Mera se réveille lentement, très lentement. Elle a toutes les peines du monde à s'extirper de sa léthargie pour reprendre conscience. Elle a la désagréable impression d'être dans une bulle qui la coupe du monde autour d'elle, qu'elle ne perçoit d'ailleurs pas clairement. Son cœur se met soudain à battre plus vite et elle est envahie par une violente vague de panique. Pendant un moment qui lui paraît durer une éternité, Mera ne se souvient de rien. Elle ne sait plus très bien qui elle est, où elle est, ni même ce qui lui est arrivé. Son corps est terriblement douloureux, elle aimerait pouvoir hurler de douleur mais elle est encore incapable de faire le moindre mouvement ou d'émettre le moindre son. Prisonnière de son propre corps, elle ne peut rien faire sinon attendre que l'engourdissement passe. Mais quelque chose ne va pas, elle se sent oppressée par un sentiment de peur absolument terrible. Quand elle parvient enfin à ouvrir les yeux, il lui faut plusieurs secondes pour s'habituer aux lueurs bioluminescentes autour d'elle. Peu à peu elle reprend ses esprits et reconnaît l'infirmerie du palais d'Atlantis et... Elle se souvient de tout, d'un coup. Sa captivité, Black Manta, Arthur, cette douleur abominable qui avait déchiré ses entrailles... Le bébé. Où est son bébé ? Où est son fils ? Mera redresse la tête du mieux qu'elle le peut, sans prêter la moindre attention aux personnes qui l'entourent. Son ventre... Son ventre est plat. Comme pour s'assurer que ce n'est pas une hallucination, elle porte ses mains à son abdomen. Rien. Son ventre est plat, vide, mais le moindre effleurement déclenche une souffrance à peine supportable. Mais ce n'est rien comparé à ce qu'elle ressent face à l'absence de son enfant. « Où... » Sa gorge est douloureuse, comme le reste de son corps. Son cœur menace d'exploser dans sa poitrine et elle ne peut même pas prendre de profondes inspirations pour tenter de se calmer. Autour d'elle on s'agite, sans doute que les guérisseurs lui demandent de rester calme, mais elle en est incapable, elle n'entend même pas leurs mots. Son regard paniqué finit par accrocher celui d'Arthur et sans réfléchir elle l'attrape brusquement par le bras, plantant malgré elle ses ongles dans sa peau. « Où est... Le bébé... Où est... » Parler lui fait mal et sa voix est rauque, mais Mera force les mots à franchir ses lèvres. « Où est le bébé ? Où est notre fils ? Où est mon bébé ? » Elle se souvient de ce que Black Manta lui a fait. Arthur l'avait libérée de ses chaînes, elle avait tenté de prendre la fuite pour rejoindre la sécurité de l'océan pour accoucher et le criminel s'était jeté sur elle comme une bête sauvage. Il l'avait littéralement éventrée comme un poisson et elle s'était effondrée sur la plage, le sable autour d'elle était devenu écarlate et elle avait enserré son ventre avant de perdre connaissance. Sa dernière pensée avait été pour son bébé, pour son fils... Si l'océan emporte ses larmes il ne peut rien pour empêcher les sanglots de la secouer. La panique l'envahit de plus en plus vite, elle vire à l'hystérie quand Mera essaie de se relever en poussant un hurlement déchirant. « OÙ EST MON BÉBÉ ?! OÙ EST MON BÉBÉ ?! » Elle se moque de savoir si c'est le fils d'Arthur ou celui d'Orm. Elle veut juste savoir où est son enfant. Pourquoi ne lui apporte-t-on pas ? Combien de temps est-elle restée inconsciente ? Elle ne comprend pas. Se pourrait-il que... ? Non, non, Mera refuse de penser au pire. Elle ne peut pas avoir perdu le bébé juste avant qu'il ne naisse, c'est impossible. C'est impossible, n'est-ce pas ? Arthur va la rassurer, lui dire que le bébé est quelque part dans le palais en sécurité avec une nourrice, il va lui dire que tout va bien... « Arthur, où est-il ? Où est mon bébé... ? » Ses lèvres tremblotent quand elle s'exprime. Elle refuse de prêter la moindre importance au mauvais pressentiment qui la ronge, à son instinct de mère qui hurle à l'agonie. Depuis qu'ils se connaissent, Mera n'a jamais eu aussi peur d'entendre Arthur répondre à une de ses questions. Il faut qu'il lui dise que le bébé va bien. Peu lui importe son propre sort, mais il faut qu'il lui dise que le bébé va bien.
Même si on n'avait pas la certitude de savoir si c'était le sien ou celui d'Orm son frère, Arthur Curry ne cessait d'avoir cette pensée. A vrai dire, même s'il avait été sûr qu'Orm soit le géniteur, Arthur aurait eut l'esprit envahit par la même pensée en cet instant. L'image ne cessait de revenir encore et encore comme un mauvais état de rêve éveillé qui refuse de s'arrêter : la lame dentelée de Black Manta qui s'abat sur le corps de Mera. Lui même : écorchures partout. Bras et torse. Rien à faire. Il l'avait portée inconsciente en nageant vite comme jamais il n'avait nagé dans toute sa vie nautique.
En vain.
Il était resté hébété aux côtés du corps inconscient de sa femme au palais d'Atlantis pendant que les soignants s'affairaient sur elle. La grande érudite Atlante qui présidait aux soins l'avait fait dégager de la chambre où on opérait. Elle se méfiait des regards hallucinés qu'Arthur fixait sur la scène, avec en lui cette sourde colère et cette panique qui montaient. Une trouille et une rage qui auraient suffit à alimenter toute une armée. Cette simple pensée : je vais la perdre. Et ce cauchemar : l'enfant est perdu. La grande érudite qui il y a encore un mois était ravie à l'idée d'être celle qui allait présider à l'accouchement de Mera. A être celle qui délivrerait la royale mère et héritière morale d'Atlanna pour la venue au monde du futur souverain, présidait maintenant avec émotion une opération pour sauver la vie de la xébelienne.
Il a prit la vie de mon fils.
Comme un leitmotiv qui bat dans sa tête. Arthur qui errait dans les couloirs du palais. Les notables atlantes comme les gardes s'écartaient aussitôt sur son passage. Arthur songea que ça devait se voir à sa tête. Les traits du visage déformés par le chagrin et des envies de meurtres. Il avait erré jusqu'à la salle du trône. Il était resté là assis par terre, adossé contre le trône. Seul. Il avait replié ses genoux contre sa poitrine avant de les envelopper dans ses bras. Comme pour avoir un espace rien qu'à lui où contenir la rage impuissante qui l'animait. Il se souvenait avoir pleuré. Le temps perça un trou quelque part. La grande érudite en toge et coiffe atlante traditionnelle entra avec un visage raidit par le sentiment d'avoir échouée. Ses yeux étaient aussi mort que ceux d'Arthur. Elle n'eut même pas à lui dire un seul mot pour lui signifier la chose.
Juste sa main sur son épaule.
Il insista pour voir sa femme. Son esprit lui jeta à la figure une image : Réminiscence : Atlanna perd un fils qu'elle ne revoit plus jamais ensuite. L'histoire se répète. Mera perd un fils à jamais. Appelons ça la malédiction atlante. On l'introduisit dans la chambre. Voilà Mera étendue, inconsciente. Juste lui et elle. Cette rousse en diable qui l'avait séduit il y a longtemps, avec ce regard à fort tempérament, ses mouvements de mentons autoritaires et ses sourires qui signifiaient qu'elle ne s'en laissait pas compter, jamais. Juste un visage sépulcral à présent, dans toute sa beauté morbide. Les mêmes traits fins et réguliers de la plus belle femme qu'il ait jamais vu, avec marqué à jamais comme une cicatrice invisible, que même si elle allait mourir de vieillesse à 100 ans, elle avait connue sa première mort aujourd'hui.
Il a prit la vie de mon fils. Ce qu'il lui a prit est encore pire.
Arthur qui tend sa main vers la sienne immobile. Sans oser lui prendre la main. Sa propre main à lui, à vif. Des souvenirs hésitants : l'horreur pure avant qu'il ne l'emporte dans l'eau loin du démon en scaphandre noir. Son silence implicite : j'ai échoué, tout roi que je suis. L'envie de lui donner un baiser léger, comme un réconfort. Non, elle a connue sa première mort aujourd'hui. Arthur avec ses meurtrissures sur tout le corps. Rien en comparaison de ce qu'elle avait subit. Arthur qui frôle le visage inconscient de Mera immobile. A la frôler. De ses lèvres de ses cheveux. Réminiscence. Lointain souvenir. Ce tout premier sourire qu'elle lui a fait un jour lointain. A la saisie avant qu'elle ne le dissimule. Il la regarda en retenant ses larmes. Insuffisant. Juste un baiser sur le front de sa reine. Douloureux quand même. Il se recula, son dernier élan, douloureux aussi. Il la contempla endormie. Cette veine sur le cou de Mera qui palpite doucement. Un drap remonté sur elle, avec les pans qui flottaient. Mais ses épaules découvertes. Et ses cheveux. Crinière rousse étalée en désordre. Son visage : yeux fermés. Des cauchemars qu'elle ne lui dira jamais. Un dernier regard : cheveux roux sur lin blanc. Les mêmes qui avaient fait succomber Orm. Un dernier baiser sur son cou. Cette veine qui palpite. Il regarda ses propres mains. Lourdes, obscènes pour ne pas avoir réussis à la sauver elle et l'enfant.
Porte franchie en étouffant un sanglot.
…………………………
Foule atlante devant le palais. Gigantesque, des marches de marbres jusqu'aux grandes allées à statues des monarques passés. Silence digne. Des bêtes marines qui tournent en rond en parade funèbres au dessus. Émotion palpable. Chaque bras qui tenait une améthyste marine de couleur verte. Un peu comme des humains en surface se seraient rassemblés en tenant des bougies pour rendre hommage. Rassemblement spontanée pour la reine. A brandir les pierres scintillantes vertes dans les fonds marins. En hommage à elle. Vert. La couleur de Xebel, la couleur de Mera. Pensée ironique et déplaisante dans la tête d'Arthur : il a fallut qu'on assassine son enfant pour que la foule prenne conscience qu'elle n'était pas qu'une reine étrangère ?
8 artisans qui s'étaient proposés d'eux même pour ouvrager un petit cercueil en corail et en or, avec un agrément en saphir. Dimensionné à la taille du nourrisson mort né. Ils s'étaient mis à la tâche sans même avoir reçu l'avis royal. On avait prudemment demandé à Arthur s'il souhaitait voir le corps de l'enfant dans son linceul blanc.
Non.
Au dessus de ses forces. La salle dite du « triton » avec ses dalles anciennes avait été réquisitionnée pour conserver sur un dais le corps de l'enfant pendant toute la période funèbre avant que ne survienne ses funérailles. Des gardes en faction qui interdisaient l'entrée à tout le monde jour et nuit. Seul la grande érudite était autorisé à accéder au corps en compagnie des sœurs du silence. Arthur n'avait pas voulut. A ruminer ce qu'il dirait à Mera lorsqu'elle sortirait enfin de son sommeil de cauchemar. Elle émergea après 3 jours d'inconscience. Elle réclamait l'enfant évidemment. Arthur à son chevet. Elle lui saisit son bras avec une main d'une rare énergie. Pire que la reine Trencher qui voulait défendre sa progéniture. La question qui ne cessait de revenir : où est mon bébé ? Les guérisseurs autours décampèrent. Arthur le visage déformé par la tristesse.
« Il n'est plus. »
Du mal à parler, sa voix presque éteinte.
« Il nous l'a prit, j'irai jusque dans les abysses pour prendre sa tête et te l'amener. Il est déjà mort même s'il ne le sait pas encore. »
Il s'insulta intérieurement. Abruti stupide. Quel réconfort cette vengeance allait apporter à sa femme ?
Il la serra doucement contre lui. Son menton contre son front. Il sentait les veines de Mera qui battait à ses tempes.
« Je te promet qu'il y aura d'autres enfants. »
Et si elle ne pouvait plus enfanter ? Il pouvait adopter mais sa promesse lui paraissait tellement vaine, tellement creuse. L'image s'imposa d'elle même dans son esprit. Aquaman avait vaincu Darkseid avec les autres, il avait vaincu le Syndicat du Crime avec les mêmes. Et pourquoi ? Pour rien, il n'avait pas su protéger ce qui lui importait encore plus. Et il ne pourrait plus jamais offrir à Mera ce dont elle rêvait le plus au monde.
Mera sait ce qu'Arthur va lui dire avant même qu'il n'ait ouvert la bouche. Elle le sait, et pourtant quelque chose en elle refuse de l'admettre, refuse de faire face à cette vérité si terrible que son esprit n'est pas capable de l'appréhender. Parce que ce n'est tout simplement pas possible, pas naturel. Une mère ne peut pas survivre à son enfant, ce n'est pas dans l'ordre des choses... Il n'existe même pas de mot pour décrire un parent qui a perdu son enfant. Elle fixe Arthur, les yeux écarquillés, une flamme de folie dans son regard. Elle s'accroche à un espoir qui n'est déjà plus qu'une chimère et pour la première fois de sa vie, Mera préférerait entendre un mensonge que la cruelle vérité. Mais Arthur ne lui a jamais menti, alors il ne le fait pas. Il lui révèle la cruelle vérité et immédiatement son bras retombe. Peu importe la façon dont il lui annonce, peu importent les mots prononcés. Son fils est mort. Son bébé est mort. Thomas est mort avant d'être né. Rien n'a de sens dans cette phrase et pourtant elle est vraie. Mera ne regarde plus Arthur, son regard est vide, elle est aveugle sans l'être. Dans un premier temps elle n'a aucune réaction, parce qu'elle ignore s'il existe une réaction qui soit adaptée à ce genre de situation. Son cerveau traduit les informations mais il ne les comprend pas. Arthur continue à lui parler, mais elle ne prête plus la moindre attention à ses paroles. À quoi bon jurer la mort de Black Manta maintenant ? À quoi bon promettre de lui ramener sa tête maintenant ? À quoi bon ? Thomas est mort et rien de ce que son père fera ne le ramènera. Tuer Black Manta les soulagera peut-être pendant un instant, une seconde, mais cela ne changera rien à leur triste sort. Peu importe ce qu'ils feront, Black Manta a gagné et ils ont perdu. Mera respire encore, son cœur bat toujours, mais l'étincelle de vie l'a quittée. Et puis il y a les mots de trop. Ceux qu'Arthur prononce dans le seul et unique but de la rassurer, mais qui lui font l'effet d'un électrochoc et la font revenir à elle. Son regard retrouve celui d'Arthur, et son visage inexpressif affiche soudain une colère sombre. « D'autres... Enfants ? D'autres enfants... ? » Comment peut-il lui dire une chose pareille, alors qu'ils n'ont même pas enterré leur fils et encore moins fait son deuil ? Comment peut-il lui dire une chose pareille, alors que tout est de sa faute ? Comment ose-t-il ? Son bon sens est-il mort, lui aussi ? Mera explose. « JE NE VEUX PAS D'AUTRES ENFANTS ! » Ses larmes de rage sont emportées par le courant, mais ses brillants ne laissent aucun doute quant à son état. « JE VEUX MON FILS ! JE VEUX THOMAS ! » Elle se moque d'être entendue par tous les Atlantes. Elle se moque d'empirer la douleur de ses entrailles en remuant comme une anguille. « JE VEUX MON BÉBÉ ! » Mais c'est impossible, n'est-ce pas ? C'est comme si elle demandait à Arthur de lui décrocher la lune. « Comment peux-tu me dire une chose pareille ? Ce n'est pas... Ce n'est pas un bijou que j'ai perdu, c'est mon enfant ! Je l'ai porté pendant neuf mois, je l'ai senti grandir, bouger... » Et puis, plus rien. Elle n'était même pas consciente quand il avait été arraché à elle, elle n'avait pas pu le rassurer, lui dire que tout irait bien, lui dire de ne pas avoir peur. Un instant il était là, et celui d'après il ne l'était plus. Ses lèvres tremblent avant d'afficher une terrible grimace de dégoût. « C'est de ta faute... Il est mort, et c'est de ta faute ! » Si Mera avait pu bouger, elle l'aurait sans doute giflé sèchement. Au lieu de cela, elle crache des mots qu'elle regrette presque immédiatement de les avoir prononcés, mais elle ne parvient pas à s'arrêter. « Comment as-tu pu ? Comment as-tu pu le laisser mourir ? Tu n'avais même pas ton armure... Ton trident... Tu es venu les mains vides ! Tu es venu les mains vides et ta bêtise a coûté la vie à notre fils ! Orm avait raison... Mon père avait raison... Tu es faible, Arthur ! Un roi digne de ce nom sauve sa reine et son héritier ! Même si il doit y laisser sa propre vie ! Tu es faible, faible et lâche ! » La voix de Mera est rauque, brisée par le chagrin et la colère. « Pourquoi est-ce que tu ne l'as pas appelé ? Pourquoi est-ce que tu n'as pas appelé Orm ? Il m'aurait sauvée... Et il l'aurait tué ! Cela fait DES ANNÉES que tu aurais dû tué Black Manta ! À quoi bon le faire, à présent ? Tu crois que le savoir mort soulagera ma peine ? Tu crois que la vengeance fera renaître notre fils ? » Elle secoue la tête, désenchantée, apathique. La colère disparaît aussi vite qu'elle est apparue et de nouveau, Mera fixe le vide. « Je veux le voir. Je veux voir mon bébé. Apporte-le moi. Je veux le voir. »
Arthur s'insulta intérieurement. Mais quel idiot. Pourquoi il avait hasardé cette phrase ? Promesse d'autres enfants. Il s'était naïvement imaginée que ça la rassurerait. Il voulait lui signifier que si leur présent était mort et dans l'abîme. Le futur existait toujours pour elle, pour eux et pour un autre enfant. Elle le prenait maintenant à partie avec fureur. Il essaya de rapprocher ses mains d'elle, pour l'étreindre, pour qu'elle pleure contre lui en le serrant. Mais il arrêta son geste, percevant dans les yeux de Mera cette lueur qu'il n'avait vu que dans les yeux d'Orm auparavant : la haine. Il lui répondit, la voix aussi éteinte et aussi hallucinée par le sort cruel qui leur tombait dessus :
« Mera, c'est la colère qui parle. C'est Manta qui nous as infligé ça. J'ai été prit au dépourvu, j'étais loin d'Atlantis, je n'avais pas mon armure et mon trident, je… je voulais juste faire aussi vite que je pouvais pour t'arracher à ses griffes ! J'avais peur ! Rien d'autre dans mes pensées à part ça : il allait te tuer. Il allait VOUS tuer. »
Il avait un visage défait. Ça se voyait que même si dans l'absolu, son ennemi juré était le responsable de tout ça, Arthur lui même culpabilisait et se reprocherait éternellement de ne pas l'avoir vaincu à ce moment là avant qu'il n’éviscère Mera. Qu'il s'en voudrait éternellement de ne pas avoir tué Black Manta par le passé quand il en avait eut l'occasion. Qu'il serait hanté jusqu'à la fin de ses jours à l'idée qu'il n'avait pas su la ramener à temps à Atlantis. Qu'il aurait du venir quand même avec d'autres atlantes, ou même avec Orm, même au prix d'une journée de retard. Manta n'aurait jamais tué sa reine tant qu'il n'était pas arrivé. Mais quelle torture il lui aurait fait subir en attendant ? Tant de : et si ? Auquel il n'aurait jamais de réponse. Le sentiment le plus amer qui habitait Arthur, était sans doute que l'histoire se répète. Que Mera se voyait privée de son enfant comme ça avait été le cas pour Atlanna. Que la dynastie d'Atlan n'était pas fichus d'offrir autre chose à ses successeurs que le destin qui mettait en échec les parents et les empêchaient de vivre avec leur enfant pour le voir grandir. Mera réclamait maintenant de voir son fils mort.
Arthur se leva avec un air tendu. Une veine se gonflait sur les tempes de son front. Il chercha ses mots. Essayant de bien les peser face à la fureur triste de Mera.
« Il est là. Dans la salle du Triton. Les gardes interdisent l'accès à quiconque et les sœurs du silence veillent sur sa dépouille mais... »
Arthur s'imagina le petit corps du nourrisson en position fœtale sous le drap blanc qui le recouvrait dignement. Nettoyé de tout sang, mais avec une blancheur cadavérique. Les petits yeux jamais ouverts et à jamais fermés.
« ...il vaut mieux pas. Pas tout de suite. Tu te ferais du mal. Et tu peux à peine nager. S'il te plaît, laisse le temps recouvrer tes forces d'abord. Il restera là-bas préservé. Et les funérailles n'auront lieu que lorsque tu l'ordonneras. »
L'esprit de Mera est comme un château de cartes qui s'écroule à cause d'une simple brise. Elle le sent, elle n'a plus aucun contrôle sur ses pensées et sur son comportement, tout lui échappe. Elle a perdu ce qu'elle avait de plus cher au monde. Son fils, son enfant, avant même d'avoir pu le voir. Il lui a été arraché sauvagement, vicieusement, et aucune parole ne parviendra à apaiser sa peine. Elle souffre aussi sûrement que si quelqu'un lui enfonçait une lame dans la poitrine millimètre par millimètre, elle sent son cœur se déchirer sans pouvoir rien faire pour se défendre. « Tu avais peur... Tu avais peur, tu n'as songé à rien et lui, il nous a tués de toute façon. » Pas juste Thomas. Elle aussi. Mera n'est plus qu'une coquille vide de vie, une morte qui continue à respirer et à s'exprimer mais qui n'en est pas moins un macchabée. Quand elle regarde Arthur, après des années d'amour et de complicité, elle ne voit plus que l'homme qui a été incapable de sauver leur fils. C'est terrible, probablement très injuste aussi, mais puisque Black Manta a pris la fuite et est libre de ses mouvements, quoique sans aucun doute traqué par l'armée atlante, elle ne peut s'en prendre qu'à Arthur. Mera a besoin d'un coupable, d'un souffre-douleur et son époux est le parfait candidat. Il faut qu'elle lui crache sa rage à la figure comme un poison, parce que c'est la seule chose qu'elle sache faire. Mera n'a jamais été femme à faire appel à la raison avant toute autre force, et cette fois encore moins. Et qui le lui reprocherait alors qu'elle vient de perdre son enfant ? Il n'existe pas de mots assez forts pour traduire ce qu'elle ressent. Elle-même n'a pas la moindre idée de ce qu'elle ressent tant la colère et la tristesse sont intenses, et en même temps elle a l'impression d'avoir été happée par un gouffre noir que nulle lumière n'est capable d'atteindre. « Ce n'était pas une requête, Arthur. C'était un ordre ! » Mera se moque bien de savoir que Thomas repose dans la salle du Triton ou ailleurs, cela ne fait aucune différence pour elle. « C'est dans mes bras qu'il devrait être ! Je suis sa mère, je dois... » Sa voix se brise, ses lèvres tremblotent. « Je dois le protéger, c'est mon rôle. » Même s'il n'est plus là. Même si sa petite âme est déjà partie ailleurs, s'il y a ne serait-ce qu'une chance qu'il puisse entendre ce qu'elle a à lui dire... Mera ne s'est jamais intéressée de près ou de loin à la religion et aux dieux, elle s'en moquait bien en dépit des mises en garde et des conseils des doyennes... Aujourd'hui, les regrets l'étouffe. De nouveau, son regard trouve celui d'Arthur. « Aie au moins le courage d'affronter ton échec. » Mera se mord la joue pour ne pas hurler de rage et de désespoir. « Quel mal pourrais-je m'infliger qui serait pire que celui-ci ? À ton avis, existe-t-il pire souffrance ? Je pourrais laisser ma propre sœur m'éviscérer et me briser les os un à un que ce ne serait rien à côté de ce que je ressens ! Tu n'as pas la moindre idée de ce que je ressens. Tu ne peux pas. » Arthur aussi a perdu son enfant. Mais Mera l'oublie, aveuglée par des émotions trop fortes pour qu'elle conserve ne serait-ce qu'une once de jugement. Il essaie de la préserver, mais le moindre de ses mots déclenche chez elle une autre tempête de colère. « Va chercher notre fils, Arthur. Je ne te le demanderai pas une autre fois. Va le chercher, où je m'y traînerai d'une manière ou d'une autre et tu ne me reverras plus jamais. » La menace est claire. Et malheureusement sincère. Mera n'a qu'une parole, même lorsque sa raison lui fait défaut. Elle veut voir son fils, c'est la seule chose qu'elle veuille et ce sera peut-être la dernière. « Je n'ai pas pu l'aider à venir au monde. Alors laisse-moi au moins l'aider à le quitter. Je ne te demande rien de plus. »
Mera insistait avec force pour voir son enfant mort. Arthur restait désemparé face à ses admonestations et ses reproches. Lui même n’avait pas eut la force de voir le corps de leur fils éteint. Il s’imaginait le corps blanc cadavérique du nourrisson en position fœtale sous le dais blanc, les yeux fermés à jamais. Cette seule image le révulsait. Et il songeait que Mera s’effondrerait encore plus de chagrin à cette seule vue. La pluie de reproches continua et il se dressa livide, renonçant à la préserver devant son insistance et cette sourde colère. Pour elle le calvaire était pire que pour lui, il le savait, même si lui même se sentait éteint, défait sur tous les plans. Un sentiment d’échec en tant que mari, en tant qu’homme, en tant qu’atlante, en tant que roi et même en tant que justicier.
« Très bien. »
Lâcha-t-il la gorge toujours aussi nouée. L’insistance menaçante de Mera était douloureuse à contempler et il obtempéra, bien incapable de trouver quoi que ce soit d’autre capable de la réconforter.
« Je vais le chercher. »
Une note d’angoisse dans sa voix, comme s’il appréhendait l’idée de porter le petit corps sans vie de la même façon que s’il allait au combat contre un kraken. Il préférait nettement aller le chercher plutôt que d’amener Mera à lui. Avec les blessures effroyables qui lui avaient été infligées, elle était encore faible pour tout déplacement à son sens. Cette obsession triste pour son enfant arraché était la seule chose qui lui donnait cette énergie viscérale.
Arthur quitta la chambre de soin aux grandes colonnades en nageant avec faiblesse. Mélange de trac et d’angoisse. Son trajet jusqu’à la salle du Triton reconvertit en lieu funèbre fut court mais lui parut interminable. Ses pensées agitées étaient rivées sur Mera. Elle n’était plus que ressentiment. Une plaie béante dans son esprit à cause d’une tragédie dont elle le tenait personnellement responsable, plus encore que Black Manta. Ce qui augurait très mal de la suite. Qu’allait-il advenir d’eux après le deuil ? Ils ne pouvaient sortir indemne de cette épreuve là évidemment, mais comment se reconstruire ? Et sur quoi ?
La salle, le corps sous les draps en lin blanc qui flottaient, secoués doucement par l’eau. Arthur se fit violence et souleva doucement le petit corps. Un bras blanc et sa petite main tombèrent sous le mouvement. Cette seule vue le remplit d’horreur et manqua de lui arracher d’autres larmes. Il enveloppa un peu mieux le corps et dissimula le bras. Il arpenta à nouveau le couloir vers le chevet de sa reine. Le corps mort de Thomas blottit dans ses bras. Tous les gardes et serviteurs croisés au détour du couloir inclinèrent la tête sur son passage.
Arthur revint à Mera. Il gardait encore le corps de l’enfant enveloppé de blanc contre lui. Il demanda une toute dernière fois avant de lui tendre :
« S’il te plait, n’enlève pas le drap, pas encore. Attends les funérailles. Ne t’inflige pas plus de tourments. Tu es déjà à bout. »
Il lui tendit. Ce geste lui évoqua une image mentale qui l’avait hantée toute sa jeunesse : Atlanna qui l’avait tendue à son père avant de disparaître, il ne devait plus jamais la revoir. La malédiction atlante, l’histoire se répète pour la dynastie d’Atlan, encore et encore. Une vie ordinaire interdite à tous les couples de cette dynastie. Tous les enfants engendrés dans la souffrance. Un passif qui ne donnaient plus que des passions tristes. Orm autrefois, maintenant lui et Mera.
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Mera se réveille lentement, très lentement. Elle a toutes les peines du monde à s'extirper de sa léthargie pour reprendre conscience. Elle a la désagréable impression d'être dans une bulle qui la coupe du monde autour d'elle, qu'elle ne perçoit d'ailleurs pas clairement. Son cœur se met soudain à battre plus vite et elle est envahie par une violente vague de panique. Pendant un moment qui lui paraît durer une éternité, Mera ne se souvient de rien. Elle ne sait plus très bien qui elle est, où elle est, ni même ce qui lui est arrivé. Son corps est terriblement douloureux, elle aimerait pouvoir hurler de douleur mais elle est encore incapable de faire le moindre mouvement ou d'émettre le moindre son. Prisonnière de son propre corps, elle ne peut rien faire sinon attendre que l'engourdissement passe. Mais quelque chose ne va pas, elle se sent oppressée par un sentiment de peur absolument terrible. Quand elle parvient enfin à ouvrir les yeux, il lui faut plusieurs secondes pour s'habituer aux lueurs bioluminescentes autour d'elle. Peu à peu elle reprend ses esprits et reconnaît l'infirmerie du palais d'Atlantis et... Elle se souvient de tout, d'un coup. Sa captivité, Black Manta, Arthur, cette douleur abominable qui avait déchiré ses entrailles... Le bébé. Où est son bébé ? Où est son fils ? Mera redresse la tête du mieux qu'elle le peut, sans prêter la moindre attention aux personnes qui l'entourent. Son ventre... Son ventre est plat. Comme pour s'assurer que ce n'est pas une hallucination, elle porte ses mains à son abdomen. Rien. Son ventre est plat, vide, mais le moindre effleurement déclenche une souffrance à peine supportable. Mais ce n'est rien comparé à ce qu'elle ressent face à l'absence de son enfant. « Où... » Sa gorge est douloureuse, comme le reste de son corps. Son cœur menace d'exploser dans sa poitrine et elle ne peut même pas prendre de profondes inspirations pour tenter de se calmer. Autour d'elle on s'agite, sans doute que les guérisseurs lui demandent de rester calme, mais elle en est incapable, elle n'entend même pas leurs mots. Son regard paniqué finit par accrocher celui d'Arthur et sans réfléchir elle l'attrape brusquement par le bras, plantant malgré elle ses ongles dans sa peau. « Où est... Le bébé... Où est... » Parler lui fait mal et sa voix est rauque, mais Mera force les mots à franchir ses lèvres. « Où est le bébé ? Où est notre fils ? Où est mon bébé ? » Elle se souvient de ce que Black Manta lui a fait. Arthur l'avait libérée de ses chaînes, elle avait tenté de prendre la fuite pour rejoindre la sécurité de l'océan pour accoucher et le criminel s'était jeté sur elle comme une bête sauvage. Il l'avait littéralement éventrée comme un poisson et elle s'était effondrée sur la plage, le sable autour d'elle était devenu écarlate et elle avait enserré son ventre avant de perdre connaissance. Sa dernière pensée avait été pour son bébé, pour son fils... Si l'océan emporte ses larmes il ne peut rien pour empêcher les sanglots de la secouer. La panique l'envahit de plus en plus vite, elle vire à l'hystérie quand Mera essaie de se relever en poussant un hurlement déchirant. « OÙ EST MON BÉBÉ ?! OÙ EST MON BÉBÉ ?! » Elle se moque de savoir si c'est le fils d'Arthur ou celui d'Orm. Elle veut juste savoir où est son enfant. Pourquoi ne lui apporte-t-on pas ? Combien de temps est-elle restée inconsciente ? Elle ne comprend pas. Se pourrait-il que... ? Non, non, Mera refuse de penser au pire. Elle ne peut pas avoir perdu le bébé juste avant qu'il ne naisse, c'est impossible. C'est impossible, n'est-ce pas ? Arthur va la rassurer, lui dire que le bébé est quelque part dans le palais en sécurité avec une nourrice, il va lui dire que tout va bien... « Arthur, où est-il ? Où est mon bébé... ? » Ses lèvres tremblotent quand elle s'exprime. Elle refuse de prêter la moindre importance au mauvais pressentiment qui la ronge, à son instinct de mère qui hurle à l'agonie. Depuis qu'ils se connaissent, Mera n'a jamais eu aussi peur d'entendre Arthur répondre à une de ses questions. Il faut qu'il lui dise que le bébé va bien. Peu lui importe son propre sort, mais il faut qu'il lui dise que le bébé va bien.