve pas.
Alors forcément. Forcément ça le frustre de ne pas réussir ce projet. De passer à côté du petit détail qui empêche les composants de fonctionner et de donner ce qu'il attend. Il sait qu'il est passé à côté quelque chose. Mais il n'arrive pas à mettre la main dessus. Alors il se redresse et récupère ses diverses feuilles. Il se contente de dire : « Je ne veux pas faire plus simple. Je sais que je peux y arriver... ». Il fait un tas avec les feuilles et les écartes. Il récupère les bouteilles de composant, les tournent pour récupérer les indications de composition et reprend de nouvelles feuilles. « Mais si tu veux rester, tu peux... ». Mais bon, il se doute que Bruce n'a jamais fait de volcan, alors il se demande à quoi il pourra bien lui servir. Il note sur sa feuille les formules chimiques, mais avant de commencer les calculs, il se redresse et tire sa maquette pour la nettoyer et identifier les pièces à réparer. Plusieurs arbres sont brisés. Le flanc du volcan est en partie affaisser. Il met sa main à l'intérieur, en glissant entre le tube métallique et le papier mâché et le redresse. Il va devoir le consolider. Il ressort sa main et demande : « Tu peux me passer le papier mâché qu'il reste s'il te plaît ? Le volcan va s'effondrer si je ne le répare pas ». Il pourrait même rajouter des maisons. De petites maisonnettes colorées qui rappelleraient le drame italien. Mhh. Il peaufinera ces détails lorsqu'il aura réussir à le faire fonctionner. Une fois le papier récupéré, il en replace un peu à l’intérieur et à l’extérieur. Puis, il retire les arbres défectueux en commentant : « Il va falloir de nouveaux arbres. Et de la peinture… ». Il se tourne pour attraper les pots de peintures qu’il a posé derrière lui mais certains sont de l’autre côté de la table.
Soit. Il allait l'aider. Même s'il ne savait pas comment procéder véritablement, étant donné qu'il n'avait jamais eu à faire ce genre de trucs. Il n'avait jamais eu à être un élève, ou du moins, pas dans ce genre d'études. A chaque fois, il avait été le disciple d'un combattant, d'un érudit, et il avait appris comment se défendre, comment aider les autres, comment identifier une cible, comment lire le profil psychologique de quelqu'un. Il avait appris à devenir meilleur que les autres, à être celui qui prendrait la responsabilité, à être celui qui serait au-dessus des autres. A être le meneur. Toujours.
Là, il s'agissait de faire équipe, pour nuancer dans des propos qui lui parlaient davantage.
Faire équipe avec son fils pour un problème simple, anodin, insignifiant, et qui n'apporterait rien à Gotham ou à son rôle en tant que Chevalier Noir. Mais ça apporterait quelque chose pour Bruce Wayne. Et ça apporterait quelque chose pour son fils, et pour leur entente. Et il était certain que Selina approuverait ce genre de comportement, d'autant plus s'il devait un jour le réitérait en présence d'un autre enfant.
A cette pensée, il se demanda comment Damian réagirait s'il apprenait, par exemple, que Selina était enceinte. Probablement très mal, ce qui chagrinait un peu Bruce. Il aimerait que Damian cesse d'être un enfant colérique jouant aux adultes, pour assumer l'adolescent précoce et prometteur qu'il était en réalité. Mais comme le père n'avait pas l'intention de tout gâcher, il se dirigea vers là où Damian avait laissé les peintures et le papier, et il s'attela à les récupérer.
« Passe-moi le pinceau. Je vais m'occuper des arbres, vu que les bons pots sont ici. Mais... tu sais qu'on a ce qu'il faut en bas. On pourrait faire tout en résine, ça tiendrait peut-être plus facilement ? Hmm. A moins que ce ne soit trop lourd après ? »
Il se gratta le visage, se demandant un instant comment il allait pouvoir faire. Il prit un des arbres qui avait subi les foudres de la première expérience de Damian, et l'observa quelques instants afin d'imprimer son apparence dans sa tête. Sa mémoire presque infaillible parvint à recopier intégralement les détails, et très vite, un premier petit arbre vint s'ajouter à ceux qui existaient déjà.
« Donc, les arbres, ce sera bientôt fait. Et après, tu veux faire quoi ? Des petites maisons ? »
A la réaction de son fils, il sut qu'il avait pensé à la même chose que Damian. Il eut un sourire.
« Je crois que ce ne sera pas nécessaire. Je sais que tu veux faire le mieux possible, de sorte à prouver que tu es capable de faire quelque chose d'incroyable même dans l'exercice le plus simple. Mais tu n'as pas besoin de le prouver à chaque fois. Tes professeurs le savent déjà. Et puis, rajouter les maisons, je suis persuadé qu'on se compliquerait la tâche pour pas grand chose. Tiens, voilà trois arbres supplémentaires. »
Il les tendit à son fils, avant de refermer le pot de peinture et de se gratter de nouveau le visage.
« Hmm. J'ai peut-être une idée pour simuler en plus la fumée volcanique, si jamais tu veux vraiment pousser au maximum. »
Bruce lui demande de lui passer le pinceau et Damian s'exécute sans rechigner. Il annonce qu'il va s'occuper des arbres et Damian répond par un hochement de tête. Il propose de faire cela en résine. Damian y a déjà songé, mais la résine était moins facile à enflammée. Puisqu'à l'origine son plan était de recréer parfaitement les réactions en cas d'irruption, y compris les flammes, les feux de forêts. Il ne le peut pas, malheureusement, sur interdiction de son professeur aussi idiot qu'inutile. Mais il n'a pas lâché le papier mâché qui résiste bien moins que la résine et donc semble plus naturel au final. Il se contente de répondre : « Trop résistante. A défaut de pouvoir reproduire parfaitement cet évènement, au moins cela pourra ressembler un peu à quelque chose de naturel ». Difficile à comprendre n'est-ce pas ? Il s'en moque. De toute façon il est clair que certaines choses ne seront jamais très claires entre eux, qu'ils ne se comprendront probablement jamais vraiment. Damian n'a jamais été très doué pour communiquer. Toujours un train d'avance et une grande économie de mot qui ne donne pas toujours de facilités à suivre ses raisonnements. Ce qui entretien cette imagine d'enfant capricieux qu'il renvoie. Et cela lui va très bien. Pendant que Bruce s'attèle à la tâche de réaliser de nouveaux arbres, Damian lui termine de consolider son volcan. Il veille à ce que cela tienne et lorsqu'il a terminé, il s'essuie les mains. Il doit attendre que cela sèche avant de pouvoir le peindre à nouveau. Bruce recommence à parler.
Il lui demande s'il veut faire des maisons. Damian jette un œil, rapide, à Bruce alors qu'il énonce l'idée qu'il avait eu en réfléchissant à ce projet. L'homme reprend la parole et il écoute à nouveau. Pas besoin de prouver de quoi il est capable à chaque fois. Bien sûr que si. C'est toujours comme cela n'est-ce pas ? Leur société fonctionne comme cela. Il prend les arbres. « Merci ». Il marque une pause, pose les arbres là où ils ne seront pas abîmés le temps que le volcan sèche et qu'il puisse les poser sur le flanc de celui-ci. Il répond : « Et bien sûr que si... Dans ce monde, tout est une question de ce que l'on sait faire, n'est-ce pas ? En particulier à l'école : il faut être le meilleur s'il l'on veut pouvoir prétendre aux meilleures universités ». Et si ce n'était que cela. Il faut être le meilleur pour survivre ici. Cette ville est comme une fourrière. Les habitants sont les carcasses. Les plus forts et les plus intéressants s'en sortent. Les autres sont broyés, brisés. Epaves laissés à la dérive. Ici comme ailleurs. Damian en a vu des choses. Il en a traversé des épreuves. Et il s'en est toujours sorti parce qu'il était le meilleur. Il fait craquer sa nuque et se contente d'hausser les épaules. Il n'y a pas grand-chose à dire sur cela. Damian doit être le meilleur, encore et encore. Dans tous les domaines. Pour simplement prouver qu'il est à la hauteur. Notamment à la hauteur des attentes de Bruce et du reste de sa famille.
Lorsqu'il dit qu'il a une idée pour simuler la fumée, Damian arque un sourcil interrogateur pour connaître son idée mais avant qu'il ne l'expose, il dit : « J'avais pensé à de la glace carbonique. Avec un peu de charbon pour lui donner cette couleur gris foncée ». Cela devrait marcher. Et pour lui la fumée n'est pas le plus difficile à recréer. Il se contente de dire : « Avant ça, j'aimerais déjà réussir à stabiliser la réaction chimique pour que la lave ressemble à de la lave ». Une mousse compacte et orangée, qui se solidifiera. Il n'obtiendra pas forcément le changement de couleur de la lave qui noircit et durcit à mesure qu'elle refroidie. Mais au moins, il peut obtenir quelque chose de similaire à la roche volcanique en texture. C'est la première étape. Réussir à créer l'irruption elle-même. Une fois fait, il s'agira simplement de timer la fumée pour qu'elle démarre avant et se termine un peu après la fin de l'éruption. En fonction de ce qu'ils utiliseront, il ne s'agira que de dosage de produit pour que la réaction dure le plus longtemps possible. Il tire donc une feuille et recommence à poser ses équations tout en expliquant à Bruce la réaction chimique de base qu'il souhaite utiliser pour créer la lave. Et réalise les calculs pour doser la quantité de chaque composant tout en continuant à lui expliquer. Il n'est pas bien sûr que Bruce comprenne quoi que ce soit à ce qu'il lui dit. Mais on ne pourra pas lui reprocher de ne pas expliquer ce qui se passe.
Lorsqu'il a terminé son explication, il redresse la tête et dit : « En théorie ça devrait marcher. Ça aurait dû marcher. Je ne sais pas pourquoi ça n'a pas marché ». Et ça le frustre réellement. Parce qu'il vient de refaire tous ses calculs en reprenant du début et en découpant chaque étape pour expliquer à Bruce et qu'il obtient les mêmes résultats. Il est sûr de lui, il n'y a pas d'erreur dans son raisonnement. Alors il ne comprend pas pourquoi cela n'a pas fonctionné du premier coup. Cela aurait réellement dû marcher. Il tire le volcan et regarde à l'intérieur : « Peut-être que le tube est trop petit... Ou trop large ». Il reste songeur un instant. Cela pourrait très bien être cela. Mais il en doute. Parce qu'il a respecté les proportions de bases indiquées dans la plupart des modes d'emploi pour créer ce genre de maquettes. Il se contente de dire : « Ou alors quelque chose a parasité la réaction que je n'avais pas pris en compte. Un composant chimique qui s'est rajouté sans que je ne m'en rende compte ». Oui mais d'où viendrait-il ? Damian regarde autour de lui, il regarde à nouveau son volcan. Il tourne le pot de colle et celui de vernis qui lui ont servi pour réaliser sa maquette. Non, cela ne peut pas être ça, puisque ce sont des produits standards souvent utilisés pour ce genre d'expérience. Alors quoi d'autre ? Il fronce un peu les sourcils, agacé.
Bruce se gratta momentanément le visage, réfléchissant. Il avait une bonne idée de comment les choses avaient pu mal tourner, mais il se trompait peut-être ; après tout, c'était les calculs de son fils, et il y avait une chance raisonnable qu'il se trompe aussi en voulant le corriger. Il préféra ne rien en dire, et se contenta de répondre :
« Je te laisse t'occuper de cet aspect. Je vais chercher de quoi faire la fumée et la mettre en place. Et inutile d'user de glace carbonique, tu verras. On peut faire beaucoup plus simple, et moins dangereux. Après tout, les Wayne savent tout faire, une fois lancés. »
Il s'absente pendant à peine une minute, mais déjà, il retrouve un Damian plongé dans ses réflexions. Il n'y avait pas grand chose à reprocher à son intellect, songea Bruce, en le voyant ainsi. Il était précoce, intelligent, rusé, sournois, et savait s'adapter à toutes les situations dangereuses. Mais évidemment, cela se retournait contre lui lorsqu'il s'agissait de son ego ou d'un objectif simple et qui n'impliquait ni le meurtre ni la bagarre. L'adolescent était incapable de penser de manière aussi directe, instinctive ou simple.
Intérieurement, le père soupira. Il avait été pareil pendant très longtemps, avant qu'enfin, quelqu'un ne vienne le sauver de tout ça. Petit à petit, pas à pas, effort après effort, miracle après miracle. Est-ce que son fils aurait un jour cette chance ? Il était encore bien jeune, donc il pouvait encore l'espérer. Mais malheureusement, les choses ne seraient jamais simples entre eux. Ce que Bruce ne parvenait pas à comprendre, alors même qu'il revenait auprès de son fils, c'était comment ils pouvaient avoir autant de difficultés, leurs choix respectifs mis à part.
Jason et lui avaient leurs différends, mais ils parvenaient à s'entendre et à passer du temps dans la même pièce sans s'étriper.
Dick et lui s'entendaient bien.
Tim était celui qui lui ressemblait le plus, et ils agissaient souvent ensemble.
Alors qu'est-ce qui se passait ? Etait-ce vraiment l'ego de Damian ? Le fait qu'il veuille à tout prix prouver qu'il était le meilleur dans tous les domaines ? Et qu'ainsi, Bruce était incapable d'agir normalement ? Ou était-ce simplement le fait qu'en tant que fils naturel, il y avait quelque chose de plus, quelque chose de très différent ? Peut-être. Selina ne lui serait malheureusement d'aucun secours pour ça. Alfred pourrait, mais même lui avait parfois du mal avec le caractère du jeune homme.
« Voilà ce que j'ai apporté : un petit morceau de charbon, un petit contenant, une grille miniature, et un briquet relié à un système électrique. J'ignore ce que ça faisait dans la Batcave, mais on va pouvoir s'en servir. Un barbecue miniature pour provoquer de la fumée, qui sortirait directement depuis le cratère du volcan. »
L'idée était étonnamment simple.
« Et toi, du progrès de ton côté ? Je peux jeter un coup d’œil à tes calculs si tu veux, mais je ne pense pas que l'erreur vienne de là. A mon avis, il faut plutôt chercher du côté de ta conception. Peut-être que les composants de ton volcan ou de ta lave ne sont pas adaptés pour fonctionner ensemble ? »
Bruce lui dit qu'il a une idée pour mettre en place la fumée qui n'impliquera pas de glace carbonique. Il fronce les sourcils, mais laisse son père sortir sans protester. Il est curieux de découvrir à quoi il a pensé. En attendant, il poursuit ses propres affaires en reprenant ses calculs avec attention. Il tapote sur la table distraitement, absorbé par la réaction chimique tellement simple qu'un enfant pourrait la faire les yeux fermés. Il se penche déjà sur des cours de chimie bien plus avancées avec passion et intérêt. Pourquoi cette maudite page semble si compliquée alors que l'exercice est d'une simplicité désarmante ? Il contient la vague de colère qui s'abat à nouveau sur lui, menaçant de lui faire détruire tout ce qu'il a construit et que Bruce l'a aidé à réparer. La voix de ce dernier le tire d'ailleurs de ses pensées. Il écoute avec attention. Il tique un peu et il dit : « C'était ma première idée. Mais le professeur ne veut pas que j'utilise de feu. Je voulais essayer de reproduire l’embrasement des arbres au contact de la lave, il n'a pas approuvé cette idée... ». Il roule des yeux agacés d'être bridé de la sorte poursuivant : « C'est pour ça que j'en étais arrivé à vouloir utiliser de la glace carbonique. Mais peut-être qu'on pourrait créer la fumée ici, la contenir dans une boite qui s'ouvrirait pour libérer la fumée à un moment donné ? ». Le charbon et le briquet seraient utilisé ici et il ne s'agirait alors que d'un mécanisme d'ouverture à retardement pour libérer la fumée. Il ne sait pas quelle solution serait la plus simple. Bien sûr, il pourrait ne pas incorporer de fumée à son projet, n'est-ce pas ? Mais toute irruption volcanique commence avec un nuage de cendre, n'est-ce pas ? C'est la base. Et bien que Damian fasse de gros progrès en matière de gestion de la frustration, il est encore excédé par l'étroitesse d'esprit de certaines personnes de son entourage - notamment dans cette école de babouins - qui cherchent à le freiner quand il a des idées qu'il peut mettre en place sans trop de difficultés. Trop de risques. Damian y mettrait bien volontairement le feu à cette école, mais cela ferait désordre semble-t-il.
Lorsqu'il lui demande s'il fait des progrès, il secoue la tête et lui explique, réfléchissant à haute voix. Tube trop petit, ou trop large. Quelque chose parasite la réaction mais il ne sait pas quoi. Il reprend son tapotement sur la table, signe qu'il continue à s'impatienter à mesure que le temps passe. Et finalement, il se repasse l'ensemble de la réaction en réfléchissant aux paroles de Bruce et là, il se fige. Il dit : « Ça pourrait venir de la peinture, du vernis ou de la colle... ». Damian attrape un tube de peinture, le pot de vernis qu'il avait utilisé pour vernis l'extérieur du volcan afin de fixer la peinture et la colle et avise les composants. Il le remarque finalement, ce foutu composant qui gêne la réaction. Mais comment ? La peinture est à l'extérieur, cela ne devrait pas gêner. Il se penche et sort le tube pour l'examiner avec attention. Et c'est là qu'il le remarque : il y a une coulure le long du tube jusqu'au fond. C'est discret, assez peu mais suffisant pour bouleverser la réaction. Il grimace tout en grinçant : « C'est la peinture... Je n'avais pas vu qu'il y en avait dedans... ». Il sort donc de la pièce pour aller le nettoyer et revient à quelques minutes plus tard. Une fois le tube propre, il s'assure que la peinture à l'intérieur du volcan est bien sèche cette fois et replace le tube : « Donc cette fois, ça devrait marcher. La mousse devrait se contenter de remonter le long du tube et de couler le long du volcan... ». Il réfléchit un peu et dit : « Mais pour éviter de devoir tout refaire, je vais protéger l'extérieur ! ». Il sort et file à la cuisine chercher du film alimentaire et il revient. Il entreprend de bien protéger le volcan pour éviter une nouvelle catastrophe. Quand il est satisfait, il pose le rouleau et coupe le papier, fixant le dernier bout puis dit : « Ok normalement, cette fois ça doit marcher ». Et si ça ne marche pas, il fracasse tout et arrête d'aller dans cette stupide école.
Bruce profita des instants où son fils était parti pour avancer avec sa propre parti. Il pensait que ce serait facile, pour quelqu'un comme lui, mais il s'avéra très vite que non. Contenir la fumée dans un bocal était ce qui semblait le plus propice, et le plus simple à faire... mais même là, c'était compliqué. Lui qui parvenait à créer des sérums, des antidotes, des armes, des gadgets et des plans plus ingénieux les uns que les autres, voilà qu'il était mis en échec par une simple fumée carbonique ! En soi, utiliser celle provenant d'un morceau de charbon n'était pas l'idée la plus pure et la plus intelligente. Mais c'était le meilleur moyen de recréer de l'authenticité.
Il passa de longues minutes à s'efforcer de réussir. Il ne souhaitait pas y arriver uniquement pour Damian, mais bien parce qu'il trouvait étrangement, et simplement, stimulant le fait de s'atteler à une tâche comme celle-ci. Il n'avait jamais été à l'école, il s'en rendait compte, et cela ne lui avait jamais manqué. Aurait-il été comme Damian, frustré par une intelligence supérieure à la moyenne ? Peut-être qu'il aurait été très différent, et qu'il n'aurait jamais voyagé à travers le monde en quête de réponses qu'il ne trouverait pas à Gotham.
Et peut-être qu'il n'aurait jamais été Batman.
Il chassa cette nouvelle pensée. Il n'aimait pas ce genre de parasite qui s'infiltrait parfois dans le cours de ses pensées, qui lui rendait les réflexions plus difficiles et qui menaçaient de le déconcentrer. Heureusement pour lui, il avait appris depuis longtemps comment se concentrer sur sa propre tâche, ou comment mettre de côté tout ce qui pouvait le gêner pour parvenir à se concentrer sur les détails importants. Damian savait le faire aussi, même si peut-être pas dans la même mesure que lui.
Son fils revint finalement au moment où il parvint à, enfin, emprisonner de la fumée dans un bocal. Il s'essuya le front.
« J'ai réussi. C'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît. »
Il observa un instant Damian, le temps de le laisser tout installer pour effectuer un dernier test. Il se posait la question suivante : avait-il vraiment fait un bon choix avec Barbara ? Il savait que son fils ne l'avait pas bien pris, et peut-être qu'il était encore en colère avec ça. La réponse vint néanmoins d'elle-même dans l'esprit de Bruce : évidemment qu'il avait fait le bon choix. Barbara était plus âgée, plus solide mentalement, et plus capable que l'adolescent. Pas meilleure au combat, pas meilleure physiquement, mais elle avait une capacité d'adaptation et de sang-froid que ne possédait pas le jeune homme. Si Damian devenait Batman, pour le moment, ce ne serait pas bien fait.
Un jour, peut-être. Mais pas aujourd'hui.
Toutefois, il chassa de nouveau ces pensées, car il y avait quelque chose de plus important à l’œuvre : le travail de son fils pour son école. Il fit lui aussi le tour de la table, vérifiant que tout se passait bien pour la préparation.
Alors qu'il revient, il regarde Bruce terminer de mettre de la fumée dans un bocal. Et à l'évidence, l'exercice n'était pas si facile que cela vu les paroles qu'il prononce. Et cela, Damian veut bien le croire. Mais au moins, son père peut se rendre compte que non, il n'échoue pas sur un exercice si simple que cela, que non, il n'a pas besoin d'aide sur quelque chose d'enfantin. Cela l'aurait été - enfantin - s'il s'était contenté de réaliser la version de base de l'expérience. Mais Damian trouvait cela trop simple, trop frustrant. Pas digne de son intelligence. Et aussi arrogant cela puisse-t-il paraître, le gamin potassant déjà des cours universitaire dans certaines matières n'a que faire d'une foutue expérience de ce genre. Quitte à perdre du temps, autant placer un peu de défi dans la réalisation, sinon cela n'a aucun intérêt. Il perd déjà plusieurs heures de sa vie cinq jours de la semaine à traîner assis dans cette classe qui ne revêt aucune forme d'intérêt pour lui, il n'a pas plus de temps à gaspiller. Il fait craquer sa nuque et termine d'ajuster son expérience, réalisant que c'est un composant parasite de la peinture qui gênait, puis protège son volcan. Avant le dernier test, il calibre le petit système d'ouverture du bocal pour qu'il soit ouvert au bon moment, mais pour le test, il se contente de prendre un petit bout de glace carbonique, qu'il place dans un bocal avec les bons composant avant de le fermer et de placer ce faux bocal dans l'expérience. Ainsi, le travail de son père ne sera pas gâché pour un test. D'ailleurs il dit : « Tu as raison, la glace carbonique ce n'est pas le plus simple, mais pour le test, cela évitera de devoir recommencer à enfermer de la fumée dans le bocal... ». Il ne veut pas que Bruce s'offusque de le voir dénier son travail car ce n'est pas le cas. Au contraire. Et parce qu'il a bien entendu la difficulté de l'exercice réalisé par Bruce, il préfère en économiser le résultat pour l'utiliser dans sa classe. Une fois le bocal placé, il active le système électronique puis replace correctement le papier film. Enfin, il place les composants dans le tube. L'ensemble de la réaction se passe alors correctement : la fumée est libérée, s'élevant du vocal juste avant que la réaction chimique ne provoque l'éruption et la coulée de lave qui coule le long du film plastique sans abimer la création en papier mâché. Un sourire satisfait passe sur ses lèvres et dit : « Ça fonctionne ! ». Et il doit bien avouer que la fumée complète à merveille l'expérience. Il aurait préféré que les petits arbres s'enflamment mais bon, puisqu'il n'a pas le droit d'utiliser de flammes, alors il se contentera de cela. Et au final, cela rend déjà plutôt bien. La coulée de lave est plutôt bien et finalement, le produit semble se solidifier au contact de l'air comme la lave le ferait, rendant un réalisme assez saisissant. « On se croirait à Pompeii... ». Cela devait être apocalyptique. Et maintenant qu'il domine ce volcan, il doit bien dire qu'il aimerait bien se rendre là-bas, sur les ruines de l'endroit et découvrir par lui-même les lieux. S'il a déjà beaucoup voyagé, ses pas ne l'ont pas encore conduit là-bas. Mais il a encore du temps pour cela, il le sait. Finalement, il redresse son regard sur Bruce. Son arrivée et son aide n'auront finalement pas été un poids, ou un frein, au contraire. Et Damian se surprend à apprécier ce moment qu'ils ont passé ensemble. Alors il dit : « Merci ». Simplement, sobrement. Le garçon ne dit rien de plus. Il se contente de retirer la lave et le film plastique, de retirer le bocal pour le remplacer par le bon bocal tout en coupant le système électronique d'ouverture et prend le tube pour le nettoyer. Une fois propre, il le replace. Il referme ses composants et pose les bouteilles dans le tube avant le matériel dont il aura besoin pour doser. Une fois la création rangée et ordonnée, il la retire de la table pour la poser sur un meuble, la couvrant d'une couverture légère pour la protéger et se tourne à nouveau pour ranger et nettoyer le reste de la pièce. Et vu le chaos ambiant, il y a du travail. Et si Damian se repose souvent sur Alfred, il est hors de question de lui laisser tout faire. Il regarde Bruce et en commençant à ranger les pots de peinture demande : « Tout va bien ? ». Il ne maintient pas le contact visuel mais la réponse l'intéresse tout de même. Sinon il n'aurait pas posé la question. Politesse élémentaire ou non, Damian ne s'encombre pas de questions dont il ne veut pas connaître les réponses.
Bruce reste un moment sans rien dire, le temps d'observer les réactions de Damian à son succès, à leur collaboration pour faire marcher ce projet, à tout ce que cela implique et qu'ils ont réussi à faire sans même sourciller, sans avoir à se disputer, sans avoir à choisir avec précaution leurs gestes et leurs mots. En vérité, le père se rend surtout compte de ce que cela impliquait pour son fils et lui. Mais aussi pour lui-même : la preuve que le masque que fut Bruce Wayne pendant longtemps se dissipait peu à peu. Que l'évolution de ses relations avec ses proches, et notamment Selina, avait fait ressortir l'humain en lui. Il n'était pas parfait, mais c'était un bon début.
Il se contenta donc de sourire en observant Damian.
« Pourquoi ça n'irait pas ? C'est bien la première fois que je fais un truc comme ça, et je dois avouer que c'est assez plaisant de t'aider à réussir. Ou plutôt, à exceller, car je pense que là, ton professeur ne pourra que te mettre la meilleure note possible. »
Il hésita à poursuivre ; ce pouvait être un terrain dangereux. Mais peut-être qu'il pouvait essayer ? Après tout, c'était maintenant que Damian devait orienter sa vie, c'était maintenant qu'il devait choisir ce que ça déterminerait pour les années à venir. Son fils était tout à fait capable d'exceller dans de très nombreux domaines, mais il fallait faire des choix.
Et finalement, il se jeta à l'eau :
« Cela me fait penser que tu as atteint un âge où on te demandera bientôt de faire des choix cruciaux, pour ton avenir. Des choix qui détermineront ce que tu finiras par devenir, par ce que tu feras plus tard. As-tu déjà réfléchi à tout cela ? Je ne te parle pas de toute l'autre facette de nos vies, mais bien de l'avenir de toi, en tant que Damian Wayne. Aux yeux du monde, tu es mon fils, et on se demande sûrement déjà ce que tu voudras être. »
Il marqua une légère pause, tout en commençant à ranger avec lui.
« Note bien que je ne dis pas ça pour te mettre la pression ; tu feras ce que tu voudras. J'aimerais juste savoir si tu y as déjà réfléchi, si tu penses déjà à toutes ces possibilités qui s'offrent à toi, et laquelle t'attire ; si une t'attire, du moins. A ton âge, on doit souvent choisir alors qu'on est incapable de faire un vrai choix. Je n'ai pas eu ce problème, cette chance, mais toi tu vas l'avoir. Donc je te le demande simplement par curiosité. »
Il disait vrai, évidemment : Damian allait avoir des choix à faire dans un an, deux ans, ou même dans quelques mois, peu importe. Il fallait qu'il y pense aussi. Peut-être qu'il n'avait pas encore décidé. Peut-être qu'il se foutait pas mal de tout ça. Peut-être qu'il envisageait même de ne rien choisir et d'être un justicier à plein temps. Qu'importe le choix, Bruce serait là pour l'épauler et il ne dirait pas qu'il faisait le mauvais choix. Il essaierait de l'aider. Il essaierait de lui montrer des options envisageables.
Damian ne sait pas tellement à quoi s'attendre en posant sa question. Mais puisqu'ils sont là, qu'ils ont réussi à faire quelque chose ensemble qui n'implique pas Batman et Robin, autant essayer d'aller plus loin, non ? Même s'il aurait surement dû tenter de faire ça avec les jumeaux. Lilia semblant une alliée toute désignée dans cette bataille contre le papier mâché. Finalement, ce choix qu'il a fait de venir profiter des ressources infinies contenues au manoir semble plutôt payant. Loin d'être mauvais, peut-être même pourrait-il avoir des bénéfices secondaires insoupçonnés. Bruce lui répond. Il commence par une autre question. Puis adresse à Damian ce qui lui semble être un compliment. Une forme de compliment. Une félicitation ? Un remerciement ? Damian n'en sait rien. C'est quelque chose. Et ça ne semble pas négatif. Damian a même remarqué le sourire - non dissimulé - de Bruce. C'est plutôt rare qu'ils soient dans la même pièce et que cela arrive. Assez rare pour être remarqué et souligné. Damian ne sait pas comment le prendre. Damian ne sait jamais vraiment comment prendre ce qui vient de Bruce. Alors il se contente d'acquiesce en réponse. Bien sûr qu'il aura la note maximale, comment pourrait-il en être autrement ? Lorsqu'il recommence à parler Damian l'écoute, avec attention. Le voilà qui lui parle d'un choix, de son avenir. Comme s'il ne pouvait en faire qu'un. Comme s'il n'allait devoir choisir qu'une seule chose et s'y cantonner toute sa vie. Cependant, il l'écoute jusqu'au bout. Il lui parle du monde qui attend de savoir ce qu'il voudra être. Et en quoi cela pourrait-il bien concerner le monde qu'il choisisse de devenir médecin ou plombier ? Il se moque bien de l'opinion du monde. Dans le fond il n'y en a que quelques-unes qui comptent.
Il commence à ranger pendant que Bruce parle, sans pour autant cesser de l'écouter. Les deux Wayne avancent leur rangement pendant que le plus vieux continue son explication. Il lui exprime sa volonté de le laisser faire les choix qui lui conviendront le mieux. Il ne semble pas avoir envie de l'orienter vers une filière plutôt qu'une autre. Ce qui semble déjà un bon point. Il lui demande par simple curiosité. Damian le regarde un instant : « Mhh » avant d'hausser un peu les épaules. Il n'y a pas réfléchi pour la simple est bonne raison qu'il n'y a rien qui le force à se cantonner à une seule discipline. Alors il dit : « Je n'ai pas encore décidé par quoi commencer ». Il le regarde et lui dit : « Ou poursuivre ». Parce qu'à bien y réfléchir, il connaît déjà un bon nombre de chose. Il pourrait bien se faire embaucher comme traducteur ou comme professeur d'arts martiaux. Ses connaissances déjà acquises à la ligue des assassins pourrait lui permettre de gérer sa propre entreprise. Ou il pourrait faire de la protection informatique. « La science me plaît. Les sciences ». Mathématiques, chimie, biologie, il apprécie les diverses disciplines qu'il découvre sur les réseaux des universités. Il hausse les épaules et lui dit : « Je crois que j'aime trop apprendre pour me limiter à une seule discipline ». Et c'est vrai. Au-delà même de cette volonté d'être toujours le meilleur. Il apprécie la découverte, continuer à en apprendre encore et encore. Il sera probablement toujours empreint de cette soif de découverte. Alors il peut bien commencer par étudier la biologie ou l'ingénierie pour tenter de révolutionner le monde, dans quelques années, il se piquera d'une nouvelle lubie, fera de nouvelles études et se lancera sur une nouvelle voie. Ou peut-être simplement qu'il fera un choix et repoussera sans cesse ses limites. Pour le moment, il n'est pas encore fixé. Pas encore décidé. Trop jeune. Trop de possibilité. Trop d'occupations annexes. Par curiosité, il demande : « Si tu avais eu le choix, qu'est-ce que tu aurais choisi ? ». Peut-être Bruce avait-il déjà eu l'occasion d'y réfléchir ? Et peut-être ses réflexions pourraient le guider dans ses choix.
« Il serait tellement facile de te répondre que je n'ai pas eu le choix. Que toute ma vie a été tracée à l'instant même où mes parents sont morts devant moi. Pendant une presque toute ma vie, j'aurais répondu ça. Parce que c'est plus simple, que ça m'évite d'avoir à me poser des questions douloureuses et inutiles. »
Il marqua une longue pause.
« Et il serait alors d'autant plus facile pour toi de répondre la même chose, de penser pareil. De te dire que tu es issu d'un cocon qui t'empêche de faire autre chose. Tu es né ainsi, tu as vécu ainsi, et donc tu dois être ainsi. Mais c'est idiot. Alfred n'a jamais totalement approuvé mes choix, surtout ceux concernant le fait de devenir Batman. Quand j'étais enfant, puis adolescent, j'ai eu maintes et maintes occasions d'être autre chose. J'aurais pu être un être humain normal, avec sa fortune et ses envies. J'aurais pu devenir n'importe quoi ! Aussi bien un homme fortuné n'ayant plus aucune dignité qu'un samaritain donnant tout aux bonnes œuvres. Un politicien, le maire de Gotham, qui jurait de combattre la corruption. Une crapule planétaire. Un dirigeant d'entreprise respectable, ou à l'inverse, un tyran du dollar. »
Il eut aussi un haussement d'épaules.
« Ou rien de tout ça. J'aurais pu mourir à dix ans, à quinze ans, dans mes folles entreprises. Mais ce que je veux te dire, Damian, c'est que j'avais le choix. Dire que je n'avais pas le choix est faux, même s'il est trop tard maintenant. J'ai choisi de devenir Batman quand mes parents sont morts, j'ai choisi cette voie et je n'en ai jamais dévié. C'était un choix, fait par un enfant traumatisé, mais un choix tout de même. Le fait que je n'ai pas voulu faire autre chose n'était qu'un choix. Tu as le choix toi aussi, même si tu ne le vois peut-être pas. Ou peut-être que tu le vois, auquel cas j'en suis heureux car tu ne fais pas la même erreur que moi. »
Un petit sourire flotta de nouveau sur son visage.
« Mon père était un homme bon, et généreux. Il n'avait que faire de l'argent et des soucis que ça apportait ; il était médecin, et c'était tout. Il ne voulait pas devenir un homme pourri de ses privilèges et de sa fortune, alors il a voulu m'élever dans ce sens. Dans l'opulence, certes, car il aurait été idiot de prétendre ne rien avoir, mais avec des valeurs justes et bonnes. Si j'avais eu la possibilité, à ce moment-là, de vivre avec mes parent, je serais sans doute devenu comme lui. Peut-être pas forcément en tant que médecin, cela dit... Alfred désapprouve totalement toute tentative médicale de ma part. »
Le souvenir élargissait son sourire :
« Je ne sais pas si tu as déjà essayé de te recoudre toi-même, d'ailleurs. La première – et seule fois – où j'ai essayé, Alfred est devenu plus furieux que jamais. Il a menacé de dissimuler toute trace de mes costumes et de mes gadgets si je ne laissais pas faire. Ce qu'il a réussi avec brio, d'ailleurs, car malgré mon lot de cicatrices, il m'a probablement évité la défiguration et la mutilation. »
Damian reste silencieux durant tout le long du discours de Bruce. L'écouter dire que longtemps, il avait considéré ne pas avoir le choix, ne pas avoir eu l'occasion de faire autre chose, d'être devenu ce qu'il était à cause de son histoire, à cause de l'assassinat de ses parents. Par simplicité, pour ne pas avoir à se poser des questions. Il l'écoute dire que lui-même, du haut de ses 13 ans, pourrait faire la même chose. Et que c'est idiot. Bien sûr que non cela ne l'est pas. Même s'il n'est pas obligé d'être Robin, il y a des choses qui ne changeront jamais. Mais Bruce lui dit qu'il a eu maintes fois l'occasion de faire autre chose, qu'il aurait pu être un homme normal, énonçant une liste de métier aussi variés qu'intéressant avant d'hausser les épaules. Il parle ensuite de ce père qu'il a vu mourir. Et de ses valeurs, de sa bonté. De ce qu'il a transmis à son fils. De ce qu'il serait devenu si ses parents avaient survécu. Avant de conclure sur une anecdote. A l'évidence, les talents de Bruce avec une aiguille sont médiocres là où les siennes sont plus que raisonnables. Un bref sourire passe sur les lèvres de Damian, qui un instant est satisfait d'être meilleur que son père au moins dans un domaine. Il reste silencieux un moment et lui dit : « J'ai peut-être le choix de ce que je veux devenir, mais certaines choses ne changeront pas ». Il le regarde et lui dit : « Et cela conditionne par avance toute notre vie. Tu le sais n'est-ce pas ? C'est pour cela que c'est Barbara qui endossera ton costume ». Damian ne se fait plus d'illusion. A trop vouloir impressionner ce père nouvellement entré dans sa vie, il s'est rendu compte de leur différence. De leurs trop grandes différences. Là où la moralité de Bruce est pure et tirée de son père, celle de Damian est corrompue par l'esprit et le sang du démon qui coulent dans ses veines. Ra's a veillé à faire de son petit-fils quelqu'un qui ne soit pas arrêté par des morales qui freinent Bruce. Et Damian ne changera pas. Bien qu'on lui rétorque parfois qu'il est jeune et qu'il peut encore changer. Cette colère qui pulse dans ses veines, elle est là, et elle ne semble pas pouvoir disparaître. Et toujours, l'adolescent sera en mesure de se dire qu'il peut prendre une vie pour en sauver une autre. Même si ce choix ne devrait pas lui appartenir. Damian sait ce qu'il est, ce qu'il vaut, ce qu'il peut avoir et s'en donne les moyens. Même si cela n'est pas tout à fait dans la légalité. Il regarde Bruce, sans colère. Ce qu'il n'est qu'une simple constation. Ils n'ont pas grandi dans les mêmes conditions et les cicatrices physiques et mentales de Damian ne disparaîtront pas.
Ceci dit, il est tout de même évident que Damian n'est plus tout à fait l'enfant qui est arrivé à Gotham. Il a évolué, grandi. Une partie de lui est plus réfléchie, mais plus il vieillit et plus son arrogance s'ancre en lui bien qu'elle ne soit plus aussi visible qu'avant. C'est quelque chose de plus insidieux. Quant à ses excès de colère et ses nuits passées dans Gotham à s'occuper des délinquants, la violence est de plus en plus marquée à mesure que sa force se développe. Comme s'il ne pouvait y échapper car partout autour de lui rôdent les ombres des assassins. Quant à la sienne - d'ombre - elle est derrière lui, toujours prompt à lui murmurer à quel point il serait facile de tirer encore plus de profit d'une situation ou de montrer à tous qu'il est le meilleur. Parfois, il l'écoute moins, quand il se sent en sécurité. Mais souvent, l'insécurité constante dans laquelle il vit le force à entendre toutes ces questions. « Je ne serais jamais un homme normal. Ce que j'ai fait, ça ne s'effacera jamais » d'autant moins qu'il le refera. Parce que cette pulsion est parfois irrépressible. C'est comme ça qu'on lui a appris à fonctionner : prendre ce que l'on veut par la force, quitte à devoir tuer pour l'obtenir si nécessaire. « Mais les masques sont facile à porter de nos jours, les gens ne s'en rendent pas compte ». Les autres enfants de son école, ses professeurs. Tous le voient comme un gosse de riche un peu trop intelligent. Personne ne voit la bête qui rôde en lui, toujours cachée derrière ce sourire crispé, à moitié sincère à moitié arrogant. Derrière ce regard parfois dédaigneux et souvent froid, distant. Tous le voient comme un Wayne. Mais personne ne sait. Cette souffrance perpétuelle. Ces questions incessantes. Et tous ces doutes. « Lucius m'a déjà proposé de le rejoindre pour travailler avec lui ». Des stages, même s'il n'a même pas encore posé un pied au lycée. « Je crois que ça me plairait ». Ce qui sort des ateliers de Lucius est toujours génial. A la pointe de la technologie, Damian a bien envie d'aller rivaliser avec l'ingénieur pour voir ce qu'ils peuvent produire de nouveau tous les deux. Enfin, Lucius travaille aussi avec d'autres partenaires, mais il est lui-même très intelligent. Damian n'en doute pas une seconde.
Bruce accuse un sourire triste alors qu'il entends les mots de son fils. Il ne sait pas vraiment quoi répondre, ni même s'il devait le faire tout simplement. Choisir Barbara plutôt que quelqu'un d'autre, ça avait été un choix difficile, longuement médité, et surtout, qui avait été motivé par le fait que le père de la famille de Wayne anticipait une fin future. Il ne pouvait pas dire aux autres qu'il la sentait venir. Il ne pouvait pas leur dire que, au fond de lui, même s'il était Batman et le serait jusqu'à son dernier souffle, il savait que son engagement, à la fois en tant qu'être humain et en tant qu'homme marié à Selina, allait changer beaucoup de choses. Que cet engagement allait petit à petit l'amener à se retirer, car plus le temps passerait et moins il pourrait continuer.
L'âge, et d'autres choses, se chargeront de l'en empêcher.
Mais en entendant Damian parler de cette succession d'une façon aussi désinvolte, cela le rassure et l'inquiète à la fois. Rassure, car il estime que c'est là faire preuve d'une certaine maturité et d'une certaine sagesse qu'il est difficile d'avoir à l'âge de son fils. Inquiétant, toutefois, est ce constant, aussi calme soit-il. Car il peut s'agir d'une dissimulation d'une rancœur profonde, qui est loin d'être impossible. Il connaît son fils, au moins sur ce sujet-là.
Alors, doit-il vraiment en reparler ?
C'est risqué, terriblement risqué. Ils ont partagé quelque chose aujourd'hui, peut-être même pour la première fois, et il serait dommage de tout gâcher. Presque sans le vouloir, cependant, il tend la main et serre doucement l'épaule de son fils, conservant ce sourire teinté de tristesse dont il n'arrive pas à se départir. Puis, sans qu'il réfléchisse, les mots sortent tout seuls :
« Je n'ai probablement pas été le meilleur père que tu puisses avoir, ni même celui dont tu rêvais ou celui auquel tu t'attendais. Mais j'espère que tu me crois, quand je te dis que tu es mon fils, et que rien ne changera ça. Pas Selina, pas les autres, personne, ni rien, ne le changera. Barbara et Dick sont ceux que je considère comme mes premiers enfants, mais pas dans un ordre d'importance. Simplement parce que ce sont les plus âgés. Timothy, Jason et toi, ainsi que Cassandra ou Stephanie, vous êtes également mes héritiers et mes enfants. Et ce mariage avec Selina... »
Il rit presque, mais se retient. Cela lui demanderait trop d'efforts, malheureusement.
« Si un enfant doit en naître, je ne te demande qu'une seule chose, Damian : ne pas lui apprendre à se battre ni à hacker dès ses cinq ans. Alfred ne nous le pardonnerait pas, et il semble tenir corps et âme à faire de ce futur enfant un vrai petit-enfant pour lui. »
Relâchant son fils, il tourne le regard vers le reste de leur expérience. Il la désigne d'un geste :
« Allez, rangeons le reste. Montrons à ce vieux majordome que l'on peut faire des tâches ménagères, nous aussi. Et après, on ira manger un de ses excellents sandwich au concombre. »
Damian ne sait pas qu'est un père. Pas au sens normal du terme. Pas au sens attendu du terme. Il ne sait pas réellement ce que c'est d'être dans le regard bienveillant d'une famille qui l'encourage et l'élève comme un adolescent normal. Pendant les premières années de sa vie - la plus partie de celle-ci d'ailleurs - il n'a essuyé que l'exigence et la noirceur de la ligue des Assassins. Puis, l'exigence morale de Bruce, exact opposé de ce qui était sa vie depuis tant d'année. Sans jamais avoir de moment où quelqu'un s'est accordé à lui laisser sa place d'adolescent, sans exiger d'un autre côté qu'il soit adulte. Car oui, souvent Bruce et le reste de la famille lui rappellent qu'il n'a que 13 ans, tout en lui demandant d'être Robin - et donc de se comporter en adulte. Le costume de Robin, il a volontairement choisi de l'endosser. Mais on l'y a autorisé, là où peut-être il y aurait dû y avoir un interdit. Qu'on lui rappelle le danger, qu'on l'oriente vers une vie d'enfant normal. Est-ce qu'il aurait aimé cela ? L'assassin aurait probablement crié au scandale. Le garçon en quête d'affection, surement moins. Il ne sait pas ce que c'est qu'une enfance normale, mais s'il le savait il aurait probablement conscience que les interdictions structurent le développement de l'enfant pour en faire un adulte le plus équilibré possible. Si Bruce est comme ça aujourd'hui, c'est bien parce que son père lui a un jour dit que tuer et voler n'était pas bien. Oh bien sûr, Bruce aussi le lui dit, à lui. Mais il reste Robin et il garde ses valeurs durement inculquées. Il l'écoute alors qu'il continue à parler. De lui, de sa place dans la famille, du fait qu'il reste son fils. Il parle de ses plus vieux enfants et des autres. Quant à l'enfant qui pourrait naître du mariage avec Selina, Damian doit se faire violence pour ne pas retourner la table tant la pulsion est soudaine et intense. Le voilà, là, au milieu d'une pièce, plus jeune enfant de sa « fratrie » et pourtant pas forcément le centre d'attention comme les petits derniers peuvent l'être. Et déjà, Bruce se projette dans un avenir dans lequel un nouvel enfant serait là, bébé, attirant nécessairement l'attention de ses parents dans ses plus jeunes années. Et même si Bruce le lui dit, lui assure que sa place restera inchangée, qu'il sera toujours son fils, Damian se demande si c'est réellement le cas. Si leurs différences ne seront pas à jamais un fossé trop important entre eux. Pourtant, le moment qu'ils viennent de passer n'était pas désagréable. Pas naturel, mais pas horrifiant non plus. Et peut-être que pendant quelques minutes, ils ont effleuré la normalité d'une relation père-fils, sans pour autant pouvoir réellement en percevoir l'importance ni se projeter dans de nouvelles activités de ce genre. Damian se contente de dire : « Alfred s'accroche à un rêve... ». Il hausse les épaules : « Je ne vois pas dans quel monde cet enfant pourrait être un enfant normal ». Quand bien même Bruce ne serait plus le batman, cet enfant évoluera dans un monde de super héros et de super vilain et personne ne le laissera sans défense face à tout ce qui se trame dehors. Sauf peut-être lui, qui pourrait même être le plus grand danger pour ce bébé. Il n'ajoute rien cependant, haussant les épaules à nouveau et lorsque son père lui propose de ranger pour montrer à Alfred qu'ils peuvent faire des tâches ménagères, Damian se retient de lui signaler qu'il s'occupe lui-même de sa vache et de la nettoyer le plus souvent possible. Et de lui signaler également que sa chambre est toujours rangée parce qu'à part une étagère de livres, elle ne comprend pas grand-chose. Oui, l'adolescent n'est pas du genre à accrocher des photos et à collectionner les statuettes et autres goodies. Il commence donc à ranger avec Bruce, ne laissant bientôt que l'expérience sur la table. Il attrape la caissette de peinture et les composants sortis de la batcave pour aller les ranger en lui disant : « Je vais ranger ça, je te rejoins dans la cuisine ». Avant de sortir de la pièce se servant de son épaule pour pousser le battant de la porte.
Bruce ne prononce pas un mot alors que Damian s'en va, plus ébranlé par les mots de son fils qu'il l'aurait voulu. Damian semblait partir du principe que la normalité n'était pas possible pour un enfant entre Selina et lui ; et connaissant le garçon, il s'agissait sans doute d'un moyen détourné de dire que pour lui, il ne servait à rien de vouloir cet enfant. En vérité, le père se mit soudain à regretter d'avoir évoqué ça. En voulant se montrer rassurant, en voulant se montrer bon et plus attentionné que d'ordinaire, il ne pouvait pas s'empêcher de se dire qu'il avait échoué.
Non, la normalité n'était peut-être pas pour cette famille. Mais cela ne devait pas les empêcher de s'accrocher à des rêves. Tout le monde en avait. Bruce, Damian, Selina, les garçons, les filles, Alfred, tous. On ne pouvait pas vivre sans quelques espoirs, aussi futiles ou éphémères soient-ils. Pour un peu, on aurait pu croire que son fils était jaloux de cette future attention qu'on porterait à un bébé.
Serait-ce vraiment ça ?
Bruce sentit la déception s'emparer de lui, mais il la chassa. Il ne devait pas laisser ce genre de pensées s'immiscer durablement dans son esprit, car ce n'était pas ainsi qu'il fonctionnait, et ce n'était pas ainsi qu'un père devait fonctionner. Qu'importe les mots, les griefs, les attentes, il ne fallait pas montrer sa déception. Il fallait encourager, aider. Il ne réussissait pas toujours à le faire, ou à le montrer, mais il ne montrait pas qu'il était déçu. Damian faisait ses choix, en son âme et conscience. Il avait beau être jeune, il n'avait jamais été idiot.
Mais surtout, il ne pouvait pas espérer avoir une vie normale là où un enfant à naître aurait cette chance. Les circonstances ont fait que l'adolescent avait été élevé pour tuer, puis enrôlé plus ou moins de force dans la Batfamily. La faute de Talia, tout ça, que le jeune homme rejetait sur Bruce car sa mère n'était pas là. La fille de Ra's avait voulu épargner à son fils la vision impitoyable d'un père irascible, alors elle l'avait envoyé près de son ancien amant, espérant que faire de lui le fils de Batman serait plus intelligent.
Damian avait choisi l'absence de normalité au moment où il avait voulu devenir Robin. Bruce aurait pu l'en empêcher, mais ça n'aurait pas servi à grand chose. Car à l'époque, il avait été loin de savoir qu'il choisirait lui-même une autre voie. Que le Chevalier Noir accepterait enfin, une bonne fois pour toutes, qu'il n'était pas seul dans son combat, dans sa croisade, et qu'il avait tout autant le droit que les autres d'être humain. Son fils se faisait-il la même réflexion, mais à l'inverse ? Se disait-il que la normalité n'était, de toute façon, pas pour lui, et qu'il endosserait ce rôle de solitude abandonné par son père ? Cela ressemblait bien aux réflexions du jeune homme, à sa façon parfois étrange de penser.
« Vous devriez aller lui parler avant qu'il ne s'enfuit, monsieur. Mais ne vous attendez pas à des miracles. Le bénéfice de ce moment ne pourra se voir qu'au bout d'un certain temps. »
Alfred.
Toujours aussi perspicace. Le vieux majordome avait évidemment suivi avec attention toute la conversation entre les deux Wayne.
« Je vais y aller. Merci Alfred. »
Et de fait, il se dirigea vers la cuisine, espérant y retrouver son fils avant que ce dernier ne décide vraiment de partir. Ils avaient en effet partagé quelque chose, et Bruce savait qu'ils avaient tous les deux apprécié ce moment. Mais comment faire pour qu'il ne se termine pas sur une fausse note ? L'adolescent n'était pas facile à appréhender, car il avait constamment des idées changeantes et il se renfermait comme une huître à la moindre occasion... un peu comme lui pendant longtemps. Mais en pire.
Car même inconsciemment, Bruce avait laissé des gens entrer dans son intimité et l'aider.
« Tu t'en vas, du coup ? Tu ne préfères pas rester un peu au manoir ? »
Damian s'affaire à tout ranger. Il n’aime pas tellement ça ranger. C'est plutôt rare mais le gamin laisse déjà assez de boulot à Alfred, pas besoin en plus d'en rajouter. Et puis, revenir ici juste pour faire ses devoirs et salir, c'est quand même un peu gonflé, même pour lui. Et même s’il n’aime pas ça, il sait comment nettoyer ses traces. Tout le talent d’un bon espion. Savoir nettoyer toute trace de son passage, et savoir disparaître, alors oui, Damian sait le faire. Mais s’il pouvait avoir à éviter de ranger, alors il le ferait volontiers. Mais bon, il semble découvrir le respect. Chaque un peu plus, pas après pas. Il s'étire un peu et revient vers la cuisine. Lorsqu'il y entre, celle-ci est vide. Sur le plan de travail, une assiette remplie de sandwich trône couverte par une cloche en verre très utile, surtout quand Alfy traîne dans le manoir. Ce chat s'invite partout là où il ne devrait pas. Aussi bien élevé que l'enfant qui lui sert de distributeur de nourriture. Le chat, l'animal qui correspond le mieux à Damian : indépendant et opportuniste. Un peu ingrat. La seule différence c'est qu'Alfy est affectueux, ce qui n'est pas tellement le cas de Damian. Il sort deux verres parce qu'il ne doute pas que le vieux majordome va croiser Bruce et renvoyer le patriarche de la famille dans cette cuisine. Alfred est toujours au bon endroit au bon moment. Un talent inné et très étrange qui le rend indispensable à la survie des différents membres de cette famille. Très clairement. « J'ai laissé pas mal d'affaires chez Barbara. Tout comme Titus et Alfred d'ailleurs, il faut que je les récupère... ». Ceci dit, l'idée de passer un peu plus de temps ici ne le rebute pas autant que d'habitude. Il regarde Bruce un instant avant de dire : « Mais la batcow s'ennuie un peu alors je reviendrais un peu plus souvent ». Vraiment. Bien sûr, il se cache derrière des prétextes, parce que cela serait plus difficile autrement. Damian n’aime pas avoir l’air faible. Il n’aime pas parler de ce qu’il ressent, pour la simple et bonne raison qu’il a lui-même du mal à comprendre tout ça. Une chose est sûre, il n’aime pas toute cette confusion. Et cette confusion est en grande partie liée aux règles. Les règles imposées par Bruce et sa morale. Et s’il fallait aller au-delà, il évoquerait sans doute les comportements très distanciés de Bruce, notamment sa façon de mourir en boucle. Encore et encore. Mais bon, Damian sait qu’il devrait avancer, passer à autre chose. Mais le gamin a été élevé dans la colère et dans la haine, donc forcément, il est un peu rancunier. Et très différent. Il attrape une carafe d'eau et rempli les deux verres avant de la poser sur la table et de s'installer pour attraper un sandwich. Il mord dedans avec enthousiasme. Ces sandwichs sont vraiment très bons. Il doit bien le dire. De toute façon, Alfred est un génie largement sous-estimé. Entre ses compétences pour tenir une maison, son flair naturel pour jauger les gens et pour rétablir des relations sociales difficiles, autant dire qu’il a de multiples atouts. Sa place ici ne pourra jamais être remise en cause. Il fait craquer sa nuque et étire un peu son dos. Il poursuit son repas silencieusement, ne sachant pas tellement quoi dire de plus. Le voilà bien limité. Après tout, leurs discussions ont toujours été un peu difficiles. Depuis son arrivée ici, Damian a été difficile, il s'en rend bien compte. Et fermé aussi. Il ne sait pas trop comment faire autrement. Finalement, il demande : « Tu as regardé le match de baseball hier soir ? ». De temps en temps, quand il n'a rien d'autre à faire, il jette un œil. Il n'a pas d'équipe favorite, il n'est même pas sur de comprendre toutes les règles et l'intérêt de ce sport, mais bon, cela fait vibrer une grande partie de leur pays alors, bon. C'est une façon comme une autre de faire la conversation. Du baseball, ou n’importe quel autre sujet un peu banal : cinéma, série, musique. Il ne sait pas. En réalité, Damian se rend compte qu’il ne connaît pas réellement l’homme qui lui fait face. Et il ne sait pas jusqu’à quel point il pourrait lui parler de science comme il le fait avec Barbara, alors plutôt que de lui parler des dernières découvertes en chimie ou en astronomie, il entame la conversation sur quelque chose de plus populaire. Au moins, ça ne le mettra sans doute pas trop en difficulté. Les scores sont parus dans le journal et tout le monde connait les équipes de la ligue américaine de réputation. C’est une façon de faire connaissance. De sortir des costumes de Batman et Robin, pour être simplement Bruce et Damian. Un père et son fils. Même s’il se demande encore s’il a réellement sa place ici, comment le savoir s’il ne fait pas d’efforts ?
Spoiler:
Pardon pour le délai… Je suis vraiment, vraiment désolée…
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