here we are in the heart of the darkness (TETH)

Il fait chaud. Beaucoup trop chaud. Le soleil brûle sa peau et quelque chose de profondément désagréable lui irrite le visage. Tous son corps est douloureux, ses membres sont courbaturés et elle a du mal à bouger. Elle parvient tout juste à ouvrir les yeux, mais elle les referme aussitôt, agressée par une lumière vive à laquelle elle n’est pas habituée. Son esprit est brumeux, il lui faut un long moment pour parvenir à se remémorer les derniers moments de son existence. Ces souvenirs sont sanglants, brutaux et ils ne sont pas les bienvenus. C’est presque en sursautant que Rosie se réveille totalement, elle s’agenouille dans ce qu’elle constate être du sable – du sable brûlant. Son cœur cogne furieusement dans sa poitrine et son souffle est court, elle porte une main à sa gorge comme pour s’assurer que quelque chose ou quelqu’un n’est pas en train de l’étrangler. Puis son regard se porte sur ses mains, rouges de sang séché. Un frisson la traverse et un haut-le-cœur également avant qu’elle n’ose relever les yeux et… Un hurlement de stupeur lui échappe et elle bondit pour se relever. Elle serre les poings immédiatement, pour contenir cette magie furieuse qui ne cesse de bouillonner en elle. Elle reste immobile, consciente d’être plus que jamais en position de faiblesse. Rosie ignore où elle se trouve, et doute que les hommes-oiseaux – vraisemblablement – qui la menacent de leurs lances soient d’humeur à répondre à ses interrogations. Une chose est certaine cependant : où qu’elle soit, elle n’est pas la bienvenue. Et elle a l’impression que son cœur cesse de battre quand elle aperçoit la silhouette imposante qui flotte au-dessus d’elle. « Oh. » Oh merde, plus exactement, mais la politesse lui interdit de prononcer le second mot. Il faudrait que Rosie soit idiote et ait passé les dernières années en isolation totale pour ne pas reconnaître le souverain du Kahndaq, plus connu sous le nom de Black Adam. Pour Amanda Waller, il représente une menace au même titre que tous les héros de la Ligue de Justice, elle se souvient avoir lu et relu son dossier pour saisir toute la grandeur du personnage et être prête à lui faire face un jour… Inutile de dire qu’elle avait prié tout son panthéon pour que ce jour ne vienne jamais, et en quittant ARGUS elle pensait que c’était un problème auquel elle ne serait pas confrontée. Une fois n’est pas coutume, elle s’est trompée et doit sans doute son atterrissage inopiné sur les terres du souverain à Brainiac. Un instant plus tôt, elle se trouvait encore en compagnie de Zatanna, sur cette Terre qui n’était pas la leur… Comment être sûre que celle-ci l’est bien ? Ici, elle n’a aucun repère et sa magie est bien trop instable pour qu’elle se risque à essayer quoi que ce soit. Malgré tout, elle ne peut empêcher un flux de pensées lui parvenir, sans doute celles des guerriers de Black Adam, mais elle ne comprend pas leur langage. En revanche, elle ressent très bien leur méfiance et leur animosité. Rosie ne fait donc aucun geste brusque. Elle n’a peut-être pas l’air très impressionnante au premier regard, mais elle ne doute pas qu’ils aient tous vu le sang sur ses mains et ses vêtements. « De toute évidence, je n’ai atterri ni en Norvège, ni à Washington… » Elle marmonne plus pour elle-même que pour qui que ce soit d’autre, avant de relever la tête vers Black Adam en mettant levant une main devant ses yeux pour les protéger du soleil. Diplomatie, Rosie, diplomatie… « Navrée d’avoir franchi les frontières de votre royaume, c’était tout à fait involontaire de ma part. La dernière chose dont je me souvienne, c’est d’avoir perdu connaissance à New Themyscira… » La gorge toujours serrée, Rosie se hasarde à poser une question. « Est-ce que… Est-ce que nous sommes rentrés chez nous ? Est-ce que nous avons… gagné ? » Ce n’est pas le bon mot. Si ils ont gagné, c’est que l’autre Terre et ses habitants ont été détruits, et cela n’a rien de réjouissant. Un frisson de dégoût la traverse quand elle se souvient du corps carbonisé de Darkworld et de la mort de son propre alter-ego dans ses bras. C’est son sang qu’elle a sur les mains, au sens propre du terme. Et elle a l’impression qu’il lui ronge la peau de l’acide. Rosie prend une profonde inspiration et repousse ses pensées dans un recoin de son esprit ; elle s’occupera de ce nouveau traumatisme plus tard. « Je vous dirais volontiers que je ne représente pas une menace pour votre royaume, mais avec ce que nous venons de traverser, vous n’avez aucune raison de me croire sur parole. » Elle grimace, un soupir lui échappe. « Je m’appelle Sigrid, Sigrid Jorensen. Je parle pour les dieux d’Asgard. »

Le Kahndaq avait retrouvé son champion. Et très vite, Adam avait réalisé que c’était comme s’il n’était jamais vraiment parti, son conseil des ministres visiblement perplexe en le voyant réapparaître furieux et alarmé alors qu’il leur semblait, à eux, qu’il ne s’était absenté qu’un bref instant. Mais très vite, la réalité les avait tous rattrapés ; les premières nouvelles alarmistes rapidement remontées par ses services de police et ses armées, faisant état de récoltes soudainement perdues et de technologies défaillantes. Les premières heures du retour à la normale avaient semé un vent de panique sur le pays tout entier, mais très vite, le dirigeant du pays avait pris les mesures nécessaires pour rassurer la population, à grands renforts d’apparitions aux quatre coins du royaume en deux heures à peine, afin de constater les dégâts et promettre de faire dépêcher le soutien nécessaire aussi vite que possible. Dans le même temps, les services secrets s’étaient hâtés de capter, du mieux qu’ils pouvaient, les nouvelles de l’étranger : le constat était unanime. Partout, le chaos et l’incompréhension s’instauraient comme maîtres de la situation. Mais le reste du monde, Adam n’avait ni le devoir, ni l’envie de s’en soucier ; et par bien des aspects, il apparaissait que le Kahndaq avait une chance de mieux s’en tirer que bien d’autres nations du monde. La méfiance d’Adam envers les nouvelles technologies se traduisait par un usage moindre de systèmes informatiques et d’un back-up complet basé sur des industries plus artisanales, et le retour d’Isis signifiait que l’agriculture souffrirait moins longtemps qu’ailleurs. N’en déplaise à l’occident et à la Ligue de Justice, ses méthodes « arriérées » et son esprit théocrate était, une fois, ce qui allait permettre au Kahndaq de s’extirper de cette passe difficile, et de retrouver au plus tôt sa stabilité si durement arrachée et reconstruite.

Hélas, les imprévus n’ont de cesse de s’abattre, et bientôt, Adam perçut, quelque part dans le désert, l’aiguille désagréable d’une aura magique étrangère. Non, mais seulement magique. Bien plus que ça encore. Quoi, encore. Adam connaissait chaque être de magie présent dans son royaume, et il était certain de n’avoir jamais croisé cette aura-là. Un intrus ? Quelqu’un d’autre lâché au Kahndaq par les caprices de Brainiac ? Qu’importe : il refusait de prendre le moindre risque. Alors, il rassembla une escouade de Feitherans, et, flanqué de Northwind et ses hommes, s’envola en direction du désert, à une centaine de kilomètres de Shiruta. Et maintenant qu’il se tenait au-dessus de la jeune femme qui gisait, inconsciente, dans le sable, il était pour le moins perplexe. Sitôt qu’elle remua, les Feitherans dardèrent leurs lances sur elle – oh oui, il sentait la magie qui irradiait d’elle comme un brasier étrangement froid sur la peau, mais avec les Feitherans et les dieux à ses côtés ? Si elle se révélait être une menace, elle se verrait opposer une résistance musclée. Et alors qu’elle prenait la parole, Adam se contenta de la toiser de toute sa hauteur, notant scrupuleusement chaque information qu’elle laissait échapper, volontairement ou malgré elle. Elle revenait de New Themyscira, elle aussi – et elle s’exprimait dans un anglais impeccable. Elle était donc bel et bien une ‘réfugiée’ accidentelle, selon toute vraisemblance. Mais évidemment, ainsi qu’elle le souligna elle-même, quelle garantie avait-il qu’elle ne soit pas en train de lui mentir ? Profiter de la confusion générale pour envoyer des espions, voilà bien de procédés dont il savait ses nombreux ennemis capables, en ces temps de deuil, de recueillement, et de reconstruction. Lâches. Mais, avant qu’il n’ait le temps de formuler ces pensées hostiles à voix hautes, l’intruse lâcha une information qui le prit entièrement à revers. Les dieux d’Asgard. Et Adam de sentir, sur un autre plan de l’existence, les dieux d’Egypte murmurer entre eux.

Les bras croisés sur son imposant torse, Adam conserva un visage impassible – mais daigna la gratifier, dans son anglais irréprochable mâtiné d’un accent kahndaqi prononcé, d’une réponse à une question qu’il savait pressante pour le monde entier. « Nous avons gagné la guerre contre Terre-4. La guerre contre Brainiac, elle, n’en est qu’à ses balbutiements. » lâcha-t-il, laconique et l’air grave, alors que son regard sombre détaillait son interlocutrice. Elle était jeune – très jeune, comparée à nombre d’Homo Magi de sa connaissance, mais elle faisait indéniablement partie de leurs rangs. Et cette aura si particulière, dans laquelle se mêlaient quelque chose d’à la fois très neuf et très anciens ; deux énergies qui convergeaient et s’entrelaçaient pour en créer une troisième. Comme si cette Sigrid était dotée de son aura propre, tout en en véhiculant une autre. « Tu dis parler au nom des dieux d’Asgard, Sigrid Jorensen. Mais voilà bien longtemps que les Ases et leurs semblables se sont retirés au Valhalla. » Il y avait une question dans cette absence de question – un test silencieux, soufflé par la sagesse et l’omniscience de Zehuti. Plus que des siècles, voilà maintenant des millénaires que les dieux du grand Nord s’étaient faits discrets ; même avant d’exterminer les autres membres du Conseil de l’Eternité, Adam n’avait aucun souvenir de les y voir représentés par un champion. Un désir clair et marqué de ne pas vouloir participer aux affaires du monde en dehors de leurs prérogatives. Pourtant, il se souvenait aussi des leçons du Sorcier, et naturellement, du dieu du savoir et de la sagesse qui avait la bonté de lui insuffler ses connaissances : les dieux d’Asgard ne choisissaient-ils pas, à leur façon, une championne pour leur servir de voix parmi les mortels ? Les détails lui échappaient, mais le mythe ne lui était pas inconnu. Si Sigrid était celle qu’elle affirmait être, elle n’aurait aucun mal à confirmer ses soupçons. « Je détecte en toi l’écho ancienne de leur aura – mais tu es ici sur les terres du Kahndaq. Le Kahndaq est sous ma protection, et celle des dieux d’Egypte. Et trop de menaces pèsent sur mon peuple pour que je me permette de prendre le moindre risque. » D’un geste de la main, il intima à Northwind – et lui seul – de baisser sa lance et d’approcher. « Si tu es vraiment ce que tu prétends, tu seras assez sage pour comprendre le danger qui plane sur nous tous. Par les lois de notre royaume, nous nous devons de te considérer prisonnière, jusqu’à avoir vérifié la véracité de ton histoire. Ne résiste pas, demande à tes dieux de coopérer, et nous trouverons terrain d’entente. Ce traitement te paraît-il juste, Sigrid Jorensen ? » Si elle se pliait à sa demande, Northwind et ses hommes l’escorteraient jusqu’à une cellule temporaire à Shiruta – le temps d’effectuer les vérifications nécessaires. Si elle avait dit vrai, elle se verrait rendre sa liberté. Si elle avait menti… alors les dieux d’Asgard se seraient trouvé une bien triste représentante.

AVENGEDINCHAINS

Surtout, ne pas paniquer. Surtout, ne pas paniquer. Rosie fait de son mieux pour rester impassible face à la figure titanesque de Black Adam, mais autant qu’elle n’en mène pas large, la petite sorcière. Elle se retient de soupirer de soulagement lorsqu’il répond à sa question ; ils sont bien rentrés chez eux. La guerre ne fait que commencer mais ils ont, en quelque sorte, remporté la première bataille. Ce n’est pourtant pas pour autant que tout est rentré dans l’ordre. Si c’était le cas, elle ne se serait pas retrouvée au beau milieu du désert kahndaqi en plein face à face avec Black Adam. Qui d’ailleurs, ne perd pas une seconde pour lui faire comprendre qu’il sait très bien que les dieux d’Asgard se sont retirés au Valhalla il a bien longtemps. « Retirés n’est pas le bon mot, il me semble. C’est le Ragnarök qui les a forcés à y rester. » Elle répond sur un ton tout aussi laconique que celui du souverain. Elle a beau être impressionnée et ne pas du tout se sentir à sa place ou en sécurité, elle n’a pas perdu sa répartie fraîchement acquise. Pour autant, elle n’a pas envie de jouer avec le feu, elle est en position de faiblesse et en a parfaitement conscience. Au cas où les lances pointées vers elle ne suffiraient pas à le lui faire comprendre, l’aura de Black Adam l’écrase complètement. A côté de l’immortel, elle n’est qu’une enfant inexpérimentée dont il pourrait se débarrasser d’une pichenette. Mais dans son malheur, elle a de la chance, semble-t-il. Contrairement à d’autres de ses comparses, le roi du Kahndaq semble préférer parlementer avant d’attaquer. Ce qui est plutôt rafraichissant, après ces derniers mois écoulés. Attentive à ses paroles, Rosie se contente de hocher doucement la tête. Après les dieux d’Asgard et les dieux de l’Olympe, les dieux d’Egypte… Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Terre ne manque pas de panthéons. Mais c’est la toute première fois que Rosie est confrontée à quelqu’un qui, comme elle, tient ses pouvoirs des dieux. Et les Netjers de Black Adam ne sont pas à prendre plus à la légère que les Ases ou les Olympiens. Il suffit de voir leur champion pour comprendre qu’ils ne plaisantent pas. A côté de lui, Rosie n’est guère qu’une petite souris. Une petite souris qui, de toute évidence, va se retrouver menottée une fois de plus. Mais entre une cellule au Kahndaq et une cellule dans les locaux d’A.R.G.U.S, le choix est vite fait. Elle soupire doucement avant d’acquiescer. « Je comprends. Croyez-moi, je n’ai pas l’intention de vous causer le moindre problème. Mes dieux non plus ne sont pas là pour semer le trouble dans votre royaume. » Rosie n’a pas la moindre idée de la relation que ses dieux ont pu entretenir avec ceux de Black Adam par le passé, mais en ce qui la concerne, elle n’a pas la moindre intention de raviver d’éventuelles querelles passées. « Je préfère être votre prisonnière plutôt que redevenir la marionnette d’Amanda Waller. » Rosie sourit, sincère derrière sa plaisanterie. Elle a tellement souffert que passer par la prison du Kahndaq ne lui semble pas être une épreuve insurmontable. Avec un peu de chance, elle aura même l’occasion de se reposer un peu, loin de tout le chaos qui secoue la planète. « Je ferai ce que vous me demanderez, et mes dieux sont prêts à coopérer également. » Parce qu’ils n’ont pas le choix, se retient-elle d’ajouter. C’est terminé, elle ne sera plus le pion de quiconque ; qu’ils soient mortels ou immortels. A présent c’est elle qui mène la danse. Sous bonne escorte et sous un soleil de plomb, Rosie est accompagnée jusqu’à ce qui ressemble à un campement temporaire transformé en prison où ont été rassemblés tous les nouveaux arrivants au Kahndaq. Les pensées qu’elle capte confirment ses doutes, elle n’est pas la seule à être réapparue de façon tout à fait hasardeuse sur les terres de Black Adam. Et c’est sans compter tous les méta-humains qui se pressent tous les jours à la frontière du pays pour espérer en devenir les réfugiés et bénéficier ainsi de la protection de Black Adam. Rosie est conduite jusqu’à un bâtiment où – que les dieux en soient remerciés – il fait frais. Elle rechigne une seconde à entrer dans la cellule qu’elle devine être ensorcelée, mais puisqu’elle est résolue à prouver sa bonne foi, elle se soumet à l’enchantement. Un frisson la traverse alors qu’elle sent la magie faire effet et puis tout à coup… Le silence se fait dans son esprit. Pour la première fois depuis une éternité, Rosie est seule avec ses pensées. Elle se laisse retomber lourdement sur le lit de fortune qui a été installé dans la cellule, épuisée aussi bien physiquement que psychologiquement. Il ne lui reste plus qu’à attendre de savoir quel sera son sort, il est à présent entre les mains de l’un des hommes les plus puissants de la planète. Et allez savoir pour quelle raison, ça ne la perturbe pas plus que ça.

Cette rencontre n’était pas n’importe quelle rencontre. Il eut fallu qu’il soit fou pour ne pas soupçonner que quelque chose de bien plus important qu’une simple arrivée accidentelle en son royaume découlerait de ce premier face-à-face avec celle qui se réclamait des dieux d’Asgard. La magie avait presque entièrement déserté le monde, drainé de ce qui autrefois avait été aussi vital pour les Hommes que l’oxygène qu’ils respiraient, et que le Sorcier avait lâchement enfermé dans le Roc de l’Eternité avant de le dissimuler aux yeux du monde. Bien sûr, il y avait encore quelques sorciers, bien sûr, il y avait cet imbécile de Billy Batson, bien sûr les dieux avaient encore des enfants comme Diana pour errer dans le monde des Hommes, mais le divin s’était éclipsé, sauvegardé seulement par quelques exceptions comme lui… et visiblement, comme elle. Cette aura divine, dont l’ancienneté, la noblesse et le pouvoir émanait par tous les pores de sa peau comme un puissant parfum, Adam l’aurait reconnue entre mille. Et c’était la première fois, en plusieurs millénaires, qu’il la sentait irradier de quelqu’un d’autre que lui-même, son rival, ou la fille de Zeus en personne. La voilà, la raison pour laquelle Adam avait retenu ses Feitherans. Les autres réfugiés que son armée avait commencé à dénicher n’avaient pas eu droit à autant d’égards, un peu plus malmenés, dans ce pays où la méfiance de l’étranger était un sentiment au moins aussi prégnant que la révérence qu’ils vouaient à leur dieu-roi. Dans son malheur, peut-être cette Sigrid avait-elle eu de la chance. Là où pour d’autres, une rencontre avec Black Adam signerait une mort certaine, pour elle, il s’agissait peut-être bien de la garantie d’une sécurité inespérée. Si encore, elle acceptait de se prêter aux contraintes qu’il se devait de lui imposer. La sécurité du Kahndaq avant tout – et les dieux d’Asgard, Valhalla ou pas, restaient une puissance formidable à ne pas sous-estimer.

Mais puisqu’elle avait l’air décidée à coopérer – et, s’il restait méfiant, Adam choisit de ne pas remettre immédiatement sa sincérité en cause – nul besoin d’en venir à la moindre extrémité. Mais tout de même, elle lâcha une information qui fut bien loin de tomber dans l’oreille d’un sourd : Amanda Waller. Si Adam n’en laissa rien paraître alors qu’ils s’éloignaient, la jeune femme encadrée par la patrouille de Feitherans, il n’en manqua pas de noter cette nouvelle révélation soigneusement dans sa mémoire. Et très vite, la petite assemblée arrive aux portes de la prison temporaire dans laquelle commençaient à être parqués tous les ressortissants étrangers prétendument réfugiés de New Themyscira – des rangs qui gonflaient à vue d’œil à mesure que les heures passaient, et ses services secrets avaient fort à faire pour démêler le vrai du faux dans ce chaos ambiant. Et rapidement, Adam abandonna Sigrid à son sort pour repartir vers le palais, confiant qu’elle ne pourrait guère semer le chaos dans cette cellule ensorcelée par ses soins. Il avait de nombreuses questions sans réponse à son sujet, et quelques mystères à éclaircir, avant de décider de son sort. Revenu au palais de Shiruta, tout autant en effervescence que la prison qu’il venait de quitter, Adam gagna rapidement l’aile dans laquelle siégeait l’équivalent de son ministère de l’intérieur, où la cellule de crise en réponse à cette soudaine invasion et ces soudains retours avaient été établis. « Hakim. » appela-t-il en faisant signe à un de ses colonels de le retrouver pour un petit aparté. « Oui, ô Adam ? » fit ce dernier en arrivant à sa hauteur. « J’ai besoin que tu te penches sur un cas urgent. Sigrid Sorensen. Une trentaine d’années, résidant possiblement à Washington. Il semblerait qu’elle ait un lien avec Amanda Waller. Trouve-moi tout ce que tu peux à son sujet. » « Bien, ô Adam. » Et maintenant, il n’avait plus qu’à prendre son mal en patience.

Vingt-quatre heures, quarante-huit heures, soixante-douze heures s’écoulèrent pendant lesquelles Sigrid Jorensen dut être reléguée au second plan de ses préoccupations, tant il y avait à faire pour faire rentrer le pays sur les rails. Au final, une semaine entière s’écoula pendant laquelle Adam volait d’un bout à l’autre du pays pour constater les dégâts, utiliser ses pouvoirs pour résoudre tel ou tel problème, ou déléguait ses armées pour qu’ils gèrent certaines situations à sa place. Ses services secrets étaient eux aussi surchargés, et victimes des mauvais fonctionnements de la technologie – mais ils savaient aussi se montrer plus créatifs et recourir à d’anciennes techniques, sur l’impulsion de leur leader qui détestait la technologie moderne. Alors finalement, Adam obtint les informations qu’il attendait, et c’est sans plus attendre qu’il se rendit à nouveau à la prison dans laquelle il avait laissé Sigrid. Lorsqu’il posa pied à terre, les soldats saluèrent et les civils s’inclinèrent, avant qu’il ne leur intime d’un geste de la main de se relever et n’entre dans l’imposant bâtiment. Une espèce d’ancien bunker constituait maintenant la majorité des cellules, alors que le centre administratif s’était installé dans un campement dans la cour. Pour les prisonniers, le temps était sans doute long – mais ils étaient nourris, soignés, et surveillés de près en attendant que des informations nouvelles ne déterminent leur sort. Nul doute que l’ONU aurait encore des reproches à lui faire, mais Adam n’en avait cure. Encore devraient-ils s’estimer heureux qu’il n’ait pas simplement décidé de se débarrasser de tout ce beau monde à vue. L’éclair d’Aton crépitant sur sa poitrine, Adam s’aventura dans les corridors jusqu’à arriver devant la cellule ensorcelée, dont il abaissa le parloir. « Sigrid Jorensen. » appela-t-il, impérieux, en croisant les bras sur son torse. Puis il attendit, patiemment, que la jeune femme n’émerge de l’ombre salvatrice de sa cellule. De l’autre côté du parloir, il avait maintenant quelques questions à lui poser. « J’espère que tu as pu récupérer quelques forces. Mes hommes ont réussi à te retrouver et vérifier tes dires. Il reste néanmoins quelques zones d’ombre assez critiques sur lesquelles j’espère que tu pourras jeter la lumière. » Il l’espérait pour elle, évidemment. « Nous avons pu identifier une Sigrid Jorensen. Néanmoins, il semblerait que vous soyez plutôt connue sous le nom de Rosalie Rosewood. Une sorcière au service d’Amanda Waller et de son organisation, ARGUS. Ai-je réellement besoin de vous spécifier qu’Amanda Waller n’est pas une amie du Kahndaq ? Ses forces ont plusieurs fois tenté d’infiltrer notre pays – et n’en sont généralement pas revenus. » déclara-t-il d’un ton détaché – mais l’animosité suintait par tous les pores de sa voix. « Toi et tes dieux m’avez promis votre coopération. J’attends donc de toi la vérité. Quelle est ta relation avec ARGUS et Amanda Waller, et quelles sont tes intentions ici ? »

AVENGEDINCHAINS

Enfin seule. C’est ce que Rosie se dit, isolée dans sa cellule du bout du monde. La vie est tout de même drôlement faite. Il a fallu qu’elle se retrouve prisonnière de l’un des hommes les plus craints de la planète pour avoir un peu de paix. Grâce au sort jeté sur sa cellule, son esprit est presque complètement silencieux, elle n’entend plus que sa propre voix. Elle est enfin libre de penser par elle-même et surtout, elle peut fermer les yeux sans crainte que des visions s’imposent à elle, sans crainte que les dieux et ses ancêtres ne se mettent à bavarder au point qu’elle ne s’entende même plus penser. C’est donc dans une prison du Kahndaq qu’elle parvient à se reposer, à dormir sans que son sommeil ne soit perturbé par d’horribles cauchemars. Les journées passent sans qu’elle ne s’en rende réellement compte, trop occupée à récupérer pour s’en soucier. Le contrecoup de sa résurrection et des mois passés sur New Themyscira est d’autant plus violent que les tensions ont eu le temps de s’accumuler. Entre ses longues heures de sommeil, Rosie a le temps de penser à ce qu’elle veut faire de sa vie et à ce qu’elle veut être. Les événements de New Themyscira auront au moins eu le mérite de lui ouvrir les yeux. Et mourir, c’est une… expérience… qui remet énormément de choses en question. Quand Black Adam se présente de nouveau à elle, Rosie est un peu plus sûre d’elle qu’elle ne l’était quelques jours plus tôt. Toujours pas assez pour ne pas se sentir ridicule en face de lui, mais il faut un début à tout. De l’autre côté des barreaux, il lui fait savoir que ses services secrets sont parvenus à retrouver sa trace, et comme elle s’y attendait, elle va devoir lui fournir quelques éclaircissements. Merci qui ? Merci Amanda Waller, naturellement. Les bras croisés sous sa poitrine, Rosie hoche doucement la tête pour signifier au roi qu’elle est prête à apporter des réponses à ses questions. « Je vous le répète et vous l’assure, ni mes dieux, ni moi-même, n’avons l’intention de nuire au Kahndaq d’une quelconque façon. C’est tout à fait par hasard que j’ai atterri sur vos terres. Quant à ma relation avec Amanda Waller… Je ne l’aime pas plus que vous. Elle s’est servie de moi comme elle s’est servie de beaucoup d’autres personnes vulnérables. Elle m’a trouvé dans une situation assez désespérée pour que j’accepte d’intégrer l’une de ses équipes. À l’époque, j’étais prisonnière d’un hôpital psychiatrique et assommée par un traitement. On me pensait schizophrène. Vous savez, à cause des dieux qui ont élu domicile dans ma tête. » Rosie hausse les épaules avec désinvolture. Ce moment de sa vie lui semble si lointain, à présent… « Mais contrairement aux membres de la Suicide Squad, je n’ai pas de bombe dans la nuque. Amanda Waller ne me contrôlera plus jamais, pas plus que qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. Si elle veut me récupérer, qu’elle vienne, je saurai l’accueillir dignement. » C’est plutôt évident, elle ne porte pas son ancienne patronne dans son cœur. Maintenant qu’elle est libre, Rosie n’a nullement l’intention de la laisser remettre la main sur elle. Plutôt mourir une deuxième fois. « Quant à mon nom… Je ne vous le cache pas, c’est une histoire un peu compliquée, que je cherche encore à comprendre moi-même. Ma mère était la précédente Völva et c’est elle qui a changé mon identité pour me protéger. Elle avait vu que mon père et elle seraient assassinés, alors elle m’a protégée du mieux qu’elle l’a pu. Jusqu’à il y a peu, j’étais sincèrement persuadée d’être Rosalie Rosewood. Et puis j’ai fait un petit tour au Valhalla, et j’y ai appris la vérité. Je ne vois pas l’intérêt de continuer à prétendre être quelqu’un que je ne suis pas. » Elle soupire longuement. Elle n’a pas encore eu l’opportunité de remettre de l’ordre dans sa vie, mais elle imagine sans peine que cela prendra un certain temps. Il y a notamment un problème qui promet d’être… épineux. « J’imagine que vous êtes tombé sur mon acte de décès. C’est vrai, je suis morte l’année dernière. Je le voulais, je l’ai fait pour sauver quelqu’un qui m’est cher. Et puis, John Constantine m’a ressuscitée sur New Themyscira. Pour être tout à fait honnête, je pensais rester morte pour le reste de l’éternité, mais John en a décidé autrement. Lui et moi sommes… des cousins très éloignés. Nous avons des ancêtres en commun, il est la seule véritable famille qu’il me reste. Nul besoin de me faire la leçon, je sais très bien que ce n’est pas l’homme le plus fiable de la planète. Mais je préfère un John Constantine à une Amanda Waller. » Rosie réfléchit une seconde, avant de reprendre. « J’imagine que vous tenez à savoir ce que j’ai fait sur New Themyscira… Je me suis battue aux côtés de la Résistance, et Zatanna et moi avons tué deux des Furies de la Wonder Woman de ce monde-là. Je ne vous le cache pas, ce n’était pas joli à voir. »

Amanda Waller. Un nom qu’Adam avait appris à connaître au fil des années, et de quelques rencontres sporadiques aussi tendues qu’improductives – l’intérêt de cette femme pour le Kahndaq était évident, autant que l’était la nécessité de l’en tenir éloignée le plus possible, et les paroles de la jeune femme ne faisaient que conforter Adam dans ses convictions. Cette nouvelle facette de la directrice d’ARGUS, Adam l’avait soupçonnée, sans jamais en avoir la confirmation : et voilà que Sigrid la lui livrait sur un plateau d’argent. C’était donc cela, le genre de personne que le gouvernement américain jugeait bon de placer au cœur du pouvoir. Quelqu’un de calculateur, poussé par l’ambition, prêt à exploiter les faiblesses et vulnérabilités des siens pour obtenir ce qu’elle désirait. Une esclavagiste, en somme, pas si éloignée de ceux auxquels il avait arraché le cœur ou qu’il avait foudroyés sur place. Procédés méprisables et révoltants qui, venant de l’Occident, ne le surprenaient pas le moins du monde. Et la révolte, ou plutôt, le désir et la détermination dans la révolte qu’il sentait en Sigrid, lui paraissait authentique. Personne ne serait capable de feindre cette exaspération, cette fatigue, ce débordement, ce ras-le-bol qui, un jour, conduisait chaque prisonnier à l’une ou l’autre de deux extrêmes : l’abandon complet, la soumission, ou bien, l’explosion du barrage. Un sursaut de révolte, qui souvent finissait dans le sang, mais parfois connaissait une fin heureuse. L’on parlait de faim, de soif comme les symptômes de besoins fondamentaux – Adam arguait que le besoin de liberté et de dignité étaient aussi crucial. Et Sigrid, visiblement, en était elle aussi arrivée à ce stade de son exploitation monstrueuse : l’envie irrépressible de briser ses chaînes, le refus d’endurer plus longtemps les caprices et lubies d’un maître injustifié. La liberté, quel que soit le prix à payer. Et ça, Adam ne pouvait que trop le comprendre.

Attentif, Adam suivait son récit, décidément chargé de mystère et de questionnements – mais visiblement, elle-même ne bénéficiait pas du luxe d’avoir toutes les réponses. Et si d’aucuns auraient pu soupçonner un quelconque mensonge ou subterfuge, Black Adam, pour une fois, se surprenait plus enclin à la croire qu’à remettre sa parole en question. Est-ce que c’était son aura divine qui le mettait dans de meilleures dispositions à son égard ? Ou l’éclat de sincérité dans sa voix que Zehuti ne manquait de remarquer, alors quelle jetait la lumière sur les zones d’ombres qu’il avait pointées du doigt ? « Pour les êtres comme nous, la mort peut être un concept très… relatif. » reconnut-il, étonné mais pas incrédule. Les limites entre les royaumes des vivants et ceux des morts étaient bien plus minces qu’on n’avait tendance à le soupçonner. Lui, comme Sigrid, en étaient visiblement les preuves vivantes. John Constantine – ce nom ne lui évoquait quelque chose que de loin, mais il l’associait à quelqu’un de méprisable et à éviter, donc il n’y prêta guère plus d’attention – la mention de Zatanna, néanmoins, retint son intérêt. Ainsi elles s’étaient battues côte à côte ? Contre les oppresseurs de Terre-4 ? « Ce n’est guère quelque chose que je pourrai retenir contre toi. La guerre n’est jamais belle lorsqu’on s’y retrouve confronté de près, plutôt que derrière des écrans. » Et pourtant, elle et Zatanna avaient lutté quand même. Une information qui lui en disait plus à son sujet qu’elle ne le soupçonnait peut-être, dans ce pays où pas un seul homme, femme ou enfant n’avait eu à sacrifier un lourd tribut pour sa propre liberté. Les pièces du puzzle commençaient à se mettre en place, le portrait à se compléter.

Il y avait pourtant une question à laquelle elle n’avait qu’à moitié répondu : ses intentions. Depuis quelques jours qu’elle était dans cette cellule, avait-elle eu le temps de seulement se poser la question ? Leur retour à tous était déroutant, et Adam comprenait désormais que sa question prenait un nouveau tournant : si elle n’avait visiblement aucune intention hostile envers le Kahndaq, la question demeurait sur ses intentions tout court. « Et maintenant que tu es libérée des serres d’Amanda Waller ? » reprit-il en décroisant les bras pour s’approcher du parloir. « Crois-moi, je ne sais que trop bien que la liberté peut être une délivrance autant qu’elle peut être un fardeau, quand on a oublié comment l’appréhender. Et tu l’as dit toi-même, il n’est pas impossible que Waller ou son organisation ne cherchent à te convaincre de les rejoindre à nouveau. » Et l’idée d’un panthéon, quand bien même il ne s’agissait pas du sien, courbe l’échine devant cette femme, lui hérissait le poil. Quelle bassesse. Voilà le monde dans lequel ils vivaient, aujourd’hui. Un monde sans magie, dans lequel les puissants réduisaient même le divin en esclavage. Infâme. Sur son poitrail, l’éclair d’Aton crépita, manifestant son mécontentement sourd. « Admettons que je te libère aujourd’hui de cette cellule. Où iras-tu ? Que feras-tu ? As-tu déjà pu réfléchir à ce à quoi ta nouvelle vie allait devoir ressembler, pour ne pas retomber dans les œillères d’avant ? » demanda-t-il. Peut-être était-ce trop de pression, si tôt après leur retour de Terre-4, mais c’était des questions qu’elle allait inévitablement devoir se poser. La liberté et l’indépendance se payaient au prix fort, et malheureusement, parfois, elles nécessitaient des épaules solides pour les porter. Au moins au début. Après autant de temps passé en servitude, se réhabituer à exister pour et par soi-même pouvait être un défi de tous les instants.

AVENGEDINCHAINS

Rosie ne pensait pas avoir à faire son introspection dans une geôle du Kahndaq. Elle ne s’attendait pas non plus à ce que Black Adam lui pose tant de questions existentielles – auxquelles elle n’était pas préparée. Il y a beaucoup de choses auxquelles Rosie n’était pas préparée, beaucoup de choses auxquelles elle n’avait pas eu le temps de songer. Son avenir en faisait partie. Elle avait cessé de songer à l’avenir à la seconde où elle avait décidé de se sacrifier pour Lucian. Pas une seule seconde elle n’avait envisagé d’être ressuscitée, alors son avenir, le futur… C’était une chose dont elle ignorait encore tout. Le roi du Kahndaq a mis le doigt sur un problème de taille, un problème épineux. Où ira-t-elle, que fera-t-elle ? Elle secoue la tête, les bras croisés sous sa poitrine, et fait quelques pas dans sa cellule avant de braquer son regard vers Black Adam. « Très franchement ? Je n’en sais rien, je n’en ai pas la moindre idée. Je n’ai jamais été libre avant. » D’une façon ou d’une autre, Rosie a toujours été enchaînée. Il y a toujours eu quelqu’un pour lui dire quoi faire et comment, pour lui donner des ordres, pour la pousser à faire ceci ou cela… Sa première vraie décision était de mourir, et autant dire qu’elle ne pensait pas pouvoir en prendre d’autres. « Si Waller décide de lancer une équipe à mes trousses, je vous assure qu’ils n’ont pas fini de courir. Je préférerais mourir une seconde fois plutôt que de laisser cette femme remettre la main sur moi. » Elle n’a pas l’intention de courir toute sa vie pour lui échapper, mais elle n’est pas convaincue qu’une confrontation directe soit dans son intérêt. « Avant de mourir, j’avais dans l’idée de retourner en Norvège, pour peut-être découvrir mes origines et en apprendre plus sur mes dons… Mais je n’ai pas la moindre idée d’où aller, ni de ce que je serais censée chercher. Je ne suis plus chez moi nulle part, alors pour être honnête, je ne sais pas où j’irai une fois que vous m’aurez libérée. Si vous décidez de me libérer. » Rosie se risque à afficher un petit sourire. Black Adam ne semble pas avoir l’intention de la garder prisonnière éternellement, mais elle a lu suffisamment de choses à son sujet pour savoir que s’il craint qu’elle ne représente le moindre problème pour les siens et son royaume, il peut tout aussi bien décider de la laisser où elle est. Et au point où elle en est, Rosie ne s’en plaindrait même pas. Après tout ce temps à suivre aveuglément les ordres et les conseils des uns et des autres, la liberté est effrayante. Elle n’a jamais eu le droit de prendre des décisions importantes par elle-même, fut un temps elle ne pouvait même pas s’habiller sans qu’on choisisse ses vêtements pour elle. Alors, devoir décider seule de son avenir… Comme n’importe qui d’autre, Rosie a détesté New Themyscira, mais au moins là-bas, elle avait un but, elle n’avait pas à réfléchir au lendemain. Survivre, aider les autres à survivre, c’était tout ce qu’il y avait à faire et elle n’avait pas eu besoin de se torturer pour savoir quoi faire. Les combats et la guerre étaient devenu son quotidien ; un quotidien qui ne laissait place à rien d’autre. « Que feriez-vous, à ma place ? Où iriez-vous ? Vous avez la sagesse de Zehuti, peut-être pourriez-vous m’éclairer. Chaque Asgardien est prêt à me donner son avis sur la question, mais je n’oublie jamais qu’ils parlent aussi au nom de leur propre intérêt, et pas seulement du mien. Et puis, cela fait trop longtemps qu’ils n’ont plus réellement parcouru le monde, ils ne savent pas ce qu’il est devenu. Moi, si. Ce n’est pas beau à voir. » Un immortel comme Black Adam comprendra certainement ce qu’elle veut dire par là. « Je ne suis pas sûre qu’ils aient encore leur place dans ce monde. Et par conséquence, moi non plus. »

Si il décidait de la libérer ? Adam ne lui retourna pas son sourire, par habitude plus que par réel refus, mais en réalité, sa décision était déjà prise. Black Adam n’était jamais le dernier pour laisser ses opposants et les ennemis de son pays pourrir dans les geôles de ses prisons, mais Sigrid Jorensen n’était, il en était maintenant convaincu, ni l’une ni l’autre. Elle était, comme lui, une héritière des dieux, et comme lui, quelqu’un qui avait trop longtemps porté de lourdes chaînes autour de son cou. Que ferait-il s’il était à sa place ? Qu’elle était aisée la réponse à cette question ; elle n’avait qu’à observer autour d’elle ou lire un journal pour la trouver. Emprisonné pendant des millénaires, libéré dans un monde qui lui était devenu complètement étranger, déserté par la magie et les dieux, Black Adam avait fait le choix de la retrouver par la force, sa place dans ce monde. Peut-être n’avait-il pas toujours fait les bons choix ce faisant, mais il n’y en avait pas un seul qu’il regrette. Dans ce monde moderne où il aurait dû être obsolète, on l’on avait tenté de l’enfermer dans un passé révolu, il s’était acharné à s’imposer, et maintenant, le Kahndaq, et Adam lui-même, s’étaient relevés de sous la cendre. Personne, pas même lui, ne pouvait dire à Sigrid ce qu’elle devait faire, pour elle-même ou pour ses dieux. Mais peut-être pouvait-il au moins lui montrer une possibilité parmi tant d’autres. Sans un mot, Adam tendit la main, et déverrouilla le sortilège qui maintenant la cellule fermée, désactivant par la même occasion ses propriétés paralysant la magie de la jeune femme. Puis, il lui ouvrit la porte. « Alors un long chemin t’attend encore, Sigrid Jorensen. Que tes pas te portent en Norvège ou ailleurs, ils commencent ici. Dès que tu auras franchi la porte de cette cellule. » Cellule physique et cellule métaphorique – à partir d’aujourd’hui, ce qu’elle avait devant elle, c’était un choix.

La nuit était calme dans le désert, alors que la lune de Zehuti veillait sur le sommeil de Shiruta. Calme, mais pas tout à fait immobile. D’ombre en ombre, quelque chose se mouvait dans le silence, invisible, imperceptible, faisant à peine remuer le sable sous ses pas léger. Une présence à peine détectable – sans hostilité, rien de plus qu’une visite. Dans la chambre d’un gîte confortable de la capitale, l’héritière des dieux d’Asgard peinait-elle à trouver le sommeil ? Son aura détonnait dans ce décor digne des mille et une nuits, invitée tolérée au cœur du territoire des dieux égyptiens. Elle ne cilla pas, quand l’ombre se faufila dans sa nuit ; une présence, à peine une pensée, dans ses songes troublés. Se souviendrait-elle de lui, à son réveil, se demandait le visiteur, promenant son regard pâle et lumineux dans les méandres de son inconscient ? Sentant le regard de la jeune femme peser sur lui, il se retourna, la salua en inclinant légèrement son chapeau, et souffla, sa voix éthérée et irréelle : « La liberté peut être un parcours très solitaire, n’est-ce pas ? » Peut-être se souviendrait-elle de leur échange à son réveil. Peut-être pas. Au fond, cela n’avait guère d’importance. « Bien des routes s’ouvrent à toi désormais, mais n’oublie pas que toutes ne sont pas visibles. Parfois, il faut savoir s’intéresser aux portes les mieux cachées, pour trouver ce que l’on ne pensait même pas chercher. » Il ne pouvait l’influencer. Il ne pouvait décider à sa place. Il ne pouvait guère intervenir directement dans sa vie ; mais au moins pouvait-il, peut-être, lui souffler une simple idée. « Ne crains rien. Je ne suis pas un ennemi. Rien qu’un visiteur de passage. Pour ainsi dire, rien de plus qu’un étranger… » Et, comme elle était venue, à peine remarquable, l’ombre se dissipa dans le sommeil de Rosalie…

Les jours passent mais ne se ressemblent pas, dans un Kahndaq sur le pied de guerre pour reprendre le contrôle de son quotidien après six mois de sommeil paralysant. Et comme tous les jours depuis son retour, Adam avait fait son apparition sur la place de Khêm, la place principale devant le palais de Shiruta, devant une foule attentive et à l’écoute, et sous les yeux des caméras pour diffuser son discours dans le reste du pays. Une façon parmi d’autres de marquer son retour et sa détermination de remettre leur royaume sur les rails le plus tôt possible – son peuple était résilient, mais il avait aussi besoin de voir son champion et de tirer de lui la force et l’inspiration nécessaires pour reconstruire ce que Brainiac leur avait pris, et pour faire face aux difficultés que le chaos de ces disparitions et réapparitions avaient laissées dans leur sillage. Après ses déclarations, Adam s’apprêtait à s’envoler à nouveau en direction du palais, prêt à consulter ses généraux pour prendre état du pays après cette nouvelle nuit sans désastre, quand il perçut, dans la foule déjà occupée à retourner vaquer à ses occupations, une aura désormais familière. Et évidemment, il l’avisa au milieu des passants, avec sa peau et ses cheveux clairs qui se remarquaient aisément au milieu des kahndaqi. Décidant que ses généraux pourront bien attendre, Adam se laissa descendre de quelques mètres pour léviter quelques centimètres au-dessus du sol, et s’adresser à la prisonnière devenue invitée en ces terres arides. Une bonne semaine s’était écoulée depuis qu’il lui avait ouvert la porte de sa cellule, et que ses services d’immigration lui avaient fourni les papiers nécessaires, mais visiblement, elle ne s’était pas encore décidée à entreprendre ce voyage en Norvège. « Tu es donc encore parmi nous, Sigrid ? » demanda-t-il, autant comme un constat qu’une question. Plus rien ne la retenait ici. Et pourtant, femme désormais libre et sans chaînes, elle était restée là.

AVENGEDINCHAINS

La liberté… Un drôle de concept auquel Rosie n’est pas encore réellement habituée. Pas du tout, même. Après toute une vie passée enfermée d’une façon ou d’une autre, comment aurait-elle pu s’y retrouver ? Seule, qui plus est. Seule dans un royaume étranger – dans tous les sens du terme – où les êtres hostiles sont aussi nombreux que ceux prêts à lui tendre la main. Si elle avait eu le choix, Rosie n’aurait certainement pas choisi de se réveiller au Kahndaq… Une fois de plus, elle n’a pas eu le choix. Mais pour une fois, peut-être est-ce pour le mieux. Ici, une fois la bénédiction de Black Adam reçue, personne ne lui pose de questions, personne ne lui demande qui elle est ni ce qu’elle fait là. Elle n’a pas à s’inquiéter d’être discrète, les métahumains sont les bienvenus au Kahndaq. C’est bien étrange, d’ailleurs, qu’une nation au cœur du Moyen-Orient soit plus tolérante que la plupart des pays occidentaux. Étrange, ou peut-être pas… Sans doute Rosie n’était-elle pas aussi insensible aux clichés qu’elle le pensait. Tant mieux, cela lui donne une bonne occasion d’apprendre de ses erreurs et d’accorder son mode de pensée en fonction de ses nouveaux enseignements. C’est dans un gîte du royaume qu’elle finit par trouver refuge. Elle ne parle pas la langue locale, alors la communication est un peu laborieuse dans un premier temps mais elle parvient finalement à se faire comprendre, grâce à de la bonne volonté des deux côtés. Que faire, à présent ? La question tourne et retourne dans son esprit. Elle ne sait pas quoi faire, elle ne sait pas où aller. Que va-t-elle devenir ? Elle n’a pas la moindre intention de retomber dans les filets d’Amanda Waller, plutôt mourir une seconde fois. Mais même en étant un véritable tyran, la directrice d’A.R.G.U.S lui avait offert une vie structurée, un chemin à suivre. Maîtresse de son destin, Rosie ne sait tout simplement pas où se diriger… Devrait-elle demander son aide à John ? Elle n’est pas certaine que ce soit la meilleure solution, aussi attachée soit-elle à son cousin. Alors la voilà coincée en pleine crise existentielle au Kahndaq. Et petit à petit, une drôle d’idée commence à germer dans son esprit. Peut-être pas la meilleure, mais c’est une idée tout de même et c’est mieux que rien. Rosie n’a pas envie de continuer à s’apitoyer sur son sort, et elle n’a pas non plus envie de passer ses journées à s’interroger sur la justesse de ses choix. Pour pouvoir avancer, il faut commencer par faire un premier pas… Et ce premier pas, elle pense savoir où le faire. Reste à savoir si elle est véritablement la bienvenue au Kahndaq. Après maintes et maintes réflexions, elle décide de quitter sa chambre pour se faufiler dans les rues de la capitale. On la distingue comme le nez au milieu de la figure dans la foule kahndaqi, alors en ce qui concerne la discrétion, il faut oublier. Quand elle perçoit un mouvement parmi les réfugiés et les citoyens, elle décide de le suivre et c’est sans grande surprise qu’elle se retrouve sur la place principale située devant le palais, à écouter avec attention l’un des discours de Black Adam. Un discours redoutablement efficace, il faut bien l’avouer. Plus le temps passe, et mieux Rosie comprend pourquoi le peuple est si attaché à son souverain. Son charisme est indéniable, et ses fidèles semblent puiser leur force de sa simple présence. Ce n’est pas sans lui rappeler de vieux – et mauvais – exemples de culte de la personnalité, qu’elle se gardera toutefois de comparer à Black Adam. Son jugement, elle le réserve pour le moment, attendant d’en apprendre davantage sur lui. Et quand on pense au loup… Elle se sent rétrécir au fur et à mesure que Black Adam se rapproche d’elle, écrasée par sa présence. Comme une petite fille, elle noue ses mains dans son dos et rentre sa tête dans ses épaules. « Eh bien, pour être tout à fait honnête… Je me demandais si vous m’autoriseriez à rester ici. Au Kahndaq. Et si vous accepteriez, peut-être, de m’accorder le statut de réfugiée diplomatique. Le temps que je trouve quoi faire de ma vie… Je ne me sens pas en sécurité aux États-Unis. Et j’ai quitté la Norvège trop jeune pour y avoir conservé de quelconques attaches… Je ne planterai peut-être pas mes racines ici pour toujours, mais j’aimerais beaucoup rester. Je ne vous demande pas l’hospitalité gratuitement, cela dit. J’aimerais vous aider, si je le peux. C’est vrai, je ne sais pas encore ce que je vais faire de ma vie, mais je ne suis pas totalement inutile pour autant… J’ai aidé à éviter une apocalypse, une fois. » Un sourire peu convaincant apparaît sur son visage. Elle a l’impression que c’était il y a une éternité, de même que son passage en enfer pour secourir John. Le plus triste étant que ces choses-là ne lui semblent pas si terribles, avec le recul.

Le Kahndaq avait beau être une terre de magie – peut-être l’un de ses derniers vrais bastions sur Terre, si l’on excluait Atlantis – il était rare, tellement rare pour Adam ces jours-ci de rencontrer des magiciens avec qui il partageait quoi que ce soit. Les dieux s’étaient presque tous retires du monde, quel que soit leur panthéon, et la magie elle-même s’était divisée en une multitude de courants tellement divers qu’il lui semblait parfois qu’elle n’était plus la même que celle qui imbibait le désert quelques millénaires auparavant. Une magie abâtardie, dans le sens le plus pragmatique du terme, dont il cherchait encore à déterminer si elle dénotait une plus grande maitrise de la part de ses pratiquants, ou, au contraire, un état de crise comme elle n’en avait jamais connu. De magie familière et semblable a la sienne, il ne connaissait guère plus que celle de son rival et de sa famille, celle de Doctor Fate – ou plutôt, de Nabu, comme il l’appelait à l’époque – et celle de l’amulette d’Isis. Et aujourd’hui, celle qu’il sentait émaner de Sigrid. Divine dans son essence, diluée mais indubitablement reconnaissable, la magie d’Asgard invitée sur le territoire des dieux d’Egypte et du Kahndaq. La première fois qu’il l’avait ressentie, quelques temps plus tôt dans ce désert, Black Adam n’avait pas su dire s’il perturbe, méfiant, confus, ou heureux, de ressentir la présence d’une telle magie sur ses terres. Aujourd’hui, il n’avait toujours pas de réponse définitive à donner ; mais, alors qu’il sentait les échos d’Asgard resonner au milieu de cette foule, émanant de cette jeune femme qu’il dominait de toute sa hauteur, Adam aurait presque pu être certain d’éprouver ce qui ressemblait à une forme de soulagement.

Était-ce parce qu’elle aussi, avait ressenti cette drôle de familiarité, d’une magie divine à une autre, qu’elle se prenait maintenant à envisager de s’éterniser un peu plus longtemps au Kahndaq ? Adam se permet de hausser un sourcil, surpris, mais pas réticent a sa requête. S’il avait vu de nombreux méta-humains et homo magi lui faire la même demande, il fallait bien avouer que l’écrasante majorité d’entre eux n’étaient pas américains. Et encore moins des ex-agents d’ARGUS. « Tu es pleine de surprises, Sigrid. » commenta Adam – comme il le dirait, curieusement, à une autre sorcière qui lui rendrait visite prochainement. Le champion du Kahndaq consentit à laisser ses pieds toucher terre, attentif au discours de la jeune femme. Il sentit la sincérité dans ses propos – la lassitude, l’hésitation de ceux livres à eux-mêmes qui ne savent plus quoi faire de leur liberté retrouvée. Sigrid Jorensen avait, il en avait désormais la certitude, dans toute sa grandeur de leader qui voyait son devoir partout, justifie ou non, besoin d’un guide. Peut-être, effectivement, était-elle venue au bon endroit. Et peut-être l’avait-elle déjà compris d’elle-même. « Je pense que ces quelques jours au Kahndaq auront su te convaincre que nous prenons très au sérieux l’accueil de quiconque se voit rejeté, ou mis en danger dans leurs patries de naissance. Si tu es sincère dans ta démarche, nous n’aurons pas de mal à effectuer les démarches nécessaires. J’ai senti tes pouvoirs et leur nature. Tu aurais parfaitement ta place ici. » D’un geste, il l’invita à marcher avec lui, alors que la foule se dispersait pour retourner vaquer à ses occupations.

« Néanmoins, je suis curieux. Je comprends bien que les Etats-Unis ne soient plus un endroit sur pour toi, et que notre politique d’accueil des méta-humains n’ait pas d’équivalent ailleurs. » Au-dessus de leurs têtes, dans le ciel bleu et sans nuage du Kahndaq, se détachaient les silhouettes des Feitherans fendant l’air entre le palais et le désert. L’urgence, le danger pouvaient pousser tout un chacun à des extrémités radicales ; y compris laisser derrière eux le monde qu’ils connaissaient pour un monde terrifiant, mais moins terrifiant que les démons dans leur sillage. « Mais j’imagine que ni ARGUS, ni Amanda Waller, ni les media américains n’ont jamais dépeint un portrait très flatteur de notre royaume. Encore moins de moi. Si tu crains pour ta liberté là-bas, ne crains-tu pas pour elle ici ? » Même si elle n’avait rien à redouter – du moment qu’elle respectait les lois du pays, bien entendu. « Le Kahndaq est sans cesse sous menace étrangère. Qu’il s’agisse des Etats-Unis, ou de nos voisins plus directs. Le Bialya nous envoie régulièrement des terroristes, les conflits voisins menacent nos frontières. Bien sur que tes talents nous seraient d’une grande aide, si tu étais disposée à les mettre au service du Kahndaq, indépendamment de ton statut. » Alors qu’ils marchaient, Adam croisa ses mains dans son dos et tourna la tête pour observer le profil de son étrange invitée. « Mais tu sais bien quel genre de personne je suis. Quel leader je suis. Les Etats-Unis ne comprennent peut-être pas pourquoi je fais ce que je fais, ou pourquoi je mène ce pays comme je le fais, mais ils ont raison sur un point : je ne recule devant rien pour protéger mon peuple. Es-tu certaine, en ton âme et conscience, de pouvoir me suivre en sachant de quoi j’ai pu me rendre coupable par le passé ? » demanda-t-il alors qu’ils prenaient le chemin du palais. Car il était là, le test ultime, pour Sigrid – Adam était prêt à ouvrir ses portes, mais a la condition d’un soutien inconditionnel. A la condition qu’elle comprenne, réellement, dans quelle voie elle s’engageait en laissant tout derrière elle pour rester au Kahndaq, même temporairement – et surtout en lui offrant son aide.

AVENGEDINCHAINS

Rosie fixe Black Adam droit dans les yeux, elle ne le quitte plus du regard. Elle a longuement réfléchi, avant de prendre une décision. Une décision qui, à n’en pas douter, va changer le cours de sa vie et peut-être même le cours des choses à une plus grande échelle. Beaucoup de choses vont changer à l’avenir, et il est temps qu’elle cesse de se voiler la face. Elle ne sera jamais une femme comme les autres, et elle ne sera jamais une héroïne non plus. Elle n’a rien d’une Diana Prince ou d’une Zatanna Zatara. Et à vrai dire, elle est lassée d’étouffer sa part de ténèbres. « Je ne suis pas pleine de surprises. Je suis juste fatiguée. Épuisée d’essayer de nager à contre-courant. » Elle hausse les épaules, avec une désinvolture qui se voudrait feinte mais qui apparaît bien trop sincère. Elle fronce les sourcils aux paroles du souverain, se rapproche d’un pas hésitant. « Mes pouvoirs ? Leur nature ? Je ne suis pas certaine de les comprendre moi-même, alors je ne sais pas comment vous pourriez… » Rosie secoue la tête avant de soupirer longuement. Rien n’est impossible, et certainement pas pour le champion millénaire des Netjers. Elle se mord l’intérieur de la joue avant de marcher avec lui, comme il l’invite à le faire. C’est drôle. Elle pourrait se sentir minuscule et insignifiante à côté de lui, mais ce n’est pas le cas. Elle ne se sent pas le moins du monde menacée. Elle n’ignore pourtant pas qui est Black Adam, elle a lu plus d’un dossier à son sujet, et pas un seul d’entre eux ne l’a laissée indifférente. Mais étrangement, elle s’en moque. Elle a appris à se méfier des apparences, tout comme des récits et autres rapports d’Amanda Waller et des Américains. Et puis elle ne s’est jamais sentie chez elle nulle-part. Même avec Lucian… John la laisserait certainement rester à la Maison des Mystères si elle le lui demandait, mais ce n’est pas ce qu’elle recherche. Il y a une petite voix dans sa tête qui lui dit que, peut-être, le Kahndaq saura l’accueillir comme aucun autre endroit auparavant.

Bras croisés sous sa poitrine, Rosie écoute le souverain s’exprimer sans l’interrompre, malgré les pensées qui bouillonnent dans son esprit. D’un coup, elle a un millier de choses à dire, elle d’ordinaire si discrète et si silencieuse. Lorsqu’il a terminé, elle lui adresse un sourire timide. « Vous ne pouvez pas être pire qu’Amanda Waller. » Derrière son sourire, le ton de sa voix est froid et dur. « C’est un compliment. Cette femme est monstre. Vous savez, je vous ai observé autant que vous m’avez observée. Je suis télépathe et empathe. Mais je n’ai pas eu besoin de lire dans vos pensées pour me faire une idée sur votre personne. On peut vous reprocher bien des choses mais au moins, vous êtes honnête. Avec votre peuple, avec vos alliés comme vos ennemis et surtout, avec vous-même. Je ne suis personne pour juger de votre politique. Et puis, franchement, quand les critiques viennent des États-Unis… Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » Une nouvelle fois, elle hausse les épaules. Et puis elle lève une main pour protéger ses yeux en même temps qu’elle regarde les hommes-faucons dans le ciel du Kahndaq – elle n’a pas retenu leur nom, ni même le rôle qu’ils jouent dans le royaume. Pas encore, du moins. « Amanda Waller ne me fait plus peur. Plus personne ne me fait peur. » Affirmation audacieuse pour la petite sorcière scandinave qui fait face à un dieu vivant. « Je suis orpheline, mes parents sont morts brûlés vifs. J’ai été emprisonnée la moitié de ma vie, traitée comme une erreur de la nature et malmenée de toutes les façons possibles et imaginables. J’ai été la marionnette de la femme la plus dangereuse de la planète, un pantin sans libre arbitre ni volonté. J’ai sacrifié mon unique famille pour sauver un monde qui peut-être ne le méritait pas. J’ai littéralement traversé l’enfer pour aller récupérer ladite famille et allez savoir, peut-être bien que j’y ai laissé un bout de mon âme. Je me suis tuée pour sauver quelqu’un qui m’était cher et j’ai été ressuscitée. Et il y a quelques jours, j’ai dû tuer mon double de mes propres mains. Ajoutez à ça le panthéon qui se dispute sans cesse à l’intérieur de ma tête et peut-être, peut-être que vous réussirez à vous faire une petite idée de ma vie jusqu’à ce stade. » Un petit rire la secoue. Dit comme ça, le résumé de sa vie n’est rien de plus qu’une désastreuse aventure dont elle est le triste protagoniste principal. Sauf que voilà, elle ne veut plus être un petit caillou ballotté par un courant trop fort pour elle.

« J’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Beaucoup de pouvoirs à découvrir. Aidez-moi. Apprenez-moi. En retour, je vous aiderai à protéger votre royaume et votre peuple. La nature de ma magie est unique au monde, et je suis la dernière à pouvoir la maîtriser. Je peux mettre tout un panthéon à votre disposition. Je peux faire des monstres les plus dangereux les gardiens de vos portes. Si vous m’aidez. Si vous promettez de ne jamais ni me mentir, ni me manipuler. Je ne serai plus jamais le pion de qui que ce soit. » Ce n’est sans doute pas de cette façon que ses sujets s’adressent à Black Adam, mais Rosie n’en est pas un. Ou du moins, pas encore, et elle préfère être honnête et franche tant qu’elle en a encore le courage. Elle tend la main au champion ; sa paume luisant d’une lueur écarlate tandis qu’une rune scintille en son creux. « Je suis une sorcière, la dernière des Völur, la seule Völva à encore respirer. Et après tout ce que j’ai sacrifié, j’estime enfin avoir le droit au respect. Ce sont mes seules conditions. Si elles vous conviennent, vous aurez ma loyauté. Je ne serai pas une adoratrice aveugle et bien obéissante, mais je serai votre alliée aussi longtemps que vous voudrez de moi. Mais pas de chaînes. »

Un vent nouveau souffle sur les sables du Kahndaq. Au cœur de la capitale, dans le palais de Shiruta, les Netjers marchent à la rencontre des Asgardiens, le froid nordique percute la chaleur étouffante du désert. Deux univers, deux dimensions qui ne s’étaient plus croisées depuis des millénaires. A quand remontait la dernière fois qu’un représentant des dieux nordiques avait siégé au Conseil de l’Eternité ? Aujourd’hui, ces mêmes sièges sont occupés par Billy Batson et sa famille, et la magie, les dieux, gisent morcelés à travers le monde, se réfugient aussi loin des affaires des hommes qu’il est possible de le faire, et n’acceptent plus de se manifester si ce n’est à travers d’humbles êtres humains choisis pour porter cette difficile mission. Völva, champions, ils portent tous des noms différents ; mais c’est à travers eux, poignée d’élus, que la magie persiste. Le fardeau est parfois lourd à porter. Sigrid, visiblement, en est le parfait exemple – écrasée, recrachée dans un monde qui a perdu tout respect, toute révérence pour la puissance qu’elle aurait dû représenter. Quelle honte, songe-t-il, comme à chaque fois, comme chaque jour qu’il contemple la déchéance dans laquelle ce monde prétendument moderne s’est enfoncé. Les êtres comme Sigrid ne devraient pas être de ceux que l’on écrase, que l’on exploite, que l’on presse jusqu’à ce qu’ils ne brisent sous la pression. Les êtres comme elle devraient être de ceux qui édictent les règles, de ceux qui sont révérés et célébrés, comme les protecteurs du monde qu’ils ont toujours eu à vocation d’être.

Mais son calvaire s’achève ici. Sous le haut soleil du Kahndaq, sous l’œil attentif d’Aton et d’Horus, Black Adam baisse les yeux sur la main tendue vers lui. Un panthéon vers un autre. Un pont entre deux univers, une première réconciliation entre deux champions séparés par des millénaires  de schisme. Les yeux, noirs et profonds, de Black Adam se dardent à nouveau sur son interlocutrice. C’est à lui qu’elle s’en remet, désormais ; vers lui qu’elle se tourne, et vers le Kahndaq, terre promise, terre de renaissance, pour elle comme pour tant d’autres, pour elle peut-être plus que pour tous les autres. Sa présence n’est pas un hasard, Adam en est désormais persuadé. Destin, fatalité, qu’importe le nom que l’on choisit d’assigner au phénomène. La puissance qui émane d’elle, vibrante, juste là, sous la surface, ne trouvera jamais plus grand écho qu’ici, dans ces déserts millénaires, derniers bastions où la magie a réellement sa place sur cette terre à la dérive. A une condition. Pas de mensonges. Pas de manipulation. Pas de chaînes. Dans la poitrine de Black Adam, ses exigences résonnent comme un écho vieux de plus de trois millénaires. Plus de chaînes. Oh, si seulement elle pouvait réaliser, en cet instant, à quel point ils étaient tous les deux taillés de la même roche. Plus de chaînes. Rien de moins que la liberté, et qu’importe le prix à payer, puisqu’il n’y a rien de plus précieux dans ce monde que cela – la liberté, sans chaînes ni entraves, ni fouets ni maîtres.

A son tour, Black Adam tend la main – et sa paume crépite d’étincelles dorées, le pouvoir d’Aton irradiant à travers sa foudre, jusqu’à rencontrer la paume de Sigrid. La rune et l’éclair se rencontrent, se mêlent l’un à l’autre ; une onde magique explose entre eux, qu’ils sont seuls à ressentir, puissante, vibrante, sans compromis. Un pacte, un serment, des retrouvailles. « Je n’ai pas besoin d’adorateurs, Sigrid. Suis-moi de ta volonté propre. Parce que tu le veux, parce que tu sais que c’est ainsi que toi et ce royaume ne retomberez jamais sous le joug des tyrans. Prête-moi ta puissance, et je te prêterai la mienne, et bien plus encore. Tes jours sous le joug des autres sont derrière toi. Ici, tu es libre. » déclare-t-il, solennel, scellant son serment par leurs magies entremêlées. Plus jamais de chaînes. Pas tant qu’il vivra, pas tant qu’elle et ce pays seront sous sa protection.

« Sigrid. Bienvenue au Kahndaq. »

AVENGEDINCHAINS