Rencontre familiale [Pv : Kory Anders]

Les habitudes ont la vie dure. Du moins est-ce le cas pour certaines. En toute honnêteté, Koriand'r aurait sans doute beau faire tous les efforts du monde pour adopter l'attitude la plus humaine, à défaut de réellement et naturellement pouvoir se fondre dans la masse, il n'en demeurait pas moins que certaines de ses réactions lui semblaient comme imperméables à tout changement et à toute mutation. Ce qui relevait de l'instinct semblait comme bien plus compliqué à transformer, mais dans certaines cas, était-ce donc une si mauvaise chose que cela ? Par deux fois, elle avait été enceinte. Et si la première fois, elle ne travaillait pas, suivant plutôt des études à distance tout en passant une grande partie de ses journées devant la télé, comme pour s'imprimer de la vie sur Terre à travers toutes ces émissions de téléréalités, ces flash infos, ces documentaires, ces reportages et ces films et séries, la seconde fois, alors qu'elle attendait John, elle occupait un poste à plein temps. Et elle n'avait alors pas exactement compris pourquoi ses collègues l'incitaient à lever le pied, comme on dit. Pour elle, attendre un enfant n'avait soudainement pas fait d'elle une jeune femme fragile, qu'il fallait à tout prix ménager et qui devait donc pouvoir profiter de certains nouveaux avantages et d'aménagements spécifiques. A ses yeux, au début, elle avait même trouvé ça très insultant, sans doute parce qu'elle l'avait presque vécu comme une attaque personnelle, comme une remise en question et une remise en cause de ses capacités. Sans parler du fait qu'il était franchement révoltant, de fait, qu'on traite les femmes, le reste du temps, sans trop de ménagement et avec mesquinerie, là où, soudainement, sous prétexte qu'elles étaient enceintes, elles avaient comme enfin droit à un tant soit peu de considération et de respect. Bien évidemment, Dick avait su intervenir à temps pour tout lui expliquer, ou en tout cas avait-il tenté de lui présenter les choses sous l'angle terrien et humain et ce, sans doute, afin qu'elle évite les petits dérapages et les impairs qui auraient pu lui être fortement préjudiciables dans le cadre de cette vie si particulière et de ce contexte si tendu et si répressif. Mais ce qui l'avait également aidée, ça avait été d'avoir sa sœur aînée à ses côtés. C'était indéniable.

La vie ne les avait toutes deux pas épargnées. Mais malgré tout, malgré ce que Kory avait en effet pu endurer des mains de sa propre sœur ou en conséquence de certaines des actions, décisions et ressentiments de cette dernière, malgré tout, Komand'r demeurait son aînée. Cette sœur qui, désormais, avec elle, constituait l'effectif des seuls survivants de leur planète natale, Tamaran. Une planète qui n'était plus, les obligeant alors à devoir se trouver un nouveau chez elles. Le temps des conflits était achevé, du moins, entre elles. Elles avaient fait la paix, et le deuil, également, de ce qui avait été et de ce qui n'était plus. Se serrant désormais les coudes ici sur Terre, dans une société qui, si seulement elle savait tous d'elles, ne manquerait sûrement pas de les rejeter, ou de voir en elles des martyrs maltraitées par le régime en place. Ce que Kory ne souhaitait sans doute pas plus que sa sœur voir arriver. Car une chose les avait toujours rassemblées, en dépit des circonstances et du contexte au sein duquel elles avaient pu évoluer : ce refus d'être prises en pitié, ce refus de laisser à penser qu'elles étaient bien trop faibles et démunies pour s'en sortir. Et la jeune femme en était sure : ici, sur Terre, le moindre humain lambda qui, aux journaux télévisés, crachait sa haine des métahumains, ne pourrait jamais survivre au centième de ce que les deux sœurs avaient pu endurer, vivre et éprouver. Tout comme elle savait que viendrait un jour le temps, pour Komand'r tout comme pour elle, d'expliquer à la génération suivante un certain nombre de choses. Mar'i, John et Alyssa. Tels étaient les noms de ceux à qui elles devraient expliquer qui étaient leurs grands-parents maternels, et pourquoi ils ne pourraient jamais les rencontrer, et jamais se rendre sur la planète qui avait vu naître leurs ancêtres. Et si Kosma, telle que se faisait ici appeler Komand'r, devrait un jour expliquer à sa fille pourquoi, elle, elle avait deux mamans et pas de papa, Kory, elle, avait déjà dû prendre le temps, en compagnie de Dick, d'expliquer à Mar'i pourquoi elle n'aurait jamais la chance de connaître le moindre de ses grands-parents. Le sujet était venu naturellement, ou tout du moins les deux adultes avaient-ils tenté de l'amener le plus paisiblement possible dans la conversation, en expliquant à leur fille de qui elle tenait son prénom, et pourquoi ce dernier avait-il cette orthographe si particulière. Pourquoi elle portait le prénom de sa grand-mère paternelle, et pourquoi ses parents avaient choisi de l'orthographier à la tamaraneanne. D'une certaine façon, elles avaient choisi de se reconstituer un noyau familial, de tisser des liens, de récréer un semblant de vie normale, sans omettre qui elles étaient réellement. Ce qui poussait toujours la plus jeune des deux princesses à grandement apprécier le moindre instant passé en compagnie de son aînée.

« Tiens, mais regardez qui voilà ! » Ouvrant en grand la porte de son appartement, Kory arborait un large sourire, et adressa un regard chaleureux à Kosma. « Oui, ils sont au salon, mais Dick est au travail. Il a été appelé tôt ce matin, non sans que Mar'i ne lui promette de lui dessiner tout ce qui se sera passé en son absence ! Elle est au salon, toute à son œuvre ! » Dirigeant des yeux plein d'affection vers sa nièce, à elle aussi, elle adressa un large sourire, non sans s'attendrir face à la réaction toute timide d'Alyssa. « Tu fais ta timide, petite Princesse ? » Le ton et le vocabulaire étaient tout autant affectueux que véridique : Kory n'en démordrait jamais, mais malgré la destruction de Tamaran, elle en demeurait l'une des Princesses. La poussant à conférer à ses enfants autant qu'à sa nièce des titres autant princiers que celui qu'elle partageait également avec sa sœur. « Mais entrez donc ! J'ai essayé de faire des cookies, mais je crois qu'ils ont un peu trop cuits. John a les dents du fond qui poussent ... » Se poussant de l'encadrement pour laisser son aînée et sa nièce entrer dans le grand appartement que Dick et elle possédaient, elle ferma finalement la porte, non sans échanger un regard entendu avec sa sœur. En tant que partiellement Tamaraneans, leurs enfants avaient tendance à avoir des réactions quelque peu particulières à certains des changements qui survenaient chez eux. Et si Kory était déjà passée par là avec Mar'i, elle savait bien que ce n'était pas si évident que ça de voir votre fils avoir mal aux dents, pleurer, et manifester son particularisme, la preuve de son sang mêlé, en ayant les yeux qui viraient au vert fluo et qui avait les mains qui devenaient toutes brûlantes à force de les serrer si fort. Alors, surveiller la cuisson des cookies avait été quelque peu compliquée par le risque de voir John faire un trou dans le tapis ou dans le mur en laissant échapper une starbolt, aussi petite puisse-t-elle être.