Chauve-souris contre lézard [PV Dick]

Le ploc continu ne dérangeait pas Bruce, mais il produisait un son désagréable pour les oreilles des policiers qui se trouvaient à côté de lui. Un effondrement de terrain, en fin de soirée, avait créé une brèche dans le sol de Gotham et permettait d'accéder à l'ancien réseau d'égouts par là. Pour le Chevalier Noir comme pour le GCPD, c'était un problème important car ce n'était pas le première... et sans doute pas le dernier. Depuis plusieurs jours, Batman était intervenu un peu partout en ville pour aider les nécessiteux à se défendre contre une nature plus présente et plus dangereuse que jamais.

Une odeur nauséabonde, mélange de chair pourrie, de déchets et d'eau stagnante, remontait aux narines des policiers. La moisissure du terrain et de l'ouverture formait une couronne autour du trou, et malgré la vision du masque, projetait une ombre sur l'intérieur. Mais pour autant, ça n'allait pas arrêter le détective : il devait y aller, et il irait. Il attendait simplement que Dick le rejoigne.

Son premier fils, le premier des Robin, avait répondu favorablement à son appel. Depuis le retour de Terre-4, les relations s'étaient renforcés au sein de la Batfamily. Même Damian acceptait Selina et la future naissance, ce qui donnait du baume au cœur de Bruce et d'Alfred. Le vieux majordome, bien sur, s'efforçait d'en montrer le moins possible ; il ne pouvait toutefois pas dissimuler entièrement la fierté et la joie qu'il ressentait à l'idée de préparer le manoir, les repas et les chambres pour monsieur et madame Wayne.

Même si, officiellement, ils n'étaient pas encore mariés.

 « Batman, vous allez vraiment aller là-dedans ? »

La voix d'un des policiers tira Bruce de ses pensées. Il tourna son visage vers eux, répondant d'une voix égale :

 « Quelqu'un doit le faire. Surveillez le tunnel, attendez que Nightwing arrive. Dîtes-lui de me rejoindre à l'intérieur, puis rebouchez le trou. Nous trouverons notre propre voie pour sortir. »

Le Chevalier Noir se laissa tomber délicatement, ses bottes produisant un son métallique qui se répercuta en écho dans les égouts. Il avait volontairement laissé le son se diffuser au lieu d'atterrir en douceur : il voulait que Croc sache qu'il était là. L'homme-lézard avait sévi un bon nombre de fois depuis le retour de Terre-4, et les rumeurs allaient bon train au sein de la pègre.

Certains racontaient qu'il avait été engagé par la Ligue des Ombres pour semer la pagaille et faire diversion, tentant de paralyser les ripostes de Batman. D'autres disaient qu'il était devenu fou, devant l'ivresse de la nature, et qu'il avait voulu sortir de sa tanière pour prouver qu'il pouvait désormais avoir son propre territoire naturel. Mais tout cela n'avait pas grand sens, quand on était aussi intelligent que Bruce, et qu'on avait vite repéré un détail qui clochait : Killer Croc n'était jamais sorti à la surface. Il y avait eu des problèmes, certes. Des changements sismiques.

Mais aucune attaque de lézard.

Il était temps d'aller lui poser quelques questions, pour s'assurer que ce n'était pas lui qui provoquait tous ces glissements de terrain. Dick serait le bienvenue, car neutraliser Croc à deux était bien plus facile qu'en étant seul ; et ils l'avaient déjà fait auparavant. Il ne fallut que quelques instants, d'ailleurs, pour que son fils ne le rejoigne dans les égouts. Aussitôt, les policiers se firent serviles et entamèrent de boucher le trou.

 « Merci d'être venu, Dick. Allons-y, ne perdons pas de temps. Soyons sur nos gardes, je ne suis pas certain que Killer Croc soit seul dans ces égouts. »

Sans plus attendre, il se mit à marcher, suivi par Dick.

Pourquoi se retrouvait-il toujours aussi souvent dans les égouts. C’était vraiment le genre mission qu’il appréciait le moins. L’odeur nauséabondes, la moisissure sur les murs et une ambiance renfermée. Toutefois, il n’avait pas vraiment le choix et il avait eut un affronter bien pire que les canalisations de la ville. Un nouvel effondrement de terrain avait créé une brèche dans le sol de Gotham. Ce qui aurait pu ne pas alarmer plus que ça les autorités devenaient inquiétant quand ce genre de phénomène se reproduisait. La GCPD sur le coup, Dick avait accepté sans hésiter de rejoindre Batman. Lui-même était d’accord avec lui, et il savait qu’il ne serait pas trop de deux pour aller à la rencontre de Killer Croc. Même s’il aimait son indépendance et pouvoir agir en solo, Dick s’était à nouveau rapproché de la bat-family qu’il avait trop longtemps délaissé. Il n’oublie pas d’où il vient et il apprécie de pouvoir faire à nouveau équipe avec Bruce.

Lorsque Dick arrivait sur place, plusieurs policier attendait devant un immense trou. Il ne fallait pas plus d’information pour qu’il comprenne qu’il allait devoir passer par-là et rejoindre Bruce. Peu enchanté à l’idée de chaleureuse retrouvaille avec l’un de ses plus anciens ennemis, il écoutait les explications des agents de police, bien que ces derniers ne lui apprennent finalement pas grand-chose. C’est bien pour cela que le duo avait décidé de se rendre dans les fins fonds des égouts, car il n’avait jusqu’à présent que trop peu d’information. Une fois les explications -un peu foireuse- des agents de police, Dick observe le trou, songeur. « Et bien messieurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire. » Sourire en coin, ces derniers avaient eu des directives à respecter une fois Nightwing apparu, ne faisant pas attendre le chevalier noir, Dick plongea à son tour.

Il ne savait pas où ce dernier allait le mener mais il ne s’inquiétait pas. Quelques secondes plus tard, ce dernier atterrissait sur ses pieds. Son premier réflexe une fois en bas fut d’observer les alentours, chercher échappatoire, indice, apprendre des lieux. Rien. Si ce n’est Batman qu’il rejoignait aussitôt. Ce dernier le remerciait de s’être déplacé. « C’est un plaisir, et puis Killer Croc commençait à me manquer. » Dick prenait la mission très au sérieux, il n’avait pas attendu que Bruce lui conseille d’être sur ses gardes pour l’être. Mais comme à son habitude, il gardait une attitude légère. Bruce devait avoir l’habitude, à force.

Dick suivait Bruce de près. Killer Croc pouvait être n’importe où, ils entraient sur un territoire que lui ne connaissait que trop bien. Peut-être les attendait-il déjà ou peut-être les deux justiciers allaient le surprendre. Il n’en restait pas moins un ennemi redoutable, Dick n’avait que trop de fois vu à quel point Killer Croc pouvait être dangereux. L’oreille à l’affut tandis que leur chemin les menait à une intersection, Dick eut l’impression de voir un mouvement à sa droite. « Pourquoi est-ce qu’il faut toujours que les chemins se divise. » Batman l’avait surement vu aussi, ce mouvement. Ce n’était pas qu’une impression, ce n’était pas qu’un hasard. Mais si c’était un piège. Il fallait en être sûr, les deux hommes restaient prêts à toute éventualité. « C’est bien trop calme. » Trop pour Killer Croc. Il savait qu’ils étaient là.

 « Tu as raison, prenons à droite. »

Oui, il avait vu le mouvement. Il n'avait évidemment pas pu capter exactement de quoi il s'agissait, car tout était allé trop vite pour lui. Trop flou, trop vif, trop fugace, l'apparition n'avait probablement été que destinée à les attirer dans cette direction. Mais pour le duo de chauve-souris, ce n'était pas un problème : au contraire, même, car ils étaient capable de s'adapter aux situations les plus complexes en un rien de temps. Ils travaillaient sans cesse dans l'adversité, et ils savaient affronter des ennemis plus forts qu'eux. Pour cela, ils exploitaient leurs faiblesses, leurs erreurs, et ils les retournaient contre eux.

Batman et Nightwing ne seraient pas vraiment inquiétés par Killer Croc. Non, ce qui risquait de leur poser problème, c'était plutôt l'absence de repères fiables, le labyrinthe nauséabond et méconnu des égouts, et toutes les mauvaises surprises qui les attendaient. Depuis que la nature avait commencé à reprendre ses droits sur Gotham, il n'était pas rare de croiser des animaux dans des endroits incongrus, attirés par la nature qui avait changé sa disposition. Mais peut-être que des gens avaient profité du chaos pour se dissimuler ici, aussi. La Ligue serait-elle allée jusque là ? Ou la Cour ?

 « Comment va ta famille, au fait ? Avec tout ce qu'il s'est passé sur Terre-4, j'espère que rien n'est allé en pire. »

Parler un peu de la vie de son fils, c'était une manière pour lui d'éviter un silence gênant qui irriterait Dick, ainsi qu'une façon d'éviter que ce dernier n'oriente de lui-même la conversation sur Bruce. Oh, il le ferait sans doute, mais alors le Chevalier Noir pourrait faire comme à son habitude : réserver cette conversation pour un autre moment, car là, ils n'avaient pas le temps. Même si Alfred, et Selina, lui avaient montré maintes fois que parler librement avait du bon, il n'était pas très à l'aise avec ça.

Sauf avec eux deux.

 « Hmm. »

Il se pencha en avant, alors qu'ils arrivaient à une nouvelle intersection. Il passa sa main sur une épaisse couche de mousse, la retirant comme si elle ne présentait aucune résistance. Et de fait, cette dernière s'écoula rapidement entre ses doigts, avant de retomber sur le sol avec un léger bruit visqueux.

Non, il n'y avait probablement pas de quoi satisfaire la Ligue ou la Cour ici. Cela écartait deux de ses hypothèses les plus mauvaises, et il en était heureux.

 « Je craignais, au début, que la Ligue des Ombres ou la Cour des Hiboux – du moins ce qu'il en reste – aurait pu également se cacher ici. Mais les premiers préfèrent des endroits tels que Wonder City : obscurs, éloignés, où personne ne pourrait les trouver par inadvertance. Les seconds, eux, préfèrent des endroits proches, dissimulés, mais sûrs, où ils peuvent contrôler les lieux. Ici... je doute que même Croc ne contrôle quoi que ce soit. La végétation ne tient pas, elle est en train de céder la place. »

Il regarda brièvement Dick.

 « Avec de la chance, ça nous sera profitable. Allons-y. »

D’un hochement de tête, Dick approuvait la décision de Batman. Tous les deux savaient que ce mouvement n’était pas anodin mais surtout qu’il n’était pas involontaire de la part de celui qui les fuyaient. On les attendait et on les guidait vers un chemin qu’il ne pouvait que suivre. La prudence était de mise mais il ne pouvait pas faire autrement. Heureusement Nightwing n’était pas inquiet. Ils s’étaient sortis tous les deux de biens pires scénarios et ce n’était pas la première fois qu’il aurait à faire au crocodile. Il n’en restait pas moins un adversaire redoutable mais l’expérience était une arme qu’ils maitrisaient, leur capacité à travailler ensemble un atout qui pourrait faire la différence.

Un pas après l’autre, le binôme avançait dans ce dédale d’égouts et de canalisation qu’ils devaient tout deux appréhender et mémoriser du mieux qu’il le pourrait. Il n’était pas dans leur environnement, ce terrain était à l’avantage de celui qu’il traquait et le justicier en avait bien conscience. Néanmoins même s’il restait concentré, Dick adoptait toujours cette attitude décontractée qu’il tentait constamment de conserver. Néanmoins pour une fois, c’était Batman qui ouvrait la conversation, Dick se perdant bien trop souvent dans ses pensées. L’esprit occupé par diverse chose en plus de leur actuelle mission, il avait posé avec intérêt son regard sur la chauve-souris avant de grimacer quand ce dernier abordait sa famille. Il ne savait pas trop où il en était. Avec Kory. Avec cette enfant qu’il ne connaissait pas. Cette enfant qu’il ne se souvenait pas avoir vu naitre, dont il ne se souvenait de rien tout simplement. « Oh tu sais, ça peut difficilement être pire. » Dick restait vague, il ne savait pas trop quoi en dire. Il aimait Kory, et il était presque sûr qu’il éprouvait de l’attachement pour cette fillette. Mais il était perdu. Il ne voulait pas forcément de famille. Son mode de vie ne s’adaptait pas à celui d’un père de famille. « Kory est patiente mais je t’avoue que je ne sais pas trop comment gérer ça. »

Le justicier fut rapidement soulagé lorsque son discours maladroit prit fin alors qu’ils arrivaient à une intersection. Bien qu’il aimait parlé de tout et de rien, surtout de rien, cette discussion l’avait rapidement mit mal à l’aise. Il n’avait aucune idée de ce qu’en pensait Bruce qui avait toujours respecté sa vie privée. Il devait dans tous les cas avoir bien assez à faire de son couple et avec leur immense famille dysfonctionnelle. A nouveau concentré sur leur objectif actuel, Dick avait écouté avec intérêt chaque parole de Bruce. L’analyse de ce dernier lui semblait tout à fait pertinente. Dick ne pouvait pas se plaindre, il n’avait pas vraiment envie de se trouver une énième fois nez à nez avec la ligue des Ombres et la Cour des Hiboux ne le tentait pas plus. Mais Bruce avait raison, plus rien ici ne tenait et tout menaçait de s’écrouler. Il y avait définitivement plus que l’intervention de Killer Croc.

« Qui sont les responsables d’après toi ? » Ses bottes claquaient à nouveau contre le sol au rythme de ses pas. Dick avait la désagréable impression qu’ils s’enfonçaient bien plus dans les égouts loin de toute issue. Mais surtout, ils avançaient vers l’inconnu. IIs n’allaient pas tarder à le savoir mais il préférait savoir à quoi s’attendre. Tout en reprenant leur marche Dick passait sa main sur son masque afin de le replacer bien que ce dernier soit pourtant parfaitement ancré sur son visage. « Comment se passe la vie au manoir ? La cohabitation n’est pas trop difficile ? » Une référence au petit fils du démon mais aussi à la féline qui las de dérober des diamants avaient fini par voler le cœur de son père adoptif. Dick aimait taquiner Bruce à ces sujets, qu’il s’agisse de son fils aussi aimable qu’un assassin puisse l’être ou de sa femme. Pourtant derrière ces taquineries, Bruce savait que Dick le soutenait dans chacun de ses choix. Si ses relations avec l’un et l’autres n’étaient pas forcément au beau fixe, ils savaient qu’ils apportaient quelque chose en plus à la vie du chevalier noir et cela lui suffisait.

A nouveau Dick s’arrêtait, réalisant que la même mousse qui ornait les murs flottaient dans l’eau. Cette dernière qui pourtant semblait anodine ne laissait aucune chance à l’endroit dans un état déplorable. Des morceaux de mur entier s’écroulait et un amas de gravas s’arrêtait devant eux. On tentait de leur barrer la route ou du moins de les retarder. Comme ci ce chemin leur était interdit et qu’on les invitait à en prendre un autre. « Je ne savais pas que nous étions invités à un jeu de piste. »

Spoiler: