a new beginning (layla)

Quel est donc cet endroit abominable ? C'est la première question que tu te poses, alors que tu te relèves après avoir été projeté à nouveau dans votre monde. Comment tu peux en être certain ? Et bien, question de logique. Tous les bâtiments autour de toi sont en un seul morceau, et grands, horriblement grands. Des centaines de buildings, et des écrans, beaucoup, partout. Bien heureusement éteints, ils jalonnent l'avenue sur des kilomètres. Berk, que cette ville est infâme. Encore vêtu de ton costume d'Ocean Master, ton trident fermement tenu entre tes doigts, tu comprends rapidement que tous les gens autour de toi sont tout aussi perdu que tu l'es. Certains sont désorientés, d'autres se mettent à pleurer. Qu'ils sont stupides, ces humains. Désarçonné à la première difficulté, et incapable de rassembler leurs esprits pour trouver une solution à leurs problèmes. Toi, tu sais déjà ce que tu dois faire pour quitter ce lieu puant. L'odeur du bitume t'agresse les narines, et tu sens ta peau subir les effets néfastes de cette horrible pollution. La mer, tu dois trouver la mer. Urgemment. Et pour ça, comme jadis après ta sortie de prison, tu demandes simplement de l'aide aux passants. Ceux qui ont l'air un peu plus solides que les autres. « Excusez-moi, où on est exactement ? » Après t'avoir dévisagé de la tête au pied – et tu ne l'en blâmes pas avec cette tenue – il te répond un peu méfiant : « New-York. » « Et où je peux trouver la mer ? » Sourcils froncés, comme s'il ne semblait pas bien comprendre ta question, il t'indique du doigt une direction, avant de filer d'un pas pressé. Bien, c'est vague, mais c'est une première piste. New-York, t'en as déjà entendu parler. C'est l'une des plus grandes villes de ce pays, et elle est réputée justement pour ces grands bâtiments qui te donnent la nausée. Plus vite tu quitteras cet enfer, mieux tu te sentiras. Alors rapidement, tu suis le chemin conseillé par l'inconnu, jusqu'à finalement trouvé ce qui s'apparente à un port. Moche, lui aussi. Mais au moins, une fois dans l'eau, il te sera bien plus facile de t'orienter vers Morro Bay. Car c'est là que tu veux aller en premier.

Sur la plage, tout est calme. Ambiance reposante, à l'opposé de l'agitation dans les rues, que tu constates à mesure que tu t'approches de la maison de Layla. Le monde est en panique, votre retour a été brutal, en plus d'être un gros point d'interrogation. Comment tout a pu s'arrêter ? Que s'est-il passé pour que Brainiac vous laisse rentrer chez vous ? Tant de questions, et personne pour te donner les réponses. Pas même ton amie, dont l'absence fait naitre en toi une cruelle déception – et inquiétude. Jamais jusqu'à présent tu ne t'étais fait de réel souci pour elle, bien trop au courant de sa capacité à survivre dans les milieux les plus extrêmes, mais là, aujourd'hui, confronté au silence d'une maison vide, t'en viens à sentir ton cœur se serrer dans ta poitrine. Où est-elle ? Tu ne l'as pas croisée sur cette maudite autre Terre, mais si elle n'avait pas été téléportée, elle serait déjà ici. Deux possibilités pour expliquer cette disparition. Soit elle s'est réveillé comme toi très loin de Morro Bay, soit... Non. L'autre tu refuses d'y penser. Layla Cook a survécu à une guerre et à tout un tas d'autres choses déplaisantes, alors c'est certainement pas New Themyscira qui aura eu raison d'elle. Tu veux croire en un proche retour, et pour être certain de ne pas la rater, tu fais le choix de rester dans la maison, aussi longtemps qu'il le faudra. Atlantis attendra. Tout le reste attendra. D'abord, tu dois t'assurer qu'elle va bien.

Huitième jour. Même routine. Dehors, vêtu comme n'importe quel humain, tu vas nourrir les poules, toujours sous le regard idiot du poulet. « Arrête de me regarder comme ça, tu m'énerves. » Depuis le début cette bestiole n'a de cesse de te provoquer. Et aujourd'hui, c'est avec un malin plaisir que tu deviens celui dont il a besoin pour survivre. Un duel absurde, certes, mais qui au moins t'occupes le temps que Layla rentre. Et le temps commence à faire long. A moins que ? Au loin, tu entends une démarche lourde qui se rapproche de la porte du jardin. Concentré, et avec ton ouïe d'Atlante, tu peux confirmer qu'il s'agit bien d'elle avant même que vos regards ne se croisent. Sera t-elle surprise de te voir ici ? Sûrement. Bien que tu ne perdes pas contact avec Atlantis, la cité sous-marine n'a pas été ta priorité ces derniers jours. Elle est là, ta fière camarade. « Hey soldat. » Sourire aux lèvres, tu t'approches de Layla pour l'accueillir comme il se doit. Chez les humains, ça s'appelle une colocation, non ? Et bien voilà, tu te comportes en digne colocataire. « Je savais que t'allais survivre à tout ce bordel. » Malgré les traits épuisés de son visage. Malgré les blessures que tu constates déjà sur sa peau. Le chemin a probablement été long, mais ça y est, la voilà enfin chez elle. Et t'en es certain, elle a probablement beaucoup de choses à te raconter. Six mois sur une autre Terre, ça en fait des anecdotes. « Tu vas bien ? » Première question essentielle et que tu ne parviens plus à retenir, sans même lui avoir laissé le temps de respirer un bon coup. Mais elle ne t'en voudra pas d'être heureux de la retrouver, pas vrai ?

AVENGEDINCHAINS

Finally. A peine a-t-elle posé le pied sur la plage de Morro Bay, qu’elle est tentée de lâcher son sac et se laisser tomber à genoux dans le sable, pour enfoncer ses doigts dedans et inspirer à fond l’air marin qu’elle aurait reconnu entre tous. Sa plage. Sa maison. Son chez-elle. Bon sang, que cet endroit avait pu lui manquer, ces six derniers mois. Après trois jours à errer dans les forêts de l’Alaska, trois jours chez ses parents à reprendre pied dans le monde réel, et deux jours de voyage non-stop à travers le Canada et le nord du pays pour enfin atteindre la Californie, Layla avance sur cette plage familière dans un état second, incapable de croire tout à fait à son retour, et incapable aussi de croire tout à fait que ces six derniers mois étaient bien réels. Depuis huit jours, elle a l’impression tenace d’évoluer dans un rêve semi-conscient, sans savoir si elle parviendra à s’en arracher un jour. Soulagement de retrouver des paysages et des visages familiers, détresse sourde d’avoir à nouveau été brutalement arrachée à son partenaire dont elle n’a pas encore de nouvelles, ahurissement qui suit l’absence totale de transition entre un paysage de guerre et un paysage de paix – puisque malgré la crise planétaire, leur Terre restait indéniablement plus accueillante que Terre-4 – tout ça s’entrechoque avec pertes et fracas dans son pauvre crâne. Pourtant, il faut bien qu’elle avance, le petit soldat ; alors c’est ce qu’elle fait, depuis huit jours, un pas après l’autre, et tant qu’elle ne s’écroule pas, c’est qu’elle peut encore faire un pas derrière, et c’était tout ce qu’elle avait besoin de savoir. Et maintenant, elle y est. Morro Bay, sa maison. Son ermitage, d’où elle pourra reprendre ses esprits et se concentrer sur les deux personnes qui manquent encore au tableau : son partenaire, et Orm.

Et pendant un instant, elle croit sincèrement que son imagination lui joue des tours, lorsqu’elle aperçoit dans son jardin une silhouette familière, comme s’ils n’étaient réellement jamais partis six mois sur une autre planète. Et, à mesure qu’elle approche, et qu’il s’avance, l’incrédulité cède la place à une vague de soulagement : combien de fois, à New Themyscira, Orm avait-il été au cœur de ses préoccupations ? Combien de fois s’était-elle demandé s’il était là aussi, s’il était tombé sur la Résistance ou les Amazones qui auraient pu le confondre avec son empereur forcené d’alter-ego ? Combien de fois, après avoir retrouvé Floyd, avait-elle joué en boucle mille et un scénarios de la discussion difficile qui les attendait – si elle le revoyait ? C’était facile de dire au revoir à quelqu’un qu’on connaissait à peine ; mais que c’était difficile, de se préparer à dire au revoir à un ami. Et elle a beau avoir cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, elle est bien incapable de ne pas lui rendre son sourire, soulagée et heureuse – et vaguement interloquée par le spectacle qui s’offre à elle. « Heeeey. » répond-elle, en ayant à peine entendu ce qu’il lui avait dit. Le voilà, le retour de la normalité : sa plage, sa maison, et son improbable Atlante. Arrivée à sa hauteur, elle peine à trouver ses mots – comment tu vas, contente de te voir, qu’est-ce que tu fais là, alors elle lâche la première chose qui lui passe par l’esprit : « … j’ai rêvé ou t’étais en train de nourrir les poules ? » Absurde. Improbable. Et en même temps, la plus belle preuve qu’elle était bien rentrée à la maison. Plage, maison, et Atlante inclus.

Acceptant enfin de déposer les armes, et de laisser l’épaisse armure s’effriter sous l’assaut du soulagement et de la pression qui se lève de ses épaules, Layla s’autorise enfin à laisser son sac de voyage choir dans le sable, avant de prendre Orm dans ses bras et de serrer aussi fort que ses pauvres bras de faible humaine le pouvaient face à un Atlante capable de lui casser une côte d’une pichenette. Les démonstrations d’affection ne faisaient, ordinairement, pas partie de ses habitudes, mais au vu des circonstances, elle acceptait de faire une exception pour lui. Et tant pis pour a réputation. « Qu’est-ce que je suis contente de te voir. » Malgré la situation alarmante de leur monde. Malgré l’urgence, les pénuries, les traumatismes. Malgré ce qu’elle avait à lui dire, et l’issue funeste qu’elle entrevoyait déjà se profiler. Mais une chose à la fois. Rassurée sur la réalité de sa présence, elle relâche son étreinte et fourre les mains dans ses poches en l’observant, son survivant de colocataire. Pas de blessures visibles, il était même souriant ; mais Orm était un soldat, bien plus qu’elle ne l’avait jamais été, donc est-ce qu’elle devait vraiment être surprise de constater qu’il semblait s’en être brillamment tiré dans des circonstances aussi difficiles ? Probablement pas. Si elle avait bien appris une chose à propos d’Orm Marius au cours de leur invraisemblable cohabitation, c’était bien qu’il était capable de survivre à tout. « Le retour a été un peu musclé, mais ça va. J’ai dû passer quelques jours en forêt bien plus au nord, j’ai fait un crochet chez mes parents pour vérifier qu’ils allaient bien, puis je suis rentrée dès que j’ai pu. » C’était long, six mois. Et si elle revenait métamorphosée – sinon en surface, indéniablement en profondeur – qu’en était-il de lui, après six mois à être témoin d’un monde miroir où les Atlantes avaient, indéniablement, obtenu cette suprématie sur la race humaine que lui-même recherchait encore il n’y a pas si longtemps ? « J’ai espéré te retrouver sur Terre-4, quand j’ai appris qui menait les troupes atlantes, là-bas. Entre les Amazones et la Résistance, j’ai eu peur que ta tête ne soit mise à prix. » Et après six mois sans la moindre nouvelle, elle estimait presque que ça tenait du miracle, de le retrouver en un seul morceau. « Je rentre mes affaires, et tu me racontes ? » Les mauvaises nouvelles pouvaient bien attendre cinq minutes. Si c’était là sa dernière chance de se comporter en véritable amie, elle voulait faire les choses correctement ; de profiter de quelques derniers instants de normalité avec lui, et s’assurer, avant toute chose, qu’il avait vaincu New Themyscira, et non pas l’inverse.

AVENGEDINCHAINS

Oui, peut-être bien que t'étais en train de nourrir les poules, mais qu'elle n'en fasse pas toute une histoire. Faut bien qu'elles continuent de produire des œufs, non ? Bah oui, elle est la raison de ton implication, et certainement pas parce que tu t'es attaché au gang des volailles. Mais qu'importe, c'est d'un mouvement de la main que tu éludes la question, bien trop gêné pour y répondre correctement. Et en t'attardant un peu plus longuement sur elle et sa posture qui semble si douloureuse, tu vois à quel point elle est fatiguée, Layla. Tu regrettes de ne pas avoir eu la chance de croiser sa route là-bas. Elle est en vie, c'est tout ce qui devrait t'importer, mais tu n'arrives pas à accepter l'idée de ne pas avoir été là pour elle quand elle en avait sûrement besoin. Ce que tu n'aurais jamais pensé éprouver un jour pour une humaine, d'ailleurs. En quelques mois, elle est parvenue à changer complètement ta vision des choses sur ses semblables. Alors évidemment, ils sont loin d'être appréciables, et elle ne te contredira pas sur ce fait, mais maintenant au moins tu ne ressens plus le besoin fulgurant de tous les noyer. Ce qui, pour toi, ancien adepte du génocide, est plutôt pas mal. Et c'est uniquement grâce à elle. Une évolution qu'Arthur et Mera auront pu constater d'eux-mêmes, lors de vos moments partagés sur l'autre Terre. Il s'en est passé des choses en six mois, beaucoup trop, alors simplement balancer quelques graines aux poules t'apporte un bien être insoupçonné, et que tu n'avoueras jamais, même sous la torture. La routine. La vie normale. Finalement, c'est vraiment pas mal. Et tu pourrais te contenter de ce quotidien d'humain pendant encore un moment, soudainement lassé des responsabilités et du poids de la couronne. Deux pans de ton existence diamétralement opposés, mais qui t'apportent tout autant l'un que l'autre. T'as gagné en maturité, en sagesse, chose encore inimaginable avant de la rencontrer. Plus qu'une colocataire, c'est une amie que tu retrouves aujourd'hui.

Mais malgré tout ça, et l'évidence de l'affection partagée, tu restes surpris par ses bras qui s'enroulent autour de toi, dans une étreinte inédite et... tellement réconfortante. Voilà longtemps que tu ne t'étais pas laissé aller à un tel geste de tendresse, et le fait que ce soit une humaine que tu serres fort contre toi, dans le soulagement non feint de vos retrouvailles, est d'autant plus déroutant. Tout en étant source de chaleur et de bonheur. Et pris dans l'euphorie du moment, tu t'autorises même une confession qui serait restée interdite quelques mois plus tôt : « Tu m'as manqué. » Affronter la guerre et un double destructeur de soi-même, ça change un homme. La preuve, malgré la gêne habituelle chaque fois que tu t'ouvres un peu plus à ton hôte, désormais trop peu familier de l'échange amical, tu ne regrettes absolument pas de lui avoir confié ce qui te restait sur le cœur. T'as beaucoup pensé à elle, là-bas, avec toujours l'espoir qu'elle se porte bien, ou qu'elle ait trouvé des gens sur qui compter. Tout ce que tu ne pouvais pas faire toi, en somme, occupé ailleurs, et  engagé dans un combat contre ton double. Des aventures que tu pourras lui conter, si l'envie lui prend de les écouter. Etreinte relâchée, tu lui adresses un sourire qui se veut rassurant. Quoi qu'elle ait vécu, la voilà maintenant chez elle, en sécurité. « Tu t'arrêtes jamais toi, hein. » Non, bien sûr que non, et il y a bien longtemps que tu as dressé toi-même le constat. Layla fait partie de ces gens toujours en mouvement, accro sans le savoir aux galères. Elle y trouve une stimulation certaine, comme un gros besoin d'adrénaline qui nécessite d'être comblé, mais il y a peut-être aussi un peu de malchance dans tout ça. « Hé, je suis Ocean Master, aucune raison de t’inquiéter pour moi. » Et t'es à moitié sérieux dans ce que tu dis. Tout en appréciant son inquiétude à ton égard, tu te considères réellement comme quelqu'un de presque invincible, en bon adepte d'excès de zèle que tu es. T'as fait des efforts et des progrès, mais quand même, l'égo, lui, reste fermement ancré dans les bases de ton naturel. Sans lui laisser le choix, tu récupères ses affaires avant de les rentrer à l'intérieur. Elle en a assez fait, tout ce qu'elle mérite, c'est beaucoup de repos.

Dans la cuisine, tu t'attèles à vous préparer un peu de café – parce que t'es fier de savoir comment ça marche maintenant – tout en réfléchissant à par où commencer ton récit sur New Themyscira. Six mois, c'est long, et encore plus dans un milieu hostile. Mais avant, il y a sans doute une bien triste nouvelle que tu te dois de lui apprendre, et ce par quoi ton séjour là-bas a débuté. Tu n'auras rien de réjouissant à lui raconter, malheureusement. En espérant que son aventure à elle ait été un peu plus joyeuse que la tienne, pour ne pas faire de ces retrouvailles un puits sans fond de morosité. « Quand je suis arrivé, Mera était avec moi. Et elle m'a appris que son bébé était décédé... » Rien que d'en parler, tu sens ta gorge se nouer. Cet enfant, il aurait pu être le tien. Ce qui n'enlève rien à la douleur d'avoir vu ton ancienne compagne dans une détresse aussi extrême. Quant à ton frère, et bien, c'est peut-être la première fois que t'as réussi à compatir à sa souffrance, sans t'en réjouir une seule seconde, malgré la vengeance et la haine qui t'ont consumé pendant toutes ces années. La mort d'un enfant, tu ne souhaites ça à personne. « Arthur et elle ont été attaqués par Black Manta, elle a été grièvement blessée et le bébé n'a pas pu être sauvé. Je crois que leur couple n'a pas survécu à la tragédie, et qu'Atlantis se retrouve dans une situation délicate après l'abandon du trône par Arthur. Je vais sans doute devoir gérer moi aussi cette affaire très prochainement. » Rien de bien joyeux sous l'océan, donc. Tu lui passes les détails sur la tentative de suicide de Mera, estimant l'événement bien trop personnel pour être raconté sans l'accord de la principale intéressée. Et tu passes également ce baiser échangé, car confus, tu ne saurais dire exactement de quoi il s'agissait et si il restera quoi que ce soit de ce moment particulier maintenant que vous êtes de retour. « J'ai essayé de la soutenir comme j'ai pu pendant ces six mois, tout en cherchant des solutions à notre gros problème avec Arthur, et un jour, paf, on s'est retrouvés face à mon double. Que j'ai transpercé de mon trident sans une once de remord. » Un acte au goût étrange, comme si t'avais assassiné l'avatar de ton propre passé. Et la suite, elle la connait, puisque vous êtes tous rentrés sur votre bonne vieille Terre. « Rien de bien joyeux, comme tout le monde j'imagine. Et toi ? Comment tu t'en es tirée ? » Plutôt pas mal, d'après ce que tu constates, bien que les apparences peuvent parfois être trompeuses. Vos deux tasses de café posées sur la table, tu attends maintenant avec impatience l'histoire de son aventure à elle, avec l'espoir que tout se soit mieux déroulé pour elle que pour toi.  

AVENGEDINCHAINS

Non, elle s’arrêtait jamais – et vraisemblablement, elle allait devoir encore continuer sur cette voie-là encore un petit peu avant de pouvoir envisager de se poser. Mais au moins, elle l’envisageait, et ça, mine de rien, c’était un sacré foutu progrès. Une graine de pensée qui s’était plantée dans son crâne à New Themyscira, et qui faisait doucement son bonhomme de chemin. Est-ce que ce serait complètement possible ? Probablement pas. Mais maintenant qu’elle foule à nouveau le sol de sa maison à la suite d’Orm, l’odeur de bois et le son lointain des vagues comme madeleines de Proust, elle s’imagine que, peut-être, l’entreprise n’était pas totalement hors de portée. Peut-être que la métamorphose initiée avec la disparition d’Amy arrivait finalement à son terme. Débarrassée de son petit fantôme, c’était l’une des plus grandes tempêtes de son existence qui s’était enfin effacée, et pour la première fois depuis dix-huit ans, elle avait l’impression d’y voir clair, et de pouvoir se mouvoir dans les décombres de sa vie sans se faire abattre par l’ouragan. Ses priorités se redessinaient, avec une netteté qu’elle ne leur avait jamais connue. Et ces priorités, elles remettaient tout en perspective. Fatiguée, mais l’esprit plus clair qu’elle l’avait eu depuis longtemps dans cette petite maison, elle observe non sans attendrissement et une pointe d’amusement Orm se concentrer avec application sur ses cafés. Elle ne l’a même pas revu, depuis son retour du Parlement des Vagues – juste à la volée dans le cabanon pendant que Floyd l’attendait dans le salon – et lui aussi, elle a l’impression de le redécouvrir d’un œil neuf. Il avait mûri. Il avait grandi. Et elle réalise que d’une certaine manière, Amy s’était attachée à lui, à sa rage, surtout, qui avait si bien fait écho à la sienne. Un attachement désespéré et avare, dont elle comprend, en le regardant aujourd’hui, qu’il lui a sans doute donné la poussée nécessaire pour accepter aussi vite d’aider un des hommes les plus dangereux de la planète. Cette influence-là de son petit fantôme, elle savait qu’elle ne pourrait jamais la regretter – mais maintenant qu’elle était partie, elle voyait enfin ce que sa démarche, en le laissant rester aussi longtemps, et en surtout en passant certaines choses sous silence, avait eu d’égoïste. Et même si la situation ne s’y prête au fond pas vraiment, elle lui adresse quand même un sourire fatigué. Layla les voit bien, maintenant, ses priorités. Un jour, c’avait été la présence d’Orm. Aujourd’hui, c’était sa sécurité.

Mais d’abord vient le récit de son expérience à New Themyscira, et l’imperturbable Layla sent son cœur se décrocher et chuter très bas dans sa poitrine alors qu’Orm lui conte par le menu la tragédie qui avait frappé le couple royal d’Atlantis. Une tentative de meurtre, et un bébé perdu – elle n’arrive même pas à imaginer, à concevoir, l’horreur que ça pouvait être. Comme lorsque Floyd lui avait raconté le destin funeste de son fils, il y a une démesure dans cette monstruosité qui bloque quelque chose dans sa gorge et la laisse sans voix. Elle n’avait croisé Aquaman qu’en de rares occasions, mais la reine Mera était celle qui lui avait donné sa chance, à une époque où elle en avait cruellement besoin. Elle était une de ces rares personnes qui lui inspiraient ce respect admiratif et même un peu émerveillé dont elle ne s’était même plus crue capable. Layla n’était peut-être pas Atlante, mais cette nouvelle lui fit quand même l’effet d’un petit séisme. Et elle crut même sentir, quelque part en elle, une pointe de tristesse irradier du calme du Clear. « Je savais que Black Manta était un crevard, mais de là à ce qu’il tombe aussi bas… » soupire-t-elle en le remerciant d’un hochement de tête pour le café. Black Manta, terreur des mers et cauchemar de la Navy – oh oui, elle était bien familière avec le personnage. Et le roi Arthur avait abdiqué – Layla passe une main dans ses cheveux en soupirant derechef, avant de relever les yeux sur Orm, attentive à son exposé. Atlantis était vraiment en difficulté, alors. Pendant un bref instant, elle se sent même coupable de son désir de démissionner – mais ce n’est pas elle qui pourra les aider à quoi que ce soit, alors elle chasse vite cette impression de son esprit. Orm, en revanche… « Toi qui voulais laisser Atlantis derrière toi, ils n’ont pas l’air de vouloir te laisser faire. » Les Trenchers d’abord, maintenant ça. Quoiqu’il arrive, Orm et Atlantis étaient liés par quelque chose de bien plus profond qu’une simple couronne. Une relation tourmentée, qui lui avait déjà tout coûté ; et de laquelle il avait progressivement essayé de se détacher, au prix d’efforts admirables dont elle avait été le témoin privilégié. Et elle, elle était sacrément fière de lui. N’en déplaise à Amanda Waller. « Sois prudent si tu y vas, okay ? Tu leur as déjà donné beaucoup. Prends juste garde à ne plus leur en donner trop. » Ils valaient ce qu’ils valaient, ses conseils en carton, mais au moins, ils avaient le mérite de venir du cœur. Ils l’avaient toujours fait, mais ce jour-là, encore plus. Parce que c’est peut-être bien les derniers qu’elle pourrait lui prodiguer.

Comme elle, il avait combattu son double, et triomphé, et elle ressent une certain satisfaction à imaginer le leader de ces Atlantes qui avaient empoisonné le Clear transpercé par un trident. Surtout celui d’Orm. Ce n’était que justice. Et puisque la question lui est maintenant retournée, elle prend une grande inspiration, incapable de savoir exactement par où commencer. Même si elle sait déjà très bien par où elle devra finir. « Je m’en suis pas trop mal tirée, j’imagine. J’étais encore pas mal secouée par le voyage au Parlement des Vagues quand on a été téléportés là-bas. Les trois premiers mois, je les ai passés à essayer de m’ajuster à l’autre Terre, mais surtout à l’absence d’Amy. » Il savait tout, Orm – elle lui avait tout raconté avant d’y aller, et c’était pour l’aider qu’il lui avait donné cette combinaison qui reposait maintenant dans son abri. « Ca a pris du temps. » Evidemment. « Je suis surtout restée toute seule. Je voulais éviter les Atlantes et les Amazones, et je voulais éviter les humains et la Résistance, quand j’ai appris leur existence. Ils m’inspiraient pas plus confiance que leurs ennemis. » Sauf quand elle n’avait pas eu d’autre choix, évidemment, mais pendant trois mois, c’était à sa méfiance et sa solitude qu’elle s’était accrochée. Et surtout, elle avait cherché quelqu’un en particulier. Inspire, Layla. « Tu te souviens de Floyd ? Mon ancien partenaire de l’armée qui vient ici, des fois ? » Question rhétorique, évidemment, mais qui permet à Layla de baisser les yeux sur son café et de chercher ses mots, elle qui avait appris beaucoup de choses ces derniers mois, mais toujours pas à s’exprimer. « J’ai passé les trois premiers mois à le chercher partout, et finalement, on a réussi à retrouver la piste l’un de l’autre. On est restés ensemble jusqu’à la fin en essayant de se faire discrets. C’est lui qui a tué mon double, et moi, j’ai tué le sien. Sur cette planète, je pense que les Atlantes m’ont tuée et réincarnée en une espèce d’élémentaire qu’ils pouvaient contrôler à leur guise. Il a mis fin à sa souffrance. » Il la hanterait encore longtemps, cet élémentaire désincarné. Comme un rappel, peut-être, d’à quoi elle pourrait ressembler, sa fureur, sa rancœur, son amertume, si elle la laissait vraiment prendre toute la place, comme elle avait si souvent rêvé de le faire. « Et hum… » De nervosité, elle tapote la hanse de son mug. « Floyd et moi, on a décidé de se donner une chance. En tant que couple, je veux dire. » Orm était la première personne à qui elle l’annonçait – enfin, ça n’était pas comme si elle avait grand monde d’autre à qui l’annoncer, mais quand même. Et la tristesse qui la prend soudain au cœur, en traître, est d’autant plus poignante qu’elle sait que ce qui aurait pu être une bonne nouvelle allait inévitablement être gâché dans les minutes à venir. « Donc je suppose que j’ai eu plus de chance que beaucoup de monde. » conclut-elle avec un haussement d’épaules pudique. Dernières confessions avant la fin du monde.

AVENGEDINCHAINS

C'est drôle, ce changement de perspective. Aux yeux de Layla, c'est Atlantis qui ne semble pas te mériter, alors que l’entièreté de cette planète serait prête à dire l'inverse. Sans doute est-ce parce qu'elle ignore encore beaucoup de choses, la tolérante casse-cou. Et si elle a réussi à aller au-delà de la tentative d’inondation, qu'en serait-il si elle apprenait toute la vérité sur toi ? Que même si tu as toujours voulu le meilleur pour ta cité, parfois, tu as pris des décisions plus que douteuses, pour ne pas simplement dire effroyables. A cette époque, quiconque osé se mettre sur ton chemin se voyait lourdement puni. A commencer par ta mère, Atlanna, à qui tu as ôté la vie des pointes de ton trident. Celui là même qui traine près de la porte, immaculé aujourd'hui, mais qui pour toi gardera à jamais les traces de sang de ton matricide. Est-ce qu'elle changerait d'avis, alors, si elle possédait toutes les cartes en main ? C'est ce que t'as toujours apprécié chez elle, cette étonnante faculté à ne jamais juger trop hâtivement, et préférer voir d'elle-même avant de scotcher la moindre étiquette. Black Manta n'a pas eu cette chance là, directement catalogué tueur d'enfants, et ce à juste titre, mais tu ne peux t'empêcher de penser qu'il en serait advenu de même pour toi s'il avait tout de suite su qui tu étais vraiment. Un secret que tu ne te sens pas encore prêt à partager, pour la simple et bonne raison que tu te refuses de la perdre, elle aussi. Votre relation t'a plus apporté que tu ne pourrais lui dire avec des mots, et renoncer à son amitié serait un déchirement aussi fort que d'abandonner une seconde fois ta maison. « Je ferai ce que je dois faire pour aider Atlantis à renaitre de ses cendres. » Qu'importe le prix. Car même si tu es parvenu à trouver calme et sérénité dans cette petite bourgade humaine, Atlantis reste ta raison de vivre, ce pour quoi tu as absolument tout sacrifié. Mère, fiancée, et liberté. S'ils ont besoin de toi là-bas, tu t'y rendras sans hésiter une seule seconde, toujours prêt à donner de ton temps et de ta personne pour le bien de ceux qui y vivent. Ce n'est peut-être pas ainsi que tu voulais reprendre le cours normal de ton existence, mais c'est ton devoir en tant que fils d'Atlanna, et protecteur du royaume des mers.

Elle en a trop traversé, Layla, en aussi peu de temps, et le poids de ces longs mois affaissent ses épaules. Tu la sens inquiète, nerveuse, il y a quelque chose chez elle qui te fait déjà soulever bon nombre de questions. Son périple n'a certes pas été de tout repos, que ce soit avant, pendant ou après New Themyscira, mais ne devrait-elle pas être soulagée que tout soit désormais terminé ? Pourquoi ce mal-être qui émane dans toute la pièce, et qui te coupe radicalement l'envie de toi aussi te servir une tasse de café ? Tu cherches dans son récit l'événement tragique qui justifierait de tels traits fermés, mais non, tu n'y trouves rien de particulier, pas plus pas moins que les autres égarés sur cette autre Terre. Alors peut-être est-ce simplement la fatigue accumulée, et qui serait justifiée après tant de péripéties ? Ne désirant pas l'interrompre avant d'avoir tout entendu, tu mets en sourdine tes interrogations pour la laisser poursuivre tranquillement. Floyd ? Oui, tu vois très bien qui est ce type, et tu ne l'apprécies pas beaucoup, d'ailleurs. « Ouais, celui qui m'empêchait de sortir du cabanon. » Quoi, comment ça t'es un peu amer ? Bon, un peu, mais plus par principe que par réelle animosité. Tu te doutais bien que quelque chose se tramait entre eux,  et c'est une intimité que tu as toujours respecté sans trop ronchonner. Contrairement aux visites de Ned, où là tu n'hésitais jamais à lui fermer la porte au nez. Mais bref, là n'est pas le sujet. Oh, alors elle aussi a eu le droit à son double et à une confrontation musclée. Le sien n'était visiblement pas plus amical, mais tu n'es pas surpris d'apprendre qu'il était connecté à l'eau et aux Atlantes. Certaines choses restent inchangées, à commencer par le lien particulier de Layla avec l'élément liquide. « Bien joué. » Pour avoir remporté haut la main l'épreuve, et permis de tous vous aider à rentrer sur votre monde, mais aussi pour avoir eu le courage de se battre contre le reflet de ce qu'elle aurait pu être dans d'autres circonstances. Tu le sais, la sensation est horriblement désagréable, et reste ancrée encore aujourd'hui dans le creux de ta poitrine.

...et puis vient l'élément crucial de l'histoire. Celui qui achève de la mettre mal à l'aise, et qui t'empêche toi du coup de jauger la bonne réaction à avoir. T'es confus, un peu désemparé. Elle est en couple, et c'est plutôt une bonne nouvelle, non ? D'autant qu'ils semblent le vouloir tous les deux depuis longtemps, alors pourquoi cette tête d'enterrement ? « Je crois que t'es la seule personne à tirer une telle tronche pour une aussi bonne nouvelle. » Il y a quelque chose qui t'échappe, et tu commences à t'agacer de ne pas comprendre ce qui est en train de se tramer devant toi. Elle sort avec ce Floyd, t'es heureux pour elle parce qu'elle le mérite, et vous devriez fêter ça plutôt que de vous observer dans le blanc des yeux, comme si vous attendiez mutuellement qu'une lame de guillotine s'abatte sur vos nuques. Qu'est-ce qu'elle ne te dit pas encore ?  « Je ne connais pas ton Floyd, mais si t'as décidé de te mettre avec lui, c'est que c'est forcément un gars bien. Alors je comprends pas, qu'est-ce qui t'inquiète ? Je suis content pour toi, vraiment. » C'est ta réaction qui suscite chez elle autant de nervosité palpable ? Oui c'est vrai que t'as pas toujours été tendre avec les gens de son entourage, mais quand même, de là à redouter ce que tu pourrais penser de son couple, c'est aller bien trop loin dans les présomptions. « Et oui. Oui t'as eu de la chance de trouver l'amour dans un univers aussi chaotique. Alors quoi ? Qu'est-ce qui va pas ? » Perdant patience, tu attends maintenant qu'elle te dévoile ce qui se cache derrière l'apparence joyeuse de cette nouvelle. Car même si elle ne t'a rien dit oralement, son attitude toute entière hurle ce petit détail que tu ignores encore, mais qui change absolument tout.

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Evidemment qu’elle tirait la tronche – parce que le décompte arrivait à son terme. Elle s’était arrogé d’elle-même un sursis, parce qu’elle avait voulu s’accrocher à une situation impossible, et maintenant, cette bombe à retardement était sur le point de leur sauter à la figure à tous les deux. Elle aurait dû l’avouer à Orm aussitôt qu’elle l’avait su, et à la place, elle avait gardé le silence. Parce qu’elle avait craint sa réaction, lui qui pouvait se montrer aussi impétueux que les plus terribles tempêtes qu’elle pouvait essuyer en mer, et maintenant qu’elle le connaissait mieux, paradoxalement, elle ne l’en craignait que plus – juste pour des raisons différentes. Et plus que tout, elle avait craint ce moment où, inévitablement, elle jouerait à nouveau le rôle de la traîtresse. Celle qui abandonne les rares infortunés auxquels elle s’accroche, incapable de tenir des promesses trop grandes pour elle. Après Floyd, c’était à Orm de faire les frais de son obstination. Putain. Savoir qu’il fallait qu’elle le fasse, et passer à l’acte, ça n’était vraiment pas la même chose. C’était ce précipice duquel il fallait sauter, en sachant très bien qu’on ne pourrait pas revenir en arrière. Et toute cette dernière année – ou du moins, les six mois qu’ils avaient eu avant New Themyscira – et ce qu’ils avaient réussi à construire allait s’effondrer. Layla avait pris son rôle au sérieux à partir du moment où il était resté, mais ce à quoi elle ne s’était pas attendu, c’était d’elle aussi trouver en son nouveau colocataire une stabilité dont elle n’avait même pas su avoir besoin. Une brèche dans sa solitude pourtant chérie, alors qu’il s’était jeté à corps perdu dans l’apprentissage d’une nouvelle vie à laquelle rien ne l’avait préparé, avec toutes ses critiques, ses doutes, ses questions auxquelles elle n’avait pas toujours eu de réponse, mais qui lui avaient si bien montré que la réclusion pour la réclusion, peut-être, n’était pas la voie à suivre.

Malheureusement, ou heureusement, elle n’aurait su le dire à ce moment-là, six mois de proche cohabitation et d’une amitié en plein essor voulait dire qu’Orm n’avait plus aucun mal à lire dans ses silences. Evidemment qu’il voyait que quelque chose n’allait pas, et évidemment que ça ne lui plaisait pas. Alors voilà, l’heure était venue. Elle ne lui ferait pas l’insulte d’attendre plus longtemps. Layla se redressa sur sa chaise et prit une courte inspiration. Elle était là, la deuxième bombe la plus difficile de sa carrière : d’abord avouer à Floyd la présence d’Orm chez elle, et maintenant, avouer à Orm que cette même relation pour laquelle il la félicitait le mettait, lui, en péril. Feux croisés, personne n’en sort indemne. « Tu vas pas être content dans une minute. » lâcha-t-elle, avant de lever ses yeux de son café, et de reporter le regard sur lui. Allez. C’est l’heure de vérité. Une honnêteté qui n’avait que trop tardé, mais qui était devenue absolument nécessaire. Elle ne se sentait même plus nerveuse, maintenant qu’elle était dos au mur et face au peloton. Il y avait quelque chose d’apaisant, dans l’inévitabilité. « Orm, Floyd fait partie de la Suicide Squad. » La vérité, nue et sans ambages. Après tous les risques qu’elle lui avait fait prendre à se taire, c’était le moins qu’elle lui devait, et quelle que soit sa réaction, elle serait entièrement justifiée. C’était l’heure des règlements de comptes, et de remettre les pendules à l’heure, une bonne fois pour toutes, pour qu’il puisse à son tour prendre la décision qu’il jugerait préférable. Comme un retour à un an plus tôt, quand elle admettait travailler pour l’ambassade ; tout ce qu’elle voulait, c’était lui donner tous les outils pour décider de son propre avenir. Et tant pis si, pour le protéger, elle ne pouvait plus en faire partie.

« Je ne l’ai pas su tout de suite. Quand je l’ai retrouvé l’an dernier, je savais qu’il avait quitté l’armée, mais il était resté très flou sur ses activités. Je pensais qu’il faisait des petits boulots à mesure qu’il en avait besoin. » commença-t-elle en croisant les mains sur la table. Il lui semblait qu’une vie entière s’était écoulée depuis ce jour-là. Et peut-être que quelque part, c’était un peu le cas. « J’ai appris la vérité quelques mois plus tard. Après que tu sois revenu d’Atlantis, mais avant New Themyscira. » Parce qu’il était là, le cœur du problème : elle n’avait pas appris la vérité là-bas. Elle la trimballait sur son dos depuis bien plus longtemps que ça. Et elle l’avait tue. Pour ne pas le forcer à retourner dans l’océan, à son errance, mais plus égoïstement, pour ne pas briser ce qu’ils avaient mis du temps à bâtir, entre cette maison et ce cabanon. « Je ne lui ai rien dit sur ta présence ici, au début. J’espérais que s’il ne savait rien, il n’aurait pas à te dénoncer à ARGUS, et que si tu ne savais rien, on pourrait continuer à rester suffisamment discrets pour échapper à leur radar. C’était une idée stupide. Je m’y suis accrochée parce que… » Bon ok, c’était un peu plus difficile que ce qu’elle avait anticipé. Nouvelle inspiration, pour terminer l’histoire au plus vite. Inutile d’étirer la chose plus que de raison. « Puis je suis allée au Parlement des Vagues, et il y a eu New Themyscira, et je ne peux plus vous mentir. Ni à l’un, ni à l’autre. Alors je lui ai dit que je t’aidais à te cacher. » Et il n’avait pas apprécié la révélation, mais ça, elle doutait qu’Orm en ait quelque chose à cirer. « Il ne dira rien à Waller, mais ça ne change rien. Son retour dans ma vie, ça veut dire que la Suicide Squad n’est jamais loin. Et ça veut dire qu’ils ne sont jamais loin de toi non plus. » Qui sait, peut-être même était-elle déjà dans les fichiers de Waller pour la simple raison qu’elle et Floyd se fréquentaient, avant même New Themyscira. Elle avait une cible sur le dos, et ça voulait dire qu’Orm pouvait être touché aussi. Et ça aurait dû être ça, sa priorité. Dans ce cas-ci, mieux vaut tard que jamais ne comptait même pas comme une consolation.

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Tu la sens la catastrophe arriver, et tout ce qui t'était acquis soudainement s'envoler. Tu aurais dû le savoir, que elle aussi finirait par te laisser tomber. Car même si ce n'est pas clairement ce qu'elle te dit, enrobant son récit de précaution, tu sais lire entre les lignes. Son copain est donc de la Suicide Squad, voilà qui explique sans aucun doute l'épisode sur la plage pendant l'invasion des trenchers. Le tireur protecteur qui semblait faire une priorité de sa sécurité, tu serais parier que c'est lui l'homme dont elle te parle. Et tu saisis aussi ce que son affiliation signifie. T'es un homme recherché depuis ton évasion, aussi bien par la Ligue que par les autorités humaines, et c'est à celui qui te trouvera le premier. Tout ça, les conséquences d'une vie de fugitif, tu peux le comprendre. En revanche, qu'elle soit celle qui te condamne à une nouvelle errance creuse en toi une déception que tu n'aurais jamais cru possible venant d'elle. Vous étiez semblables, deux rejetés, deux abandonnés par la société, parce qu'incapables d'y trouver votre place. Si t'es venu frapper à sa porte ce soir là, c'est parce que t'as vu quelque chose en elle sur ce bateau, lors de votre première rencontre mouvementée, où déjà vous présentiez quelques brutales similarités. T'as su, en regardant dans ses yeux aussi bleus que l'océan, qu'elle te ressemblait. Ce n'est pas ainsi que tu imaginais la fin de l'histoire. En vérité, tu n'en imaginais pas, persuadé que cette amitié  résisterait à la plus agressive des vagues ou au plus destructeur des ouragans. Que ce que vous aviez tissé pendant ces longs mois de cohabitation serait indestructible. Elle t'a accepté, Layla, malgré le sang sur tes mains. Malgré ton passé horrible. Elle en ignore évidemment encore toutes les facettes, mais elle a toujours su que tu étais le génocidaire prêt à noyer l'humanité toute entière pour libérer ses océans de l'emprise des Hommes. Elle a vu le pire de toi, mais elle t'a quand même chaleureusement offert une place dans son cabanon, tout en t'apprenant doucement à t'acclimater à ce nouveau mode de vie à la surface. Pourtant, c'est cette même personne, qui maintenant, reprend tout ce qu'elle t'a donné de plein gré pendant toute une année. Et t'as beau tenter de l'empêcher de tout arracher des mains, tu sais qu'il n'y aura aucune autre finalité.

Il est tellement plus facile de vivre dans le mensonge que d'affronter la vérité, et tu ne ressens aucune compassion à la voir ainsi lutter. Si elle avait trouvé le courage de t'en parler avant, vous auriez pu trouver une solution, main dans la main, plutôt que de te mettre maintenant au pied du mur. Tu te sens piégé, sans aucun échappatoire, et poussé vers une sortie que tu n'aurais jamais pensé définitivement emprunter. C'est douloureux, ce qu'elle te dit. Atlantis, Morro Bay, tu te sens constamment privé de tout ce qui comptait. Et passé l'énorme déception, c'est désormais de la colère que tu éprouves. A son égard, bien évidemment, mais aussi contre toi-même, pour t'être encore une fois laissé duper. Finalement, les humains et les atlantes peuvent s'entendre sur une chose : leur manque d'honneur. T'as eu beau donner tout ce que tu pouvais, faire au mieux pour ne pas commettre les mêmes erreurs, te revoilà quand même à la case départ. Comme si tout ce que tu avais entrepris depuis un an n'avait servi à rien. Pire encore, t'as maintenant l'impression que tout n'était qu'illusion, et repenser à vos moments partagés te laisse un sale goût amer dans la bouche. L'eau a détruit le château de sable, il n'en reste plus qu'un tas difforme et boueux.

Dehors, le ciel bleu de Morro Bay se couvre de nuages de plus en plus foncés. Une tempête se prépare, et elle prend naissance dans cette cuisine. Tu es Ocean Master, et tu ne permettras pas un autre affront. Ta mère, Mera, maintenant Layla, toutes t'ont préféré à un autre. Qu'ils portent le nom d'Arthur ou de Floyd, quoi qu'il arrive, tu es toujours celui qu'on laisse en arrière. Celui qu'on jette après avoir trouvé un peu mieux ailleurs. « Pourquoi tu tournes autour du pot, Layla ? » Ta voix est froide, et ton regard est aussi foudroyant que les éclairs qui vont bientôt s'abattre sur la ville côtière. « Ce que tu attends de moi, c'est que je parte d'ici. Et tu te caches derrière des prétextes futiles pour que la pilule soit moins difficile à avaler. » T'as bien tout entendu ce qu'elle avait à te dire, ses excuses, son prétendu intérêt pour ta protection. Foutaises. Comme si une bande de criminels pouvait t'arrêter. Ou une tarée à la tête d'une agence gouvernementale douteuse. Tu pourrais tous les noyer ou les griller sur place si tu le voulais. Ils ne sont rien contre toi. Et le choix que vient de faire Layla est le choix le plus égoïste qui soit. Ou s'il n'est pas égoïste, il n'est en tout cas pas tourné vers toi. « Ce n'est pas moi que tu cherches à protéger, c'est lui. Ton nouveau copain, qui débarque un beau jour, et qui maintenant fait de moi une épine dont il faut vite se débarrasser. La Suicide Squad, c'est ceux qui ont une bombe dans la tête, pas vrai ? Alors si Waller venait à découvrir ma présence ici, après des mois sous le nez de ton Floyd, sans doute se rendrait-elle compte de son inutilité et de son inaptitude. Et ça ferait...boom. » Une explosion qui tu mimes avec les mains, désormais seulement habité par la colère. C'est elle qui parle. C'est elle qui transforme tes mots en pointes acérées, aussi dévastatrices que celles de ton trident. « Tu veux me faire croire qu'il ne dira rien par amour pour toi, alors qu'en vérité, c'est sa propre vie qu'il risquerait si elle venait à l'apprendre. Ce n'est pas une contrainte, c'est un choix. Et ton choix, c'est lui. » Puisque c'est toi qui va devoir prendre le large et tout recommencer à zéro. Lui ? Il pourra venir ici sans se soucier de quoi que ce soit. Problème réglé. Il aura tout gagné, toi t'auras tout perdu. Quant à Layla, tomber amoureuse lui a visiblement complètement retourné le cerveau.

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Tic, toc, boom. Elle le vit aussitôt dans son regard, le détonateur qui venait de s’enclencher. Et ce grondement de tonnerre, c’était réel, ou est-ce qu’elle l’imaginait, figée sur place par ces yeux qui l’auraient foudroyée sur place s’ils en avaient eu le pouvoir – ou s’il avait eu son trident à portée de main, peut-être. Et ce qui l’attendait, ce n’était pas une seule explosion en pleine face, c’était une série de détonations plus douloureuses les unes que les autres, elle s’en doutait bien. Elle avait appris à le connaître, en six mois actifs de cohabitation, son sens de l’honneur, ses doutes, mais aussi ses colères, dans tout ce qu’elles avaient de terribles et d’homériques. Et pendant un an, jamais elle n’avait imaginé devenir la cause d’une de ces colères, parce que leurs colères, jusqu’ici, elles s’étaient complétées, elles avaient trouvé écho les unes dans les autres, de même que leurs interminables questionnements et leurs solitudes respectives. Mais Layla en avait bien conscience, maintenant, elle avait commis l’impardonnable – encore. Elle l’avait acculé, elle l’avait mis au pied du mur – encore. Et elle avait pris une décision pour deux – encore. Pourquoi elle tournait autour du pot, Layla ? Parce que je veux pas que tu partes. Parce que je veux que tu restes. Parce que j’ai encore fait la même erreur. Elle qui pensait avoir appris sa leçon, l’expression d’Orm était la gifle la plus retentissante qu’elle aurait pu recevoir. Ah ça, elle l’avait apprise, sa leçon. Mais elle ne l’avait apprise qu’avec Floyd. Et si elle avait commencé à en prendre conscience en avouant tout à Floyd à New Themyscira, cette fois, devant Orm, la réalité lui revenait en pleine figure. Oui, elle voulait que la pilule soit plus facile à avaler. Parce qu’elle, malgré la nécessité, elle n’y arrivait pas. Alors comment pouvait-elle attendre de lui qu’il le fasse ?

Et évidemment, Orm n’était pas du genre à ne pas répliquer – et à l’image de son trident, il savait frapper là où ça faisait mal. « Tu n’es pas… » Une épine dans le pied, s’apprêtait-elle à ajouter, mais il lui coupa l’herbe sous le pied, et en quelques mots à peine, en un geste, il parvint à faire voler son habituel stoïcisme en éclats. Boom. Elle se sentit blêmir, et son sang ne faire qu’un tour – et pendant un moment, un bref moment, elle se sentit détester Orm. Parce qu’il avait raison, et que c’était surtout elle-même, qu’elle détestait, mais ça faisait trop de colère contre une seule personne et si elle ne s’était pas accrochée à son regard ombrageux, la mâchoire serrée, elle ne savait pas comment elle aurait encaissé le choc. Evidemment, qu’elle voulait protéger Floyd, évidemment que Waller lui ferait sauter la tête à la moindre occasion, surtout celle-là, évidemment, que c’était son pire cauchemar, et évidemment, qu’elle ne voulait pas avoir à choisir entre eux deux, mais il le fallait bien. Et elle avait choisi son partenaire. Encore un choix inévitable, qu’elle avait fait de la pire manière possible, au lieu de laisser une chance à Orm d’avoir son mot à dire dans l’affaire. Boom. Ils avaient ri, un peu, de ses prétendues mauvaises fréquentations, avec Floyd, mais en réalité c’était elle, visiblement, le danger. Elle avait choisi son partenaire, et seulement maintenant, face à Orm, réalisait-elle ce qu’elle était vraiment prête à sacrifier pour lui. Braver une guerre. Tuer un homme. Abandonner un ami. Mal, mais ça, ça n’était pas de la faute de Floyd, ni de l’amour qu’elle lui portait, ni de la faute d’Orm, c’était juste elle. Et malheureusement pour Orm, il était à la fois son plus grand sacrifice, et celui qu’elle avait le plus mal géré.

« Vous êtes tous les deux en danger, Orm. » reprit-elle, d’une voix plus brisée qu’elle ne l’aurait voulue, avec l’impression de devoir puiser chaque mot dans un trou rempli d’aiguilles acérées. « Elle lui ferait payer son manquement, et elle enverrait tout ARGUS à ta poursuite s’il le fallait. T’as déjà été en prison une fois. Elle sera encore plus préparée. » Tant pis. Elle acceptait sa colère. Elle était méritée. Elle accepterait les ruines qu’elle avait elle-même provoquée, et elle ne blâmerait personne d’autre pour son échec. Mais il fallait qu’il l’écoute. Même s’il devait lui en vouloir pour le restant de leurs jours pour cette trahison, le danger était toujours aussi réel. Même si elle avait voulu que cette maison soit pour lui un foyer, même si la dernière chose qu’elle avait voulu faire était de le lui arracher, par sa faute ou celle de Waller, aujourd’hui cette chimère-là n’était plus valable. Un tas de cendres entre deux cabossés un peu rêveurs qui avaient voulu tenter de connaître autre chose que la colère et l’amertume. A quel moment est-ce qu’elle s’était levée de sa chaise ? Quand il avait si nonchalamment décrit l’hypothétique assassinat de Floyd ? Ou après ? Elle ne savait même plus. Mais son poing lui faisait mal, à force d’être serré sur la table. « Je ne veux pas que tu partes. » S’il ne lui faisait plus confiance, qu’au moins cette vérité-là soit dite. « Mais je ne veux pas qu’il meure non plus. » Et ça, c’était bien le seul détail dans ce désastre au sujet duquel elle ne s’excuserait pas. Il pouvait tout attendre d’elle : des excuses pour la façon irresponsable dont elle avait géré cette histoire, pour le priver d’un chez-soi, pour une énième trahison, mais pas pour ses motivations. Elle n’agissait pas contre lui, elle le faisait pour un autre. Mais peut-être que cette nuance n’avait déjà plus aucune importance. « Déteste-moi si tu veux, t’as raison de le faire, c’est ma faute. Pas la tienne. » Pour une fois, Ocean Master était innocent. Qui l’eut cru. « Mais on doit, on peut encore trouver une autre solution. Mais Morro Bay, c’est qu’une question de temps avant qu’il ne soit trop tard. » Une réalité forgée à mains nues à l’enclume de son inconscience, ne laissant derrière elle que les débris de la seule amitié à laquelle elle avait réellement voulu s’accrocher.

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Quel cauchemar, alors que tout commençait à rentrer dans l'ordre. T'as presque cru que cette fois serait la bonne, qu'il n'y aurait pas un nouveau retour à la case départ. Et pourtant. Alors que ton regard fixe le sien, ton esprit tourne à mille à l'heure, envisageant déjà toutes les possibilités qui s'offrent à toi pour retomber sur tes pattes. Et elles sont moindres. Retourner à Atlantis est évidemment hors de question, t'as bien trop de fierté pour ne serait-ce qu'envisager de frapper à la porte. Et t'installer ailleurs à la surface est tout aussi inenvisageable, t'es encore bien trop peu habitué à leur monde pour réussir à t'en sortir seul. Atlantis n'est plus chez toi, Morro Bay n'est plus chez toi, alors que te reste t-il? Un tas de poussière balayé par le vent. Cette amie, cette alliée, qui aujourd'hui se transforme en bourreau, a t-elle seulement idée du sort que tu réservais aux traitres autrefois ? Tu les provoquais en duel, et tu les exécutais devant la foule. Des méthodes extrêmes mais qui avaient au moins le mérite de faire passer le message. Tu n'iras bien évidemment jamais jusqu'à lui faire du mal, mais il y a encore quelques mois, peut-être que cette possibilité n'aurait pas été aussi aisément écartée. Tu ignores ce qu'elle distingue en toi, mais qu'elle ne s'y méprenne pas, tu n'es pas que le gentil colocataire qui a partagé sa vie pendant un an. Ni l'Atlante sympathique qui lui a conté monts et merveilles sur le passif de ton peuple. Tu es aussi et avant tout le meurtrier de ta propre mère, et le roi déchu qui aurait été prêt à tuer toute la race humaine, y compris elle, dans une quête de vengeance dévastatrice. Tu n'es pas quelqu'un que l'on peut apprivoiser, et s'il ne s'agissait pas d'elle, tu n'aurais pas hésité une seule seconde à sortir plus durement les crocs. Car tu te sens trahi, laissé pour compte, et nombreux ceux qui ont commis l'erreur de te laisser ainsi blessé. Aucun crime à ton égard ne reste impuni, et peut-être que viendra un jour où elle aussi subira ton courroux, transpercée par la foudre de ta colère. Il y longtemps que tu ne t'étais pas senti ainsi rejeté, et voilà que les fantômes du passé reviennent peu à peu te hanter. Tu lui faisais confiance, tu pensais qu'elle était différente des autres, mais force est de constater qu'elle ne l'est pas. Un humain reste un humain, ainsi s'achève ton séjour parmi eux.

A quoi bon poursuivre cette discussion qui s'apparente plus à tes yeux à une exécution. T'aurais préféré te confronter à Waller et son armée que devoir te retrouver face à Layla dans de telles circonstances. T'étais heureux de la revoir, heureux de la savoir vivante, mais tout ceci te semble déjà si loin désormais. Il vous aura fallu une année entière pour apprendre à vivre ensemble, et cinq petites minutes pour tout détruire. Est-ce que tu fais preuve de mauvaise foi en étant aussi borné et catégorique dans ta réaction ? Oui, probablement. Et sans doute ne mérite t-elle pas un tel revers après tout ce qu'elle a fait pour toi. Tu n'oublies rien de tout ça, de cette porte qui t'est restée ouverte pendant des mois, de vos longues conversations sur la nature humaine et les profondeurs des océans, de la pizza, partagée à toutes heures du jour et de la nuit. Même ces maudites poules tu ne les oublies pas. Mais là, tout de suite, sous les assauts incessants de la colère et les remontrances du passé, tu ne parviens pas à voir les choses sous un autre angle. Trop souvent abandonné pour essayer de comprendre. Elle aime cet homme, elle serait prête à tout pour le protéger, et ça, tu devrais pouvoir le concevoir. Toi-même tu aurais tout fait pour Mera. Et peut-être que c'est vrai, que ta vie serait incertaine et sur la sellette en restant ici auprès d'elle. Que Waller te trouverait et que tu finirais une nouvelle fois en prison. Mais il est trop tôt. Beaucoup trop tôt pour avoir du recul sur sa décision. « La solution est déjà toute trouvée. » Même avec la meilleure volonté du monde, tu ne peux concevoir un lendemain où tout irait pour le mieux entre vous. Quelque chose s'est cassé, et il ne s'agit plus que de colère, mais aussi de souffrance. T'as pas envie de partir. Pas envie de tout quitter. Pas envie de renoncer à tout ce que vous aviez et tout ce que votre amitié t'a apporté dans ta vie. Mais tu ne vois aucun autre choix. Qui découle de son choix à elle.

Tu ne feras pas de sortie dramatique sous l'impulsion de l'énervement, au contraire, tu tentes de conserver ta prestance malgré la déception et l'incompréhension. Et c'est calmement que tu te lèves à ton tour de la chaise, sans pour autant laisser transparaitre les émotions qui te traversent. C'est donc ainsi que tout se termine ? Qu'une amitié s'achève ? Vous auriez pu faire tellement plus ensemble. Tellement plus. « Merci pour les souvenirs. » L'unique chose qu'il te reste. Qu'elle vive sa vie comme elle l'entend, Layla, sans se soucier de la tienne. Tu as survécu pendant longtemps seul dans les océans, et tu t'en sortiras à nouveau. Pas de négociations. Pas de compromis. C'est ainsi que tu as dirigé ton royaume au cours de ton règne, et c'est ainsi également que tu gères tes relations humaines. A tort ou à raison, qu'importe. « Et sache une chose, tout est éphémère dans la vie. Tout. » Tu parles évidemment de votre amitié, mais aussi de son histoire d'amour toute fraiche. Rien ne dur éternellement, encore moins le meilleur. Mais même en étant persuadé de ce que tu avances, tu espères malgré tout qu'elle trouvera du bonheur dans le nouveau chapitre de son existence, où tu n'es plus certain d'y avoir le moindre rôle. Après avoir récupéré tes quelques affaires, dont ton trident, tu claques la porte, quittant cette maison et cette femme qui t'auront tant apporté. Bien plus que ce qu'elle imagine, et bien plus que tout ce que tu as pu lui dire. Dos au jardin, juste devant le portail, tu te retournes une dernière fois. Tu t'imprègnes de l'atmosphère, de vos souvenirs, de tout ce qui te met un peu de baume au cœur malgré la déchirure. Et tu regagnes l'océan, le seul qui ne t'a jamais laissé tomber.

AVENGEDINCHAINS

Peut-être que c’était mieux comme ça, au final. Pas qu’il s’en aille, parce que ça, c’était sûr, que c’était mieux, pour lui, pour eux trois ; mais qu’il s’en aille comme ça, en claquant la porte, en coupant tous les ponts avec cette colère volcanique et radicale qui ne souffrait aucun compromis, parce que s’en aller comme ça, ça voulait dire qu’il la rayait, elle aussi, de sa vie, où qu’elle la mène à partir de maintenant. Et quand elle voyait la façon dont elle traitait ses proches, Layla songeait, oui, que finalement il valait peut-être mieux pour Orm qu’elle disparaisse du paysage. Parce que six ans n’avaient visiblement rien changé. Elle avait fait des progrès avec Floyd, mais pour les autres, elle restait une bombe à retardement qui ne demandait qu’à leur sauter à la figure quand ils s’y attendaient le moins, et il avait fallu attendre qu’elle explose à la figure d’Orm pour s’en rendre compte. Donc, il valait mieux qu’il lui tourne le dos, qu’il fasse une sortie fracassante, qu’il tire un trait sur cette dernière année, qu’il se reconstruise sans qu’une inconsciente ne vienne menacer tous ses efforts. C’était la moindre des choses. C’était le minimum qu’il méritait. Elle ne regrettait pas de faire ce qu’elle avait à faire pour protéger Floyd, et pour protéger Orm, mais bon sang, que le revers était violent. Une régression complète, elle aussi tirée dans les affres d’un passé plus convaincant que le présent. Ils se rejoignaient sur bien des sujets, tous les deux, dans le meilleur de leurs aspirations, mais aussi dans le pire de leurs démons : leur colère, leur rancœur, et leur fatalisme jusqu’au-boutiste. Incapables de voir dans la nuance, incapables de s’arrêter à autre chose que l’illusion d’une répétition. Préférant jeter l’éponge dans un semblant de tentative de reprendre le contrôle, et de garder la face, plutôt que d’affronter le risque du changement. Et surtout, le risque d’un énième espoir déçu.

Avec Orm, elle s’était prise à espérer. Quand elle y pensait, ce qu’elle avait trouvé avec lui ressemblait à ce qu’elle avait trouvé au Parlement des Vagues : un sentiment de reconnaissance, d’appartenance, une connivence qui lui avait été trop longtemps étrangère, une unité en elle-même, et avec quelqu’un d’autre. Mais maintenant qu’il se levait, maintenant qu’il mettait fin à cette conversation à peine entamée, tout ça se dissolvait comme l’écume le long des rochers. Il n’y avait ni cris, ni protestations, ni tempête à déchaîner dans son pauvre salon. Rien d’autre que le silence assourdissant qui suivait ces déflagrations qu’elle connaissait si bien, et qu’elle abhorrait tant, et elle qui se délitait sans pouvoir rattraper les morceaux. Merci pour les souvenirs. Tout ce qu’il allait leur rester, une fois qu’il aurait franchi cette porte pour la dernière fois – et Layla releva les yeux sur lui, avec un millier de choses encore coincées dans la gorge et aucune voix pour les dire. Muette alors qu’elle aurait voulu inventer un sortilège, n’importe lequel, pour remonter le temps et effacer tout ça. Et qu’elle aurait eu tant de choses à lui dire encore. Merci, pour commencer. Pour les souvenirs, et pour tout le reste, aussi. Fais attention, prends soin de toi, je comprends que tu ne me pardonnes pas, mais tout ce qui parvint à sortir fut un pathétique :  « Je suis désolée. » à peine audible. Cette fois, il n’y avait pas de combiné téléphonique, ni d’océan entre eux. Ni de chambre d’hôpital, ni de mer empoisonnée, ni d’âme parasite qui s’accrochait encore à la sienne. Juste une impuissance terrassante, alors qu’elle le regardait, les bras ballants, quitter ce qui, pendant quelques mois au moins, avait été un semblant de foyer pour non pas un, mais deux cas désespérés.

Le ciel était encore lourd, alors qu’Ocean Master disparaissait dans les flots de Morro Bay, et machinalement, Layla l’avait suivi jusqu’à avoir les pieds dans l’eau, les yeux rivés sur le point où elle l’avait vu se laisser engloutir par l’écume. Et voilà, aussi simplement que ça, il était parti. Le ressac, agité, venait s’écraser contre ses jambes, et l’espace d’un instant, elle sentit un frisson remonter le long de son échine, comme si la mer elle-même pinçait les lèvres face à son attitude, sans qu’elle ne comprenne si elle lui reprochait la façon dont elle avait traité Orm ou son défaitisme. Ou peut-être qu’elle ne faisait que faire écho au tumulte qu’Orm avait laissé dans le sillage de son départ. Il était parti. Et il ne reviendrait pas. Et elle ne pouvait pas le suivre, et en se retournant pour contempler sa maison, son cœur se serra, en songeant qu’elle l’avait mérité, ce retour à la case départ. Elle ne pouvait pas le suivre dans la mer, et son seul refuge à elle, désormais, serait le silence de cette maison de solitude. C’était sans doute mieux ainsi, répétait une petite voix dans sa tête alors qu’elle regagnait lentement son perron, encore abasourdie, encore assommée par la rapidité avec laquelle tout s’était déroulé. Retour à la case départ. Retour à l’errance immobile de ceux qui n’avaient leur place nulle part, à attendre, silencieusement, qu’une autre voix ne parvienne enfin à les atteindre. Elle avait réussi. Elle avait protégé Floyd – mais à quel prix. Des adieux à un ami, et l’impossible pénitence d’une erreur qui aurait si facilement pu être évitée.

 

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