Deep down the abyss (Layla)

Les îles Malouines, y avait pas à dire fallait vouloir habiter dans un coin aussi paumé que ces quelques cailloux émergés à deux pas d'Ushuaïa et de l'Antarctique. Sérieusement, même niveau gastronomie c'était si petit qu'au final ça se résumait à manger du poisson et encore du poisson, avec de la salade, ou des produits importés de la mère patrie à savoir le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni qui tout le monde le sait, possède l'une des meilleures gastronomies du monde c'est clair. Double peine pour ces îles si en plus les importations sont nulles. Non vraiment aucun argument ne pourrait me convaincre de vivre dans un tel endroit. Sympathique à visiter pour la nature sauvage mais c'était bien tout. C'était à peu près le fil de mes pensées en ayant traversé l'île depuis le petit aérodrome.

J'étais donc arrivé depuis quelques minutes sur la plage du point de rendez-vous, la plus au nord, la plus inaccessible. Y avait toujours autant d'algues c'était pas possible. Mes rangers pataugeaient dedans avec des bruits de succion peu ragoutants. Je trouvai un coin plus loin, sur les rochers près de l'eau et en fis ma zone de guet. Enfin, de guet. C'était pas dans mes projets là de suite.

J'étais en avance de deux bonnes heures alors je pris plutôt le parti de m'allonger là, nuque sur mon sac à dos, bien emmitouflé dans ma doudoune parce que ça caillait par ici. Je rabattis ma casquette sur mon visage, croisai mes bras une main sur mon flingue caché sous la doudoune, et me laissai sombrer pour roupiller un peu à la sauce militaire, c'est-à-dire, que d'un oeil, pour un demi-sommeil réparateur. Etre capable de s'endormir dans n'importe quel endroit à la demande était quelque chose que l'armée forçait très vite ses commandos à apprendre, car toute minute gagnée était bonne à prendre quand on ne savais pas combien de temps on allait devoir tenir éveillé par la suite en situation de combat.

Je restais alerte un minimum, même si je ne risquais pas grand chose. J'avais pris soin depuis la veille de ne pas être suivi pour arriver jusqu'ici, grâce à mes talents d'espion et mes contacts de confiance pour passer frontières et autres obstacles de ce genre. A part être agressé par un pingouin ou une mouette je ne voyais pas trop ce qui pouvait m'arriver, mais j'étais toujours prudent. Je me savais la cible de surveillance et de filatures autant de la part d'ennemis que d'alliés. On m'avait déjà filé jusque dans des endroits improbables alors je n'étais jamais totalement insouciant de ce côté-là. Les satellites de Batman comme d'ARGUS comme de Luthor comme de tous ces psychopathes du contrôle devaient se faire un plaisir de tracer les gens qui avaient des secrets, et en tant que second de Waller, des secrets d'Etat et d'espionnage, j'en avais à la pelle dans ma tête. Par chance les satellites n'étaient pas encore télépathes, sinon ARGUS ne s'embêterait plus à enquêter sur les situations pour tenter de détecter les coupables avec des preuves.

J'entendis, bien plus tard, un bruissement d'eau distinct des classiques remontées furtives de quelques poissons chassant non loin. Ce bruissement là bien que léger, fut persistant. Je l'attendais, il fallait dire, ce bruissement. Je levai la visière de ma casquette de l'index et mon autre avant-bras devant mes yeux pour lire l'heure sur ma montre waterproof. « Toujours aussi ponctuelle ! La rigueur militaire, ça ne s'oublie pas, » lançai-je en me redressant en position assise sur mon rocher près de l'eau. Finie la demi-sieste, mon rencard professionnel était arrivé. Je suivis des yeux la jeune femme avec un sourire, car j'étais heureux de la revoir après tout ce temps. Je me levai pour venir vers elle, calant mon pistolet dans mon jeans à l'arrière du dos, sac sur l'épaule. Cette mission était off the grid, alors je demeurais professionnel, mais plus décontracté, surtout si loin du monde et sans témoins hormis ma partenaire de crime du jour.

« Content de te revoir Layla, » dis-je plus posément une fois face à elle. Ca faisait un certain temps qu'on ne s'était pas revus aussi étais-je simplement content de la voir en bonne santé malgré tout ce qu'avait pu subir notre belle planète depuis Brainiac et les autres fous avant lui. « Et heureux de voir que tu as survécu à tout ce qui s'est passé... Comment tu vas depuis le temps ? Pour l'anecdote, j'avais pas d'autre guide que toi en tête pour une mission de cet ordre. J'y serais allé seul si tu avais dit non... Alors merci d'être là, ça aurait été moins drôle sinon. » Avant de parler de la mission, il fallait que je sache comment elle allait. Après tout, nos innombrables missions passées avaient fait de nous bien plus que des collègues, vu les emmerdes auxquelles on avait survécu tous ensemble !

‘Désolé, urgence personnelle, j’ai possiblement piqué des fringues à ton mec’. Layla sourit encore, amusée et bien plus soulagée qu’elle ne l’aurait jamais admis en repensant à ces quelques lignes griffonnées à la va-vite sur un bout de papier chez elle. Suffisamment soulagée, en tout cas, pour lever de ses épaules un petit peu de ce poids écrasant qui l’étouffait depuis quelques semaines, et lui permettre de se concentrer à nouveau sur la mission du jour au lieu de se morfondre dans ses remords et sa culpabilité. Il n’y avait, de mémoire d’homme, que Steve Trevor pour être fichu de la convoquer quelque part dans l’hémisphère sud à un délai tellement court qu’elle n’aurait, en temps normal, qu’eu le temps de sauter dans un avion pour rallier leur point de rendez-vous. Mais, après avoir hésité, elle avait décidé de se livrer à une petite expérience. Floyd était reparti en mission, elle n’avait plus de colocataire – alors elle avait sauté sur l’occasion pour se changer les idées et remettre le pied à l’étrier. Immédiatement après avoir confirmé à Steve sa participation à cette mystérieuse expédition, elle était partie s’équiper d’une simple combinaison de plongée, embarquant des fringues de rechanges et quelques essentiels dans un sac étanche, et avait mis le cap droit sur la mer, avant de s’y enfoncer progressivement, jusqu’à être complètement submergée. Son masque à filtre atlante sur le visage, elle prit une longue inspiration, et ferma les yeux. Visualisa les côtes malouines dont elle se souvenait encore clairement, tenta de se souvenir du parfum salé de leurs eaux – et bientôt, se sentit glisser, comme une goutte d’eau le long d’une surface lisse, dans les méandres du Clear. Et quelques instants plus tard, elle se sentit émerger de l’autre côté de ce curieux tunnel, échangeant des eaux claires pour d’autres eaux claires, et elle nagea jusqu’à crever la surface, impatiente de voir si… victoire. Elle reconnaissait ce port. Avec un rire incrédule, elle songea qu’elle en avait fait, des progrès, depuis New Themyscira. Et, sans perdre un instant de plus, elle nagea au rythme d’un crawl rapide jusqu’au rivage.

Avec ce petit tour de passe-passe qui, d’après sa montre, ne lui avait pris qu’une heure, elle était très en avance sur son rendez-vous avec Steve, et lorsqu’elle atteignit le point de rendez-vous exactement à l’heure indiqué, c’était, comme elle l’avait promis à demi-mot dans son message, avec tout le matériel nécessaire. Un bateau loué pour l’occasion, avec lequel elle avait rallié leur plage pleine d’algues, assez de matériel et de bouteilles d’oxygène pour plusieurs heures dans l’eau pour deux plongeurs – bref, le nécessaire et plus encore, pour la perfectionniste qu’elle était. Squish, squish, protestaient ses rangers à elle sur les algues qui ne lui avaient pas vraiment manqué. « Et toi tu as toujours le chic pour nous trouver les endroits les plus improbables. » rétorqua-t-elle en le regardant approcher, bras croisés sur sa combinaison. « Contente de te voir aussi, Colonel. » Ca faisait quoi, un an, qu’elle ne l’avait pas vu ? Depuis l’invasion de Morro Bay, en somme – et ils n’avaient pas vraiment eu le temps de discuter, à ce moment-là, alors ils s’étaient rattrapés à distance, deuxième fantôme revenu se fracasser dans son existence le même jour. Il avait changé, Steve, depuis leurs dernières missions de l’extrême – elle avait cru comprendre qu’il avait gravi les échelons et officiait maintenant comme une des grosses pointures d’ARGUS, sujet de crispation qu’elle ne lui avait pas encore exposé, se contentant de faire passer la chose pour des instincts rebelles, elle qui avait claqué la porte de l’armée. Mais il restait difficile, malgré tout, de ne pas voir en lui le supérieur compétent qui lui avait si bien donné le goût du métier, quelques années auparavant. Quelques années avant que tout ne vole en éclats.

Comment elle allait ? Comme quelqu’un qui avait été obligée de foutre son colocataire à la porte pour le protéger et protéger son partenaire, juste après avoir été attaquée par un grizzli qui était en fait une dieu de la fauve énervé, juste après avoir passé six mois dans un décor apocalyptique. « Ca pourrait aller pire. » Ben quoi, c’était vrai. « Allez, viens, au lieu de te justifier. J’ai un bateau et tout le matériel, tu m’expliqueras tout en chemin. » lui intima-t-elle en prenant le chemin de l’embarcation. D’après le ton de son message, il y avait urgence dans la situation – par loyauté, par habitude, elle avait répondu présente. Les détails, ils pourraient bien les voir en route. « Et toi ? Comment tu vas, depuis la dernière fois ? T’étais sur New Themyscira, toi aussi ? » demanda-t-elle alors qu’ils remontaient la plage et ses tapis d’algues en essayant de ne pas s’y casser une jambe. Elle avait croisé quelques têtes connues, là-bas, mais aucune trace d’un colonel Steve Trevor, alors parfois, en croisant la Résistance, elle s’était demandé s’il avait échappé aux mailles du filet de Brainiac. Dieu sait que la Résistance aurait pu avoir besoin de ses talents, s’il avait été là. « Tu dois avoir une montagne de boulot sur les bras en ce moment. On a été relativement épargnés à Morro Bay, mais ça a l’air d’être un bordel monstrueux partout. » Ce qui la conduisait naturellement à se demander ce qu’il fabriquait à aller faire de la plongée dans les îles Malouines, mais elle soupçonnait qu’elle aurait très vite la réponse. D’un mouvement de tête, elle lui désigna le bateau qui les attendait sagement au détour d’un rocher. « Juste là – sérieusement, t’es vraiment en état de plonger ? » Professionnalisme et souci personnel se mélangeaient joyeusement – il savait à quel point plonger pouvait être éprouvant, et elle, elle refusait de l’emmener s’il n’était pas en état de le faire. Dans le corps, et surtout dans la tête. Après ces six derniers mois, personne n’aurait pu lui en vouloir.

AVENGEDINCHAINS