WHEN WAS I LAST HOME - Bat & Cat

When was I last home

La réunion familiale était terminée. Le silence était retombé dans la Batcave. Le maître des lieux, revenu d'outre-tombe, n'était déjà plus là non plus. Il n'avait pas attendu le retour d'Alfred avec un nouveau plateau de victuailles pour disparaître comme il savait si bien le faire : comme une ombre. Il n'aurait pas eu à le faire si elle était venue.

Mais non, il fallait que telle la féline qu'elle était, elle refuse toute invitation même indirecte (ses actions de justiciers étaient sur tous les réseaux sociaux depuis cette nuit où il avait implacablement frappé dans toute la ville pour signaler son retour, avant de revenir à la Batcave), et qu'elle se fasse désirer. Bruce aurait aimé que cela soit cette explication simple, comme autrefois. Mais cette absence, ce soir, lui avait fait comprendre que quelque chose clochait.



Il devait en avoir le coeur net, c'était bien pour cette raison qu'il avait déjà retrouvé les toits de Gotham sous son masque sombre. Retrouver la meilleure voleuse et anguille de tous les temps était toujours compliqué, mais il pratiquait ce sport extrême depuis assez d'années pour savoir comment procéder, heureusement. Après tout, c'était sa femme. Il avait vérifié les derniers agissements de Catwoman sur le bat-ordinateur, avant de s'éclipser.

A son grand désarroi, elle avait replongé, plus profondément encore que dans les derniers temps de leur mariage avant sa "mort", dans les affres de la criminalité. Elle prenait bien plus de risques que nécessaires. Attirée par l'adrénaline du crime, des vols, des combats, comme un aimant maudit que le Chevalier s'était toujours désespéré de briser un jour. En vain. Même quand tout allait bien entre eux, elle avait fini par resombrer. Que dire une fois qu'il n'était plus là. Il n'en était pas surpris, juste déçu, et amer.

Cela ne faisait que relancer les doutes les plus douloureux quant à la possibilité d'une relation entre eux, autant opposés sur l'échiquier de la justice, et ce malgré ses progrès au moins pour combattre le crime entre deux cambriolages. Cela ne suffisait pas à empêcher les haussements de tons, les paroles hargneuses, les mots dépassant les pensées, aussi, dans la colère.

Ils ne s'étaient pas quittés en bon terme, mais pour le milliardaire, ils étaient toujours ensemble. C'était simplement à eux de se réconcilier, comme n'importe quel couple marié quelque peu tumultueux. Après un an sans la voir, Bruce ne voulait que la savoir en vie, en bonne santé, et trouver les mots pour lui parler de nouveau. Bien sûr entre sa volonté, et ce qui franchirait ses lèvres, il y aurait sans nul doute un fossé assez grand, creusé par son légendaire tact quasi inexistant.



Il l'avait retrouvée, bien sûr. Il la retrouvait toujours. Et inversement. La silhouette féline esseulée sur le rebord du toit, un peu plus loin de celui où il avait atterri, ne pourrait le tromper pour rien au monde. Le battement de coeur qui rata son coche l'espace d'une fraction de seconde suffisait à tourmenter le Chevalier Noir sur son incapacité à rester neutre face à cette femme. Sa femme. Il l'observa, jusqu'à ce qu'elle se relève. Elle allait bientôt frapper. Cambrioler ou sauver les convoyeurs ? Les deux ?

Il quitta sa position, toujours aussi furtif qu'un courant d'air, pour rejoindre le même toit qu'elle, se cachant dans les recoins des cages externes d'escaliers et des énormes tuyaux d'échappement qui s'y trouvaient et offraient un peu plus d'ombre à une nuit déjà bien noire. Il s'était à peine laissé percevoir pour la stopper dans son élan et l'intriguer, au moins quelques secondes. Ce serait mentir que de dire que le justicier ne jouait pas un petit peu, au fond. Comme avant.

Mais la première raison restait qu'il ne l'avait pas vue depuis si longtemps, qu'il voulait profiter de ce moment. La regarder, toujours aussi superbement farouche, à intimer à l'intrus de l'ombre qu'il était de se montrer, à le menacer. Elle n'avait pas changé. Ne changerait jamais. Il l'aimait tellement. Et elle lui avait tant manqué.

La seconde raison était qu'il avait peur. Lui qui implantait cette cruelle émotion de terreur chez ses ennemis, avait peur, à présent qu'il l'avait retrouvée et la voyait à quelques mètres. A présent qu'il entendait sa voix, écho de bien des murmures tantôt sensuels, tantôt doucereux au creux de ses oreilles, autrefois. Tant de poursuites, tant d'étreintes, tant de regards croisés, perdus, silencieux, mais si parlants. Autant de moments heureux, rares dans sa vie, qu'il craignait d'avoir été les derniers. La confronter enfin, ce soir, c'était s'exposer à ce "quelque chose qui clochait" et dont il ignorait encore l'ampleur de la cruauté, pour tous les deux. La peur de l'abandon était une vieille blessure chez Bruce, forgée dans une ruelle sombre un soir d'opéra.



"Tu comptes empêcher ce cambriolage de Falcone... ou le mener toi-même...?" Voix caverneuse, profonde, émanant des ombres, pour une question somme toute rhétorique tant il connaissait déjà la réponse destructrice pour leur couple. Elle ferait sûrement les deux. Immobile et invisible jusqu'alors, le Chevalier Noir sortit enfin des ténèbres qui l'avaient protégé. Quelques pas à peine révélant sa silhouette massive, stoïque. Toujours aussi théâtralement cryptique. "Tu n'es pas venue..." Simple constat. Qu'elle ne se soit pas montrée à la réunion de la Batfam était acceptable, voire correspondait au fond à son tempérament.

Mais Bruce avait espéré la voir apparaître une fois tous les autres partis, dans la Batcave, ou par la fenêtre de leur chambre à coucher, qu'importe. Se retrouver seuls tous les deux, ne serait-ce que pour parler, crever l'abcès, se réapprendre aussi, après un an de séparation. Peut-être avait-elle cru à un imposteur dans le costume du Chevalier Noir, ou un Robin reprenant le flambeau. Peut-être même n'avait-elle rien su de tout ce chambardement frais de quelques heures à peine, concentrée sur ses larcins nocturnes.

Il refit un pas, puis deux, avant de s'arrêter face à elle, en gardant un mètre tout de même de distance. Il préférait tenter d'éviter le coup de griffe en plein visage. Il avait déjà bien des fois arboré une griffure sur la joue ou la mâchoire par le passé. Il ne savait pas ce qu'elle ressentait pour lui. Haine, colère, soulagement... ou indifférence. Il priait que ce ne soit pas la dernière. Tout sauf ça. Son regard ne quittait pas ses pupilles émeraudes, cherchant toute information sur l'état de ses sentiments pour lui.

"Après tout ce temps, j'aurais aimé ne pas te retrouver de cette manière, Cat... Mais tu te doutes que je ne peux pas laisser ces hommes en danger, ni te laisser embarquer ces oeuvres pour ton compte... surtout quand tu peux les acheter pour notre collection au Manoir le plus légalement du monde." Amertume. Agacement. Ceux qui le connaissaient savaient cerner ces nuances dans le ton pourtant monocorde de sa voix. Un rappel aussi sur le fait qu'ils étaient mariés, et ça malgré leur dernière dispute, au cas où elle l'aurait oublié.

Sa malédiction persistait : lui qui avait voulu la trouver pour lui parler et renouer, n'avait réussi à qu'à balancer une salve de reproches à peine arrivé, au lieu de lui exprimer la vérité. A savoir qu'il n'avait eu de cesse de penser à elle tout ce temps, pour tenir. Pour la retrouver. Elle avait été le pilier de sa détermination à lutter, là-bas.

Il était probablement le plus grand observateur et enquêteur de ce monde, et pourtant en cet instant, il ne pouvait se résoudre à quitter son regard. Sinon, il l'aurait perçu, l'absence de légère ondulation sous le gant griffu, à l'annulaire gauche de son épouse. Ex-épouse.

When was I last home

Bruce avait merdé. Il s'en rendit compte à l'exact moment où son dernier mot avait franchi ses lèvres et qu'il avait pu lire en temps réel les moindres réactions, physiques comme verbales, de celle qui était, pensait-il, toujours sa femme. Il n'avait jamais été bon socialement, hormis pour feindre d'être un playboy milliardaire irresponsable sous son identité civile, lorsque cette comédie servait encore autrefois, mais au final, même ce mensonge urbain dévoilait son inadaptation sociale profonde.

Même le playboy milliardaire ne s'était jamais fait de vrais amis, seulement des connaissances de fêtes mondaines, et des conquêtes à n'en plus finir dont il ne retenait même pas le nom. Bruce ne se liait pas, et les rares fois où il y parvenait, c'était presque par accident, et le plus maladroitement du monde. C'était souvent davantage la persévérance des autres que ses efforts qui permettaient de nouer une relation, au final.

Avec Selina, cela avait toujours été différent. L'attraction avait été immédiate, brute, sans faux-semblants, bien malgré lui d'ailleurs. Elle était devenue l'une des personnes qui le connaissait le plus au monde, et inversement. Et pourtant en cet instant, ils étaient comme deux étrangers. L'isolement sur cette planète avait été plus destructeur que Bruce ne voulait l'admettre pour lui-même. Il se détesta de ressentir ce soulagement cruel qui l'envahit en sachant qu'elle aussi avait souffert de son absence. Il se haïssait, oui, parce qu'en parallèle, il voulait tout sauf la voir souffrir, et cette schizophrénie n'aidait pas à atténuer son dégoût de lui-même.

"...Un an, Bruce. Une longue année. Et c'est tout ce que tu trouves à me dire." Pourquoi fallait-il toujours qu'il blesse les gens pour tester leur lien à son égard. Pourquoi. Aussitôt, les remords. "Selina je..." Il voulut rattraper sa faute, avancer vers elle, mais la détonation brisa tout élan. En un éclair elle disparut dans le vide. "Cat atte..." Trop tard. Grognement agacé. Fait chier. Il plongea à sa suite en parfait piqué, déployant sa cape sombre dans les derniers mètres seulement pour mieux fondre sur le premier malfrat en visuel, le plaquant si brutalement au sol qu'il en fut assommé face écrasée contre le bitume.



"Merde à couvert, c'est Catwoman et... et Batman ?! Ca peut pas être le vrai ! Ca peut pas être Way..." Pivotement rapide, trois batarangs lancés dans la rotation, trois ennemis désarmés et pris de court dont l'insolent parleur. Bruce détestait entendre sa vraie identité à la place de son alter-ego, aussi fut-il sans pitié. Sans parler de la colère contre lui-même pour ces retrouvailles complètement brisées par sa faute. Le combat s'engagea totalement. Esquive d'un coup, pas en arrière, contre-attaque, son dos rencontra le sien. Frisson. "Cat... il faut qu'on parle." Dans le chaos de l'affrontement, un homme de Falcone sortit un lance-flamme du coffre de sa voiture. Bruce réagit aussitôt, vrillant sur lui-même en saisissant sa coéquipière du soir, et partenaire de vie, cape brandie autour d'elle et lui pour encaisser les flammes projetées droit sur eux.

Elle contre lui et leurs visages rapprochés, c'est tout son être qui s'ébranla l'espace d'un instant, happé par ses pupilles émeraudes et perçantes, enivré par son parfum si longtemps réduit à l'état de souvenir. L'envie de l'embrasser fut aussi violente que la situation autour d'eux, tant il avait rêvé de la revoir plus que toute autre chose depuis un an. Mais il se retint. "Ne t'enfuis pas... s'il te plaît..." Sous-entendu, qu'elle ne disparaisse pas une fois cette intervention finie, à cause de ses paroles glaciales. Il faut vraiment qu'on parle. Dire qu'il s'était mal exprimé, qu'il était désolé, était au-dessus de ses moyens en l'instant, déjà peu loquace au naturel et encore davantage en "public", surtout criminel.

La salve de flammes terminée il la libéra et bondit sur l'individu pour le neutraliser à son tour, la laissant agir de son côté contre le reste de la bande avec toute la grâce violente dont elle était capable. "Couvre-moi le temps que je mette le blessé à l'abri," lui dit-il après avoir protégé le convoyeur touché par balles pour le prendre avec lui et l'éloigner. Il alla le mettre à l'abri plus loin, comptant sur l'arrivée prochaine des secours.

Deux 4x4 déboulèrent à l'angle de la rue pour freiner sèchement non loin et permettre aux survivants de grimper à bord en catastrophe avant de fuir en trombe. Sauf qu'ils avaient pris un otage avec eux. Bruce termina précipitamment de vaporiser le gel anti-coagulant sur la plaie du convoyeur, sachant que sa femme n'allait pas laisser les malfrats partir avec l'otage. Il ne pouvait la laisser partir seule à leur suite, moins par peur qu'elle ne soit blessée - il fallait davantage que des criminels de seconde zone pour avoir celle qu'il aimait - que par peur qu'elle s'éloigne et ne disparaisse bel et bien une fois l'otage sauvé loin de lui.

Le justicier se redressa et eut à peine le temps de voir les 4x4 disparaître au bout de la rue. Selina n'était déjà plus là. Bon sang. Une pression sur le pad tactile de son avant-bras et ce fut la batmobile, monstre futuriste de métal, qui vrombit non loin vers son maître. Elle n'eut pas à ralentir, ce dernier bondissant agilement à l'intérieur sur son passage pour entreprendre de rattraper les criminels... et sa femme. Etait-elle partie en raccourci par les toits, ou agrippée sur l'un des camions ? Il n'allait pas tarder à le découvrir. Tout en se maudissant mille fois en chemin pour sa stupidité précédente sur les toits, il accéléra, refusant la possibilité d'arriver trop tard, de trouver les 4x4 neutralisés, l'otage sauvé, et Cat disparue des radars pour le fuir et lui faire payer sa froideur. Hors de question.

When was I last home

Qu'on parle de quoi, Bat ? De tout. De bien trop de choses que Bruce ne savait malheureusement exprimer, surtout pas en de telles circonstances. Ce n'était pas faute de laisser ses iris sombres trahir son chaos intérieur, cette passion silencieuse qui l'animait dès qu'il se retrouvait en sa présence. Ces sentiments qui l'avaient tenu éveillé, survivant, pendant plus de quatre cent jours à l'autre bout de l'univers. Dans un monde idéal, le seul contact de sa main sur son torse en cet instant, sous le feu des balles et celui des flammes, aurait suffit à lui faire voler un baiser tout aussi brûlant, pour la seule raison de l'avoir enfin retrouvée.

Mais le combat les sépara, Bruce alla s'occuper du blessé. Et elle disparut à la poursuite des fuyards et de l'otage. La Batmobile lui permit de les rattraper, une fois le convoyeur stabilisé et les autres menottés pour l'arrivée des autorités en chemin. La Chauve-souris traça à travers les rues, le radar traquant les véhicules ennemis et lui permettant de prendre des raccourcis pour récupérer son retard, inquiet autant pour l'otage que par l'éventualité que Selina ne s'évapore sans qu'il n'ait pu réparer son erreur. Quel idiot de l'avoir agressée d'office sur ses activités criminelles.

Il passa la Batmobile en mode furtif, toutes lumières et bruits éteints, et gara le monstre ténébreux dans une ruelle adjacente sans attirer l'attention après avoir repéré la zone d'arrêt des voleurs. Il usa de l'éjection du siège pour se propulser dans les airs et atteindre rapidement les toits, s'y posant en planant sans un bruit jusqu'à la féline déjà en poste d'observation dans l'ombre.

Il observa à son tour rapidement la rue en contrebas où ils déchargeaient leur butin, mais voulut tout autant lui parler, ne serait-ce que pour lui faire comprendre qu'elle devait rester, après tout ça. Lui laisser une chance de s'expliquer, sur sa maladresse comme sur cette année passée. Sauf qu'elle prit les devants et parla la première. Méthodique, stratégique sur la situation. Une façon de maintenir la distance entre eux désormais, au profit de leur mission du soir. Encore raté, Bruce.

Il garda le silence et l'écouta. Elle était bien informée, comme toujours dans ce genre de situations où elle excellait d'ailleurs. Au fil de ses paroles, le Chevalier Noir perçut où elle allait en venir et se crispa imperceptiblement, jusqu'à ce qu'elle formule à haute voix l'impasse de leur situation. La laisser garder les oeuvres pour éviter un drame. Elle ne changerait jamais. Il se crut revenu un an en arrière. Il saisit l'amertume à peine cachée dans ses derniers mots sur les gothamites.

"Ou on pourrait simplement détruire ces copies et ces armes..." rétorqua-t-il, agressif en retour malgré lui. Attaqué, il attaquait, quand bien même était-il partiellement en tort. Mais il ne l'était pas entièrement à ses yeux. Il ne comprenait pas pourquoi elle persistait à agir ainsi. Il saisit le haut de son bras pour l'empêcher de quitter le rebord et l'amener à le regarder dans les yeux, son visage tout près du sien.

"Cat, pourquoi tu fais ça... ce sont des copies, tu viens de le dire, pourquoi t'acharner à les voler ? Pour les revendre et escroquer quelqu'un d'autre ? Tu es ma femme, tu es déjà riche, et quand bien même ces tableaux seraient des vrais, pourquoi continuer ? Si c'est l'adrénaline qui te manque, combattre le crime pourrait te suffire sans avoir à voler, sans avoir à... à nous infliger ça..."

Le milliardaire était devenu plus hargneux au fil de ses paroles, submergé par l'incompréhension qui datait déjà d'avant sa disparition. Echo amer de leurs disputes sur les activités de la féline, au nez et à la barbe de son propre mari névrosé de justice. Etaient-ils à jamais incompatibles, quoi qu'ils fassent ? Au fond, c'était contre leurs destinées brisées qu'il était furieux. Condamnés à ne jamais être heureux ensemble, il fallait croire.

Nouveau tir. Cette distraction personnelle entre eux, tous ces non-dits et ces rages intérieures l'un envers l'autre, lui faisait perdre sa prescience naturelle pour anticiper les attaques. La balle frôla le visage de Selina et le coeur de Bruce manqua un battement, avant de reprendre sous un sursaut brutal de colère. Elle lui donna un ordre et s'échappa de nouveau pour plonger dans l'action. Il grogna et n'eut d'autre choix que d'agir comme elle avait dit, afin d'être coordonnés. Paradoxalement, il ne pouvait s'empêcher de l'aimer pour cette fougue indomptable qui était la sienne, ce qui n'aidait en rien à leur situation déjà compliquée.

Il disparut sur un autre toit pour échapper à la vue des tireurs, et les repérer en retour. Les batarangs fusèrent peu après, cisaillant leurs poignets pour leurs faire lâcher leurs armes, du moins ceux à portée. Il laissait les embusqués à Selina, passée de l'autre côté. Cette distraction lui avait suffit pour pouvoir s'engouffrer par la fenêtre de ce vieil immeuble de briques rouges.

A peine le sol atteint dans une roulade qu'il bondit sur le premier ennemi visible et engagea le combat pour neutraliser le second brutalement mais furtivement, implacable. Une fois fait il activa sa vision thermique pour observer à travers le sol et compter les criminels restants dans les étages inférieurs et le sous-sol. Il essaya de repérer la silhouette de l'otage, qui serait probablement immobile ou dans une position de capture reconnaissable au milieu des autres en train de décharger les conteneurs d'oeuvres d'arts, et donc d'armements. Selina progressait de son côté, tous deux tels des étaux inarrêtables.

Une fois leurs positions déterminées, le Chevalier Noir s'agenouilla à un endroit stratégique, et attendit le bon moment pour faire exploser le sol autour de lui. Il tomba en plein milieu des malfrats dans un effet de surprise chaotique et dévastateur, et se lança dans le combat avec toute la violence dont il était capable, clairement aidé par sa frustration quant à ses retrouvailles foirées avec celle qu'il aimait. Elle se battait à quelques mètres de là, dans la rue du déchargement.

Entre deux os fracturés par ses frappes, le justicier ne cessait d'osciller dans ses décisions : la laisser partir avec les oeuvres comme elle le demandait, en se montrant indulgent et pour se faire aussi indirectement pardonner et apaiser leurs tensions jusqu'à leur prochaine rencontre... ou persister lui aussi à être qui il était et l'empêcher jusqu'au bout de parvenir à ses fins de mi-héroïne, mi-criminelle... mais donc criminelle quand même. Dans les deux cas, sa conscience ne serait pas en paix et il le savait.

When was I last home

Le justicier avait trouvé la salle de stockage et neutralisé les criminels. Il entreprit ensuite de scanner la pièce, méthodique, malgré le volcan intérieur qui l'habitait. Il n'y avait bien qu'elle pour le plonger dans de tels tourments. "Je n'ai pas volontairement disparu, si j'avais pu te contacter et revenir je l'aurais fait." Grognement. Indignation rauque. A peine l'avait-il entendue arriver dans la pièce qu'il n'avait pu s'empêcher de lui répondre, refusant de la laisser croire qu'il avait feint sa mort pour ses propres plans en toute connaissance de cause sans se soucier de les blesser. Ce qui était faux.

"Je ne suis plus ta femme, Bruce." Couperet tranchant. Imprévisible. Comme une griffure féline. Approprié. Les données qui apparaissaient devant les rétines de Bruce via son masque, continuèrent de défiler, mais il ne les voyait plus. Elle continua, sa voix d'autant plus douce au lieu de la colère d'avant, le désarma un peu plus.

Son regard glissa malgré lui sur la silhouette féminine, hautement élégante et sensuelle, qui ramassait le cadre pour l'admirer, avec une nonchalance effrontée aussi cruelle que les paroles énoncées juste avant. Elle était terriblement belle. Et lui terriblement amoureux, plus passionné encore après tant de mois loin d'elle à avoir craint de la retrouver morte, sur une Terre dévastée par Brainiac. Mais la tétanie de cette révélation le clouait sur place. Cette femme qu'il voyait, qui lui parlait, n'était plus la sienne. Peut-être même ne l'aimait-elle plus, après tout ce temps et un deuil imposé. Peut-être avait-elle tourné la page.

Elle avait eu de bonnes raisons de divorcer - car c'était bien de cela qu'il s'agissait - mais le mari - ex-mari - n'entendait qu'à moitié. Coeur brisé, ego malmené, rien n'allait. Mentait-elle pour jouer avec ses nerfs ? C'était tout aussi possible. Elle revint vers lui pour le confronter de ses yeux émeraudes. Colère et désir. Qu'il pouvait détester cette emprise qu'elle avait sur lui parfois.

Il voulait parler mais n'y arrivait pas, masse de muscle immobile, mais à la tension perceptible. Tout ce qui avait pris des années à construire avec elle... balayé en quelques mois, en un exil, en une signature sur des papiers. Bruce était furieux envers elle, envers lui, envers le destin qui les séparait, qui lui ôtait le peu de joie et de bonheur qu'il était parvenu à saisir.

Mais il était surtout blessé qu'elle n'ait pas daigné garder son nom, honorer leur union, leur mariage, même après sa mort. Blessé qu'elle eut préféré retomber si aisément dans le passé, comme criminelle-justicière, comme si rien de leur amour n'avait eu d'impact sur elle et sur ses choix de vie, alors même qu'elle savait combien la justice importait pour lui. Blessé que tout les sépare, malgré leur amour.

Et comme à chaque fois qu'il sentait sa force de caractère d'ordinaire légendaire, craqueler face à elle, il se mura dans un silence défensif, sombre, pesant. "On doit retrouver cet otage. Sa famille n'est pas obligée de subir le même schéma que le nôtre." Il ne dit rien, ce qui valut acquiescement. Par chance, des bruits au-dessus le sauva de cette situation tendue. Des cris.

Réflexe immédiat. Bruce saisit Selina par l'avant-bras et se plaça avec elle sous le trou qu'il avait causé précédemment avec ses explosifs contrôlés pour descendre. Il tendit son grappin et les emporta tout deux agilement par ce biais à l'étage supérieur avant de la lâcher. Eviter tout contact prolongé pour rester concentré, c'était la clef, là de suite, tant il ne savait pas s'il avait envie de cogner son poing dans le mur le plus proche ou l'embrasser. Probablement les deux.

Ils grimpèrent dans les étages en suivant le bruit et les cris étouffés par des frappes perceptibles, jusqu'à arriver sur le toit. "N'APPROCHEZ PAS OU JE BUTE CET ENFOIRE ! LAISSEZ-MOI PARTIR ET JE LE LAISSERAI VIVRE ! RECULEZ ! DISPARAISSEZ D'ICI !" Le Chevalier Noir plissa ses yeux blancs sur le criminel, qui tenait l'otage par la veste penché au-dessus du vide. Le criminel était seul, paniqué, acculé. Donc, dangereux, pour l'otage. Habitué, Bruce analysa la situation et en une fraction de seconde le batarang fendit l'air sans prévenir pour cisailler la main du criminel et laisser l'otage tomber volontairement. Il avait bondit en suivant par-dessus l'ennemi, pour plonger dans le vide et fondre sur le convoyeur innocent. Mieux valait maitriser la menace que d'attendre qu'elle se déclenche d'elle-même.

Son dos s'écrasa sur le toit de la voiture, la carrosserie ployant sous l'impact. L'armure encaissa pour lui et l'otage, protégé grâce à sa vrille aérienne in extremis. La courte distance de cet immeuble de quelques étages à peine ne lui avait pas permis d'user du grappin. Il grogna mais n'avait rien. Une fois l'otage sur le trottoir et sa santé vérifiée, le milliardaire retrouva le toit d'un coup de grapin, atterrissant telle une ombre. Il savait que Selina avait eu tout le loisir de s'occuper du kidnappeur infortuné.

Cette intervention terminée, tout son être était tourné vers elle, désormais, et le tumulte associé par ces retrouvailles et révélations. Où qu'elle soit partie, sur ce toit ou un autre, il la rattrapa assez pour que sa voix grave puisse l'interpeller.

"Elle appartenait à ma mère." Il rompait enfin son mutisme, depuis l'annonce. Et il savait que ces mots empêcheraient Selina de lui tourner le dos plus longtemps, voire de le fuir, à présent que leur duo de ce soir n'avait plus d'autre raison d'être que de se confronter ouvertement. Peut-être n'avait-elle jamais eu l'intention de fuir, mais Bruce n'en savait rien, et il doutait toujours, au fond, de son attitude, tant même mariés elle était restée elle-même, à savoir indépendante, et imprévisible. "La bague." Précision qu'il savait inutile. Il parlait de l'alliance, bien sûr, qu'il lui avait offerte. Un bijou précieux, sentimental, symbolique plus que tout autre. Témoignage tangible de l'amour sincère qu'il avait pour elle et aucune autre.

Sous-entendu aussi, qu'il voulait la récupérer, cette bague, à présent qu'il se savait divorcé malgré lui. Est-ce que Bruce était cruel ? Jamais envers des inconnus, même ennemis. Il appliquait une stricte et violente justice, mais impersonnelle. Il déversait sa rage avec la même vigueur tant sur les malfrats du quotidien que les plus grands criminels mondiaux. Mais pour ses proches, il était une douleur qui s'infligeait à eux, bien plus insidieuse. Parfois involontairement, et parfois non. Elle lui avait fait mal. Il lui faisait mal. Il se faisait mal. Sa malédiction.

"Je ne t'en veux pas, Cat." Si. Définitivement si. A elle comme au monde entier qui les séparait. Il fit quelques pas, sa cape autour de lui, voile stoïque se confondant dans la nuit. "Mon identité révélée, nos différends... visiblement irréconciliables... ça vaut mieux ainsi... nous en serions arrivés là de toute manière..." Voix grave. Lasse. Pour cacher sa hargne. Son identité révélée la mettait en danger. Faire le lien entre la femme de Bruce Wayne, désormais Batman, et Catwoman, tous deux roucoulant auparavant sur les toits entre deux sauvetages dans le plus grand anonymat, serait aisé s'ils persistaient à s'afficher ensemble en civil comme sous leurs masques.

Elle avait encore une chance de demeurer anonyme, de préserver sa double identité, s'ils restaient bel et bien séparés au moins dans l'univers civil. Si le divorce demandé par l'épouse passait pour la raison simple que son propre mari lui avait menti sur sa double vie de justicier. Outrage. Indignation. Divorce. Ils se disputaient déjà avant sa disparition, de toute façon. Celle-ci n'avait fait qu'accélérer l'inévitable. Il préférait s'en convaincre pour avoir la force de faire ce qu'il était en train de faire, à savoir tendre sa paume ouverte, en attente de la bague.

"J'aurais aimé que cela se passe autrement. J'aurais aimé ne pas te faire souffrir." Et j'aurais aimé ne pas souffrir. Ce qui s'apparentait le plus à des excuses à demi-mot, venant de lui. Mais voilà, il était revenu du bout de l'univers, pour juste la retrouver sur la brèche de la criminalité, comme avant, et pour mieux apprendre qu'elle avait divorcé durant sa "mort". Bruce était à la fois l'homme le plus résistant et résiliant au monde, capable d'endurer les pires tortures, mais il était, face à elle, l'exact opposé. Or, vulnérable, il détestait l'être. Il devait se protéger. Rentrer dans sa caverne et ne plus en sortir, ne plus la voir, pour encaisser. Réfléchir à tout ça sans le chaos de son coeur qui martelait son torse blindé comme un forcené et l'empêchait justement de penser calmement à tout cela.

Comme toujours, lorsque quelqu'un réussissait à l'atteindre réellement, Bruce se recroquevillait, se terrait, s'infligeait plus de douleur encore, persuadé d'être destiné à la solitude de sa destinée de l'ombre. Altruiste dans l'abnégation de justice de sa vocation, égoïste dans sa vie personnelle. Les mauvaises habitudes, forgées depuis l'enfance, avaient la peau dure.