La théorie du chaos [Flashback - Feat. Keyvan]

1930... dans un pub de Galway...

Assise dans un coin à l'écart, dissimulée par la lumière tamisée et la fumée de ta Philip Morris, tu observais, le regard perçant. Tes lèvres, teintées d'un rouge éclatant, esquissaient un sourire sournois et satisfait. Tu faisais plus qu'observer, tu admirais ton œuvre. Il était rare de te voir ainsi, si loin de ton île, déambuler parmi les Hommes. Apercevoir ta silhouette, croiser ton regard, était alors forcément signe de mauvaise augure, car tu ne sortais de ta somptueuse tanière que pour semer chaos et destruction. Équilibrer la balance, encore et toujours, te faisant alors ambassadrice du mal et des ténèbres pour contrer le bien et la lumière. Ton passe-temps favori? Inspirer les guerres et pousser les Hommes à s'entretuer, peu importait le camp victorieux, peu importait les tenants et les aboutissants. Tu voulais simplement les pousser au front, les pousser au pire, aux carnages sanglants. Il n'y avait rien de plus inutile, de plus irrationnel et de plus inhumain que la guerre. Pourtant les Hommes excellaient depuis toujours dans ce domaine. Pourtant, parfois, il suffisait simplement de s'installer autour d'une table, de discuter, de négocier, et tout pouvait s'arranger. Toute cette souffrance, tout ce chaos pouvaient être évités. C'était là que tu intervenais. Auprès d'un homme, souvent, d'un gouvernement, parfois. Mais à chaque fois, il suffisait simplement de trouver la bonne oreille dans laquelle souffler, le bon cœur où instiller la noirceur et la révolte. C'était comme mettre le feu au poudre, allumer la mèche et attendre patiemment l'explosion. C'était sans nul doute l'une de tes étapes favorites. Tu y prenais énormément de plaisir, c'était presque plus divertissant que de voir la chair et le sang recouvrir des causes qui n'en méritaient pas tant. L'Homme, dans sa nature la plus profonde, était si faible et manipulable, si prévisible, si primitif. Il te plaisait alors de le lui rappeler et de t'en divertir.

Cela faisait bien longtemps que tu n'avais pas poussé un peuple à la guerre civile et, tu devais l'avouer, cela te démangeait cruellement. Il te fallait alors une opportunité, il y en avait toujours, tout le temps, aux quatre coins de la planète. Il suffisait simplement de s'y pencher d'un peu plus près et de piocher au hasard. Tu avais senti le vent tourner en Europe de l'Ouest et tu avais très envie de te rendre en Europe de l'Ouest. Un endroit raffiné, cultivé et élégant. Ton dévolu s'était donc porté sur elle. Comme si tu t'étais simplement amusée à faire tournoyer le globe avant d'y poser distraitement le bout de ton doigt. Pointant, et ce de la manière la plus hasardeuse qui soit, ta prochaine escale. Tu ne vivais pas parmi les Hommes mais tu gardais un œil sur eux. En réalité, tu avais des yeux et des oreilles absolument partout. Des émissaires, des mercenaires, tant de gens prêts à se plier en quatre pour toi. De cela aussi tu te délectais. Mais ce n'était pas la raison de ta venue. Si tu étais ici, en Irlande, c'était pour redonner un second souffle à une guerre que certains prétendaient terminée. Une guerre qui, au contraire, ne demandait qu'à nouveau à être embrasée. Tel une marionnettiste habile, tu avais tiré quelques ficelles dans l'ombre, sans te faire remarquer et tu avais poussé des centaines d'hommes à se rebeller pour ce qui allait être le premier chapitre d'une terrible guerre. Une partie de ces hommes étaient là ce soir, ils fêtaient leur première victoire. Ils célébraient ce qu'ils pensaient être le courage de défendre leurs opinions. Misérables insectes que tu pouvais écraser d'un simple regard. Aucun d'entre eux ne te soupçonnait d'être derrière tout ça et c'était cette ignorance qui te faisait sourire. Tu te servais d'eux comme de la chair à canon et ils se prosternaient à tes pieds, tu pouvais presque les entendre dire "merci". Ils n'avaient d'yeux que pour toi ce soir. Même terrée dans ton coin, tu n'étais pas passée inaperçue. Comment aurais-tu pu? Une femme de ta trempe, une femme de ton envergure, ces bouseux ne devaient pas en voir passer souvent. Tu les avais tous recalé un par un, te délectant de leurs regards de chiens battus.

Les hommes... De quelles folies n'étaient-ils pas capables pour une paire de cuisses potables où se fourrer à la première occasion? Ils se prétendaient si forts et pourtant ils étaient si faibles. Tu aurais pu faire ce que tu voulais de n'importe lequel d'entre eux cette nuit là. Chacun était prêt à te baiser les pieds si tu le lui demandais. Mais ça ne t'intéressait pas, aucun de ces hommes ne t'intéressait. Aucun n'était à ta hauteur. Alors tu te contentais d'observer, de te délecter de ton œuvre. Bientôt les choses sérieuses allaient commencer, la guerre allait éclater, comme tu l'avais prévu, comme tu l'avais inspiré. Tu regardais ces hommes et tu te réjouissais de te dire que bientôt, au moins la moitié, ne serait plus là. Et ce n'était que la partie émergée de l'iceberg, tant d'autres allaient suivre après eux. Ton rôle désormais était seulement de t'assurer que rien ni personne de l'autre côté de la balance ne viendrait interférer. Tu l'aurais ton champ de bataille, tu l'aurais ton sang et ta poussière virevoltant dans une valse délicieusement macabre. Et tu t'assurerais d'être aux premières loges pour ne rien en louper. Tu voulais humer l'odeur de la mort, entendre leur agonie et leurs derniers soupirs, sentir leur sang ruisseler sur ta peau et souiller tes mains. Tu savourerais, comme il se devait, ton œuvre. Tapotant du bout de ton index sur ta cigarette, un morceau de cendres venait s'écraser et s'éteindre dans le cendrier. Quelle délicieuse allégorie. Tu trempais alors tes lèvres dans ton verre pour prendre une gorgée de ce délicieux bourbon que tu adorais. Tu méprisais ces hommes mais tu aimais tant le spectacle qu'ils t'offraient.

AVENGEDINCHAINS

1930... dans un pub de Galway...

Plus le temps passait et moins la soirée te semblait divertissante. Tu étais ce genre de femmes Circé. Le genre de femmes à mettre le feu aux poudres avant de te lasser tout aussi aisément. Il était difficile de capter ton attention, encore plus de la garder. Tu avais donc prévu de terminer cette cigarette ainsi que ton verre avant de t'éclipser dans la nuit. Tu reviendrais seulement dans quelques jours pour t'assurer que tout se déroulait comme prévu et que rien ni personne n'avait éteint la mèche que tu avais allumé de ton feu ardent. Tes lèvres trempaient à nouveau dans le bourbon quand soudain, et ce manière presque imperceptible à l'oeil nu, tu fronçais légèrement les sourcils... Tu avais senti quelque chose, ou plutôt, quelqu'un. Pas un humain, pas un dieu... pas une créature que tu avais l'habitude de côtoyer mais tu connaissais cette aura. Un scélérat de Leprechaun, tu en aurais mis ta main à couper. Pas étonnant tout compte fait, tu te trouvais dans le repère de ces cochonneries, l'Irlande. Tu étais d'ailleurs étonnée qu'il soit le premier que tu rencontres depuis ton arrivée ici. A croire que les temps n'étaient plus ce qu'ils étaient et même les créatures magiques commençaient à se tapir dans l'ombre. A la belle époque, les Leprechauns étaient légion dans les rues de cette contrée. Ils ne se cachaient pas, ils étaient fiers de ce qu'ils étaient. Aujourd'hui... ils n'étaient plus que des saltimbanques, des mendiants qui croupissaient dans la sueur et dans la fange. Des êtres abjectes que tu ne tenais vraiment pas à rencontrer. Cependant, tu ne pouvais t'empêcher d'être curieuse et de te demander ce qu'un putain de Leprechaun pouvait faire ici. Tu prenais alors une bouffée de cigarette en attendant qu'il vienne jusqu'à toi. Car si tu l'avais senti, malheureusement, lui aussi avait du te sentir. Et ce genre de sales bêtes, il fallait toujours qu'elles viennent fouiner dans ce qui les regardait pas.

Pas manqué! Bordel, si prévisible! Par contre, celui là, il avait un atout que les autres n'avaient pas. Il savait faire son entrée. Le coup de la pièce magique, on te l'avait jamais fait. Tu esquissais un sourire, à peine forcé. Il te saluait, tu ne prenais même pas la peine de le regarder. S'il voulait vraiment ton attention, il lui suffisait de faire comme tous les autres, la gagner. Visiblement, ton dédain et ton indifférence ne l'incommodaient pas le moins du monde et il commençait à te tailler la causette. Tu le laissais faire, ça pouvait se révéler divertissant. Tu lui laissais une chance au Leprechaun, mais une seule, pas une de plus. Il te parlait des armes et du gouvernement... Ton intérêt commençait déjà à s’essouffler, pourtant il avait si bien commencé avec cette pièce d'or qui elle avait su susciter le minimum de ton intérêt. Puis il poursuivait en parlant de magie, affirmant qu'elle n'avait pas à se mêler des affaires des Hommes. Vraiment? Intéressant comme théorie mais totalement caduque. Cela faisait des millénaires que tu tirer les ficelles dans l'ombre, tu n'allais certainement pas changer aujourd'hui ou te laisser dicter ta conduite par une saleté de Leprechaun qui fait des tours de passe-passe d'amateur. Oui tu avais trouvé que son entrée avait du panache, oui tu avais été intriguée par cette pièce qui n'était pas une pièce ordinaire. Mais pour le reste... Cela t'écorchait les oreilles d'entendre qu'il osait comparer sa piètre magie à ta sorcellerie divine. Vous ne jouiez pas dans la même cours, c'était une évidence et s'il avait besoin que tu lui rappelles, tu le ferais avec un immense plaisir. Assise, impassible, tu prenais une gorgée de bourbon tout en fixant le petit orchestre qui jouait un air folklorique à quelques mètres de là. Puis, tu posais calmement ton verre, tu prenais la dernière bouffée de ta cigarette et tu écrasais cette dernière dans le cendrier posé devant toi. Sur le mégot, les traces de ton rouge à lèvres rouge passion. « Si tu veux une pièce le mendiant, va voir ailleurs. » Lui répondais-tu avec une arrogance et un mépris absolus.

Puis, le plus calmement du monde, toujours sans même lui adresser un regard, tu te levais de ta chaise, laissant apparaitre ta silhouette divinement parfaite qui pouvait littéralement faire perdre la tête à bien des hommes. D'ailleurs, de nombreux regards se tournaient vers toi à cet instant précis, mais tu n'en avais que faire, aucun de ces hommes ne méritaient que tu te sentes flattée par leur pathétique et misérable attention. D'une démarche féline et sensuelle, tu avançais parmi les hommes et te frayais un chemin vers la sortie...

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